Notre esthétique théâtrale : entre cultures savantes, cultures populaires et ironie

Comment écrit-on une comédie aujourd’hui ?
Quelles traditions revendique-t-on ?
Quelle place accorde-t-on au public, aux troupes, à la scène ?

Depuis 2012, ces questions nous accompagnent à chaque nouveau texte. Elles constituent même la colonne vertébrale de notre répertoire, accessible gratuitement en ligne.

Cet article propose un voyage dans notre esthétique, ses influences, ses contradictions, ses fidélités. Non pas pour ériger un manifeste, mais pour partager — avec les metteur·euses en scène, comédien·ne·s et lecteur·rices — la manière dont nous concevons un théâtre à la fois populaire, sophistiqué et profondément ironique.

1. Pourquoi nous croyons au théâtre

Un art archaïque qui survit à tout

À une époque où l’audiovisuel semble régner sans partage, nous continuons à croire en la puissance archaïque du théâtre.
Peter Brook l’a formulé de manière inégalée :

Il suffit qu’un homme traverse un espace vide sous le regard d’un autre pour que l’acte théâtral soit amorcé.

Cette pauvreté matérielle — ce presque rien — est ce qui fait la grandeur du théâtre.
Là où le cinéma dépend d’outils lourds, complexes, technologiques, le théâtre se contente d’un espace, de corps, et d’une attention partagée.
Dans un monde saturé d’images, cela relève presque de la magie.

C’est pourquoi plusieurs de nos textes peuvent se jouer sans décor ou avec un dispositif minimal :
Une Femme IdéaleFaux Profil, nos SketchsLes Enfants de la Tempête.
Nous aimons écrire des pièces où la scénographie est un horizon, jamais une contrainte.

Une économie de moyens qui enrichit la symbolisation

Même lorsque les productions disposent de budgets confortables, le théâtre reste soumis à une limite naturelle : la durée de la présence humaine sur scène.
Cette limite favorise :

  • le symbole,
  • l’ellipse,
  • la condensation,
  • l’allusion.

Un objet devient un autre objet.
Un geste renvoie à un geste absent.
Une parole ouvre une scène qui n’est pas représentée.

Cette densité sémiologique, propre au théâtre, nourrit notre écriture.


2. Savant et populaire : une hybridation assumée

Nous nous tenons volontairement sur deux jambes :

  • une jambe savante, nourrie de mémoire théâtrale et de structures sophistiquées ;
  • une jambe populaire, héritée des formes qui plaisent au plus grand nombre.

Cette dualité constitue notre signature.


2.1. Ce que nous retenons de la culture théâtrale savante

Pour nous, un texte “savant” n’est pas nécessairement hermétique.
Il est structuré, architecturé, inscrit dans une tradition.

Nous aimons :

  • la précision horlogère de Feydeau,
  • le jeu des possibles chez Ayckbourn,
  • l’absurde presque mathématique d’Ionesco,
  • les dialogues polyphoniques de Vinaver.

Ces héritages se retrouvent dans plusieurs pièces :

L’histoire du théâtre joue un rôle essentiel dans notre manière de construire une intrigue.
Victor Hugo se souvenait de Shakespeare, Molière se souvenait de Plaute, Plaute se souvenait d’Aristophane…
Cette chaîne, nous cherchons à l’honorer, parfois discrètement, parfois explicitement.


2.2. Ce que nous retenons des cultures populaires

Nous considérons que le théâtre n’a aucune raison de s’éloigner du plaisir.
Et les cultures populaires sont, par essence, vectrices de plaisir.

Nous puisons donc librement dans :

Nous revendiquons cet éclectisme.
Nous ne croyons pas à la hiérarchie des légitimités :
tout ce qui crée du jeu est bon à prendre.


3. Faire vivre la forme dramatique

La forme dramatique n’a jamais cessé d’être pertinente, malgré les discours annonçant son dépassement.

Une définition qui résume notre pratique

Pour nous, la forme dramatique est :
un schéma narratif exprimé non par un narrateur, mais par un flux continu de paroles et d’actions portées par des personnages présents ensemble sur scène.

Pas de voix off, pas d’explication extérieure.
Ce qui se joue… se joue.
Ce qui se montre… se montre.

Cette immédiateté nous séduit.
Elle crée une tension narrative naturelle, idéale pour la comédie.

Un terrain de liberté, pas une prison

Nous restons fidèles à cette forme, mais nous n’hésitons pas à la retravailler :

La forme dramatique n’est donc pas un cadre contraignant, mais un terrain de jeu.


4. Revendiquer l’artifice

Nous défendons l’idée que le théâtre doit montrer son artifice, pas le dissimuler.

L’artifice comme voie d’accès à la vérité

Aucun·e spectateur·rice n’oublie vraiment qu’il regarde un spectacle.
Le quatrième mur existe peu.
Alors, autant jouer de cette fragilité.

Nous aimons créer :

  • des ruptures,
  • des adresses directes,
  • des glissements du réel au rêvé,
  • des moments de pure fantaisie.

Le théâtre n’est pas le réel : il le rejoue, il le stylise, il l’exagère.
C’est cette stylisation qui permet, paradoxalement, d’approcher une vérité plus nette que celle du quotidien.


5. L’ironie comme boussole

Si un mot devait résumer notre rapport au monde, ce serait celui-ci :
l’ironie.

Pas l’ironie blessante ou voltairienne.
Plutôt une ironie de structure :
un décalage constant entre ce qu’un personnage affirme et ce qu’il fait,
entre ce qu’il croit maîtriser et la manière dont l’action lui échappe.

Un outil de lucidité

Nous abordons souvent des thèmes de domination :

Mais notre critique n’est jamais frontale.
Elle est diffuse, intégrée, discrète.
Elle laisse la liberté au public.

L’ironie permet d’éviter la posture tout en conservant un regard.


6. Une relation directe avec les troupes : l’ADN de notre travail

Dès 2014, nous avons choisi de proposer gratuitement l’intégralité de nos textes sur notre site web.

Ce choix repose sur trois convictions :

  1. Le théâtre se transmet mieux sans barrières.
  2. Une pièce doit pouvoir être lue immédiatement lorsqu’une troupe en a besoin.
  3. Le lien avec les metteur·euses en scène et les comédien·ne·s est un trésor.

Depuis dix ans, ce lien ne cesse de croître :

  • échanges pendant les répétitions
  • conseils quand on nous en demande
  • déplacements pour les représentations quand c’est possible
  • suivis à distance quand ça ne l’est pas
  • amitiés théâtrales qui naissent autour des textes

Nous ne dirigeons jamais un montage.
Nous accompagnons seulement les troupes si elles nous sollicitent.
C’est leur liberté qui nous importe.

Et c’est ce lien vivant qui a permis au répertoire de grandir jusqu’à 46 titres en 2025.


Conclusion : un théâtre humaniste, joyeux, ironique

Notre esthétique peut se résumer en quelques mots :
un théâtre populaire mais ambitieux, ludique mais structuré, ironique mais tendre, artificiel mais vrai.

Chaque texte est une invitation à jouer.
Chaque montage est une aventure.
Chaque troupe qui s’empare d’une de nos pièces élargit notre horizon.

Si cette vision vous parle, peut-être qu’une de nos comédies trouvera bientôt sa place dans votre saison.

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