Brèves de clinique



Comment faire rire avec les pires sujets du monde

En moins d’1h et demie de lecture, découvrez comment plonger votre public dans un univers de sketchs comiques et inattendus (même si votre groupe a peu d’expérience théâtrale).

Avant de vous en dire plus, on aimerait que vous répondiez à trois questions simples : 

🆘 Est-ce que vous avez assez de tomber sans cesse sur des textes qui ne correspondent jamais à votre répartition femmes/hommes ?

🆘 Est-ce que vous n’en pouvez plus de voir vos interprètes patauger dans des scènes interminables ?

🆘 Est-ce que vous faites partie de ces personnes qui fuient l’humour à l’eau tiède ?

Si vous avez répondu oui à au moins deux questions, alors lisez vite ce qui suit !

Un médecin et son patient/sa patiente, deux personnes venues voir un-e malade, gros accidents et petits bobos… Brèves de clinique vous proposent dix-neuf sketchs à deux, parfois à trois, autour du thème de la maladie et de la guérison, histoire d’en rire.

En accédant au texte intégral de Brèves de clinique, vous obtiendrez un fichier pdf de 100 pages pour un poids ultra-réduit de 523 Ko. Le fichier est donc très facilement téléchargeable sur votre téléphone, votre ordinateur, votre tablette et imprimable à volonté.

Avec Brèves de clinique vous découvrirez :

✅ un grand choix de sketchs pour mieux sélectionner ceux qui vous plaisent le plus

✅ des dialogues rythmés donnant de l’énergie au jeu scénique

✅ un recueil avec lequel vous pourrez configurer votre spectacle selon que vous ayez besoin de 30 minutes, 1 heure, 1 heure et demie

✅ des textes d’une durée de 4 minutes simples à mémoriser et à jouer

✅ des sketchs à chutes qui surprendront votre public

✅ des textes riant de la maladie et de la mort, pour mieux mettre à distance l’angoisse qu’elles peuvent créer et s’en libérer

Le recueil a été joué à plusieurs reprises ces dernières années : 

🎭 Théâtre des Sources, Houdémont, janvier 2022

🎭 O’bord des Arts, Bords, Tonnay-Boutonne, Lussant, Février 2022, 

🎭 Les drôles de Jouhet, Jouhet, mars 2022

🎭 Association de sauvegarde de Notre-Dame de Lorette, Saint-Michel-de-Lapujade, mars 2023

Il a à chaque fois été intégré dans un ensemble plus vaste, ce qui démontre en quoi il peut venir nourrir une séance théâtrale composite.

Bonne nouvelle : la lecture, le téléchargement et l’impression de Brèves de clinique sont totalement gratuits !

Intéressé-e ? Attention, cependant : ce recueil est fortement déconseillé aux personnes qui n’aiment pas l’humour noir !



Texte intégral de Brèves de clinique à lire ou à imprimer

Le brigadier

Ils/Elles s’approchent du rideau et l’entrouvrent discrètement pour regarder dans la salle. Un a un brigadier à la main.

UN. — Doucement… ils vont te voir…

DEUX. — Penses-tu ! … Ils font pas attention… Oh !

UN. — Quoi ?

DEUX. — Y a les auteurs !

UN. — Les auteurs ?

DEUX. — Les auteurs de la pièce. 

UN. — Non ?

DEUX. — Si ! 

UN. — Rivoire et Cartier ?

DEUX. — Rivoire et Cartier. 

UN. — Alors ils existent vraiment ?

DEUX, haussant les épaules. — Oui.

UN. — Moi qui pensais que c’était un canular…

DEUX. — Un canular ?

UN. — « Rivoire et Cartier » ça fait un peu… marque de pâtes, non ?

DEUX. — C’est parce qu’ils écrivent à deux : Antoine Rivoire et Jérôme Cartier.

UN. — Où ils sont ? Je les vois pas…

DEUX. — Là-bas… au dernier rang…

UN. — On aurait pu leur laisser le premier rang…

DEUX. — Ils nous avaient pas dit qu’ils viendraient…

UN. — Lequel est Rivoire ? Et lequel Cartier ?

DEUX. — Alors… Rivoire c’est le petit avec son brushing impeccable… Cartier c’est le grand un peu dégarni… À moins que ce soit le contraire…

UN. — En tout cas, ils ont pas l’air en forme…

DEUX. — C’est normal… ils sortent de convalescence…

UN. — Ah c’est pour ça…

DEUX. — C’est pour ça quoi ?

UN. — Ben c’est pour ça qu’il a un bandage.

DEUX. — Qui ? Rivoire ?

UN. — Non, Cartier. D’ailleurs, il a le bras en écharpe. 

DEUX. — Qui ? Cartier ?

UN. — Non, Rivoire. Pourquoi ils étaient en convalescence ?

DEUX. — Un accident.

UN. — Oh ?

DEUX. — Un accident de réplique.

UN. — Mince, c’est moche…

DEUX. — Ils ont eux-mêmes reconnu qu’ils avaient un peu abusé.

UN. — Trop d’alcool ?

DEUX. — Excès de vitesse.

UN. — Ils étaient à combien ?

DEUX. — Ils ont été flashés à cent cinquante voire deux cents mots minute.

UN, impressionné-e. — La vache !

DEUX. — Je peux te dire que quand t’es lancé-e dans l’écriture d’une comédie à deux cents mots minute et que, d’un coup, t’as un gag qui te pète à la gueule au coin d’une phrase, tu fais pas le mariole !…

UN. — Et… ils ont morflé ?

DEUX. — Ils ont pris des éclats de rire en pleine poire… Heureusement, les blessures étaient superficielles…

UN. — Mais où t’as appris tout ça ?

DEUX. — Ça a fait les gros titres.

UN. — Quand ça ?

DEUX. — Hier.

UN. — Hier ? J’ai rien vu. Pourtant j’ai regardé le journal de vingt heures.

DEUX. — C’était pas à la télé, les gros titres. C’était dans La Gazette des Bouchers-Charcutiers picards.

UN. — Ah… d’accord… je comprends pourquoi j’en ai pas entendu parler… Je savais pas que t’étais Picard.

DEUX. — Je suis pas Picard.

UN. — T’es pas boucher-charcutier non plus.

DEUX. — Non, mais je suis curieux moi, je m’informe. Alors j’ai pris un abonnement au Monde diplomatique, à Courrier international et à La Gazette des Bouchers-Charcutiers Picards !

UN. — En tout cas, j’espère que le spectacle va leur plaire.

DEUX. — Va savoir… il paraît qu’ils sont pas commodes…

UN. — Oh lala, j’ai le trac… j’ai peur d’avoir des trous…

DEUX. — T’en fais pas, ils s’en rendront même pas compte…

UN. — Tu crois ?

DEUX. — Ils en écrivent tellement, ils peuvent pas se souvenir de chaque réplique.

UN. — Bon alors, on frappe les trois coups ?

DEUX. — Passe-moi le brigadier.

UN, lui donnant. — Au fait, pourquoi on appelle ça un brigadier ?

DEUX. — Parce qu’au théâtre on travaille en équipe, en brigade, si tu préfères… Comme dans la police…. Comme en clinique…

UN. — Comme en clinique ? ça tombe bien, c’est le thème de la pièce !

DEUX. — Bon alors, merde !

UN. — Merde ! Mais au fait, pourquoi on dit merde au théâtre ?

DEUX. — Je t’expliquerai une autre fois !

Il/elle sonne les trois coups.

***

Au fond du couloir

UN. — Excusez-moi, je cherche l’accueil.

DEUX. — Je peux pas vous aider. 

UN. — On m’a dit « Au fond du couloir ». 

DEUX. — « Au fond du couloir » ?

UN. — Oui.

DEUX, regardant. — Au fond du couloir, y a rien. C’est une issue de secours.

UN. — Pas par-là… (Faisant pivoter Deux) Par-là.

DEUX. — Ah, ce fond-là. (Regardant) Y a rien non plus, c’est un mur. 

UN. — Hein ?

DEUX. — Regardez vous-même. Je perds pas la tête…

UN, regardant à son tour. — C’est pourtant vrai. C’est un cul-de-sac…

DEUX, avec satisfaction. — Qu’est-ce que je disais !

UN, continuant à regarder. — Attendez… non… non… c’est pas un cul-de-sac.

DEUX, incrédule. — Quoi « c’est pas un cul-de-sac » ?

UN. — Il y a un mur, mais il y a deux portes. Une à droite et une à gauche. 

DEUX, écarquillant les yeux. — Ah oui, c’est vrai. Y a deux portes, oui. 

UN. — Oui mais laquelle faut que je prenne ?

DEUX. — Pour ?

UN. — Ben, pour l’accueil ?

DEUX. — Oh j’en sais rien…

UN, embêté-e. — Ah…

DEUX. — Ce que je sais, c’est que l’accueil c’est à côté des consultations externes et des psys. 

UN. — Et c’est par où ?

DEUX. — Quoi ?

UN. — Ben, les consultations externes et les psys ?

DEUX. — Les consultations externes ou les psys ?

UN. — Ben… euh… les deux. Les consultations externes et les psys.

DEUX, tendant la main d’un côté. — Alors, les consultations externes c’est par-là. (Tendant la main du côté opposé) Et les psys c’est par-là.

UN, commençant à s’y perdre. — Mais… mais vous venez de me dire que l’accueil est à côté des consultations externes et des psys.

DEUX. — Affirmatif. 

UN. — Si les consultations externes sont à l’opposé des psys, comment l’accueil peut être à côté des deux à la fois. 

DEUX, s’énervant. — Oh j’en sais rien ! (Montrant sa tête) Y a pas marqué : Jean Nouvel !

UN. — Désolé, mais c’est une simple question de logique…

DEUX. — Vous m’agacez, avec votre logique. Je perds pas la tête !

UN. — Je n’ai pas dit ça…

DEUX. — Si vous voulez, vous avez qu’à me suivre. 

UN. — Vous allez où ?

DEUX, amorçant un mouvement dans une direction. — En néphrologie. 

UN. — En néphrologie ? C’est quoi, ça la néphrologie ?

DEUX, s’énervant. — Oh j’en sais rien ! (Montrant sa tête) Y a pas marqué : docteur Schweitzer !

UN. — La néphrologie, c’est à côté de quoi ?

DEUX. — La rhumato. 

UN. — En ce cas, c’est pas par là.

DEUX. — Pourquoi ?

UN. — Parce que la rhumato, c’est à côté des psys, et que les psys, vous m’avez dit qu’ils sont par-là. (Montrant un côté opposé à celui vers lequel Deux se dirigeait.)

DEUX. — Je perds pas la tête !

UN. — Mais non, mais non… (Lui tendant la main, se présentant) Jacques-line Lapierre.

DEUX, lui serrant la main. — Simon-e Dutourd.  

TROIS, avisant Deux. — Ah ! M./Mme Lebourg ! On vous cherchait partout ! (Le/la prenant par le bras)  Venez, on va tranquillement retourner dans votre chambre.

UN. — Lebourg ? Mais pourtant ce monsieur/cette dame m’a dit s’appeler Dutourd…

TROIS. — M./Mme Lebourg fait parfois quelques confusions…

UN. — Peut-être pouvez-vous m’aider ? L’accueil, c’est par là ou par là ? (Il/Elle a montré deux côtés opposés.)

TROIS, montrant une troisième direction. — Par là ! Vous prenez l’ascenseur et vous remontez au moins un.

UN. — Ah bon ? Mais… mais… Je crois que j’aimerais autant vous suivre…

TROIS. — Oh là ! ça va pas vous avancer, croyez-moi…

UN. — Oui je sais, vous allez en néphrologie ?

TROIS. — Hein ? Mais pas du tout !

UN. — Moi je dis ça… c’est ce que M./Mme Dutourd… m’a dit, alors…

TROIS, rectifiant. — Lebourg. Eh bien…  M./Mme Lebourg a dû faire une petite erreur, comme à son habitude… On ne va pas en néphrologie, on va en neurologie – institut de la mémoire – maladie d’Alzheimer. (À Deux) Allez, venez M./Mme Lebourg. 

Trois s’éloigne lentement avec Deux sous le regard abasourdi de Un.

.

***

Allergie

UN. — Je vous écoute.

DEUX, hésitant. — Hum… C’est pas facile…

UN. — Essayez de dire les choses simplement.

DEUX. — Eh bien voilà docteur… je crois que… je crois que je deviens allergique à ma femme. 

UN, avec surprise. — Ah. (Silence, puis, se reprenant.) Vous savez, on voit ça dans tous les couples.

DEUX, avec surprise. — Ah bon ?

UN, fataliste. — Hélas… La vie à deux est loin d’être une sinécure et il arrive toujours qu’à un certain moment, on ne puisse plus supporter son conjoint. 

DEUX. — Non, attendez, je crois que je me suis mal exprimé…

UN. — Rassurez-vous : c’est souvent temporaire. Je vous comprends : vous êtes un peu perdu ?

DEUX. — Oui, en effet, mais peut-être pas pour la raison que…

UN. — Et vous êtes venu me voir. Au fond, vous avez bien fait. (Cherchant quelque chose) Attendez… je dois avoir ça quelque part… (Trouvant) Ah ! voilà. (Donnant une carte à deux) Martine Cupidon, conseillère conjugale. Je vous la recommande. Ma femme/Mon mari et moi on a eu un petit passage à vide, on est allés la voir et depuis, (avec connivence) c’est reparti comme en quarante. 

DEUX. — Docteur, je vous remercie mais il ne s’agit pas de passage à vide. Simplement, je deviens vraiment, mais alors vraiment allergique à ma femme !

UN. — Je ne saisis pas… Elle vous donne des boutons ?

DEUX. —Exactement !

UN. — Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Partez tout seul en vacances une semaine et vous verrez, quand vous rentrerez, vous retrouverez votre complicité avec elle.

DEUX. — C’est pas une question de complicité, docteur ! Mais dès qu’elle arrive, elle me file des boutons. Mais attention : des vrais boutons, partout ! Et surtout sur le visage. 

UN. — Attendez… vous êtes en train de me dire que quand votre femme arrive près de vous, votre visage se couvre de boutons ?

DEUX. — Et mon corps, aussi. 

UN. — Quel genre de boutons ?

DEUX. — Du genre rouges et qui grattent. 

UN. — Et c’est venu comme ça ?

DEUX. — Pour être précis, ça a commencé lundi dernier. Je disais à ma femme que ma mère venait déjeuner avec nous dimanche. Et là, elle commence à me dire : « Y en a marre, ta mère, on la voit tout le temps ! Déjà qu’il faut l’amener partout parce qu’elle peut pas se déplacer… en plus, maintenant, faut qu’on se la farcisse tous les dimanches ! » Moi je lui réponds : « Oh, franchement, t’exagères ! En ce moment, elle va pas bien, elle picole tant qu’elle peut, je pense qu’on peut bien faire ça pour elle. » Mais elle persiste : « Pas question, c’est non ! » Et là je lui dis : « Isabelle, arrête ! En ce moment, t’es tellement imbuvable, dès que je te vois, ça me file des boutons ! » Et au lieu de me répondre une vacherie, elle s’arrête, elle me regarde et elle me dit : « Purée, c’est vrai. » Je vais me voir dans la salle de bain, ça n’a avait pas loupé : des boutons partout !

UN. — Votre femme met peut-être une crème ou un produit qui…

DEUX. — Non.

UN. — Souvent, les fonds de teint et les rouges à lèvres peuvent contenir des composants qui…

DEUX. — C’est pas ça, docteur. Au contraire : ma femme se maquille jamais. Justement, je lui ai dit plusieurs fois qu’elle pourrait faire un effort de temps en temps mais elle est têtue comme une mule !

UN. — C’est peut-être hormonal… Votre femme est enceinte ?

DEUX. — Houlà !… J’espère bien que non !

UN. — Ménopausée, alors ?

DEUX. — Non plus.

UN. — Et ces boutons n’apparaissent que quand votre femme arrive ?

DEUX. — Uniquement.

UN. — Inutile de m’en dire plus : je sais ce que c’est.

DEUX. — Ah ?

UN. — Vous somatisez. 

DEUX. — C’est-à-dire ?

UN. — Vous êtes en conflit avec votre femme et, votre corps exprime ce conflit de cette façon. Finalement, quand je vous disais d’aller voir une conseillère conjugale, j’étais dans le vrai…

DEUX. — Mais pourquoi ça se déclenche seulement maintenant ?

UN. — Je ne sais pas, moi… En ce moment, vous voyez plus votre femme que d’ordinaire ?

DEUX. — Au contraire, je la vois moins. Elle vient de retrouver du boulot, alors… Avant elle était à la maison toute la journée, mais maintenant, elle arrive toujours après vingt heures…

UN, lui redonnant la carte. — Suivez mon premier conseil : allez voir Mme Cupidon et croyez-moi, cette histoire de boutons ne sera plus qu’un mauvais souvenir.

DEUX. — Vous croyez ?

UN. — Mais oui… Vous savez… des problèmes de couples… on en traverse tous…

DEUX. — Vous avez peut-être raison… Combien je vous dois ?

UN. — Rien.

DEUX. — Docteur, vous plaisantez ?

UN. — J’insiste. Mais vous me promettez d’aller voir Mme Cupidon ?

DEUXregardant la carte. — Je vous le promets. Elle consulte le samedi ?

UN. — En semaine uniquement. Jusqu’à dix-sept heures.

DEUX— Zut, ma femme finit à dix-neuf heures trente.

UN. — Qu’elle demande à son patron, exceptionnellement…

DEUX— Oh ça m’étonnerait qu’il lui fasse une fleur. D’après ce que j’ai compris, ils sont très à cheval sur les horaires, à l’usine de pesticides.

UN, troublé-e. — Ah… eh bien peut-être que… hum… Mme Cupidon pourra faire un effort… 

DEUX— Ah. Merci docteur, me voilà rassuré !

UN, avec un sourire. — Mais de rien. Au revoir !

***

Ablation

Un et Deux, en blouse avec des masques médicaux. Ils/Elles sont autour d’un patient recouvert d’un drap. Ils/Elles sont penchés au-dessus du ventre, qui est découvert. 

UN— Fil et aiguille. (Deux lui donne du fil et une aiguille. Un se met à coudre. Une fois son ouvrage fait) Ciseaux. (Deux coupe le fil. Un lui redonne fil et aiguille.) Compresse. (Deux lui donne une compresse. Un éponge alors la plaie. Un redonne la compresse à Deux et enlève son masque.) J’en peux plus !

DEUX. — Moi non plus !…

UN— Il m’a donné du mal, le cochon… 

DEUX, approuvant. — Il était coriace…

UN, triomphant. — Mais on en est venu à bout !

DEUX, enlevant son masque. — Et maintenant, week-end !

UN— Vous allez chez votre sœur ?

DEUX, acquiesçant. — Les petits vont pouvoir profiter de la plage. Et vous ? Rome ?

UN— Depuis le temps qu’on en rêve ! … Allez, à lundi !

DEUX. — À lundi, professeur !

UN, revenant sur ses pas. — Au fait, vous envoyez le foie au labo, comme d’ordinaire.

DEUX. — Pardon ?

UN— Je dis : « vous envoyez le foie au labo ».

DEUX. — Le foie ? Quel foie ?

UN, désignant le patient. — Celui qu’on vient de lui enlever !

DEUX. — Le foie ? Vous lui avez enlevé le foie ?

UN, avec un ton de reproche. — Vous étiez à côté de moi !

DEUX, se justifiant. — J’avais pas le nez au-dessus de la plaie…

UN, déstablisé-e. — Attendez, vous n’allez pas me dire que…

DEUX, déstabilisé-e à son tour. — Il me semblait avoir lu… 

UN— Où est la check-list ?

DEUX, lui donnant un porte-document. — La voilà.

UN, après avoir jeté un coup d’œil. — Et merde !

DEUX. — Quoi ?

UN— Fallait lui faire une ablation de la rate.

DEUX. — Hein ?

UN— Et on lui a enlevé le foie !

DEUX. — « On », « on », c’est surtout vous, qui…

UN— Un peu de solidarité, merci !

DEUX. — Mais comment vous avez pu confondre ? La rate !

UN, se justifiant. — Je sais pas… le foie, en même temps… c’est juste au-dessus !…

DEUX, avec réprobation. — Quand même !

UN, minimisant. — Écoutez, le foie ça repousse vite ! Il s’en remettra. 

DEUX. — Qu’est-ce que vous avez dit ?

UN— J’ai dit que le foie ça repoussait vite. Voilà un homme qui sera vite sur pied. 

DEUX. — De quel homme vous parlez ?

UN— Du patient ! 

DEUX. — Quel patient ?

UN— Il y quelque chose qui ne tourne pas rond ? Je parle de notre patient ! Monsieur… Monsieur… Comment il s’appelle, déjà ? (Prenant le porte document, lisant) « Monsieur Henri Bourrassol. »

DEUX. — « Henri Bourrassol » ?

UN— Qu’est-ce qu’il y a encore ?

DEUX, montrant le patient. — C’est pas Henri Bourrassol.

UN— Qu’est-ce que vous dites ?

DEUX, prenant peur. — Je vous dis que c’est pas Henri Bourrassol.

UN, incrédule. — C’est pas Henri Bourrassol… (Soulevant le drap pour voir le visage du patient) Oh putain !

DEUX, les larmes lui montant aux yeux. — Je vous l’avais dit !

UN, fort. — C’est une femme ! Une femme !… bordel… Mais qui c’est, celle-là ?

DEUX, pleurant presque. — Je croyais que vous saviez…

UN— Jamais ! Je l’ai jamais vue…

DEUX. — Qu’est-ce qu’on va faire ?

UN— Poubelle.

DEUX. — Quoi ?

UN— Son foie, poubelle !

DEUX. — Mais…

UN— Discutez pas !

DEUX— Et elle ?

UN. — Vous la laissez aux urgences. Ils finiront bien par la prendre en charge et lui feront tous les contrôles. Et vous : vous l’oubliez. Vous ne l’avez jamais vue !

DEUX— Et Bourrassol ?

UN. — Qu’il aille se faire opérer ailleurs !

***

Les cachets

UN— Bonsoir M./Mme Marciano !

DEUX. — Encore vous ?

UN— Je ne suis pas passé depuis ce matin.

DEUX. — Justement ! Vous supporter deux fois par jour, c’est au-delà de mes capacités…

UN— Vous exagérez !

DEUX. — Qu’est-ce que vous me voulez, encore ?

UN— Vous le savez bien.

DEUX. — Je vous assure que non.

UN— C’est l’heure de vos cachets. 

DEUX— Quels cachets ?

UN— Vos cachets pour dormir.

DEUX— J’en n’ai pas besoin, je dors très bien.

UN— Allons… Ne faites pas l’enfant.

DEUX— La nuit dernière, j’ai dormi comme un bébé.

UN— C’est pas ce que m’a dit l’équipe de nuit.

DEUX— Pff ! Des menteuses…

UN, lui tendant un cachet. — Ce sera vite passé…

DEUX, esquivant. — Non !

UN, insistant. — S’il vous plaît…

DEUX— Je vous dis que non !

UN, marchant sur Deux. — Vous allez pas dire non longtemps…

DEUX, prenant peur. — Qu’est-ce que vous faites ?

UN, très près de Deux. — Je vais vous les faire prendre, moi, vos cachets…

DEUX, voulant s’éloigner. — Attention !…

UN, poussant le cachet entre les lèvres de Deux, qui les pince de toutes ses forces. — Vous allez les prendre, oui ?

DEUX, maintenant sa bouche fermée. — Mmm…

UN, exerçant une pression sur Deux. — Ouvrez cette bouche !

DEUX, tombant. — Ah !

UN— Oh pardon ! Je t’ai fait mal ?

DEUX— Évidemment que tu m’as fait mal ! Tu me pousses comme un bœuf…

UN— Excuse-moi. Mais bon, j’y étais presque…

DEUX— Quoi « j’y étais presque » ?

UN, avec fierté. — T’étais à deux doigts de les bouffer, ces saloperies de cachet !  

DEUX— Tu rigoles, j’espère ? 

UN— Je comprends pas…

DEUX— Alors toi, quand un-e patient-e veut pas prendre ses cachets, tu utilises la menace et tu essaies de lui ouvrir les lèvres de force ? 

UN, pour se racheter. — Encore deux secondes et tu les bouffais…

DEUX— Fais un effort, s’il te plaît !

UN— Mais c’est toi qui nous a dit qu’on pouvait forcer le patient !

DEUX— Moi, je vous ai dit ça ?

UN— Dans le cours d’hier !

DEUX— Jamais je vous ai dit ça !

UN— Je l’ai noté, je pourrai te montrer…

DEUX— Tu t’es planté-e ! Ça fait trois fois que tu rates le concours, et je peux te dire que si tu continues comme ça, c’est pas cette année que tu vas l’avoir !

UN— Je t’assure, t’as précisé qu’en cas d’urgence, on pouvait contraindre un patient à accepter des soins si…

DEUX— « En cas d’urgence » bordel ! « En cas d’urgence », tu sais ce que ça veut dire ? Ça veut dire en cas de risque vital ! Pas lorsque tu dois faire prendre un cachet pour dormir ! 

UN— Bon, alors, comment faut s’y prendre ?

DEUX— Regarde. (Faisant quelques pas en arrière et revenant) Bonjour M./Mme Marciano !

UN— Bonjour, bonjour, c’est facile à dire…

DEUX, lui tendant des cachets. — Tenez. 

UN— C’est quoi ces merdes ?

DEUX— M./Mme Marciano, ces cachets vont vous aider à trouver le sommeil.

UN, avec toute la mauvaise volonté du monde. — Ça m’étonnerait !

DEUX— Ils contiennent un principe actif à base de plantes de haute-montagne. 

UN, avec agressivité. — Haute montagne, mon cul !

DEUX— Une bonne nuit de sommeil est nécessaire à votre équilibre et je…

UN— Te casse pas, je les boufferai pas, tes saloperies !

DEUX, arrêtant de jouer. — Si tu pouvais y mettre un peu du tien…

UN— Tu nous as dit qu’on pouvait tomber sur des patients récalcitrants. 

DEUX— D’accord, mais de là à aller dans la grossièreté…

UN, se justifiant. — J’ai fait le malade récalcitrant !

DEUX— Très bien. Puisque c’est comme ça, moi, je jette l’éponge ! 

UN— Hein ?

DEUX— Je vois pas pourquoi je m’obstine à te filer des cours supplémentaires, si c’est pour que tu te comportes comme ça…

UN— Attends…

DEUX— Sur la compétence « prodiguer des soins », t’es archi nul-le !

UN— Pas tant que ça…

DEUX— Et en plus, tu la ramènes devant moi ? Je rêve…

UN— Les cachets, je peux te dire qu’avec moi, les malades, ils les prendront !

DEUX— Tu parles… La manière forte, comme si ça marchait ! Après, je t’ai dit, il y a un autre moyen, pas forcément très éthique, mais efficace : la ruse. 

UN— La ruse ?

DEUX— Comme je savais que tu ferais n’importe quoi, j’ai anticipé…

UN— Anticipé ?

DEUX— Si je t’avais demandé de prendre un laxatif, tu l’aurais fait ?

UN— Sûrement pas ! 

DEUX— Et pourtant, tu l’as pris !

UN— J’ai pris… j’ai pris un laxatif ?

DEUX— Je l’ai réduit en poudre et je l’ai mis dans ta purée, à la cantine. 

UN, soudain pris d’un malaise. — C’est pas vrai ! (Un gagne la sortie.)

DEUX— Il/Elle n’aura jamais son concours…

***

Sur le divan

Un est assis. Il/Elle regarde en l’air et prend quelques notes sur son carnet. Deux paraît. 

DEUX, hésitant-e. — Je peux ?

UN, après un bref silence. — Bien entendu.

DEUX, avançant et désignant un divan. — Ici ?

UN, levant les yeux de son carnet. — Pardon ?

DEUX, désignant encore le divan. — Je peux me mettre ici ?

UN— Bien sûr !

DEUX, allongé-e. — En ce moment, ça va pas fort. 

UN— Ah ?

DEUX— Tout est parti d’un incident apparemment sans importance. 

UN— Racontez-moi ça. 

DEUX— Eh bien voilà : dernièrement, lors d’un dîner de famille, j’ai voulu dire à ma mère « passe-moi le sel », et à la place je lui ai dit : « T’as gâché ma vie, salope ». Qu’est-ce que vous en pensez ?

UN— « T’as gâché ma vie… » ?

DEUX— « Salope ». 

UN— Salope ?

DEUX— Salope, oui. 

UN, pensif/pensive. — Ah ! …

DEUX— C’est grave ?

UN— Non, pas du tout. Vous avez fait ce qu’on appelle un lapsus

DEUX— Oui, je sais…

UN— Le lapsus est une phrase ou un mot que nous prononçons alors que nous voulons dire autre chose. 

DEUX— Je connaissais la définition du lapsus, merci.

UN, piqué-e. — Vous me demandez, n’est-ce pas, alors moi je vous réponds ! 

DEUX— Ne vous fâchez pas…

UN— La prochaine fois, ne venez pas m’en parler… Vous voulez un conseil, oui ou non ?

DEUX— Oui, oui…

UN— Bien. Alors pour éviter ce lapsus désagréable, moi je vous recommande, à chaque fois que vous voyez votre mère, de commencer par lui dire « T’as gâché ma vie, salope ». Comme ça, c’est dit, c’est fait, la tentation n’existe plus, et vous pourrez parler d’autre chose. 

DEUX— À chaque fois que je la vois ? « T’as gâché ma vie… »

UN— Salope.

DEUX, peu convaincu-e. — Ah… (Avec hésitation) Sinon… il y a aussi mon père.

UN— Qu’a-t-il ?

DEUX— C’est pas lui, c’est moi. À chaque fois que je le vois, j’ai comme une envie de le tuer qui m’arrive dans l’estomac… J’ai presque peur de ce que je pourrai faire…

UN— Il est important d’arriver à vous maîtriser.

DEUX— Je suis d’accord, mais comment ?

UN— Il n’est évidemment pas question de tuer votre père dès que l’occasion s’en présentera.

DEUX— Évidemment…

UN— Par contre, quand vous le rencontrez, n’hésitez pas à lui donner une gifle.

DEUX— Hein ?

UN— Ainsi, vous ferez retomber la tension, et nous éviterons le pire. 

DEUX— Une gifle ? Vous voulez que je gifle mon père ?

UN— Peut-être pas une gifle… Disons… une claque ? Une petite claque ? (Sentant que Deux n’est pas convaincu-e.) Sur les fesses ?

DEUX— Vous croyez que c’est une claque sur les fesses de mon père qui va améliorer la situation ?

UN— Une petite tape sur la main, si vous préférez. 

DEUX, se redressant. — Mais enfin, docteur !

UN— Je ne suis pas docteur !

DEUX, se relevant. — Vous n’êtes pas le docteur Finkelstein ?

UN— Pas le moins du monde !

DEUX— Alors qui êtes-vous ?

UN, tendant la main. — Frédéric/Frédérique Barthel, de chez les peintures Bariolo. Le docteur Finkelstein m’avait donné rendez-vous. Il veut faire refaire tout son cabinet. Il m’aura oublié-e ! 

DEUX— Oh…

UN— C’est dommage… (Regardant en l’air) J’avais pensé à un gris alto-cumulus… (Montrant son carnet) Je l’ai noté là ! Rassurez-vous, il ne devrait pas tarder. Il est toujours un peu dans les nuages… (Arrachant une page de son carnet) Vous pourrez lui donner ? (Il/Elle part.)

DEUX, perturbé-e. — Euh… oui… (Rattrapant Un) S’il vous plaît ! 

UN— Oui ?

DEUX, avec gêne. — À propos de ce que je vous ai dit… 

UN— Rassurez-vous… je ne dirai rien… Secret professionnel ! (Voyant que Deux n’a pas confiance.) On a tous nos pensées inavouables. Tenez : moi, ça fait des années que je rêve de faire disparaître ma belle-mère !

DEUX— Et vous n’avez jamais été tenté de la zigouiller une bonne fois pour toutes ?

UN— Pas besoin, elle est morte il y a six ans d’une crise cardiaque ! 

DEUX— Je croyais que vous vouliez la faire disparaître ?

UN— Oui. Enfin, plus exactement faire disparaître son portrait ! Qui trône sur ma table de chevet… Mon mari/Ma femme y tient. Résultat : même post-mortem, j’ai l’impression qu’Yvonne partage nos ébats ! … Enfin… (Tendant sa carte à Deux) Je vous laisse les coordonnées de la boîte, ça peut servir… Parfois, tout va de travers, on change de peinture et hop ! C’est reparti pour un tour ! Allez, au revoir !

Un sort.

DEUX, seul-e. — Et si je repeignais leur chat ? En rouge ? … (Deux regarde la carte laissée par Un et compose un numéro.) Allô ? Peintures Bariolo ? Je voudrais vous commander un pot de rouge. Hein ? Ah, du rouge sang ! (Deux sourit.) Un pot de cinq litres. Il vous en reste qu’un ? J’avais un rendez-vous mais je l’annule. À tout de suite !

***

Emplettes

UN— Bonjour M./Mme Müller ! Qu’est-ce qu’il vous fallait ?

DEUX— Euh… je ne sais pas…

UN— Je vous mets comme d’habitude ?

DEUX— Oh non ! J’ai envie de changer…

UN— J’ai une belle grippe, si vous voulez. 

DEUX— La dernière était très bien, mais c’est un peu commun…

UN— Vous voulez quoi ? Du fort ? Du léger ?

DEUX— Quelque chose de léger, histoire de me changer les idées. 

UN, pianotant sur un ordinateur. — Voyons ce que j’ai en stock… Ah ! J’ai des dents tachetées, si vous voulez.

DEUX— Pas très esthétique…

UN, regardant sur son écran. — J’ai des dents surnuméraires, sinon.

DEUX— Surnuméraires ?

UN— Supplémentaires, si vous préférez. 

DEUX— Tiens, c’est original !

UN— N’est-ce pas ?

DEUX— Mais comment ça marche ?

UN— Très simple. Vous les clipsez sur vos dents, et le tour est joué !

DEUX— Pour manger ça doit quand même être embêtant…

UN— Je vous le confirme !

DEUX— Je voudrais quelque chose avec plus de caractère.

UN, regardant son écran. — Ça tombe bien, j’ai un bel arrivage d’ulcères.

DEUX— Oui, mais ça, ça fait mal.

UN— C’est un petit peu le principe de l’ulcère… 

DEUX— Vous n’auriez pas quelque chose de plus englobant ?

UN— Si ! On vient de me rapporter une hernie crurale bilatérale. Avec ou sans occlusion. 

DEUX— Une hernie ? Ça fait travailleur de force…

UN, le nez sur son écran. — Si vous voulez, il me reste un peu de diarrhée.  

DEUX— Non ! ça, c’est trop chiant !

UN, avec malice. — Je vous le fais pas dire…

DEUX— Non, mais, ce que je veux dire, c’est que c’est emmerdant.

UN, l’œil toujours rieur. — Nous sommes d’accord…

DEUX— Non, mais… bon ! C’est pénible, quoi !

UN— Attention : j’ai les couches qui vont avec.

DEUX— C’est vrai ?

UN— Je vais pas vous laisser repartir avec une diarrhée comme ça !

DEUX— Et du priapisme ? Il vous en reste ?

UN— Du priapisme ?

DEUX— C’est pas pour moi, c’est pour un ami…

UN, d’un air désolé. — J’ai été dévalisé la semaine dernière… (Comme pour s’excuser) C’était la Saint-Valentin. Mais puisqu’on parle de… J’ai une rupture de vessie qui vient d’arriver.  

DEUX— Ah non ! ça, c’est comme la diarrhée… Non, je cherche un produit avec plus de standing. 

UN, consultant son écran. — Ah. Eh bien que diriez-vous d’une personnalité passive-agressive ? 

DEUX— Je l’ai déjà. 

UN— C’est difficile, avec vous, vous avez déjà tout !

DEUX— N’exagérez pas. Vous n’avez jamais réussi à me refiler la chaude-pisse !

UN— Et pourtant, croyez-moi, vous avez eu tort. Une chaude-pisse d’époque ! Que j’avais récupérée moi-même dans un vieux presbytère breton ! En tout cas, je peux vous dire que le juge qui l’a récupérée en est très satisfait. Passons…

DEUX— J’ai du mal à sortir des grandes enseignes. Finalement, quand on choisit une marque, on est rarement déçu.

UN— Vous voulez de la marque ? Fallait le dire !

DEUX— Je croyais que vous travailliez uniquement avec des petits producteurs ?

UN— Aussi, mais pas que !

DEUX— Aussi, mais pas que…

UN, tapant sur son clavier. — Dans les grandes marques, j’ai presque tout.

DEUX— C’est-à-dire ?

UN— Alzheimer, Parkinson, Creutzfeldt-Jakob… Macron…

DEUX— Macron ? C’est quoi ? Je connais pas.

UN— C’est très particulier. Un mélange de mégalomanie, d’autoritarisme et de mépris.

DEUX— Vous n’auriez pas un syndrome de La Tourette ? C’est rigolo, ça…

UN, regardant son écran. — Rupture de stock…

DEUX, avec déception. — Oh…

UN, pour s’excuser. — Ça a un succès fou…

DEUX— Je sais vraiment pas quoi prendre…

UN, regardant son écran. — Et si vous essayiez… l’aboulie !

DEUX— L’aboulie, c’est quoi ?

UN— Trouble de la volition.

DEUX— La volition ?

UN— Incapacité à prendre des décisions. Du genre : incapacité à choisir un produit dans un magasin…

DEUX— Ah oui, ça m’a l’ai pas mal, ça… (Tendant un billet à Un) Tenez. 

UN, voulant prendre le billet. — Merci. 

DEUX, ne lâchant pas le billet. — Attendez : je l’ai pas déjà, ça ? 

UN, prenant le billet, rassurant-e. — Non !

DEUX, rassuré-e. — Je croyais…

UN— Je vous la fais livrer, comme d’habitude ?

DEUX— S’il vous plaît. Merci ! Au revoir…

UN— Revenez la semaine prochaine, il y aura des promos sur tous les kystes !

***

Médecine de comptoir

UN, passant la serpillère. — J’en peux plus…

DEUX, arrivant et passant également la serpillère. — Tiens, Dédé ! Comment ça-va-t-y ?

UN— Et toi, Momo ? Ça fait une paye qu’on s’est pas vu-e-s !

DEUX— Qu’est-ce tu veux ? J’ai eu une promo.

UN— Ah ouais ?

DEUX— Au lieu de passer la serpillière à la cantoche, je la passe au service du Professeur Mandelieu.

UN— Et ça te plaît ? 

DEUX— C’est hyper plus intéressant. J’apprends plein de trucs.

UN— Tant mieux. Moi aussi j’ai eu une promo. 

DEUX— Ah ouais ?

UN— Au lieu de passer la serpillière à la laverie, je la passe au service du Professeur Girard. 

DEUX— Et c’est mieux ?

UN— Passionnant ! C’est dingue ce que mes connaissances ont augmenté… Par contre, je suis crevé-e !… J’ai plus envie de rien faire. Je crois que je fais une flémite aigue.

DEUX— Moi, c’est pas tout à fait la même chose. Hier soir, j’ai un peu abusé sur la picole. Donc… ce matin… bah… névralgie capillaire, si tu vois ce que je veux dire…

UN, traduisant. — Mal aux cheveux, quoi.  

DEUX— Si tu veux. 

UN— Au fait, t’as vu Simone ? Elle est effondrée.

DEUX— Qu’est-ce qui lui arrive ?

UN— Andrépause.

DEUX— À son âge ?

UN— Y a pas d’âge pour faire une pause d’André. Il est tellement chiant… Ça fait des années, qu’elle aurait dû la faire, son andrépause.

DEUX— Je la comprends. Qu’est-ce qu’il avait grossi, André… 

UN— Tu veux dire qu’il faisait de la baleinite ?

DEUX— Voire de l’hippopotamisme ! Enfin moi, André, il avait plutôt tendance à me faire faire de la burnite. Un vrai casse-couille !

UN, observant Deux. — C’est vrai que t’as pas l’air bien… T’as le visage couvert de boutons !

DEUX— M’en parle pas, je les ai vus au réveil.

UN— Moustiques ?

DEUX— Acné du sommeil.

UN— La vache !

DEUX— Ça pourrait être pire…

UN— Quand même…

DEUX— Ça pourrait être pire… À nos âges, on s’attend plutôt à de la glandistrophie, un pectus carabinus ou un hypermegalovirus…

UN— Je te reconnais bien là… jamais tu râles… jamais tu te plains….

DEUX— Tu sais que je suis vacciné contre le gnagnatisme…

UN, mettant la main sur le ventre. — Je te laisse… désolé-e… j’ai une gastro…

DEUX— Une quoi ?

UN— Une gastro ! (Voyant que Deux ne comprend pas) Une chiottopathie. 

DEUX, comprenant. — Ah ! M’en parle pas.  Y a pas longtemps j’ai eu une série de gaz intestinaux… 

UN— Des quoi ?

DEUX— Des gaz ! (Voyant que Un ne comprend pas.) Du pétardisme !

UN, comprenant. — Ah ! Excuse-moi… mais quand on utilise pas le langage pro, moi… (Sous-entendu : je ne comprends pas.)

DEUX— Qu’est-ce que tu veux, les pros, c’est ça.

UN— Eh ouais, c’est ça, les pros.

DEUX— Salut.

UN— Salut.

***

Le bouton

UN— Bonjour docteur.

DEUX— Je vous écoute.

UN, avec hésitation. — Eh bien voilà, je… hum…

DEUX, avec bienveillance. — Allez-y.

UN— En fait, je viens vous voir pour… pour un bouton.

DEUX— Un bouton ?

UN— Un bouton.

DEUX— Pourriez-vous me le décrire ?

UN— Euh oui… il est… euh… noir.

DEUX— Comme un point noir ?

UN— Docteur, j’ai passé l’âge de faire de l’acné…

DEUX— Oh pour ça, il n’y a pas d’âge…

UN— Ce n’est pas un point noir.

DEUX— Où est-il situé ?

UN— Vous ne le voyez pas ?

DEUX, regardant Un attentivement. — Euh… non…

UN, montrant son entre-sourcils. — Il est là. 

DEUX, apercevant le bouton. — Ah oui…

UN— Vous voyez. Il est noir, mais ce n’est pas un point noir…

DEUX, avec gravité. — Je vous le confirme.

UN, avec inquiétude. — Alors c’est quoi ?

DEUX, se penchant sur le bouton. — Ça fait longtemps qu’il est apparu ?

UN— Une semaine ou deux….

DEUX, se rapprochant près du bouton. — Une semaine, ou deux ?

UN— Plutôt deux.

DEUX, acquiesçant. — Hinhin…

UN— Mais au début il était tout petit et puis, progressivement il a grossi et maintenant…

DEUX, tâtant le bouton. — Maintenant il devient proéminent. 

UN, cherchant à dédramatiser. — Je me doute que c’est pas bien grave, mais je voudrais m’en débarrasser…

DEUX, feuilletant un volume épais. — Vous avez voyagé, dernièrement ? 

UN, réfléchissant. — Dernièrement ? Je suis allé voir ma mère à Argenton-sur-Creuse. 

DEUX, tournant des pages. — Et avant ?

UN— Avant ? J’ai été en week-end à Saint-Malo.

DEUX, s’arrêtant sur un article. — Je pensais à un voyage plus… plus lointain.

UN— Plus ?… Ah oui ! Bien sûr ! Je n’y pensais plus… On s’est offert un périple de quinze jours en Afrique sub-saharienne. Ma-gique !

DEUX, impassible. — C’est bien ce que je pensais…

UN— Quoi ce que vous … ? C’est en lien avec le voyage ?

DEUX— Ça me paraît établi.

UN— Ah ? Et… Qu’est-ce que c’est ?

DEUX— Iratus nigrum fascinum.

UN— Pardon ?

DEUX— Iratus nigrum fascinum. C’est du latin.

UN— Mais c’est quoi, l’irritus negrum…

DEUX, corrigeant. — Iratus nigrum fascinum.

UN— C’est grave ?

DEUX, les yeux dans son volume. — C’est un type d’épidermodysplasie verruciforme.

UN— Bien. Vous pouvez me l’enlever ?

DEUX— L’iratus nigrum fascinum ?

UN— Je peux reprendre rendez-vous, si vous voulez.

DEUX— L’iratus nigrum fascinum, il ne faut en aucun cas y toucher. Surtout, vous le laissez tranquille. 

UN— Mais s’il grossit encore ?

DEUX— Il va grossir encore, il faut vous y attendre.

UN— Ah bon ? Il va grossir beaucoup ?

DEUX— Beaucoup. 

UN— Dans quelles proportions ?

DEUX, montrant la pointe de son nez. — Environ… jusque-là.

UN— Quoi ? Mais… Il va devenir énorme !

DEUX, minimisant. — Pas tant que ça…

UN— Mais enfin, docteur, (Montrant la pointe de son nez) jusque-là !

DEUX— Pour être exact, il va surtout s’allonger. 

UN— S’allonger ? Mais alors, il va avoir la forme de…

DEUX— Une forme de bite, oui. Disons-le franchement. 

UN— Oh… c’est pas possible… Mais il faut me le retirer !

DEUX— Jamais.

UN— Vous voulez pas ? Eh bien moi, je peux vous dire que je vais aller acheter un scalpel et que je vais m’en occuper moi-même !

DEUX— Je vous le déconseille formellement. Si vous vous incisez, il va faire des ramifications.

UN— Quoi ? Il va se… se multiplier ?

DEUX— Exactement. Et vous en aurez deux ou trois à la place d’un.

UN— Docteur, vous m’annoncez que je vais devoir me balader avec une bite sur le visage ?

DEUX— Dit comme ça, c’est un peu abrupt… 

UN— Et comment vous voulez que je le dise ? « Génial, je vais avoir une tête de nœud ! » ?

DEUX— Je comprends que ça vous fasse un choc…

UN— Vous comprenez que ça me fasse un choc ? Comment vous réagiriez, vous, si je vous disais qu’une verge est en train de vous pousser sur le front ?

DEUX— Il ne faut pas désespérer, la recherche fait beaucoup de progrès…

UN— Je ne pourrai plus… je ne pourrai plus me regarder dans la glace et voir ce… ce sexe sur mon visage…

DEUX— Rassurez-vous, vous ne le verrez pas.

UN— Je ne le verrai pas ? Et pourquoi ?

DEUX— À cause des deux testicules qui vous tomberont sur les yeux.

***

Coup de fil

UN, au téléphone. — Allô docteur ?

DEUX, au téléphone également, haletant. — Oui ?

UN— Ici M./Mme Debord.

DEUX— Qu’est-ce qui se passe ?

UN— Je… je vous dérange ?

DEUX— Vous avez vu l’heure ?

UN— Oui, je sais, il est minuit moins le quart…

DEUX— Qu’est-ce que vous voulez ?

UN— Vous avez l’air essoufflé-e…

DEUX— Hein ? Oui je… j’ai couru pour décrocher alors…

UN— Je peux rappeler, si vous voulez…

DEUX, morne. — Maintenant que je suis debout… Je vous écoute.

UN— Eh bien voilà. Je vous appelle pour un conseil. 

DEUX, avec agacement. — Un conseil ? À minuit ? Ça ne pouvait pas attendre demain ?

UN— Ah non, c’est urgent ! 

DEUX— Expliquez-moi ça.

UN— Très bien. Voici un quart d’heure, je dormais tranquillement, quand Zivar me réveille.

DEUX— Zivar… Votre frère ?

UN— Non, mon chien. C’était pour un besoin pressant. Donc, je me lève, j’ouvre la baie vitrée… Je vous ai dit que mon appartement était en rez-de-jardin ?

DEUX— J’avoue que ce détail m’avait échappé…

UN— Je suis en rez-de-jardin. Donc, j’ouvre à Zivar et hop ! Voilà mon chien qui file faire son petit pissou. 

DEUX— Écoutez M./Mme Debord, je conçois que Zivar soit content d’aller faire pipi…

UN— Contente.

DEUX— Pardon ?

UN— Je dis contente. Zivar est une femelle.

DEUX— Ah bon…

UN— Les gens font souvent l’erreur…

DEUX— Oui, c’est regrettable, bien entendu… Mais je suppose que vous ne m’appelez pas pour me parler de pipi de chien ?

UN— Non, docteur, je vous appelle pour quelque chose de grave. 

DEUX— En ce cas, allez au fait !

UN— Bien sûr… Donc, Zivar sort et tout d’un coup, j’entends que le chien du voisin est lui aussi sorti.

DEUX— Le chien de votre voisin ?

UN— Oui, nous partageons un bout de gazon séparé par une fine palissade.

DEUX— Et vous me passez un coup de fil pour m’annoncer que votre voisin sort son chien la nuit ?

UN— L’ennuyeux, c’est que mon voisin n’était même pas dehors. Il y avait juste son chien, Sultan, une espèce de molosse de je-ne-sais-plus-quelle-race, fort comme un bœuf, avec une mâchoire à vous broyer un châssis de poids-lourd…

DEUX— Écoutez M./Mme Debord, votre voisin a le droit d’avoir le chien qu’il veut, même si cela ne vous plaît pas…

UN— Bien entendu, ce n’est pas ça le problème !

DEUX— Alors quel est le problème ?

UN— Le problème c’est que Sultan sent tout de suite que Zivar est sortie elle aussi. Il se met à aboyer, à l’appeler, et devient si excité qu’il fait un bond, passe au-dessus de la palissade et la rejoint dans mon jardin. 

DEUX— Sultan est dans votre jardin ?

UN— Et il s’est mis à … hum… machiner Zivar…

DEUX, après un silence. — Je vous demande pardon ?

UN— Sultan est monté sur Zivar et à commencé à la… vous voyez…

DEUX, sans comprendre. — À la quoi ?

UN— Eh bien… euh… à la pénétrer, quoi !

DEUX— J’ai peur de comprendre… Vous m’appelez parce que le chien de votre voisin se tape votre chienne ?

UN— Mais docteur, il est énorme ! Il va la blesser. En plus je l’entends d’ici, elle couine. Je suis sûr-e qu’elle a mal…

DEUX— Et vous pensez vraiment que votre médecin traitant est la personne à appeler en ce cas-là ?

UN— Je ne savais pas vers qui me tourner…

DEUX— Je vais vous le dire, moi, vers qui vous tourner : votre voisin !

UN— J’y ai pensé, mais il ne répond pas… Soit il dort, soit il est absent…

DEUX— Il y a bien un véto dans votre quartier ? C’est lui qu’il aurait fallu appeler !

UN— Mais docteur, je l’ai appelé, le véto ! Mais c’est sa période de congé annuel, alors…

DEUX— Je ne sais pas moi… jetez-leur un seau d’eau !

UN— J’en ai pas…

DEUX— Vous n’avez pas de seau ?

UN— Non.

DEUX— Comment vous nettoyez les sols ?

UN— Je ne nettoie jamais les sols. J’ai une femme de ménage coréenne, Mông, qui est très pro, elle arrive avec tout son matériel, d’ailleurs, je peux vous la recommander parce que…

DEUX— Non merci. Je vous laisse.

UN— Attendez docteur, comment je vais faire ?

DEUX— Vous n’avez qu’à raccrocher. Vous allez poser le téléphone près de Sultan et moi j’appelle.

UN— Qu’est-ce que vous allez lui dire ?

DEUX— Mais rien du tout ! Surtout vous ne décrochez pas, vous laissez sonner.

UN— Je laisse sonner ? Vous croyez qu’une sonnerie de téléphone va leur passer l’envie d’avoir un rapport sexuel ?

DEUX— Je suis formel-le.

UN— Comment pouvez-vous en être si sûr-e ?

DEUX— Ça a très bien marché avec moi. (Il/Elle raccroche.)

***

Elle est sauvée

Un est en train d’attendre avec anxiété. Soudain, Deux sort du bloc.

UN, se levant immédiatement. — Eh bien, docteur ?

DEUX, s’épongeant et, après un bref silence. — Elle est sauvée.

UN, prenant Deux dans ses bras. — Oh merci, docteur !

DEUX— Je vous en prie, je ne fais que mon métier.

UN— Vous me soulagez d’un poids ! J’étais au bord du gouffre…

DEUX, avec un sourire. — Si je peux me permettre ce trait d’humour, j’en connais une qui ne s’est pas contentée d’être au bord du gouffre, mais qui y a carrément plongé !

UN, avec un sourire, également. — Comme vous dites ! La sortie de route a été violente, et sa chute dans le précipice aurait pu…

DEUX, continuant, avec esprit. — … aurait pu précipiter sa mort…

UN— En effet ! Je n’ose pas imaginer la détresse dans laquelle tout cela m’aurait plongé-e… sans parler de l’organisation de la cérémonie… et puis des affres de la succession…

DEUX— Vous avez de nombreux frères et sœurs ?

UN— Nous sommes huit ! Vous nous avez épargné des moments très compliqués. (Prenant la main de Deux et la serrant ) Vous aurez ma gratitude éternelle. (Lâchant la main.) Je vais pouvoir téléphoner à tout le monde et annoncer la bonne nouvelle : maman est sauvée ! (Un sort un téléphone.)

DEUX— Un instant. Je souhaiterais vous dire un mot.

UN— Bien sûr, docteur.

DEUX, avec difficulté. — Votre mère a subi un très grave accident. Certaines lésions étaient… hum… irréparables. 

UN, prenant peur. — Que voulez-vous dire ?

DEUX— Je… je vous suggère de vous asseoir. (Sans un mot, soudain livide, Un s’assoit.) Votre mère a eu beaucoup de chance.

UN— Elle a eu de la chance de tomber sur vous.

DEUX— Nous ne pouvons pas tout. La nature nous impose des limites. Dans un accident de voiture comme celui que votre mère a subi, les membres sont soumis à des chocs très violents. (Appréhendant ce qu’il/elle va dire) Nous avons dû… hum… nous avons dû l’amputer. 

UN, avec sidération. — L’amputer ? Mais l’amputer de quoi ? Un bras ? Une jambe ?

DEUX— Le bras gauche.

UN, choqué-e. — Oh !

DEUX— Et le bras droit.

UN, n’en revenant pas. — Hein ?

DEUX— Ainsi que les deux jambes.

UN, déstabilisé-e. — Attendez… je… j’ai peur de comprendre… vous lui avez amputé… le… les bras ? Et les jambes ?

DEUX— C’est un choc, j’en ai conscience. Nous ne pouvions pas faire autrement. Croyez-moi.

UN, commençant à paniquer. — Mais… sans bras, ni jambes, que va devenir sa vie ?

DEUX— Bien entendu, plus rien ne sera comme avant. Mais on peut vivre, sans bras ni jambes.

UN, dans les yeux duquel des images se succèdent. — Je n’arrive pas à l’imaginer sans…

DEUX— Il y a pire, croyez-moi.

UN— « Il y a pire », « Il y a pire », c’est facile à dire pour vous, vous en voyez tous les jours, alors…

DEUX— Je me suis mal exprimé-e. Il y a pire, concernant votre mère. 

UN— Pire ? Pire qu’être amputée de ses deux bras et de ses deux jambes ?

DEUX— Toute la colonne était foutue. Alors on a dû… (S’interrompant.)

UN, supendu-e aux lèvres de Deux, criant presque. — Vous avez dû quoi ?

DEUX, criant presque aussi. — Eh ben on a dû virer le tronc !

UN, au bord du malaise. — Vous avez dû virer le… Mais alors il reste quoi ? Sa tête ? Vous n’allez pas me dire qu’on peut vivre, juste avec une tête !

DEUX— Nous avons fait énormément de progrès ces derniers temps, et je vous surprendrais si je vous racontais…

UN, se levant, criant. — Mais enfin, docteur ! Vous êtes en train de me dire que ma mère va finir ses jours sous la forme d’une tête baignant dans un bac ?

DEUX, battant en retraite. — Ah non, sûrement pas.

UN, aboyant. — Alors quoi ?

DEUX, se justifiant. — La mâchoire a été brisée, les yeux crevés, la boîte crânienne broyée, le cerveau déchiqueté…

UN— Mais alors, mais enfin… Qu’est-ce qui reste de ma mère ?

DEUX, très simplement. — Une oreille.

UN— Pardon ?

DEUX— Nous avons pu sauver une des oreilles de votre mère. L’oreille droite, précisément. 

UN, sonné-e. — Une oreille ?… Vous êtes en train de me dire que ma mère est réduite à… à une oreille ?

DEUX— Voilà. 

UN— Mais… quel genre d’existence voulez-vous qu’elle mène ? Vous y avez pensé ?

DEUX, prenant la mouche. — Oh ! Mais ça commence à bien faire ! Votre mère nous arrive complètement désossée, en charpie, façon puzzle, on se crève pendant douze heures pour en sauver quelque chose et voilà le genre d’amabilités qu’il faut supporter… Alors moi je vais vous dire : c’est très simple. Si vous en voulez pas, je la pique et on en parle plus.

UN, choqué-e. — Oh ! Docteur !

DEUX— Vous la voulez, votre mère, oui ou non ?

UN, après hésitation. — Oui. (Après un bref silence.) Puis-je la voir ?

DEUX— Si vous le souhaitez. 

UN— Je vous suis.

DEUX— Inutile, elle est là.

UN— Là ?

DEUX, sortant une petite boîte et la désignant. — Là. 

UN— Oh ! (Il/Elle prend la boîte avec précaution.)

DEUX— Vous pouvez l’ouvrir.

UN— Je n’ose pas…

DEUX— Soyez fort-e.

Un ouvre la boîte avec précaution et regarde son contenu.

UN— Ça fait bizarre… mais je la reconnais… (Observant) Elle a l’air d’aller bien.

DEUX, approuvant. — Très bien !

UN, observant toujours. — Elle est dans quoi ?

DEUX— D’ordinaire, les organes sont conservés dans une solution de stockage.

UN— On dirait qu’il y a des bulles…

DEUX— En effet : j’ai opté pour de la San Pellegrino. Votre mère est bien d’origine italienne ?

UN— Oui.

DEUX— Comme ça, ça lui rappellera son enfance.

UN, ému-e. — Merci, docteur…

DEUX— Je vous en prie.

UN, au bord des larmes. — Désolé-e si j’ai été un peu brusque, tout à l’heure, mais vous comprenez…

DEUX, lui donnant une petite tape sur l’épaule. — Ne vous en faites pas, j’ai l’habitude. 

UN— Je… je peux la prendre ?

DEUX—Bien sûr.

UN, prenant l’oreille délicatement et la sortant de la boîte en la regardant avec affection. — Bonjour, maman.

DEUX— Ne vous fatiguez pas, elle est devenue sourde.

***

Beurk

Les rôles sont écrits au masculin mais peuvent être féminisés.

UN— Je vous écoute.

DEUX— Bon… je… hum…

UN— Vous pouvez parler en toute confiance.

DEUX— Ah… euh… merci… Eh bien… en fait, je… je ne viens pas pour moi…

UN, ironique. — Bien entendu. Vous, vous n’avez aucun problème. Mais vous venez pour un ami, c’est ça ?

DEUX— Non, non, docteur… je… je vous assure, c’est vrai. 

UN— Il n’y a pas de honte à prendre une consultation de sexologie.

DEUX— Tout à fait d’accord, docteur, mais en l’occurrence, je ne viens pas pour moi.  

UN, poussant un soupir. — Si vous y tenez… Bien, alors, qu’est-ce qu’il a, votre ami ?

DEUX— Ce n’est pas un ami, c’est ma femme.

UN— Voilà autre chose…

DEUX— Nous sommes jeunes mariés.

UN— Félicitations.

DEUX— Merci. Seulement, nous ne profitons pas à fond de notre vie maritale.

UN— Je ne suis pas conseiller conjugal.

DEUX— Je sais, docteur. Justement, c’est là où je veux en venir.

UN— Là ?

DEUX— Oui, là. Au nœud du problème. 

UN— Au nœud ?

DEUX— Lorsque nous nous couchons… ma femme… ma femme change d’attitude.  

UN— C’est-à-dire ? 

DEUX— En journée, nous nous entendons bien, mais… dès que nous passons au lit… elle se crispe et… lorsque nous… nous en venons à plus d’intimité… arrive toujours un moment où elle se détourne et laisse échapper un « beurk ».

UN, prenant des notes. — Beurk ?

DEUX— Beurk.

UN— Ce doit être assez déstabilisant.

DEUX— Le mot est faible.

UN— Avez-vous eu des rapports avec pénétration ?

DEUX— Non.

UN— Jamais ?

DEUX— Jamais.

UN— Même avant le mariage ?

DEUX— Nous sommes très croyants.

UN— Quand vous me dites que vous n’avez jamais eu de rapports, vous voulez dire que votre femme s’y est refusée ?

DEUX— En réalité, nous avons essayé, plusieurs fois. Mais toujours, au moment de se rapprocher, arrive ce beurk.

UN— Vous avez tenté d’en parler ensemble ?

DEUX— J’ai voulu, mais elle s’est murée dans le silence. 

UN— En dehors de ça, comment sont vos relations ?

DEUX— Excellentes, justement ! C’est pour ça que je n’y comprends rien !

UN— Quand vous êtes-vous dit je t’aime pour la dernière fois ?

DEUX— Il y a une demi-heure, avant que je vienne au rendez-vous.

UN— A-t-elle un désir d’enfant ?

DEUX— Elle en veut plein.

UN— Était-elle proche de son père ?

DEUX— Pas plus que la normale…

UN— Est-ce que, par le passé, elle a été victime de traumatismes, d’agressions ?

DEUX— Comment, d’agressions ?

UN— Y a-t-il, dans son histoire, un événement qui pourrait expliquer son attitude présente ?

DEUX— Je ne vois pas…

UN— Hélas, je ne vais rien pouvoir faire.

DEUX— Je vous en prie, vous êtes mon seul espoir.

UN— Ce n’est pas de la mauvaise volonté. Mais il faudrait que je puisse voir votre femme.

DEUX— Je le sais bien…

UN— Reprenez rendez-vous, mais cette fois-ci, avec elle. 

DEUX— Elle n’acceptera jamais.

UN— Qu’est-ce que vous en savez ? 

DEUX— J’avais pris ce rendez-vous pour nous deux. Elle a obstinément refusé de venir.

UN— Peut-être qu’elle a scrupule à parler devant vous.

DEUX— Pourquoi ?

UN— Mettez-vous à sa place. Elle s’est engagée avec vous pour le reste de sa vie. Et maintenant que cet engagement débute, voilà qu’elle ressent un mal-être. Elle se dit : « c’est un homme que j’aime, je m’entends bien avec lui, mais je suis incapable de partager mon intimité avec lui. Pourquoi est-ce que je lui refuse ça ? » Vous m’avez dit que vous êtes croyants ? Eh bien, elle doit se sentir coupable de ne pouvoir accomplir son devoir.

DEUX— Peut-être.

UN— En tout cas, tant qu’elle persistera dans son refus de me voir, la situation aura peu de chances d’évoluer. 

DEUX— C’est ce que je me tue à lui dire…

UN— Au revoir, monsieur.

DEUX— Non, docteur, s’il vous plaît ! Ne me renvoyez pas comme ça, la tête pleine de pensées négatives…

UN, après avoir hésité. — Très bien. Je vais vous examiner.

DEUX, content. — Merci docteur !

UN— Déshabillez-vous.

Deux se met nu. Par exemple, s’il avait un manteau, il l’ouvre puis baisse son pantalon et son slip.

UN, à la vue de la nudité de Deux. — Beurk ! 

***

Avant

UN— Tu te souviens d’avant ?

DEUX— D’avant ?

UN— Oui, avant.

DEUX, rêvant. — Ah ! Avant…

UN— Avant, on roulait pas sur l’or…

DEUX— Avant, on n’était pas riches…

UN— Mais on s’en foutait…

DEUX— On était bien…

UN— Très bien…

DEUX— Tu te rappelles, quand je passais te prendre ?

UN, approuvant. — Ça…

DEUX— Sept étages, que je grimpais…

UN— Sept étages sans ascenseur…

DEUX— J’arrivais, j’étais complétement, mais complètement…

UN— T’arrivais plus à respirer. Du tout.

DEUX— Du tout.

UN— Alors moi, je te soutenais, et on repartait, toi en appui sur mon épaule, totalement inerte…

DEUX— C’était le bon temps.

UN— Ah oui, le bon temps…

DEUX— C’est plus maintenant que ça arriverait.

UN— Ça non !

DEUX, dépité. — Avec mon nouveau pacemaker au plutonium 238, je pourrais grimper quarante étages à petites foulées, je le sentirais même pas passer…

UN— Et quand j’attrapais la crève, tu te souviens ?

DEUX— Si je m’en souviens ! Mal au crâne, quarante de fièvre, courbatures…

UN— Heureusement que t’étais là…

DEUX— Je te faisais un bon grog. Rhum, cannelle, miel, clou de girofle…

UN— Ça risque plus d’arriver, ça.

DEUX— Ah non. Terminé.

UN— Avec le nouveau pack vaccinal grippe-A-grippe-aviaire-encéphalite-spongiforme-bovine-carie-pied-bot, j’attrape plus rien ! Même pas un petit rhume… L’autre jour, il faisait à peine un ou deux degrés, je suis sorti à poil dans la rue en espérant chopper une congestion pulmonaire. Pas ça ! Rien ! 

DEUX— Même pas une petite goutte au nez ?

UN, ulcéré. — Rien, je te dis ! Je pétais la forme !

DEUX— On n’est plus des humains…

UN, dépité. — On est des pubs…

DEUX— Des pubs ?

UN— Des pubs pour des labos pharmaceutiques…

DEUX— Ou des pubs pour des fabricants de matos médical…

UN— Bon, j’y vais. Faut que je poste ma lettre. 

DEUX— Pas la peine, la poste est pas encore ouverte.

UN, consultant sa montre. — Pourtant, c’est l’heure.

DEUX— Oui, je sais, mais regarde la queue qu’il y a.

UN, cherchant du regard. — Quelle queue ?

DEUX— La queue devant la poste !

UN— Tu vois une queue, toi ?

DEUX, montrant. — Là.

UN, plissant les yeux. — Ah là-bas !

DEUX— Oui.

UN— T’arrives à voir la queue de la poste ? À cette distance ? C’est au moins à huit cents mètres !

DEUX— Qu’est-ce que tu veux… avec le pacemaker, j’avais moins trente pourcents sur les implants rétiniens, alors j’ai pas pu résister…

UN— Y a pas à dire, ils sont forts…

DEUX— Très forts… C’est quoi, ta lettre ?

UN— Une réclamation.

DEUX— Pour ton robot-mix ?

UN— Non, pour mon virimax.

DEUX— Virimax ? C’est quoi, ça, virimax ?

UN— Stimulant érectile.

DEUX— Ah je savais pas que tu…

UN— C’est Christiane.

DEUX— Christiane ?

UN— C’était offert avec la pose de ses prothèses mammaires.

DEUX— Ah… et alors ? Il marche pas, le virimax ?

UN— C’est n’importe quoi. Totalement contre-productif. Tu sais qu’avec Christiane, on a toujours été passionnés.

DEUX— Je sais…

UN— On fait l’amour sept à huit fois par semaine, minimum.

DEUX— Ton gardien m’en parlait souvent…

UN— Je sais, des voisins se sont plaints. Eh ben avec le virimax, je peux te dire que nos problèmes de voisinage ont été réglés.

DEUX— Terminés ?

UN— Terminés ! De sept à huit fois par semaine, on est passé à zéro, zéro tranquillité pour tout le quartier ! On baise comme des bêtes toute la sainte journée ! Dix à quinze fois par jour !

DEUX— Et tes voisins mouftent pas ?

UN— Ça risque pas, ils se sont tous barrés ! Nous qui adorions faire des barbecues avec toute la résidence… Maintenant on est tous seuls comme des cons…

DEUX— Ça, ça serait jamais arrivé avant.

UN— Ça non.

DEUX— Tu te souviens d’avant ?

UN— Si je me souviens d’avant ?

DEUX— Oui, avant.

UN, rêvant. — Ah ! Avant…

***

Attente

Une salle d’attente. 

UN— Le plus insupportable, c’est l’attente.

DEUX— Pas d’accord. Pour moi, c’est le retour à la maison.

UN— Vous voulez dire, avec lui ?

DEUX— Oui, quand je le ramènerai chez nous.

UN— Parce que vous supposez qu’il va remarcher.

DEUX— Merci, ça me remonte le moral !…

UN— Ce n’est pas ce que je voulais dire. Je vous souhaite qu’il remarche. Mais nous, c’est pas sa mobilité qui nous inquiète. C’est plutôt sa mémoire.

DEUX— Ça, c’est autre chose. La marche, c’est une question de mécanique, avant tout. 

UN— La mémoire, c’est plus mystérieux, à ce que m’a dit le Professeur. 

DEUX— C’est vous qui avez pris rendez-vous pour lui ?

UN— Oui, je me suis toujours occupé-e de ce genre de choses. 

DEUX— Lui, il se rendait compte que ça n’allait plus ?

UN— Pas du tout. Pourtant, ses pertes de mémoire, ses ratés étaient de plus en plus importants. Mais les jours s’écoulaient sans qu’il m’en dise un mot.

DEUX— Ça ne doit pas être facile pour vous non plus.

UN— Oh non… j’aime le son de sa voix. Mais avec ses problèmes, il est devenu mutique. Pour ce qui est de marcher, j’imagine que c’est plus spectaculaire que la mémoire.

DEUX— Oui et non… ça commence tout doucement par… un manque de fluidité, des mouvements qu’on ne peut plus faire…

UN— Il en parlait ?

DEUX— Plusieurs fois, il a mentionné le problème, mais d’après lui c’était bénin. 

UN— J’ai remarqué qu’ils avaient tendance à minimiser les choses.

DEUX— C’est vrai. Il faut toujours qu’ils soient au top, qu’ils ne montrent jamais de faiblesse, etc.

UN— Ce n’est qu’une façade, de beaux discours, qui parfois peuvent masquer une réalité plus sombre. Je sais de quoi je parle. Je suis veuf/veuve.

DEUX— Veuf ?/Veuve ?

UN— Je dis « veuf/veuve », c’est une façon de parler, nous n’étions pas mariés, mais, j’étais très heureuse avec lui et brusquement, un jour, il est mort.

DEUX— Oh… condoléances. Enfin, si je puis dire…

UN— Vous le pouvez. Je le considérais comme mon mari. 

DEUX— Mais comment est-il mort ? Si je suis indiscrète…

UN— Pas du tout. Ça me fait du bien d’en parler. Il est mort dans un accident de voiture.

DEUX— Quelle horreur !

UN— D’après les experts, le choc a été tellement violent qu’il a été broyé sur le coup.

DEUX— Au moins, ça n’a pas traîné.

UN— Mais vous ne savez pas le pire. Il était dans la voiture d’une amie.

DEUX— Quoi ?

UN— Une amie. Enfin, aujourd’hui une ex-amie. Elle était venue chez moi pendant mon absence, entrant je ne sais comment et…

DEUX— Et ?…

UN— Et je crois qu’ils ont… enfin qu’elle a… je ne trouve pas les mots…

DEUX— Elle était seule dans la vie ?

UN— Oui. Elle lui faisait de l’œil depuis des mois. 

DEUX— Oh j’ai connu ça aussi. Une de mes meilleures amies. Mais dès qu’elle venait à la maison, je n’existais plus.

UN— Moi pareil. Elle n’avait d’yeux que pour lui.

DEUX— Pourtant je lui avais dit que ça ne se prêtait pas. C’est personnel.

UN— Ça dépend : s’il est correctement lavé.

DEUX— Je lui avais dit : « achète-t-en un, ça ne coûte pas si cher. » 

UN— Surtout qu’ils font des facilités de paiement.

DEUX— Toujours est-il qu’elle m’a foutu en l’air Bernard.

UN— Vous l’appeliez Bernard ?

DEUX— Ils conseillent de lui donner un nom, pour personnaliser la relation.

UN— Oui, je sais, mais je n’ai jamais pu me résoudre à le faire…

DEUX— J’aime bien, parce que ça les humanise.

UN— Et le nouveau, vous lui avez aussi donné un nom ?

DEUX— Oui. Je l’ai appelé Babakar. 

UN— C’est joli !

DEUX— Ça change ! 

UN— Ne vous inquiétez pas. Les pannes mécaniques sont les mieux réparées. Une fois, le mien ne marchait plus et le Professeur l’a remis sur pied en une heure.

DEUX— Il est vraiment professeur ?

UN— Oui. D’électronique, je crois. Mais pour les pertes de mémoire, la réparation est plus aléatoire…

DEUX— Et puis la mémoire, ça ne sert vraiment que quand on veut le programmer. 

UN— Il y a la voix, aussi.

DEUX— C’est vrai, mais sans mémoire ni voix, mais comment elles faisaient, nos grands-mères, avec les anciens modèles ? Elles se débrouillaient bien sans ça !

UN— Le vôtre est encore sous garantie ?

DEUX— Oui. Et le vôtre ?

UN— J’avais pris une extension. Je dois dire qu’aujourd’hui je suis content-e de l’avoir fait.

DEUX— C’est intéressant ?

UN— Ils remplacent votre vibro défectueux immédiatement et ils vous offrent un kit sextoy débutants !

DEUX— Formidable. (Apercevant quelque chose) Ah ! Voilà le professeur. Je crois que c’est pour vous. Il a une mine réjouie.

UN— J’espère que les nouvelles sont bonnes. (Regardant son téléphone) C’est ma/mon colocataire, elle/il me demande s’ils ont pu faire quelque chose.

DEUX— Votre colocataire ?

UN— On l’a acheté en commun. On se le partage.

***

Notre amie Christiane

Un avec des chocolats, Deux avec des journaux et magazines.

UN— Alors ?

DEUX— L’infirmière m’a pas laissé-e entrer.

UN— Je crois qu’elle quitte son service dans un quart d’heure.

DEUX— On pourra essayer à ce moment-là. 

UN— On a quand même le droit de voir notre amie Christiane !

DEUX— Ils ont de drôles de façons, dans cette clinique…

UN— Vous la connaissez d’où ?

DEUX— Christiane ? Du travail. On est collègues de bureau. Et vous ?

UN— On habite sur le même pallier depuis quinze ans.

DEUX— Y en pas deux comme elle.

UN— C’est sûr…

DEUX— Vous avez sympathisé tout de suite ?

UN— C’est-à-dire ?

DEUX— Avec Christiane ?

UN— Non, pas vraiment.

DEUX— C’est vrai qu’elle n’est pas d’un abord facile. 

UN— C’est le moins qu’on puisse dire… Elle est aimable comme une porte de prison.

DEUX— Et encore, entre dîner avec Christiane et dîner avec une porte de prison, je choisis la porte de prison !

UN— Sans hésiter ! Et pingre avec ça.

DEUX— Une radine qui ferait même les poches de sa mère !

UN— Un jour, à la fête des voisins, elle a ramené des olives.

DEUX— Ça m’étonne d’elle…

UN— Elle voulait les vendre un euro pièce.

DEUX— Ah ! Là, je la retrouve !

UN— Deux euros sans le noyau.

DEUX— Quelle raclure… Et agressive, insultante, avec ça… Tiens, je crois que la dernière chose qu’elle m’ait dite, c’est : « T’es tellement con-ne que si tu donnais ton cerveau à la science, eh ben, la science, elle demanderait à être remboursée ! »

UN— C’est comme moi, la dernière fois que je l’ai vue, elle m’a dit : « Avec la tronche que t’as, tu pourrais faire le concours de Miss/Mister Univers, en tant que laveur/laveuse de chiottes ».

DEUX, apostrophant quelqu’un qui passe. — Ah ! S’il vous plaît, on voudrait voir notre amie Christiane !

UN, idem. — Oui, ça fait longtemps qu’on attend pour notre amie Christiane !

DEUX, idem. — Comment ça, interdit ?

UN, idem. — Mais enfin, madame, s’il vous plaît…

DEUX, bas. — Dès qu’ils ont le dos tourné, on entre dans sa chambre.

UN, idem. — OK.

DEUX— Qu’est-ce qu’elle a, déjà ?

UN— Cryptonucléose, je crois.

DEUX— D’après ce qu’on m’a dit, c’est pas grave.

UN— Non. Enfin, si ce que j’ai entendu est vrai. C’est pas grave du tout. T’es juste à plat pendant trois semaines. Et tu dois rester à l’hosto. 

DEUX— C’est ce que je leur ai dit au bureau : comptez pas sur Christiane avant le mois prochain. 

UN— Vous avez embauché un intérimaire ?

DEUX— Pour faire le boulot de Christiane ? Sûrement pas. Le patron nous a dit : « ça va vous faire du bien de cravacher un peu, bande de feignasses ! »

UN— Je vois que l’ambiance est bonne…

DEUX— Exécrable… Il nous met une pression de fou… Deux mois que j’en dors plus…

UN— Moi non plus, j’en peux plus…

DEUX— Vous bossez dans quoi ?

UN— Dans la restauration. Mon chef de cuisine est un salaud de grande envergure : harcèlement moral, sexuel, détournement de fonds, je suis au bout du rouleau.

DEUX— Ah… je comprends pourquoi vous êtes là…

UN— Évidemment… pourquoi voulez-vous que je vienne voir cette punaise de Christiane ?

DEUX— Je dirais même plus : pourquoi voulez-vous que je vienne voir cette connasse de Christiane ?

UN, s’adressant à quelqu’un qui passe. — Ah ! Madame, s’il vous plaît, on est venu pour notre amie Christiane !

DEUX, idem. — Pardon ? La cryptonucléose ? Oui, c’est ça ! Comment ça vous ne nous laisserez pas entrer ?

UN, idem. — On nous a dit que c’était pas grave, et que notre amie Christiane serait juste à plat pendant trois semaines et obligée de rester en clinique.

DEUX, idem. — Vous confirmez tout ça ? Bon… vous voyez qu’on est renseigné !

UN, idem. — Comment ? Mais oui on sait aussi que c’est très contagieux !

DEUX, idem. — Ça oui, on le sait que c’est très contagieux…

UN, idem. — Mais vous comprenez, quand on a un boulot de c… quand on a une amie comme Christiane, on ne la lâche pas. Je vous en souhaite, à vous, des amies comme Christiane.

DEUX, idem. — Oh oui, ça, Christiane, c’est une amie, une vraie…

***

Clignotement

UN, prenant des notes. — Racontez-moi tout depuis le début.

DEUX, un homme. — Eh bien voilà. Tout a commencé il y a six mois.

UN— Bon. 

DEUX— Un beau matin, je me suis réveillé avec ce clignotement.

UN— Un point rouge, c’est cela ?

DEUX— Oui.

UN— Dans la partie inférieure de votre œil gauche ?

DEUX— Exactement, docteur.

UN— En ce moment même, par exemple, vous le voyez ?

DEUX— Oui, je le vois, ça clignote.

UN— Bien. Et après, que s’est-il passé ?

DEUX— Eh bien je suis allé consulter un ophtalmo, le docteur Kramer.

UN— Excellent confrère.

DEUX— Il m’a fait un fond de l’œil. La rétine était intacte. Mais comme les symptômes l’interpellaient, il m’a adressé à son ancien chef de service, le professeur Rostand.

UN, admiratif/admirative. — Une référence. 

DEUX— Il m’a fait un bilan complet. Tout était normal. Mais comme les symptômes le faisaient tiquer, il m’a envoyé chez un de vos confrères, praticien hospitalier, spécialiste des maladies orphelines et auto-immunes de l’œil.

UN— Sûrement le docteur Plantier.

DEUX— Exactement, le docteur Plantier. J’ai eu droit à des tests oculaires spéciaux, des analyses de sang, des radios et un scanner.

UN— Il n’a rien trouvé ?

DEUX— Rien. Mais bon, sur le coup, j’ai tout de même été rassuré. 

UN— Ah oui ?

DEUX— Oui parce qu’il m’a dit que tout, absolument tout était satisfaisant. Il m’a fait prendre un rendez-vous pour six mois plus tard, en m’indiquant que si les symptômes persistaient, on ferait des examens complémentaires.

UN— Et les symptômes ont persisté ?

DEUX— Hélas oui !

UN— Toujours ce point rouge qui clignote en bas de l’œil gauche ?

DEUX— Je dors plus docteur, je suis au bout du rouleau. Et puis ça devient dangereux : ça me gêne pour conduire.

UN— Vous êtes retourné voir Plantier ?

DEUX— À quoi bon ? Il ne trouvera rien… Non, j’ai préféré venir vous voir, docteur. Vous me suivez depuis tellement longtemps.

UN— J’ai une petite idée. Je vais vous examiner. (Un prend la tension à Deux.) Comment ça se passe dans votre vie ? Toujours des problèmes de couple ?

DEUX— Toujours. Ça ne s’est pas arrangé. Faut dire qu’il y a tellement de tentations.

UN— Et les tentations, vous n’y résistez guère, si je me souviens bien.

DEUX— Guère docteur, guère… Le matin, j’arrive à l’atelier, bing ! Avec la préparatrice… à midi, après déjeuner, bing ! avec la cuisinière, l’après-midi, en marge de la réunion projet ; bing ! avec la secrétaire de direction… et le soir… le soir il faut tout de même que j’accomplisse mon devoir conjugal… alors rebing, mais cette fois-ci, avec ma femme ! Je vais craquer docteur, je vais craquer…

UN— Je vois… ça confirme mes intuitions… Déshabillez-vous et enlevez votre slip.

DEUX— Docteur, je… je ne comprends pas.

UN— Enlevez votre slip, je vous dis. 

DEUX— Mais enfin… docteur, je vous assure : de ce côté-là, pas de problème. C’est mon œil qui déconne.

UN, avec fermeté. — S’il vous plaît.

DEUX, peu motivé. — Bon, puisque vous y tenez… (Il fait glisser son slip sur ses mollets.)

UN, se penchant et regardant attentivement les parties intimes de Deux. — Voilà ! J’en étais sûr-e, ça se voit à l’œil nu ! 

DEUX, inquiet. — Qu’est-ce que vous voyez, docteur ?

UN— Ça vient de vos bourses.

DEUX, regardant son anatomie. — Mes bourses ? Qu’est-ce qu’elles ont, mes bourses ?

UN— Vous ne voyez pas ?

DEUX, regardant toujours. — Non…

UN— Les réservoirs sont vides, mon vieux ! C’est pour ça que le voyant clignote !

DEUX, se rhabillant. — Mais… qu’est-ce qu’on va faire ?

UN— Cette question… Le plein. On va faire le plein.

DEUX— Le plein ?

UN— Le plein de sperme. 

DEUX— Mais… mais comment ?

UN— Par injection. Je vous mets du super ou de l’ordinaire ?

***

Baignoire

UN, médecin. — Et mis à part ça, comment ça va ?

DEUX, en consultation. — Mis à part ça, je suis en conflit avec mes enfants.

UN— Que se passe-t-il ?

DEUX— Ils trouvent que je suis trop vieux/vieille.

UN— Ah.

DEUX— Vous me trouvez vieux/vieille, docteur ?

UN, mollement. — Non, non…

DEUX— Vous n’avez pas l’air très convaincu-e…

UN— Disons que… il y a plus jeune que vous. Mais il y a aussi plus âgé-e…

DEUX— Ouais… ça m’aide pas tellement, ça…

UN— Vous avez besoin d’aide ?

DEUX— Je vous assure qu’ils sont pénibles. 

UN— Si je me souviens bien, vos enfants ont toujours été très gentils ?

DEUX— Oui, justement. C’est pour ça que je ne comprends pas…

UN— Ceci peut expliquer cela, justement.

DEUX— Comment ça ?

UN— Il y a des crises d’adolescence qui sont à retardement. Certains gamins charmants deviennent de jeunes adultes exécrables. 

DEUX— Tout à fait ça…

UN— Laissez-les dire, ça va se tasser…

DEUX— Vous comprenez pas : ils me lâchent pas. Ils veulent me coller en maison de retraite. 

UN— Tiens… Vous pensez qu’il y a un enjeu immobilier là-dessous ?

DEUX— Un enjeu immobilier ?

UN— Ils veulent récupérer votre logement ?

DEUX— J’habite un vieux deux pièces en ruine… ça vaut plus un clou…

UN— Pourquoi veulent-ils vous envoyer en maison de retraite ?

DEUX— Ils disent que je ne suis plus autonome, que je ne suis plus capable d’enchaîner trois idées cohérentes…

UN— Allons bon…

DEUX— Je vous en parle justement parce que je sais que vous travaillez dans une maison de retraite.

UN— En effet.

DEUX— Par rapport aux pensionnaires qui s’y trouvent, avouez que je suis en meilleure forme.

UN— Pas forcément en comparaison de tous les pensionnaires.

DEUX, intrigué-e. — Ah oui ?

UN— Je pense qu’il faut revoir vos conceptions de la maison de retraite. 

DEUX— C’est-à-dire ?

UN— Une maison de retraite n’est pas forcément un hospice où finissent celles et ceux qui ne peuvent plus bouger, parler ou maîtriser leur vessie… 

DEUX— Qu’est-ce que c’est, alors ?

UN— Une maison de retraite peut aussi être vue comme un resort premium.

DEUX— Un quoi ?

UN— Un resort premium, une résidence de services hauts de gamme, si vous préférez.

DEUX— C’est quoi la différence ?

UN— Eh bien la différence, c’est que dans un hospice, on y rejette la sénilité du monde, c’est l’antichambre de la mort. Dans une résidence de services hauts de gamme, on dispose du gîte et du couvert mais aussi de services domestiques, de loisirs culturels, artistiques, d’activités motrices ou citoyennes. 

DEUX— Vu comme ça…

UN— Et des personnes en bonne santé et dans la force de l’âge peuvent tout à fait avoir envie, à une période de leur vie, qu’on prenne soin d’elles, tout simplement.

DEUX— Là, vous êtes en train de me resservir votre marketing. Mais il y a bien des cas où la maison de retraite s’impose comme une nécessité médicale.

UN— Bien entendu.

DEUX— Sur quels critères établissez-vous cette nécessité ?

UN— Tout simplement lorsque la logique élémentaire du sujet est altérée. Dans ce cas, nous recommandons une prise en charge par une maison de retraite.

DEUX— Et comment vous vous en rendez compte ?

UN— Eh bien j’ai élaboré un test basique qui permet de détecter les sujets concernés.

DEUX— Faites-moi faire le test…

UN— Écoutez, je n’ai aucune raison de vous…

DEUX— S’il vous plaît, docteur, faites-moi faire ce test…

UN— Bien, alors écoutez-moi. Imaginez que vous avez devant vous une baignoire remplie d’eau. Pour la vider, vous disposez d’une petit cuiller, une tasse à café et un seau.

DEUX— Ah, j’ai compris.

UN— Qu’est-ce que vous avez compris ?

DEUX— Une personne possédant une logique élémentaire prendra le seau parce que c’est plus grand qu’une cuiller ou une tasse. 

UN—Non.

DEUX— Non ? 

UN— Non. Une personne possédant une logique élémentaire enlèvera tout simplement le bouchon de la baignoire. Je vous prends une chambre avec vue sur le parc ou sur la rue ?

***

Réglage

UN— Qu’est-ce qui vous amène ?

DEUX— Je n’arrive plus à rire.

UN— Déprimé-e, en ce moment ?

DEUX— Non. Enfin, pas plus que d’habitude.

UN— Comment se passe votre vie personnelle ?

DEUX— J’ai une femme/un mari qui m’aime et des enfants qui me donnent beaucoup d’affection.

UN— Cela est-il réciproque ?

DEUX— J’aime ma femme/mon mari et mes enfants.

UN— Et sur le plan professionnel ?

DEUX— Mes compétences sont reconnues et je vais bientôt recevoir une promotion.

UN— Comment percevez-vous votre travail ?

DEUX— C’est un travail intéressant, varié, et surtout, utile.

UN— Bref, vous n’avez aucun problème.

DEUX— Aucun.

UN— Et pourtant, vous n’arrivez plus à rire ?

DEUX— Exactement.

UN— Avez-vous, durant votre enfance, subi des traumatismes ? Des chocs ?

DEUX— Rien. J’ai eu une enfance très heureuse.

UN— Parfait. Eh bien je ne vois vraiment pas… Quand vous me dites que vous n’arrivez plus à rire, vous voulez dire que vous ne trouvez plus rien drôle ?

DEUX— Ah si, si si. Il y a beaucoup de choses que je trouve drôles.

UN— Mais vous ne riez pas ?

DEUX— J’ai envie de rire. Mais le rire ne vient pas.

UN— Curieux. Mais alors, qu’est-ce que ça donne quand vous avez envie de rire et que ça ne vient pas ?

DEUX— Je sens une secousse qui me monte à la tête mais rien ne sort. 

UN— Il faudrait que je puisse me rendre compte. Je vais vous raconter une blague à laquelle personne ne résiste. Voilà. Une vache dit à sa copine : « ça te fait peur, toi, la vache folle ? ». « Je ne sais pas, répond l’autre, je suis un lapin ». (Deux se met à secouer la tête mais sans rire ni esquisser un sourire. Un l’observe.) Impressionnant. De quand date cet arrêt de rire.

DEUX— Eh bien, c’était il y a quinze jours.

UN— Il est arrivé quelque chose de particulier, il y a quinze jours ?

DEUX— Non, rien de… Je suis allé à un festival.

UN— Quel festival ?

UN— Un festival de théâtre, un festival Rivoire & Cartier…

UN— Rivoire & Cartier, les auteurs ?

DEUX— Oui. Et après ça, mon rire s’est éteint.

UN— C’est normal. Ces auteurs sont tellement hilarants, vos zygomatiques ont été sur-sollicités et votre rire a été perturbé.

DEUX— On peut en guérir ?

UN— Bien entendu. Il suffit d’un petit réglage. (Il/Elle décroche un téléphone.) Appelez-moi Marcel-le.

Entre Trois, dans le style « plombier/plombière ».

TROIS— Qu’est-ce qui y a pour votre service, docteur ?

UN, désignant Deux. — C’est pour monsieur/madame, un petit réglage.

TROIS, à Deux. — Bougez pas. (Il/Elle sort de sa sacoche différents outils et finit par trouver un tournevis.)

DEUX— Ça fait mal ?

UN— Pas le moins du monde. (Trois applique le tournevis au coin de la bouche de Deux et tourne.)

TROIS— Allez-y. (Un chatouille Deux, qui rit un peu.) Stop. (Trois fait encore un mouvement de vis.) Encore. (Un chatouille Deux qui rit plus fort.) Et voilà !

UN— Ça y est, vous avez retrouvé votre rire !

DEUX— Merci ! (Il/Elle rit de bon cœur.) Ça fait du bien.

UN, à Trois. — Merci, mon petit Marcel/ma petite Marcelle.

TROIS, en sortant. — À votre service, docteur.

DEUX— Combien je vous dois ?

UN— Cinquante. (Deux rit.)

DEUX, donnant de l’argent à Un. — Je ne vous dis pas : à bientôt. (Il/Elle rit.)

UN— En effet, si je ne vous revois pas, ça voudra dire que vous êtes guéri/guérie. (Deux rit.) Attendez… vous m’avez l’air de rire un peu beaucoup… (Deux rit.)

DEUX— Vous croyez ? (Il/Elle rit.)

UN— Oh oui. (Deux rit. Un décroche son téléphone) Rappelez-moi Marcel-le. (Deux rit.)

TROIS, entrant. — Docteur ? (Deux rit.) C’est encore pour monsieur/madame ? (Deux rit.) Qu’est-ce qui ne va pas ? (Deux rit.)

UN— Vous ne voyez pas ? (Deux rit.)

TROIS— J’ai compris. (Il/Elle ressort son tournevis, le replace sur le coin de la bouche de Deux et le tourne.) Allez-y.

UN, à Deux. — Les hommes politiques tiennent leurs promesses. (Deux rit.)

TROIS— Attendez. (Il/Elle tourne encore.) C’est bon.

UN, à Deux. — Les hommes politiques tiennent leurs promesses. (Deux ne rit pas.) Très bien. Et maintenant : il est urgent de mieux redistribuer les richesses. (Deux rit. Un est soulagé-e) Tout va bien. (À Trois) Encore merci, mon petit Marcel/ma petite Marcelle. (Trois s’éclipse. À Deux) On était à deux doigts de la catastrophe. Heureusement, vous allez pouvoir reprendre une vie normale.

***

After

Dans les coulisses du théâtre.

UN— On n’a pas eu beaucoup de rappels.

DEUX— Ça t’étonne ?

UN— Pas vraiment. Personne ne savait son texte…

DEUX— La mise en scène était faite en dépit du bon sens…

UN— Les costumes étaient laids…

DEUX— Et les auteurs ?

UN— Quoi les auteurs ?

DEUX— Rivoire & Cartier.

UN— Eh ben ?

DEUX— Ils étaient là, non ?

UN— Oui, c’est ce qu’on m’a dit…

DEUX— Ils sont pas venus nous voir après les saluts. Le spectacle a dû être très mauvais. 

UN— Ils ont été évacués en urgence. 

DEUX— Non ?

UN— Si. T’as pas entendu du boucan, dans la salle, à un moment ?

DEUX— Si, mais je croyais que c’étaient les gens qui se tiraient tellement c’était à chier.

UN— Non, c’étaient des ambulanciers qui sont venus récupérer les auteurs.

DEUX— Qu’est-ce qui leur est arrivé ?

UN— Ils ont fait un malaise.

DEUX— Ce doit être à cause de nous… Le spectacle était tellement atroce qu’ils en ont eu un évanouissement. 

UN— Tu te souviens quand c’est arrivé ?

DEUX— Quoi ?

UN— Leur sortie. À quel moment du spectacle c’est arrivé ?

DEUX— Attends… d’abord il y a eu le sketch sur le brigadier, puis c’était celui qui se passait dans le couloir et après… après ça été mon entrée en scène, et c’est là que… Oh purée… ils se sont évanouis au moment où j’ai commencé à jouer.

UN— Maintenant que tu me le dis, ça me revient ! Tu as commencé à jouer et c’est là qu’ils se sont trouvés mal…

DEUX— J’étais si mauvais-e que ça ?

UN— Pas mauvais-e mais…

DEUX— Si j’avais été mauvais-e, tu me le dirais ?

UN— Bien sûr.

DEUX— Quoi bien sûr ? Bien sûr, j’étais mauvais-e ?

UN— Mais non, si tu étais mauvais-e, bien sûr je te le dirais !

DEUX— Et alors ?

UN— Alors quoi ?

DEUX— Est-ce que j’ai été mauvais-e ?

UN— Mais non, mais non…

DEUX— T’as pas l’air convaincu-e…

UN— C’est juste qu’en répétition, t’avais un peu plus de…

DEUX— J’ai été mauvais-e…

UN— Arrête…

DEUX— Ils sont où ?

UN— Qui ?

DEUX— Rivoire & Cartier, ils ont été admis où ?

UN— Euh… à Saint-Bernard, je crois… (Deux prend son téléphone.) Qu’est-ce que tu fais ?

DEUX, au téléphone. — Allô, Saint-Bernard ? Bonsoir madame, je voudrais savoir si vous avez bien chez vous deux patients du nom de Rivoire & Cartier. (Un temps. À Un) C’est quoi, leurs prénoms ?

UN— Euh… attends… Antoine et Jérôme…

DEUX, au téléphone. — Antoine et Jérôme. Antoine Rivoire et Jérôme Cartier. (Un temps.) Admis il y a une heure, c’est ça… (Un temps.) Quoi ? Non, c’est pas vrai… (Un temps.) Mais qu’est-ce qui s’est ?… (Un temps.) Ah bon ? (Un temps.) Excusez-moi, je crois que je n’ai pas bien compris… (Un temps.) Pardon, mais j’ai peur de faire une confusion… « de merde », c’est ça ? (Un temps.) Très bien… merci, madame… (Il raccroche.)

UN— Qu’est-ce qu’il y a ? 

DEUX— Ils sont morts.

UN— Non…

DEUX— Si.

UN— Mais… pourquoi ?…

DEUX— Eh bien, ils sont arrivés à la clinique dans un état grave et… alors qu’on les installait en soins intensifs, ils ont eu un sursaut de lucidité, ils ont dit : « pièce de théâtre de merde ». Et ils sont morts.

UN— Pièce de théâtre de merde ?

DEUX— Pièce de théâtre de merde.

UN— Ensemble ? Ils l’ont dit ensemble ?

DEUX— Apparemment. Tout est ma faute…

UN— Mais non… « pièce de théâtre de merde », on ne saura jamais ce que ça veut dire… 

DEUX— Ça me paraît pourtant clair…

UN— Mais non… c’est comme le Rosebud de Citizen Kane.

DEUX— Le quoi ?

UN— Le… Tu ne connais pas Orson Welles ?

DEUX— Non.

UN— Eh bien, dans Citizen Kane, c’est un film d’Orson Welles, au début, on voit… euh… bon, laisse tomber. Ce que je veux dire, c’est : ne te prends pas la tête avec ça.

DEUX, habité-e. — Nous devons rejouer leur pièce. En leur hommage.

UN— Quoi ?

DEUX, solennel-le. — Ils sont morts à cause de nous, ils ressusciteront grâce à nous !

UN— Mais comment veux-tu que ? … Ah… (Un est pris-e de convulsions. Il/Elle finit par s’écrouler, inerte.)

DEUX— Eh ! Qu’est-ce qui t’arrive ? Oh ! (Il/Elle met son oreille sur la poitrine de Un.) Il/Elle est mort-e. Mais qu’est-ce que ? … (Il/Elle est aussi pris-de de convulsions.) Oh non… moi aussi… c’est une épidémie… un texte qui porte malheur… comme Macbeth… Ah… pièce de théâtre de merde ! (Il/Elle meurt.)

***

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