Dialogues vagabonds

Sketchs autour des méandres de la parole

Quand la conversation prend son temps… pour aller on ne sait où

Accordez-nous moins d’1 heure de lecture et découvrez comment plonger votre public dans un univers absurde et féroce (même si vous avez zéro moyens).



On a 3 questions rapides à vous poser : 

🆘 Est-ce que vous avez marre de ces textes écrits avec des « ! » à chaque réplique ?

🆘 Est-ce que vous en avez assez de ces sketchs qui essaient de faire rire tout le monde et finissent par ne faire rire personne ?

🆘 Est-ce que vous faites partie de ces personnes qui détestent les scènes courtes dans lesquelles on n’a le temps de rien ?

Si vous avez répondu oui à au moins deux questions, alors lisez vite ce qui suit !

Un auteur, des chaussettes, une consultation, un changement de carrière, un nouveau livre ; sujets futiles ou profonds, ils sont la matière de nos cinq Dialogues vagabonds.

En accédant au texte intégral de Dialogues vagabonds, vous obtiendrez un fichier pdf de 61 pages pour un poids plume de 400 Ko. Le fichier est donc très facilement téléchargeable sur votre téléphone, votre ordinateur, votre tablette et imprimable à volonté.

Avec Dialogues vagabonds vous découvrirez :

✅ des dialogues qui jouent sur la longueur et donnent donc aux interprètes de la matière pour installer et faire vivre une situation dans toutes ses nuances

✅ un recueil de 5 sketchs à 2, 3 ou 4 personnes s’adaptant à diverses distributions

✅ des textes infusant des atmosphères très particulières qui restent inscrites dans la mémoire du public

✅ un recueil sketchs pouvant employer jusqu’à 12 interprètes

✅ des conversations aux routes sinueuses, qui mèneront votre public de surprise en surprise

Le recueil a été joué par : 

🎭 la Compagnie Tableau Blanc, à Anderlecht, Belgique en juin 2021

🎭 l’Atelier Théâtre de l’Institut Notre-Dame, à Beaurain, Belgique, en mars 2024.

Intéressé-e ?

Téléchargez Dialogues vagabonds

Attention, cependant : ce recueil est fortement déconseillé aux personnes qui n’aiment pas l’humour décalé !


Vous répétez Dialogues vagabonds avec votre troupe ?

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Questions fréquentes sur Dialogues vagabonds

Pourquoi ça s’appelle Dialogues vagabonds ?

Parce qu’aucune conversation ne sait vraiment où elle va. Les personnages marchent, trébuchent, digressent — et finissent toujours par se retrouver où ils ne l’avaient pas prévu. 

Est-ce que ce sont des sketchs ou des scènes de théâtre ?

En réalité, ni tout à fait l’un, ni tout à fait l’autre : ce sont des bulles de parole où le comique naît du sérieux, et le sérieux du comique. On commence par rire… puis on se demande de quoi.

Est-ce que c’est facile à jouer ?

Oui, à condition d’aimer se perdre. Ces dialogues demandent du rythme, de la précision et une vraie écoute. Les acteurs ont le temps d’exister, de respirer, d’aller au bout d’une idée folle.

C’est plutôt pour quel type de public ?

Pour ceux qui aiment l’absurde sans les grimaces, la parole sans le bavardage, et les situations où rien ne se passe… mais tout se joue. Si votre public aime Ionesco, Queneau ou Devos, il se sentira chez lui.

Extrait de Dialogues vagabonds

Ces auteurs

Un, Deux et Trois parlent à voix basse. Ils sont assis à une table jonchée de nombreux manuscrits. Quatre entre, gêné. Un, Deux et Trois arrêtent de parler.

QUATRE, avec gêne. — Bonjour… Merci de me recevoir… je sais que vous avez beaucoup de propositions…

UN, sec. — Arrête tes boniments.

QUATRE, soumis. — Oui, oui… excusez-moi…

DEUX, aux autres. — Ces auteurs… 

QUATRE. — Je… je peux m’asseoir ?

TROIS, peu aimable. — Ouais, si tu veux…

QUATRE. — Alors vous avez eu le temps de ?…

UN. — De quoi ?

QUATRE. — Eh bien, de lire…

DEUX. — Ouais, ouais, on a lu.

QUATRE. — Ah ! Tant mieux… Je vais pouvoir vous demander… J’avais un petit doute sur l’acte IV, scène 3, alors j’aimerais bien que vous me disiez si…

UN, aux autres. — Non mais il est fou, lui. 

TROIS, à Un. — T’imagines quoi ? Qu’on regarde le numéro des scènes, quand on lit ?

UN, confus. — Euh… non, bien sûr…

DEUX, à Un. — Tu crois peut-être que ça nous intéresse, les numéros de scènes ?

QUATRE, pataugeant. — Euh… oui, oui… enfin, je veux dire : non, non, évidemment… pourquoi vous intéresser aux numéros de…

UN, aux autres. — Il pense qu’on prend des notes, ce con.

TROIS, à Quatre. — Bon, écoute euh… (Il paraît chercher quelque chose, puis, aux autres 🙂 Comment il s’appelle, déjà ?

QUATRE, à Trois. — Antoine. Antoine Rivoire. 

TROIS. — Ah oui, ça me revient, un nom à la noix encore, genre marque de pâtes… 

QUATRE, à Trois. — J’ai écrit la pièce avec un ami, Jérôme, Jérôme Cartier. On se voit pour écrire presque tous les jours. Moi, j’ai mon carnet à spirales Rhodia, lui, il a son MacBook Pro, et tous les deux ont…

TROIS. — On s’en branle, de tout ça… Tu crois vraiment que ça nous concerne ?

QUATRE, battant immédiatement en retraite. — Non, non… évidemment…

DEUX. — Ces auteurs, ces auteurs…

UN. — T’imagines, si j’arrivais à la fin du spectacle : « Mesdames et messieurs, j’ai l’honneur, l’avantage et le plaisir de vous annoncer que ces panneaux ont été assemblés avec des clous inox à pointe annelée de deux millimètres cinquante par cinquante ». Je me ferais jeter tes canettes, oui !

QUATRE. — Et pour la scène du dentifrice ?

TROIS. — La scène du quoi ?

QUATRE. — La scène dans laquelle Lorelei partage son dentifrice avec Friedrich. J’y ai mis beaucoup de moi-même, euh… enfin, je veux dire, nous y avons mis beaucoup de nous-mêmes, alors j’aimerais que…

DEUX, à Un et Trois. — Ça vous dit quelque chose, cette histoire de dentifrice ?

UN. — Non, rien.

TROIS. — J’ai pas vu ça, moi.

QUATRE. — Vous n’avez pas vu… ? Ah ? … Mais pourtant, quand l’acte trois commence… vous savez, l’acte qui se déroule dans la salle de bains…

UN. — Ah oui… ça aussi, les décors… quand j’ai vu la description des décors, j’ai failli m’étouffer avec mon bretzel…

QUATRE, saisissant un des manuscrits sur la table. — Si je peux me permettre…

DEUX, ironique. — Vas-y, fais comme chez toi…

QUATRE, feuillant rapidement et s’arrêtant sur une page. — Vous voyez, là, acte trois scène deux…

TROIS. — Il recommence, avec ses numéros…

QUATRE, lisant. — « LORELEI. —  Friedrich, je partage mon dentifrice avec toi. Ce dentifrice sera le symbole de notre… »

UN, aux autres. — Ça vous dit quelque chose ?

TROIS. — Non. 

DEUX. — Moi non plus. 

QUATRE, lisant. — Pourtant, je l’ai bien écrite… enfin, on l’a bien écrite, cette scène…

UN. — Tu sais, on lit pas tout…

QUATRE. — Ah… vous ne lisez pas tout ?

TROIS. — On n’a pas le temps ! La pièce doit être choisie dans 15 jours !

DEUX. — On lit une scène sur deux.

QUATRE. — Une scène sur deux ?

DEUX. — Comme ça, ça va plus vite…

UN. — On se rend compte rapidement si ça convient ou pas.

TROIS. — Et pour toi, on a tout de suite vu : ça convient pas.

QUATRE. — Ah bon ?

DEUX. — Déjà, le titre : Dialogues vagabonds

QUATRE. — Vous n’aimez pas ?

DEUX. — Avec un titre comme ça, on entrave que dalle !

TROIS. — On fait pas une soirée poésie. Ah… ces auteurs…

UN. — Et puis ici, les vagabonds, on n’aime pas trop…

DEUX. — On est venus ici pour être tranquilles.

TROIS. — Et ils viennent malgré tout, les vagabonds ! Avec leurs enfants, leurs chiens et même leurs femmes !

DEUX. — C’est vrai ! Je me suis fait agresser plusieurs fois à Paris et je me suis justement installé ici pour ne plus en voir, des vagabonds. Mais j’en vois, j’en vois quand même ! J’en vois tous les jours. J’en vois la nuit, aussi…

UN. — Cet été, fallait voir ce qui se baignait dans la rivière. 

DEUX. — Des espèces de babouchkas toutes de noir vêtues, des pieds à la tête, le visage voilé, qui entraient dans l’eau comme des baleines, y nageaient comme des hippopotames.

TROIS. — Je suis passé près de l’une d’elles. Ses voiles ne laissaient apparaître que ses yeux. Des yeux noirs, dépourvus de toute humanité. Elle m’a fixé. Si ses yeux avaient été des armes, je ne serais pas là aujourd’hui pour en parler. 

UN. — Je ne suis pas raciste : ma femme de ménage est Arabe. Et je peux vous dire qu’elle porte pas le voile. Elle le porterait, je la flanquerais dehors en deux temps trois mouvements !

DEUX. — Le mardi matin, quand je vais au marché… et que je les vois, elles, avec leurs barbes, eux avec leurs voiles…

TROIS. — C’est l’inverse. 

DEUX. — Quoi ?

TROIS. — Tu dis, « elles, avec leurs barbes, eux, avec leurs voiles », mais c’est l’inverse.

DEUX. — Pas forcément.

TROIS. — Si, forcément.

DEUX. — Je te dis que non.

TROIS. — Tu ne vas pas me dire que ces femmes portent la barbe et que ces hommes portent des voiles ?

DEUX. — Si ça se trouve ! Elles, sous leurs voiles, elles peuvent très bien porter la barbe ! Quant à eux, dans leur barbe, ils peuvent très bien dissimuler un voile ! Toujours est-il que quand je vais faire le marché et que je regarde autour de moi, je me dis : on n’est plus chez nous !

UN. — Et ces Chinois ! Qui viennent se photographier devant nos églises en crachant dans les rues à gorge déployée !

DEUX. — Et que je te parle fort, et que je te pousse tout le monde…

TROIS. — D’un sans-gêne !

UN. — Mais les étrangers, y a pas que chez nous qu’ils sont désagréables. À l’étranger aussi, ils sont imbuvables, les étrangers ! Je me souviens d’un séjour à Alger… Les gens me regardaient d’un air… Après tout ce qu’on a fait pour eux : les écoles, les routes, le développement économique… J’ai pas compris…

DEUX. — Le seul pays où je me suis trouvé bien accueilli-e, ça a été l’Ouzbékistan. Que des gens souriants, avenants, pas de voiles, pas de barbes…

QUATRE. — Je ne suis pas sûr que ce soit un pays hyper démocratique…

TROIS. — Et ici, tu crois que c’est démocratique ? Hein ? Tu crois qu’on peut donner son avis ? De toute façon, quoi qu’on vote, c’est toujours la même chose !

UN. — Alors tu vois, Dialogues vagabonds, je suis désolé, mais non !

DEUX. — Le titre, c’est une chose… Mais les décors !

TROIS. — Cinq décors… Il nous met cinq décors ! Tu te crois où ? Au Chatelet ? 

UN. — La scène de la salle des fêtes, elle fait six mètres par quatre. Où on va mettre cinq décors ? T’y as pensé, à ça ? Tu parles… Monsieur écrit… il s’amuse bien dans son délire… mais après… c’est aux compagnies de se démerder !

QUATRE. — J’ai mis… euh… enfin, on a mis cinq décors… mais, après… vous n’êtes pas obligés de rester hyper réalistes… vous pouvez un peu styliser…

DEUX, après un temps. — Qu’est-ce qu’il raconte ?

TROIS. — Je comprends rien à ce qu’il dit…

UN. — Un salon, c’est un salon ; une salle de bain, c’est une salle de bain.

QUATRE. — Il me paraît difficile de contredire cette affirmation…

DEUX. — Exprime-toi clairement, s’il te plaît !

TROIS. — Ces auteurs…

QUATRE. — Même si j’ai écrit… euh… si on a écrit salle de bain, vous n’êtes pas obligés de faire une reconstitution au millimètre ! Un tabouret… Une chaise, ça peut suffire…

UN, s’échauffant par degrés. — T’as pas bien saisi, coco. Nous, on est des gens sérieux. Si la pièce se passe dans une salle de bain, je veux la douche, je veux la baignoire, je veux le carrelage blanc, je veux le robinet avec de l’eau qui coule quand on l’ouvre, je veux les gants de toilette, je veux le savon, je veux le shampoing, je veux les serviettes, je veux le lavabo, le dentifrice, la patère où est accrochée la sortie de bain, les brosses à dents, le dentifrice, les tiroirs, les placards, remplis d’autres serviettes, un séchoir à cheveux, peignes, brosses, coupe ongles, bigoudis, déodorant, compresses, mercurochrome, pansements, suppositoires, poils de cul, enfin bref, une salle de bains, quoi, merde !

DEUX. — Calme-toi…

UN. — Non, je me calmerai pas ! Non, je me calmerai pas ! C’est ça qu’il veut, notre public ! Tu crois que le public il s’intéresse à tes mots ? À ton histoire ? À tes personnages ? Mais il en a rien à cirer, le public, de tout ça ! Le public, il paye pour voir alors, quand le rideau s’ouvre, il doit en avoir pour son fric, le public ! Et pas juste un tabouret ou une chaise pourrie !

TROIS. — C’est des veaux, notre public. Juste des veaux, pas moins, mais pas plus.

QUATRE. — Des veaux ?

UN. — Quoi, t’aimes pas les veaux ?

QUATRE. — Pardon ?

UN. — T’as quelque chose contre les veaux ?

QUATRE. — Mais non, mais non…

TROIS. — C’est beau, un veau. 

QUATRE. — Oui, oui-oui…

UN. — Qu’est-ce qu’ils font, les veaux, pour passer le temps ?

QUATRE. — Euh… ils se promènent dans les champs ?

TROIS. — Ils regardent passer les trains.

DEUX. — Ben tu vois, c’est ça qu’elle doit être, ta pièce. Un train qui passe. 

QUATRE. — Et… c’est pas un train qui passe, ma pièce ? Enfin, je veux dire notre

TROIS. — Oh non, c’est pas un train qui passe, ta pièce !

QUATRE. — Alors, c’est quoi ?

TROIS. — Ce serait plutôt un vieux tacot…

DEUX. — Un vieux tacot poussif…

UN. — Un vieux tacot en train de crever…

TROIS. — Et ça, c’est pas marrant.

QUATRE. — Qu’est-ce qui n’est pas marrant ?

DEUX. — Ton texte. 

QUATRE. — Il est pas marrant ?

UN. — Non.

QUATRE. — Oh… si… quand même…

UN. — Ah ouais ? Montre-nous.

QUATRE. — Quoi ?

TROIS. — Eh ben, ce qui est marrant dans ton texte. 

QUATRE. — Euh… si vous voulez… (Il compulse nerveusement le manuscrit.) Tenez, quand Lorelei dit : « Dieu que tu as la forme enfoncée dans la matière »… c’est marrant.

DEUX. — Ça, c’est marrant ? « la forme enfoncée dans la matière » c’est marrant ?

UN. — Il se fout de notre gueule, ce con.

QUATRE. — Mais non… je vous assure…

DEUX. — Y a rien de marrant là-dedans…

TROIS. — Remarque… si Lorelei prenait l’accent belge, ou africain…

QUATRE. — Africain ? Il y a un accent africain ?

UN. — Évidemment qu’il y a un accent africain ! Quel abruti…

TROIS. — Et si on coiffait Lorelei avec un chapeau pointu ?

DEUX. — Oh oui, un chapeau pointu ! 

UN. — Un chapeau pointu avec un pompon rouge !

DEUX. — Et si on lui mettait des lunettes avec des verres cul de bouteille ? 

TROIS. — Et si on l’habillait avec une robe aux couleurs bien flashy ? 

UN. — Et si on la déguisait en lapin ?

QUATRE. — Laissez tomber…

UN. — On veut du marrant, nous ! Parce que c’est ça qu’ils veulent, les gens. Se marrer !

QUATRE. — Il y a dans la pièce de jolis moments de tendresse…

DEUX. — Rien à branler de ta tendresse, on veut se marrer !

QUATRE. — Mais le dénouement de la pièce peut pousser le spectateur à réfléchir à la protection de l’environnement et à…

TROIS. — Rien à branler, de la protection de l’environnement ! On veut se marrer !

QUATRE. — Dans l’acte III, les inégalités sociales sont particulièrement bien mises en lumière et…

UN. — Rien à branler, de tes inégalités sociales ! On veut se marrer !

DEUX. — Notre public, tu crois que ça l’intéresse, les inégalités sociales ? On joue pas pour la Fête de l’Huma !

TROIS. — Notre public, tu crois qu’il en a quelque chose à battre, de l’environnement ? Ici, c’est pas les Eaux et Forêts !

QUATRE. — Tout de même, ce n’est pas rien : l’environnement, les inégalités sociales, la tendresse…

TROIS. — Notre public, tu crois peut-être qu’il connaît, la tendresse ? Ici, c’est pas une boutique de câlins !

UN. — Notre public, il veut se marrer !

QUATRE. — Pourquoi ?

UN. — Quoi, pourquoi ?

QUATRE. — Pourquoi il veut se marrer, votre public ?

UN, aux autres. — Il me demande pourquoi il veut se marrer, notre public…

DEUX. — Il est débile, ou quoi ?

QUATRE. — J’ai posé une question bête ?

TROIS. — Notre public, il veut se marrer, parce que se marrer c’est… euh… c’est marrant et puis aussi… hum… ça fait rire et … quand on rit… eh ben… on rigole…

QUATRE. — Mais pourquoi il veut rire, votre public ?

TROIS, aux autres. — Il le fait exprès ?

QUATRE. — Il est déprimé ?

TROIS. — Hein ?

QUATRE. — Il broie du noir, votre public ?

TROIS. — Évidemment !

UN. — Avec tout ce qu’on voit…

DEUX. — Et ce qu’on entend… comment ne pas broyer du noir ?

QUATRE. — C’est curieux, tout de même… Tout un village qui veut absolument se marrer. Ce sont des névrosés ou quoi ?

DEUX, aux autres. — Qu’est-ce qu’il raconte ?

QUATRE. — Une espèce de névrose collective, je pense…

UN. — Euh… attends… tu parles pas de notre village comme ça, toi…

QUATRE. — C’est pas une tare d’être névrosé, c’est une maladie.

UN. — Une maladie ? Tu nous traites de malades ?

QUATRE. — Non.

UN. — J’ai eu peur…

QUATRE. — C’est pas vous, là, spécifiquement, que je traite de malades. C’est tout le village qui est malade.

TROIS. — Tout… tout le village ?

QUATRE. — Oui ! 

DEUX, aux autres. — Putain, retenez-moi…

QUATRE. — Forcément : ils voient que la troupe de théâtre est tenue par trois connards… alors vous imaginez comme ils doivent déprimer ? 

DEUX, rongeant son frein. — Oh putain…

UN, à Deux et Trois. — Je crois que j’ai mal entendu…

QUATRE. — Ils se disent : les seuls trucs qu’on peut voir dans l’année, c’est le quart-monde intellectuel qui s’en occupe ! Le cauchemar… Moi aussi, à leur place, je déprimerais…

DEUX, se mettant à hurler. — Retenez-moi, putain ! Retenez-moi !

UN, à Quatre. — Je crois qu’on t’a assez entendu.

QUATRE. — Ouais, ouais… je m’en vais avant d’être déprimé à mon tour…

UN, lui jetant son manuscrit à la tête. — Attends… n’oublie pas ça…

QUATRE, sans ramasser le manuscrit. — Je vous le laisse.

DEUX, agressif. — On n’en veut pas, de ta merde !

QUATRE, désignant le manuscrit. — Vous l’avez sali. 

DEUX, déchaîné. — Ton texte, on va le mettre aux chiottes !

QUATRE, souriant. —Tant mieux ! Il a échappé au pire : vous auriez pu le mettre en scène.

***

Les chaussettes

UN. — Comment allez-vous ?

DEUX. — Ordinairement en train. Presque quatre-vingts minutes quotidiennes. Ensuite vient la marche à pied. Vingt minutes minimum. Enfin il y a la voiture. Dix minutes à peine.

UN. — Ma question ne portait pas sur vos moyens de locomotion mais plutôt sur la qualité de votre vie. 

DEUX. — Ma qualité de vie ? Eh bien ma qualité se qualifie de plus en plus. Elle est même, en phase d’accéder, oserais-je dire, à un haut de niveau de qualification.

UN. — Bac plus cinq ?

DEUX. — Bac plus huit.

UN. — Alors quoi ? Un doctorat ?

DEUX. — Niveau doctoral sans doute possible. 

UN. — Un doctorat en quoi ?

DEUX. — En vie.

UN. — En vie ?

DEUX. — Un doctorat en vie.

UN. — Carrément.

DEUX. — Hyperboliquement me semblerait plus approprié. 

UN. — Vous êtes un romantique.

DEUX. — Au contraire, je goûte les mathématiques.

UN. — Un brin schématique ?

DEUX. — Totalement graphique.

UN. — Comment ça se présente ?

DEUX. — Comme une courbe ascendante. (Il trace un trait dans les airs.)

UN. — À ce que je vois, votre vie est en pleine croissance. 

DEUX. — J’ai connu un léger recul mais j’ai récemment gagné plusieurs parts de marché.

UN. — Sur quels marchés ? 

DEUX. — Sur tous les marchés.

UN. — Expliquez.

DEUX. — Marché du travail, marché de l’amour, marché des fruits et légumes.

UN. — Votre travail ?

DEUX. — Il m’emmerdait. Je considérais son utilité comme proche de zéro. 

UN. — Zéro plus ?

DEUX. — Zéro moins. 

UN. — Et la courbe s’est inversée ?

DEUX. — Vers l’infini.

UN. — Et au-delà ?

DEUX. — Restons sur la Terre.

UN. — Et vos amours ?

DEUX. — J’aime de plus en plus ma femme.

UN. — C’est émouvant.

DEUX. — Et son amant.

UN. — C’est très fair-play.

DEUX. — Et ma maîtresse.

UN. — C’est de bonne guerre. Et vos fruits et légumes ?

DEUX. — De plus en plus fruités et légumineux.

UN. — Vous êtes en pleine expansion.

DEUX. — Tout me semble de plus en plus total, ma plénitude de plus en plus pleine, et ma vie de plus en plus vivante. 

UN. — Votre parole me parle. Elle est d’un intérêt… d’un intérêt… je ne trouve pas le mot.

DEUX. — D’un intérêt intéressant ?

UN. — D’un intérêt intéressant, c’est cela. Cet intérêt m’intéresse.

DEUX. — Auparavant, je me contentais de vivre.

UN. — Et comment ne pas s’en contenter, quand d’autres déclinent ou meurent ?

DEUX. — Je ne m’occupais de rien en particulier. J’accomplissais mes obligations en me conformant à mes devoirs et je disposais de mes heures de liberté comme bon me semblait.

UN. — Bref, vous viviez.

DEUX. — Je vivais, oui. Mais ce n’était pas assez. 

UN. — Il vous fallait vivre plus ? Il vous fallait vivre mieux ?

DEUX. — Il me fallait vivre avec plus de vie. 

UN. — N’est-ce pas, au fond, le tropisme de toute vie : vivre avec plus de vie ?

DEUX. — Voyez-vous, aujourd’hui, on ne peut plus vivre, tout simplement. Vivre ne suffit plus. 

UN. — Que vous faut-il de plus qu’une vie ?

DEUX. — Un projet.

UN. — Un projet ?

DEUX. — Un projet.

UN. — Mais vivre, n’est-ce pas un projet ? Au sens où le mouvement vital nous entraîne, nous projette, justement, vers l’instant suivant, cet inconnu ?

DEUX. — Voilà justement pourquoi il lui faut un projet. Vous l’avez si bien dit. La vie nous entraîne on se sait où. Or avancer ainsi, c’est s’abandonner aux accidents du chemin, c’est se laisser dériver, c’est exister seulement, mais ce n’est pas vivre. 

UN. — Et vivre, c’est se mettre en projet ?

DEUX. — Ainsi la conscience investit la biologie et de l’existence on passe à la vie. 

UN. — Quel est votre projet ?

DEUX. — Dormir en chaussettes.

UN. — Je vous demande pardon ?

DEUX. — Je veux que toutes mes futures heures de sommeil voient mes pieds emmitouflés dans une paire de chaussettes.

UN. — Vous avez donc pris froid ?

DEUX. — J’ai plutôt donné chaud.

UN. — Donné chaud ?

DEUX. — À ma femme. Ou à ma maîtresse, selon. Mes chaussettes leur ont donné des suées.

UN. — Vous les portez épaisses ?

DEUX. — La composition du textile me laisse indifférent, mais j’entends que lesdites chaussettes soient moelleuses en hiver, fines en été et intermédiaires à l’entre-saison. 

UN. — Et c’est votre projet de vie ?

DEUX. — C’est mon projet de vie : dormir en chaussettes.

UN. — C’est un projet raisonnable. Il ne me semble pas requérir des moyens démesurés, ni un changement d’habitude coûteux. Comment vous en est venue l’idée ?

DEUX. — Un soir, épuisé par je ne sais quelle occupation nocturne, promenade sur la toile, mots-croisés de force treize ou whisky single malt, je gagnais le lit sans parvenir à rester conscient assez longtemps pour m’y déshabiller intégralement. Au matin, lorsque je m’éveillais, je dis à ma femme, ou à son amant, ou à ma maîtresse, je ne sais plus très bien, mais enfin je dis à la personne qui se trouvait étendue là, à mes côtés : « J’ai dormi avec mes chaussettes ! » Cette personne, femme, amant ou maîtresse, n’y prêta pas plus d’attention que si j’avais tenu des propos encore nimbés de rêves. J’étais sérieux pourtant, presque grave. Mais je me sentais, surtout, reposé. Reposé comme jamais je ne l’avais été. 

UN. — Vous en paraissez troublé. 

DEUX. — Je l’étais. Moi, un gaillard qui ne crois ni à dieu ni à diable. 

UN. — Qui a fait des études…

DEUX. — Ça ne compte pas.

UN, objectant. — Auprès des fats.

DEUX, concédant. — J’en fréquente.

UN. — Vous qui menez à terme les entreprises les plus difficiles…

DEUX. — Moi, le chef, le père, le mari et l’amant, j’étais troublé par mes chaussettes. 

UN. — Vous y pensâtes toute la journée ?

DEUX. — Mon esprit ne se résolut pas à prendre un autre objet. 

UN. — Et quand vint le soir ?

DEUX. — Ô quelles heures tourmentées je vécus ! 

UN. — Morphée ne vous appelait-il pas de son chant hypnotique ?

DEUX. — Au contraire. Plus l’instant du coucher approchait, plus la question revenait dans ma tête : allais-je les garder ?

UN. — Les garder ?

DEUX. — Mes chaussettes ! Allais-je les garder aux pieds tandis que j’entrerais dans le lit ?

UN. — Et vous les gardâtes, bien sûr.

DEUX. — Point. Mon esprit se figurant d’un coup que mon comportement de la veille n’avait été qu’ errements, effet du hasard, je fis comme à l’ordinaire : je dénudais mes pieds avant de passer sous la couette. 

UN. — Et vous comprîtes ?

DEUX. — Plus. Je me mis debout, me dirigeai vers le tas informe de mes vêtements du jour et en extrayait les deux accessoires. Je les enfilais lentement, pénétrant dans le tissu encore chaud avec délicatesse, sentant avec bonheur le froid reculer depuis la pointe de mes pieds jusqu’à ma cheville, avant de disparaître. Soudain, je me senti Paul Claudel à Notre-Dame, Francis Poulenc à Saint-Pierre de Maguelone : j’eus la Révélation. La vérité était là, devant moi, non pas la vérité nue telle qu’on la voit sur les images d’Épinal, mais la vérité chaussée : jamais plus je ne serais un vanupied. Ma façon d’être au monde du sommeil passerait désormais par des pieds caparaçonnés de chaussettes moelleuses.

UN. — Qui dormait avec vous ?

DEUX. — C’était ma femme, ce soir-là, j’en suis sûr. 

UN. — Elle ne remarquait rien ?

DEUX. — Non. Elle était plongée dans son livre, un roman épistolaire des plus fameux.

UN. — Les Liaisons dangereuses ?

DEUX. — Vous avez touché juste.

UN. — Elle vibrait aux décadents exploits d’un Valmont pervers et lascif, se déshabillant devant une Merteuil au bord de la pâmoison ?

DEUX. — Il me semblait en effet détecter chez elle un mouvement trahissant une besogne intime. Je décidais de la laisser goûter seule à ces satisfactions, nous offrant à chacun un plaisir solitaire : elle, la caresse littéraire ; moi, le repos du textile. 

UN. — Et vous sentiez que votre coucher se trouvait transformé à la faveur de vos pieds nocturnement chaussés ?

DEUX. — Je sentais le sommeil différemment, en effet.

UN. — En quoi était-il différent ?

DEUX. — Il ne venait pas du même endroit.

UN. — Et d’où venait-il ?

DEUX. — D’ordinaire ? D’en haut.

UN. — Il vous tombait dessus ?

DEUX. — Souvent. Et brusquement. Ou bien il descendait doucement, et se posait sur moi. Mais toujours il cheminait, du haut jusques en bas. 

UN. — Les pieds dans vos chaussettes, il en allait autrement ?

DEUX. — Il en allait tout autrement car il allait différemment. 

UN. — Différemment, lui ?

DEUX. — Oui, mon sommeil. Il n’arrivait pas du même endroit. 

UN. — Par où diable arrivait-il ?

DEUX. — Par mes pieds.

UN. — Par vos chaussettes ?

DEUX. — Non, par mes pieds.

UN. — Vous voulez dire que vous sentiez votre sommeil arriver par vos pieds en-dessous de vos chaussettes ?

DEUX. — C’est cela. Il me tenait au plus près de lui, faisant corps avec moi, là, dès le début de sa présence. Il n’était plus planant au-dessus de moi, comme une épée de Damoclès, puis fondant sur moi, comme un oiseau de proie, ah non. Il s’en venait tout simplement, comme un brave pèlerin à l’assaut de mes orteils, arrivant par mes pieds avant de posséder mon corps dans son entier. 

UN. — Et votre femme supportait cela ?

DEUX. — Si c’était elle qui était là, à côté de moi, son livre dans une main, son autosatisfaction dans l’autre, elle ne s’en apercevait même pas. Mais à cette époque, ce temps où je me mis à porter nuitamment des chaussettes, elle était souvent absente et c’était surtout son amant que je voyais habituellement, avant de m’endormir.

UN. — Et lui ? Comment la prenait-il, cette intimité avec le sommeil retrouvée par la grâce de vos chaussettes aux pieds ?

DEUX. — Il me semblait qu’il m’enviait. Il attendait ma femme partie on ne savait où. Et pour passer le temps, il me regardait m’endormir, à la fois jaloux et fasciné par le spectacle mystérieux d’un corps se détendant progressivement sous l’effet d’un repos ni trop lourd, ni trop fragile. 

UN. — Depuis vous dormez mieux ?

DEUX. — Je m’en désole presque.

UN. — Est-ce la peur du vide ?

DEUX. — Plutôt la frustration.

UN. — Je vous croyais heureux.

DEUX. — Hélas, je le suis ! Mais sans pouvoir m’en rendre compte à moi-même, puisque c’est un bonheur endormi. Je dors si bien que cela m’empêche de prendre conscience que je dors si bien. 

UN. — Mais si vous dormiez moins bien, vous ne pourriez que vous rendre compte que vous dormez moins bien.

DEUX. — Je le sais.

UN. — Le fait que la conscience de votre sommeil pur vous soit refusée est la marque même de la pureté de ce sommeil. 

DEUX. — Je le sais si bien que j’espère maintenant être réveillé la nuit. J’espère et j’aspire à une pluie sur le carreau, une rixe entre deux chats, j’espère un coup de tonnerre car je n’aime rien tant qu’être réveillé soudain vers minuit-une heure, dans ma maison bien noire, et sentir avec volupté mes deux chaussettes aux pieds, vaillantes gardiennes de ma sécurité. Ce n’est que justice. 

UN. — Vous pensez que la vie vous doit bien cela ?

DEUX. — Ce serait bien présomptueux. Non, je parlais de mes pieds.

UN. — Ils ont bien mérité qu’on les traite ainsi ?

DEUX. — Oui. Je les ai longtemps dénigrés. Notamment quand je disais, à propos d’un de mes contemporains : « Celui-là, est-il bête comme ses pieds ! » Ah ! bête comme ses pieds que voilà une bête façon de parler de ses pieds. Comme si les pieds étaient bêtes, mais en vérité il n’y a rien de moins bête qu’un pied. 

UN. — C’est pourtant vrai. C’est très intelligent, un pied. Et surtout plein de sollicitude et d’empathie. 

DEUX. — D’aussi loin que je me souvienne, ils m’ont toujours soutenu. 

UN. — Vos pieds ?

DEUX. — Oui. 

UN. — Les miens aussi, c’est juste. Combien de fois, alors que je ne savais pas quoi faire ou quoi dire, les ai-je regardés ?

DEUX. — Et je suis sûr qu’ils étaient là. Ils ont toujours été là, nos pieds. Alors je leur dois bien cela. Leur offrir des amies, ces chaussettes, de jour comme de nuit. Comme quand j’étais petit. Et que dans ma chambre très froide, je voyais le givre briller sur la face intérieure de la fenêtre. 

UN. — J’aimerais comme vous pouvoir donner un sens à ma vie. Hélas, je ne dors que pieds nus. Quand je garde mes chaussettes, j’ai l’impression d’étouffer. 

DEUX. — Vous êtes un chaud du pied, voilà tout. Il vous arrive bien d’avoir froid ?

UN. — Aux mains, parfois. 

DEUX. — Alors ne désespérez pas. L’hiver approche : pensez aux moufles. 

***

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