Monsieur de Barbe-Bleue

Conte adapté pour le théâtre à distribution modulable

Que feriez-vous si votre voisin le plus redouté vous proposait une alliance ?

Accordez-nous moins d’une heure de lecture et découvrez une réinvention captivante et mordante du célèbre conte de Barbe-Bleue (même si vous n’aimez pas les contes de fée).


Une chambre interdite et une irrésistible envie d’y entrer…


Avant de vous en dire plus, on a 3 questions rapides à vous poser :

🆘 Vous en avez assez des adaptations trop gentillettes de contes de fée ?
🆘 Vous ne supportez plus les pièces coupées des questions actuelles ?
🆘 Vous fuyez les adaptations de contes qui ne vous offrent aucune surprise ?

Si vous avez répondu oui à au moins deux questions, alors lisez vite ce qui suit !

Voici le résumé de Monsieur de Barbe-Bleue :
Monsieur de Barbe-Bleue, riche seigneur au passé trouble, cherche une nouvelle épouse parmi les filles de sa voisine, Sylviane. Malgré sa réputation sinistre – six femmes ont déjà disparu à ses côtés – la promesse de richesse et de protection pousse l’une des filles, Ariane, à accepter. Mais les secrets de Barbe-Bleue et de sa maison ne tarderont pas à se dévoiler, et un affrontement entre la vérité et les apparences s’impose. Ce conte revisité, mêlant dialogues percutants et satire sociale, propose un voyage fascinant dans les zones d’ombre de la psyché humaine.

En accédant au texte intégral de Monsieur de Barbe-Bleue, vous obtiendrez un fichier PDF de 41 pages pour un poids ultra-réduit de 360 Ko, téléchargeable sur votre ordinateur, votre tablette, votre téléphone, et imprimable sur n’importe quel support. La mise en page vous permettra de noter sur le texte toutes les indications et notes de régie que vous jugerez utiles.

Avec Monsieur de Barbe-Bleue, vous découvrirez :

✅ Une réinterprétation audacieuse du conte classique : un texte qui renouvelle avec finesse et profondeur un récit intemporel et qui ainsi surprendra votre public

✅ Une distribution flexible (8 à 10 acteurs ou plus) vous apportant une certaine souplesse dans la production

✅ Une intrigue universelle : des thèmes tels que le pouvoir, la peur, et le courage, qui toucheront toutes les générations.

✅ Des registres variés, du comique à l’effroi, qui feront éprouver au public des émotions variées

✅ Une fin haletante et inattendue : un dénouement nouveau qui maintient le public en haleine jusqu’à la dernière réplique.

Ces dernières années, la pièce a notamment été jouée par le café-théâtre de l’ENSCM, Hérault, en mai 2023.

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et laissez votre public redécouvrir un mythe classique sous un jour nouveau et captivant.

Attention : cette pièce est fortement déconseillée aux compagnies qui croient que les contes sont réservés aux enfants.


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Questions fréquentes sur Monsieur de Barbe-Bleue

Est-ce une adaptation fidèle du conte original ?

Non, c’est une réinterprétation contemporaine. Le texte conserve la trame du mythe mais y introduit de l’humour, de la critique sociale et une réflexion sur la peur, le pouvoir et le désir.

Peut-on jouer cette pièce sans décors élaborés ?

Oui. L’action se déroule essentiellement dans la demeure de Barbe-Bleue, mais l’ambiance repose surtout sur les dialogues et les lumières. Quelques éléments symboliques (porte, clé, coffre) suffisent à créer la tension.

Combien de comédiens faut-il pour monter Monsieur de Barbe-Bleue ?

La distribution idéale va de 8 à 12 comédiens, certaines scènes permettant d’élargir ou de réduire le nombre d’interprètes selon les besoins de la troupe.

À quel public s’adresse cette pièce ?

À tous ceux qui aiment les textes forts, les contes revisités et les récits où l’humour côtoie l’effroi. Monsieur de Barbe-Bleue captive les spectateurs adolescents et adultes grâce à son équilibre entre mystère, satire et émotion.


Extrait de Monsieur de Barbe-Bleue

Personnages

La Voix qui raconte

M. Zambaud.

Mme Zambaud, sa femme.

La Télévision Royale.

Sylviane.

Ariane, sa fille aînée.

Annesa fille cadette.

Cléanteson fils aîné.

Doranteson fils cadet.

M. de Barbe-Bleue

Lieux

Chez M. et Mme Zambaud – Chez Sylviane – La Maison de campagne de M. de Barbe-Bleue – La Maison de ville de M. de Barbe-Bleue

La Voix qui raconte. Bonsoir et bienvenue. Installez-vous confortablement. Préparez-vous à entendre une aventure extraordinaire.

Je vais vous raconter une très vieille histoire. L’histoire de Monsieur de Barbe-Bleue. Elle s’est passée il y a bien longtemps, dans ce pays qu’on appelait jadis le Royaume de France. 

Il était une fois un homme très redouté. Monsieur de Barbe-Bleue. Cette appellation, bien sûr, n’était qu’une invention. Son nom de naissance ? Perdu dans un registre de baptême dévoré par le feu. Son père ? Un riche négociant. L’homme s’était uni en grand secret avec une de ses femmes de chambre. Avant de mourir, elle lui donna un fils.

Ce fut un petit garçon charmant. Il faisait la joie de son père et de sa compagnie, tant il était joli.

Mais il grandit. 

Vers l’âge de quatorze ans, sur son visage au teint de pêche commencèrent à surgir quelques poils disgracieux. Des poils épais, longs et d’un bleu profond. Il essaya de les raser, quelquefois. Peine perdue : ils repoussaient immédiatement, plus épais, plus longs et plus bleus. 

Le même bleu s’étendait sur l’océan qui engloutit peu après le galion de son père, lors d’un voyage en haute mer. Le jeune garçon hérita de toute sa fortune. Il devint richissime. Maisons nombreuses, à la ville et à la campagne. Pierres précieuses enfermées dans des cassettes et écus d’or gardés dans de robustes coffres-forts, dissimulés au fond des caves. 

Malgré ces atouts il n’avait pas d’ami. Sa figure, que le temps avait recouverte d’une authentique fourrure bleue, répugnait aux gentilshommes comme aux femmes de qualité. On le pensait mi félin, mi loup. Personne ne le conviait, ni aux bals, ni dans les salons, et ses invitations n’étaient honorées par personne. 

« Monsieur de Barbe-Bleue ». Tel était le surnom qu’on se plaisait à lui donner. Or, ce qui devait arriver arriva : un jour, insolence de quelques garçons de ferme, il l’entendit. « Monsieur de Barbe-Bleue ». Ce nom résonna à ses oreilles. Le jeune homme en conçut un vif chagrin. Mais bientôt, sa peine s’effaça, dévorée par la haine. Il courut par les forêts, haletant, et trempa sa colère dans le sang des bêtes sauvages. Revenu chez lui au soleil déclinant, il prit une décision. On l’appelait ainsi ? C’est ainsi qu’il serait : Monsieur de Barbe-Bleue. Il manda des sculpteurs, des peintres, des tapissiers et marbriers, des chaudronniers et des orfèvres ; aux grilles de tous ses parcs, aux frontons de toutes ses maisons, sur le tissu de tous ses étendards, aux creux de toutes ses assiettes, il fit effacer le nom de son père et le fit recouvrir de celui qui allait devenir sien : Monsieur de Barbe-Bleue

Désireux de parachever son œuvre, il se rendit à la paroisse et fit brûler les livres attestant sa naissance. C’est là qu’il rencontra un jeune séminariste. Le moine lui parla, lui à qui on n’avait plus parlé depuis tant d’années ; le moine l’écouta, lui qu’on n’avait plus écouté depuis tant d’années. Ils devinrent amis. 

Grâce au moine, Monsieur de Barbe-Bleue s’interrogea. Qui avait érigé ces monts, rempli ces étangs et creusé ces vallées ? Le moine lui révéla l’existence du Grand Architecte. Nul ne l’avait jamais vu, mais le moine croyait de la plus fervente des croyances que le monde, savante horlogerie, ne devait rien au hasard et avait été créé par un Être unique, le Grand Architecte, qu’il convenait par conséquent d’adorer. 

Monsieur de Barbe-Bleue demanda : « Est-ce le Grand Architecte qui a recouvert mon visage d’une fourrure bleue ? » 

– Sans doute, repartit le moine, lui seul le peut. 

– Mais vous m’avez appris que le Grand Architecte était bon ; pourquoi voudrait-il me faire du mal ? reprit Monsieur de Barbe-Bleue

– Le moine ajouta : « Lorsque les hommes et les femmes ferment les yeux pour toujours, leurs corps peuvent bien pourrir, leur esprits rejoignent celui du Grand Architecte, s’ils n’ont pas cessé de croire en lui ni de bien se conduire ; là, avec lui, ils sont heureux pour l’éternité. »

Le dimanche, Monsieur de Barbe-Bleue aimait à écouter l’histoire d’Adam et Ève, qui étaient le premier homme et la première femme sur la Terre. Le jeune seigneur s’en étonnait souvent. Pourquoi le Grand Architecte avait-il placé l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal juste à côté d’eux, s’il leur défendait justement d’en manger les fruits ? C’était, pour ainsi dire, pousser Adam et Ève à enfreindre ses propres commandements. À cela, le moine opposait : « L’Homme aurait-il du mérite à être bon, s’il n’avait pas la connaissance de ce qui est bien et mal ? »

Monsieur de Barbe-Bleue reprit les activités de commerce initiées par son père et leur donna grande envergure. Il importait dans le Royaume les meilleurs produits de l’étranger et, malgré son aspect repoussant, devint un fournisseur officiel du Palais Royal. 

Un jour arriva où Monsieur de Barbe-Bleue demanda au Moine comment il pouvait au mieux contenter le Grand Architecte. Le moine lui répondit qu’il devait prendre une épouse et lui rester fidèle. Cette fidélité était pour le Grand Architecte un cadeau très précieux. Le Moine ajouta que la Femme, toutefois, possédait des pouvoirs que l’Homme ne devait pas négliger. Tout d’abord, elle seule pouvait donner la vie. De surcroît, par ses regards, par sa parole, par ses caresses, par ses baisers, elle pouvait également faire sortir l’Homme de lui-même et le transformer en démon. Or les démons étaient justement combattus par le Grand Architecte, qui faisait tout pour les exterminer. Monsieur de Barbe-Bleue devait donc s’employer à chercher la Femme la plus honnête qu’il pût jamais trouver, une femme sans tache, une femme si pure qu’aucun défaut jamais ne pût la ternir.

Monsieur de Barbe-Bleue était pourtant inquiet : « Est-il possible, murmurait-il, qu’un mari ayant cru choisir une femme honnête découvre par la suite qu’elle ne l’est pas ?

– Hélas, cela arrive parfois, soupira le moine.

– Que faire en ce cas ? » questionna Monsieur de Barbe-Bleue. 

Le moine prit alors sa voix la plus douce, la plus onctueuse et répondit : « La châtier. Avec force. » 

Ces désagréments, nonobstant, ne devaient pas empêcher Monsieur de Barbe-Bleue de prendre femme.

Ce qu’il fit. À six reprises. 

***

M. et Mme Zambaud.

M. Zambaudune canette à la main. Dépêche-toi Mimine, ça commence ! 

Mme Zambaudarrivant avec une canette et un plat.  T’avais oublié les boulettes.

M. Zambaudactionnant une télécommande. Chut !

La Télévision Royale. Madame, mademoiselle, mon damoiseau, monsieur, bonsoir. Fait-divers. Le sort s’acharne sur Monsieur de Barbe-Bleue. En effet, le patron de Blue Import a déclaré ce matin que sa sixième épouse avait disparu.

Mme Zambaud.  Et le gnouf, pour lui, jamais ?

La Télévision Royale. Le procureur du Roi vient d’ouvrir une enquête pour enlèvement. 

M. Zambaud. Qu’est-ce que tu racontes ?

La Télévision Royale. Les familles des cinq précédentes épouses Barbe-Bleue, elles aussi disparues et à ce jour jamais retrouvées ont demandé audience au Roi. 

Mme Zambaud.  C’est lui qui les a zigouillées. Toutes.

M. Zambaud. Passe-moi une boulette. 

La Télévision Royale. Notre bien-aimé monarque a envoyé ses condoléances à M. de Barbe-Bleue et a publié un communiqué exprimant sa tristesse.

M. Zambaud, mangeant.  Ces deux-là, ils sont copains comme cochons ! 

Mme Zambaud, mangeant elle aussi.  Comment qu’on peut être copain avec Tronche de poils ?

M. Zambaud, mangeant.  Et son coton ? Et ses épices ? Et son cacao ? C’est qui qui lui ramène tout ça, au Roi ? T’inquiète que Crin-Bleu il ira jamais en tôle. (Un temps.) Elles ont un drôle de goût tes boulettes. 

***

La Voix qui raconte. Comme le Roi l’avait fait pour les cinq disparitions précédentes, il ordonna au Lieutenant-général de police de mettre ses meilleurs hommes à la disposition de Monsieur de Barbe-Bleue, afin que les recherches, cette fois-ci, aboutissent. 

Ce fut peine perdue. Monsieur de Barbe-Bleue montra un grand chagrin. 

Une année passa. 

***

M. et Mme Zambaud.

Mme Zambaudmangeant des boulettes. Toujours rien du Palais ?

M. Zambaudmangeant aussi des boulettes. Que dalle. 

Mme Zambaudidem. Deux semaines que tu leur as écrit. Ils s’en fichent.

M. Zambaudidem. Au contraire. Ils sont éblouis. Tu penses que quelqu’un, avant moi, leur a proposé un produit aussi innovant ? « L’éponge Boit-Sans-Soif. Absorbe quatre pintes de liquide dans seulement un litron de matière. » 

Mme Zambaudidem. Pourquoi que ça intéresserait le Roi ? T’imagines peut-être qu’au Palais c’est lui qui passe la serpillière ?

M. Zambaudidem. Tais-toi, femme. Et les bourreaux ? Ça les amuse de frotter le pavé pendant des jours quand ils ont coupé la tête à un coquin ? Avec mon éponge, ça serait fait en un tournemain. 

Mme Zambaudidem. C’est l’heure !

M. Zambaudactionnant une télécommande. Tu vois, avec tes chicaneries… 

La Télévision Royale. Madame, mademoiselle, mon damoiseau, monsieur, bonsoir. En ouverture de cette gazette télévisée, nous avons le plaisir de vous parler d’un des fournisseurs officiels du Palais Royal : Monsieur de Barbe-Bleue.

Mme Zambaud. Nom de bleu qu’il est laid.

M. Zambaud. File-moi une boulette. 

La Télévision Royale. Souvenez-vous : voici un an, la sixième épouse de Monsieur de Barbe-Bleue disparaissait. Depuis elle n’a jamais été retrouvée et les recherches ont été abandonnées.

Mme Zambaud, mangeant une boulette. En voilà un qui mériterait de passer par la Veuve. 

M. Zambaudmangeant une boulette. Si lui, avec sa tronche de singe, il peut devenir fournisseur attitré du Roi, alors tous les espoirs sont permis. 

La Télévision royale. Mais aujourd’hui, c’est officiel : Monsieur de Barbe-Bleue a décidé de ne pas renoncer au bonheur. Il est reparti à la recherche de celle qui partagera sa vie. Les candidatures sont ouvertes. 

M. Zambaud. Envoie ton CV Mimine, t’as peut-être ta chance. 

Mme Zambaud, mangeant une boulette. Faudrait me payer bien cher pour que je… Brrr… Mais qui peut en avoir envie ? 

M. Zambaudarrêtant de manger. Tes boulettes, faut bien le dire, depuis quelques temps, elles puent. 

***

La Voix qui raconte. Monsieur de Barbe-Bleue se mit donc en quête d’une nouvelle épouse. Elle serait la septième. Aussi surprenant que cela puisse paraître, les prétendantes se bousculaient. Certes il était repoussant et quoique jamais condamné, il avait très mauvaise réputation. Cela n’avait pas empêché de nombreuses jeunes filles de lui rendre visite, accompagnées de leurs parents, prompts à vanter les mérites de leur progéniture. La richesse de monsieur, surtout, les attirait. De son côté, Monsieur de Barbe-Bleue était résolu : cette fois-ci, il trouverait la perle rare ; une femme honnête, pure, sans tache ; le Grand Architecte lui en saurait gré. Pourtant aucune ne trouva grâce à ses yeux ; celle-ci était trop façonnière, celle-là manquait de modestie, cette autre encore fut convaincue de mensonge et on lui donna congé sur le champ, ainsi qu’à ses parents. 

Un matin, alors qu’il revenait dans sa maison de ville après une nuit à chasser, Monsieur de Barbe-Bleue avisa la demeure qui se trouvait en face de chez lui. Sa voisine y vivait en veuve, avec quatre enfants dont deux filles. Ces jeunes femmes lui avaient toujours paru respectables et devaient à présent être en âge de chercher un mari. La mère était d’une grande probité qu’elle leur devait avoir transmise. Sa décision fut prise, il leur rendrait visite. 

***

Sylviane, Ariane, Anne, Cléante et Dorante.

Ariane. Si bon de vous voir tous deux ensemble.

Sylvianeembrassant Cléante. Que le Grand Architecte vous garde, mes enfants. 

Cléante. Merci, mère. 

Sylvianeembrassant Dorante. Qu’il soit fier de vous, même au combat. 

Dorante. Soyez-en assurée. 

Arianeembrassant Cléante. Servez fidèlement notre souverain.

Cléante. J’en ai fait le serment.

Arianeembrassant Dorante. Et vous, protégez-nous de nos ennemis.

Dorante. Nous veillerons jour et nuit sur le Royaume.

Anneembrassant Cléante. Revenez-nous vite. Nous sommes comme les cinq doigts de la main. 

Cléante. Même absents, nous ne serons jamais loin.

Anneembrassant Dorante. Et vous, écrivez, au moins. Que l’on sache où vos chevaux vous portent.  

Dorante. Si je trouve du papier et du temps, je vous le promets.

Cléante. De votre côté, mes sœurs, faites-nous aussi une promesse. 

Ariane. Accordé !

Dorante. Attendez, vous ne savez ce qu’il va dire. 

Cléante. Vous êtes en âge de vous marier. Notre mère y songe souvent. Aussi je vous en prie : considérez avec la plus grande attention les demandes qui vous seront faites. 

Ariane et Anne. Je vous en fais la promesse.

Tous se disent au revoir en répétant « adieu », « adieu », « adieu » plusieurs fois. Puis Cléante et Dorante sortent. 

Anne. Sans eux… pour combien de temps ?

Sylviane, avec du tissu, du fil et une aiguille. Assez pour me ronger les sangs. 

Ariane. Ma robe ? Ce n’est pas à vous de… 

Sylviane. Hélas ! Et à qui ? Nos domestiques ? Bien longtemps que nous avons dû… Je n’aime pas les accrocs. Les accrocs attirent les regards. Quand nous allons au marché, on nous observe. Mme de Bonvouloir ne nous salue plus. 

Ariane. Un jour, j’épouserai un prince et je vous couvrirai d’or. 

On frappe à la porte. 

Sylviane. Vous attendez quelqu’un ?

Anne. Non, personne.

Ariane. Qui peut-ce être ?

Anne va à la porte et se fige.

Anne. C’est… c’est… Monsieur… Monsieur de Barbe-Bleue…

Sylviane. Lui ?

Anne. Il est… il est… c’est… Horreur !

Sylviane. Je vous en prie. Maîtrisez-vous. 

Anne. Il a tué…

Sylviane. Taisez-vous. Vous êtes bien tendre à la rumeur. Disparues. Elles ont disparu. Et dire qu’il va nous voir ainsi, lui, un si grand seigneur… 

Elles se rajustent.

Sylviane. Allez ouvrir. 

Anne. Non.

Sylviane. Anne, je vous en conjure. 

Ariane. Laissez, mère, j’y vais.

Sylviane, à ses filles. Couvrez-vous.  

Ariane ouvre la porte. Monsieur de Barbe-Bleue paraît. Toutes trois font la révérence en disant : « Monsieur. »

M. de Barbe-Bleue. Madame, mesdemoiselles, je vous donne le bonjour. Il n’est guère convenable qu’un homme fasse ainsi intrusion dans une demeure féminine mais je ne resterai qu’un instant. Je réfléchissais… Nous sommes voisins et jamais… Avez-vous vu hier soir la gazette télévisée ?

Sylviane. Hélas, monsieur, nous n’avons pas la télévision.  

M. de Barbe-Bleue. Ah ? Je vous en ferai porter une.

Sylviane. Monsieur, nous ne pouvons pas accepter un tel…

M. de Barbe-Bleue. Je vous offense, madame ? 

Sylviane. Non, ce n’est pas ce que…

M. de Barbe-Bleue. En ce cas, madame, permettez-moi, très respectueusement, d’insister.

Sylviane. Nous vous sommes reconnaissantes, monsieur.

M. de Barbe-Bleue. Vous ne savez peut-être pas ?

Sylviane. Qu’y a-t-il à savoir ?

M. de Barbe-Bleue. La vie, jusqu’à présent, ne m’a guère donné de joie. Honorez-vous le Grand Architecte ?

Sylviane. Oui monsieur. C’est une tradition familiale. 

M. de Barbe-Bleue. Je l’aurais juré. Voici une année que mon épouse a… Mais ne parlons plus de cela. Le temps du deuil est clos. Je sais aimer et n’aspire qu’à une chose : épouser une femme honnête. On dit vos filles en âge de se marier. Est-il vrai ?

Sylviane. Oui monsieur. 

M. de Barbe-Bleue. Votre vertu, madame, est connue par la ville. 

Sylviane. Monsieur, vous nous flattez.

M. de Barbe-Bleue. Une vertu pareille à celle de feu votre mari. Quant à la réputation de vos filles, elle est excellente. 

Sylviane. J’y ai toujours veillé, monsieur.

M. de Barbe-Bleue. Aussi j’ai l’honneur de vous demander l’une de vos filles en mariage. 

Stupéfaction des trois femmes.

Sylviane, après un temps. Vous demandez… une de mes filles ?

M. de Barbe-Bleue. À votre choix, madame. 

Sylviane. Monsieur…

M. de Barbe-Bleue. Réfléchissez. Prenez votre temps. Veuillez m’excuser, je dois prendre congé. Madame, mesdemoiselles, jusqu’au revoir. 

Ariane ouvre la porte à Monsieur de Barbe-Bleue. Avant qu’il ne sorte, toutes trois font la révérence en disant : « Monsieur. » Ariane referme alors la porte.

***

M. et Mme Zambaud.

M. Zambaudmangeant des boulettes. Je l’ai vu, je te dis.  

Mme Zambaud, mangeant des boulettes. Qu’est-ce qu’il est venu bricoler chez elle ? 

M. Zambaudidem. Il cherche une femme.  

Mme Zambaud, idem. Il veut la marier ?

M. Zambaud. Pas elle. Une de ses filles.

Mme Zambaud. La pauvre ! Si j’étais mère, moi…

M. Zambaud. Justement, t’es pas mère. Et heureusement. 

Mme Zambaud. Qu’est-ce que t’as dit ?

M. Zambaud, pris d’un haut-le-cœur, disparaît précipitamment.

Mme Zambaud. Je me demande bien laquelle va passer à la casserole. 

***

Ariane et Anne.

Anne. C’est toi l’aînée, c’est à toi de l’épouser. 

Ariane. C’est toi la plus jeune, il te préfèrera. 

Anne. Tu n’as jamais eu de galant. Tous éconduits. Que t’importe de te marier avec lui ?

Ariane. Tes galants à toi sont nombreux. C’est le signe de ton prix. 

Anne. Tu ne te fardes jamais, et n’aimes pas les robes de bal. Lui, qui ne jure que par la modestie…

Ariane. Tu sais l’art de te parer. Lui, ce très riche seigneur…

Anne. Il me dégoûte !

Ariane. Tu crois qu’il me plaît ?

Anne. Plutôt mourir.

Ariane. Du chantage ?

Anne. Du désespoir !

Ariane. Ne fais pas l’enfant !

Anne. Ne joue pas à la maman !

Ariane. Cœur de citrouille !

Anne. Poivrière de Sorbonne !

Sylviane, entrant. Assez ! Je ne vous ai pas laissé choisir pour que vous vous écharpiez ! Je pensais que vous pourriez… Puisqu’il en est ainsi, c’est moi qui choisirai. 

Ariane. Pas moi, mère !

Anne. Mère, songez à notre père. Croyez-vous qu’il aurait voulu qu’une de ses filles passât sa vie avec ce… ce…

Sylviane. Vous avez raison. En ce cas, il n’y a qu’une seule voie : dire à Monsieur de Barbe-Bleue que personne ici ne le veut. 

Ariane. Quelle honte pour lui…

Sylviane. Choisissez : soit vous acceptez et devenez sa femme ; soit vous refusez et je serai contrainte de lui infliger un affront. 

Anne. Pensez-vous que… ce… cet homme… on raconte tant de choses… Il se mettra en colère ?

On frappe à la porte. 

Ariane. C’est lui. 

Ariane va à la porte puis elle l’ouvre. Monsieur de Barbe-Bleue paraît. Toutes trois font la révérence en disant : « Monsieur. »

M. de Barbe-Bleue. Madame, mesdemoiselles, je vous donne le bonjour. C’est la deuxième fois qu’un homme seul, extérieur à votre famille, pénètre chez vous, mais ce sera la dernière. 

Sylviane. Nous avons bien reçu la Télévision royale et nous vous en remercions. 

M. de Barbe-Bleue. Si j’ai pu vous faire plaisir, j’en suis heureux. Voyons si de votre côté, vous saurez me contenter. Lors de ma précédente visite, je vous ai demandé l’une de vos filles en mariage. Je suis venu aujourd’hui entendre votre réponse. 

Sylviane. Monsieur, c’est avec un profond regret que je m’adresse à vous.

M. de Barbe-Bleue. N’en dites pas plus. J’ai compris. Quoi ?… Vous osez ?… Moi, un fournisseur officiel du Palais Royal, vous osez me fouetter d’un refus ? Hélas… qui pourrait vous blâmer ? Nous ne nous connaissons guère. Cette situation a son remède : je vous invite dans ma maison du Bas-Poitou, à votre date et avec ceux de vos amis que vous choisirez. Passons quelques jours ensemble. Vous pourrez profiter du parc étendu sur trois acres, d’un bassin, d’un jeu de paume, d’une piscine, d’un écran plat, d’un jacuzzi dernier cri et ainsi, nous ferons connaissance. C’est oui ? 

Sylviane. Monsieur, je ne sais si…

Ariane, sans être entendue de M. de Barbe-Bleue. Mère, le parc…

Anne, sans être entendue de M. de Barbe-Bleue. Mère, le jacuzzi…

Sylviane. Eh bien, monsieur, nous vous rendons grâce de cette invitation et nous l’acceptons volontiers. 

***

La Voix qui raconte. C’est ainsi que Sylviane prit la route de la maison poitevine de Monsieur de Barbe-Bleue, accompagnée d’Ariane et d’Anne, dont la peur avait fondu dans la douce chaleur émanant de toutes les merveilles promises par le riche seigneur. Comme il avait engagé la dame et les demoiselles à convier tous les amis qu’elles voulaient, elles avaient entraîné à leur suite jeunes filles et jeunes gens curieux, intrigués par la réputation de Monsieur de Barbe-Bleue. Les frères d’Ariane et Anne, Cléante et Dorante, avaient par bonheur obtenu une permission et s’étaient joints à la compagnie. Sylviane, plus par politesse que par affinité, n’avait pas omis d’inviter ses deux voisins, Monsieur et Madame Zambaud, qui voyaient en cette occasion le moyen de pousser leurs pions auprès du Roi par l’entremise de Monsieur de Barbe-Bleue, comme si la gloire du titre de fournisseur officiel du Palais Royal dût rejaillir sur eux au contact de l’habile négociant. 

La maison était fort agréable et le temps fut fort doux. On demeura huit jours entiers. Cléante et Dorante faisaient bande à part : ils se méfiaient de l’hôte. Il leur était désagréable de penser qu’il courtisait leurs sœurs. Pendant ce temps ce n’étaient que promenades, que parties de chasse et de pêche, que pétanque et beach-volley, tournois de crawl ou de tarots, que danses et festins, que D.J. très hypes et uber-rappeurs, techno et électro, que cocktails et karaokés, apéritifs et collations : enfin tout alla si bien qu’un soir, Ariane vint frapper au milieu de la nuit dans la chambre de sa mère. 

***

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