Pièces de théâtre

Un théâtre à jouer pour déjouer nos travers

Il est des séries télévisées dites « cultes ». Elles traversent le temps, car elles sont à la fois la marque d’une époque et porteuses de significations plus vastes. C’est le cas de The Invaders.

The Invaders, série télévisée de 1967.
Le titre de la série et sa police de caractères si particulière. Son héros : David Vincent.

The Invaders est une série télévisée états-unienne. En France, nous la connaissons sous le nom Les Envahisseurs.

En voici la situation initiale : un certain David Vincent roule au volant de sa voiture. Il se perd. Eh oui, le GPS n’existait pas, en ce temps-là… Il finit par s’arrêter au milieu de nulle part et s’endort. Il est réveillé par des lumières orangées. C’est alors qu’il assiste à l’atterrissage d’une soucoupe volante. Il alerte les autorités mais bien entendu, personne ne le croit. Il comprend progressivement que des créatures extra-terrestres sont déjà sur terre et ont pris forme humaine. Commence à ce moment une lutte contre ces êtres mais aussi contre l’incrédulité générale. La série ne dénoue pas cette tension : David Vincent ne viendra à bout ni des uns ni de l’autre.

“Soucoupes volantes” et Guerre Froide

The Invaders arrivent à une période particulièrement fertile en séries de science-fiction, pour ce qui est des U.S.A. Ainsi, The Twilight Zone a commencé à être diffusée dès 1958. On peut également mentionner The Outer Limits à partir de 1963, ou encore Star Trek en 1966. Le genre connaît donc les faveurs du public. Les Soucoupes Volantes, elles, étaient déjà ancrées dans la culture états-unienne depuis une vingtaine d’années, lorsque the Invaders est apparue sur les écrans. Tout se passe, non pas dans la fiction, mais dans la réalité, le 26 juin 1947, dans l’Oregon. Un certain Kenneth Arnold s’envole pour tenter de retrouver un avion disparu 6 mois plus tôt. En plein vol, il repère soudain 9 appareils blancs, à l’avant arrondi et à l’arrière triangulaire. Il assurera que les appareils étaient en formation en « V », comme on peut le voir chez les oies. Il ajoutera que ces aéronefs volaient de façon peu académique, avec un « mouvement sautillant », semblable à une « soucoupe ricochant sur l’eau ».

Kenneth Arnold et un croquis des OVNI qu'il affirme avoir vus.
Kenneth Arnold montre un croquis des “OVNI” qu’il affirme avoir vus.

Revenu sur terre, Arnold se rend à l’antenne locale du FBI. Il craint en effet d’avoir vu des appareils créés par l’adversaire Soviétique. Il faut rappeler que les relations du monde occidental sont minées par la « Guerre Froide ». On désigne par ce terme les tensions qui se nouent entre d’une part les USA et leurs alliés, formant le bloc de l’Ouest, et d’autre part l’URSS et ses états satellites, formant le bloc de l’Est. S’installant après la Seconde Guerre Mondiale, la Guerre Froide prend fin à la chute du mur de Berlin. Cette « guerre », qui n’a de guerre que le nom, puisqu’elle ne s’exprime pas par des déclarations officielles de guerre et un conflit militaire armé, est d’abord une guerre culturelle. Chaque bloc tente d’imposer un style de vie, des valeurs. Il est à noter qu’aux USA, le responsable de cette guerre est tout désigné : c’est l’URSS. Cependant, dans les années 1960, le vent tourne chez plusieurs intellectuels états-uniens. Le pays s’enlise dans une guerre, cette fois militaire, au Vietnam, laquelle est de plus en plus désapprouvée par l’opinion. Un courant plus critique se développe et promeut une thèse nouvelle : ce sont aux USA qu’il faut imputer la Guerre Froide. En effet, sous couvert de défendre le « monde libre », ce sont en réalité leur expansionnisme et leur impérialisme économique qui les ont poussés à accroître son antagonisme avec l’URSS. 

Guerre culturelle, la Guerre Froide est aussi une guerre de l’information, du « renseignement » comme on pouvait le dire alors. Les deux blocs envoient des agents issus de leurs services secrets dans le bloc adverse. Toute une mythologie de l’espion se met en place, dont James Bond est l’exemple le plus célèbre. La course à la bombe atomique laisse présager du pire : sommes-nous sur le seuil d’une apocalypse nucléaire ?

Sean Connery dans le rôle de James Bond.
Sean Connery dans le rôle de James Bond.

C’est dans ce contexte pour le moins tendu qu’Arnold souhaite parler de ses observations au FBI. Cependant, cette antenne locale du FBI est fermée. Il portera donc son témoignage à la presse et c’est elle qui forgera l’expression « soucoupes volantes » et ce bien qu’Arnold n’ait pas utilisé le terme pour décrire les objets volants non identifiés. Cet événement eut un retentissement considérable, menant à des débats scientifiques âpres avançant des hypothèses diverses : essais de prototypes russes, états-uniens, visites extra-terrestres, etc. On assiste d’ailleurs à une augmentation importante de témoignages d’OVNI. On mesure l’atmosphère remplie d’angoisse et de mystère qui voit éclore la série. 

Quinn Martin Productions

L’objectif initial de cette dernière était de succéder à The Fugitive, qui allait finir en 1967. Cette série développait la situation suivante : le docteur Richard Kimble, accusé à tort du meurtre de sa femme, fuit la police pour éviter la condamnation à mort et retrouver le véritable assassin, qui est manchot. La création de la série, ses personnages et son univers, est due à Larry Cohen et à Alan A. Armer. Dès 1966, ils mettent en place les fondements narratifs de l’ensemble. Vient ensuite la rencontre avec Quinn Martin, qui produira la série. On lui doit également « The Untouchables », « Canon » et « The Streets of San Francisco », produite au sein de sa propre société de production. Le choc est rude : Quinn Martin refuse tous les scripts de Cohen, qui duraient 22 minutes. Le producteur double la durée de chaque épisode. Larry Cohen quitte la série car elle dérive trop loin de son idée d’origine. Il poursuivra sa carrière de scénariste et de réalisateur, laissant par exemple « It’s alive », un film d’horreur primé au Festival d’Avoriaz. Quinn Martin embauche Roy Thinnes pour tenir le rôle de David Vincent. L’acteur restera à jamais marqué par le personnage. De nombreux interprètes célèbres se sont succédé dans la série : on peut citer Roddy McDowall, Suzanne Pleshette, James Whitmore, Michael Rennie, Peter Graves, Edward Asner, ou encore Gene Hackman.

Roy Thinnes dans un épisode de la série "The Invaders".
Roy Thinnes dans l’un des épisodes de la série.

Les épisodes de the Invaders suivent une trame narrative identique : tout commence par un fait divers. Derrière celui-ci se cache l’action des envahisseurs, David Vincent le découvre bien vite. Souvent, une figure d’autorité (policier, militaire), d’abord sceptique, se laisse peu à peu convaincre. Cependant, son entourage proche, professionnel ou intime, est en fait infesté par des extra-terrestre et le neutralise, d’une façon ou d’une autre. David Vincent, isolé (sauf dans quelques épisodes, notamment dans la deuxième saison), doit poursuivre sa route et son combat. Les épisodes ont également tous le même découpage formel : un prologue prenant place avant le générique, quatre actes puis un épilogue. Cela permet d’exprimer la progression narrative, de guider la réception du public et de rythmer l’action. En découle une certaine théâtralisation. Le générique est accompagné d’une voix off rappelant la situation initiale : « Les Envahisseurs. Des êtres étranges venus d’une autre planète. Leur destination : la Terre. Leur but : en faire leur univers. David Vincent les a vus. Pour lui, cela a commencé pendant une triste nuit, le long d’une route solitaire de campagne, alors qu’il cherchait un raccourci que jamais il ne trouva. Cela a commencé par une auberge abandonnée, et un homme trop las pour continuer sa route. Cela a commencé par l’atterrissage d’un vaisseau spatial. A présent, David Vincent sait que les envahisseurs sont là, qu’ils ont pris forme humaine. Parviendra-t-il à convaincre un monde incrédule que le cauchemar a déjà commencé ? » Puis, les acteurs et actrices principaux de l’épisodes sont annoncés et montrés, comme on annoncerait le programme du spectacle avant le lever du rideau. Dans la version française, cette voix était assurée par Jean Berger, fameux acteur de doublage, qui était aussi la voix française de John Steed dans « Chapeau Melon et Bottes de Cuir » (« The Avengers ») ou encore celle de Charlie dans « Drôles de Dames ». Roy Thinnes, quant à lui, était doublé Dominique Paturel. Grand acteur de théâtre, à l’aise dans tous les répertoires, du contemporain au Boulevard, il avait acquis une notoriété importante en tournant dans des téléfilms, avant de devenir l’une des voix majeures du doublage français. On reconnaîtra son timbre si caractéristique, teinté d’ironie, dans les versions françaises de Terence Hill, Robert Wagner (« L’Amour du risque »), George Peppard (Hannibal Smith dans « L’Agence tous risques ») ou bien Larry Hagman (JR dans « Dallas »).

The Invaders, série télé.
Inter-titre annonçant l’acte I dans un épisode de The Invaders.

La musique est confiée à Dominic Frontiere. Compositeur de nombreuses partitions pour la télévision, on lui doit des compositions pour « The Outer Limits » ou encore « Hang ‘Em High » au cinéma. Le thème de la série n’est pourtant pas un thème original. Il a été créé justement pour « The Outer Limits » quelques années auparavant. Reconnaissable entre mille, énigmatique et inquiétant, cette mélodie est fondée sur deux simples notes, jouées par des cordes tout en glissando et doublées à l’unisson par une guitare électrique. La musique, enfin éditée et disponible sur un album double CD chez La-La Lands Records, montre que la présence de la musique est massive : ainsi, sur un épisode de 52 minutes, il n’est pas rare de voir la musique atteindre plus de 20 minutes. Elle contribue donc de manière puissante à l’atmosphère de la série. En réalité, Frontiere n’a composé et orchestré que la musique de trois épisodes : « The Mutation », « The Expriment » et « The Leeches ». D’autres compositeurs ont travaillé sur les autres épisodes : Duane Tatro, qui a également été sollicité pour « Mannix », « Mission Impossible », « Les Rues de San Francisco », « Hawaï Police d’Etat » ou encore Richard Markowitz, qu’on retrouve aussi sur la musique de « Colombo », ainsi que « Mannix » et « Mission Impossible ». 

Une vision critique de la société états-unienne des années 1960

La série se focalise sur le personnage de David Vincent. Contrairement à la Science-Fiction moderne, elle laisse les extra-terrestres dans une certaine indétermination. On sait qu’ils viennent d’une planète en train de mourir, située dans une autre galaxie. Leur apparence est humaine, ce qui est censé les rendre plus effrayants, car plus difficiles à repérer. Quelques détails permettent cependant de les identifier : ils n’ont pas de pouls, ils ne saignent pas lorsqu’on les blesse, ils n’éprouvent pas d’émotions, et, signe resté dans la culture populaire, leur auriculaire est raide et ne peut se plier. Lorsqu’on les tue, ils se désintègrent en un feu qui ne laisse que quelques cendres. La série les montre peu souvent sous leur forme réelle. Seuls deux épisodes s’y risquent : « Genesis » et « The Ennemi ». Dans le premier, on comprend que les extra-terrestres ont besoin périodiquement de se générer dans des « chambres » (en réalité des aquariums prévus à cet effet), sous peine de retourner à leur aspect naturel. Le vaisseau spatial de ces extra-terrestres est une soucoupe volante représentant bien l’objet tel que la culture populaire l’envisage. Pour tuer les êtres humains, ils leur appliquent sur la nuque un disque nanti de 5 lumières rouges, qui ressemble en fait à une soucoupe volante en miniature. 

The invaders, série TV.
Le petit doigt raide, l’un des signes des extra-terrestres.

Le genre de la Science-Fiction, adopté par la série, est sans doute un des genres les moins bien compris. Loin de nous parler d’une hypothétique société future, il porte en réalité sur le présent. Il peut en pointer les potentiels positifs ou se centrer sur les aspects négatifs. C’est cette deuxième voie que prennent The Invaders, marchant dans les pas d’un autre genre, le film noir. Sous-genre du film policier, ce genre développe les thèmes de la fatalité, de l’angoisse, de la trahison ou encore de la machination. Il est également associé à des techniques narratives : le flash-back, le suspense, la voix off. Quelques-uns de ces archétypes sont devenus célèbres : la femme fatale, le détective, l’homme ordinaire, le couple en cavale, etc. 

La série est imprégnée de l’atmosphère de la Guerre Froide. Parallèlement à notre réalité quotidienne, se tient une autre réalité, secrète celle-là, faite de conflits méconnus du grand public, engageant la survie de l’Humanité tout entière. Les extra-terrestres peuvent figurer à la fois des espions issus du bloc communiste mais aussi des agents de la CIA. On rappelle ici que la Central Investigation Agency est chargée de l’acquisition de renseignements et des opérations clandestines accomplies hors du territoire des USA. 

Les lieux de tournage donnent à l’ensemble une couleur particulière : pleines désertiques, usines laissées à l’abandon, villes délabrées, etc. À moins de trois heures de route des studios, le désert des Mojaves et ses paysages ocres et bruts furent souvent sollicités. Ils sont la métonymie de la représentation du monde selon la série. D’autres séries de l’époque magnifient The American Way of Life : vastes maisons, confort dernier cri, familles heureuses, réussite matérielle, etc. The Invaders explore l’arrière-scène de cette façade bien trop peinturlurée de couleurs séduisantes. On y découvre une société en crise : couples se défaisant, parcours professionnels remplis d’échecs, personnages réduits à la solitude, ce qui est notamment le cas du personnage principal, David Vincent. Les envahisseurs utilisent les faiblesses morales des êtres humains pour avancer leurs pions : l’égoïsme, la peur, la cupidité, la volonté de puissance des hommes et des femmes sont leurs meilleurs alliés. Ce sont grâce à ces failles qu’ils peuvent étendre leur influence croissante. 

Désert des Mojaves.
Désert des Mojaves, Californie.

Les audiences de la série n’étaient pas mauvaises et pourtant… Sans être un échec, on ne peut pas dire que la série fût un succès. En effet, la série pour la succession de laquelle The Invaders avaient été conçus, The Fugitive, avait couru sur quatre saisons. The Invaders s’arrêtèrent au bout de deux saisons seulement. Roy Thinnes l’apprit en lisant Variety. Diffusée à partir du 10 janvier 1967 sur ABC, la série disparut des écrans états-uniens le 26 mars 1968. En revanche, la France fut plus réceptive. Diffusée à partir du 4 septembre 1969 sur la 1ère chaîne de l’ORTF. Elle est ensuite rediffusée en 1973 et 1975. Puis, sur TF1 en 1978, 1984 et 1987. En 2004, on la voit sur Paris-Première, en janvier 2023 sur le 6play de Paris Première, et depuis le 2 décembre 2023 sur Paramount Channel. Cela montre la très grande popularité de la série dans le pays, alors qu’il fallut attendre 1992 pour que la série soit rediffusée aux USA. 

En 1995, dans l’espoir de relancer la série originelle, la chaîne Fox produit une mini-série en deux épisodes réalisés par Paul Shapiro. Elle porte également le nom de The Invaders. Nolan Wood est impliqué dans une affaire de meurtre. En enquêtant, il comprend que ce crime est lié aux extra-terrestres. Le rôle est interprété par Scott Bakula, qui devait se glisser dans les habits du personnage de David Vincent. Le comédien croise d’ailleurs Roy Thinnes au sein de la série, comme pour un passage de témoin. 

Aujourd’hui, la série paraît tellement vintage, prise dans les années 1960, et en même temps fondatrice de lignées qui sont venues après elles : « V », « X-files ». Nous nous sommes fondés sur la série pour notre comédie absurde « David Vincent les a vus ». En voici le sujet : Trois hommes tentent de monter une adaptation théâtrale de la série « Les Envahisseurs. » Les ratages, la mort, la maladie et la folie s’en mêlent. Un texte à lire comme un hommage malicieux.