Une Femme Idéale par la Kompagnie du parapluie

La Kompagnie du parapluie dans la comédie de théâtre Une Femme Idéale de Rivoire et Cartier
La Kompagnie du parapluie et Johannes Landis, Salle Harmonie, Kintzheim, Bas-Rhin, avril 2024.

En avril 2024, nous nous sommes rendus à Kintzheim, Bas-Rhin, pour assister à une représentation de notre comédie Une Femme Idéale, qui était assurée par la Kompagnie du parapluie. Nous n’avions jamais vu la pièce, écrite en 2017. 

Cette représentation a été un vrai bonheur : le jeu d’acteur tout en finesse des trois interprètes, Sandrine Mansion, Françoise Losser et Frédéric Ries, ont déclenché les rires d’une salle de 170 personnes durant toute la soirée.  La régie d’Yves Martin et Richard Losser a été impeccable.

Le Théâtre Dialectal de Sélestat

La veille, nous avions eu le plaisir de rencontrer les artistes. C’est ainsi que nous avons appris que la troupe était une émanation du Théâtre Dialectal de Sélestat, qui perpétue une longue tradition théâtrale locale. Il est en fait la continuation de l’Ensemble théâtral Aloysia, qui faisait partie du Cercle Catholique Aloysia. Cette troupe existait depuis plus de 80 ans et avait commencé par représenter des scènes religieuses. Le Cercle ayant fermé en 2022, l’Ensemble s’est transformé en Théâtre Dialectal de Sélestat, rejoignant ainsi les nombreux théâtres dialectaux d’Alsace. Les productions du TDS ont l’habitude de présenter des décors complexes et impliquent ordinairement une troupe nombreuse. Bien entendu, les spectacles présentés sont en langue alsacienne. On peut citer, par exemple : De Valisel Kriej, adaptation d’Oscar de Claude Magnier. 

Depuis ce spectacle, le Théâtre Dialectal de Sélestat utilise du surtitrage en français, ce qui est cependant très contraignant pour les comédiens : aucune erreur de mémoire n’est possible. Il faut rester au plus près du texte de l’auteur. Les surtitres sont écrits sur un diaporama, lancé par une personne spécialement préposée. Si un comédien oublie du texte, alors le surtitrage doit rattraper le retard. Mais c’est aussi une contrainte pour le public, qui doit lire le texte alors que la pièce est en train d’être jouée. Même en étant un locuteur de la langue, le public est attiré par ce texte qui défile et qui le distraie fatalement d’une partie de ce qui se joue sur scène. 

Le Théâtre Dialectal de Sélestat
Le Théâtre Dialectal de Sélestat

On se figure en effet que la France, abstraction faite des langues étrangères parlées par des personnes issues de l’immigration, ne possède qu’une seule langue vivante : le français. En réalité, des langues régionales sont pratiquées sur des parties non négligeables du territoire. Si l’on s’en tient à la métropole, on peut parler ou entendre parler : le flamand occidental, le picard, le wallon, le francique, le normand, le champenois, le lorrain, le breton, le gallo, l’alsacien, le franc-comtois, le bourguignon-morvandiau, le poitevin-saintongeais, les parlers du Croissant, le francoprovençal, le limousin, l’auvergnat, le vivaro-alpin, le gascon, les parlers liguriens, le languedocien, le provençal, le basque, le catalan et le corse. Pour les Outre-mer, plus d’une cinquantaine de langues sont couramment pratiquées. 

Le théâtre amateur a toute sa place dans le rayonnement de ces langues régionales. L’exemple du Théâtre Dialectal de Sélestat n’est en effet pas unique, et les compagnies continuant de faire vivre ces langues sont légion. On pourra citer L’Effort Artistique d’Aix-en-Provence, qui joue des pièces en français mais aussi des traditionnelles pastorales en provençal.

La fondation de la Kompagnie du Parapluie

E Aich em Sturm par la Kompagnie du parapluie.
Le premier spectacle de la Kompagnie du Parapluie, en alsacien.

Toujours est-il qu’en 2018, Frédéric Ries, metteur en scène du Théâtre Dialectal de Sélestat, décide de créer une compagnie itinérante, plus souple sur le plan logistique. La Kompagnie du Parapluie, Kompagnie dàch am Schtacka, est née. Il se trouve que Sélestat est un canton d’une belle superficie et que les possibilités d’y jouer sont grandes.

La Kompagnie du parapluie a elle-même joué un premier spectacle en alsacien : E Aich em SturmUn chêne dans la tempête de Patrick Gass. Mais progressivement, l’idée germe de jouer en français. En effet, le public, tout en appréciant le fait de voir un spectacle en langue alsacienne, paraît demandeur de spectacles en français. D’année en année, l’alsacien en tant que langue tend à reculer : de moins en moins de personnes le comprennent et le parlent. Jouer en français signifie donc, pour la compagnie, acquérir un nouveau public. Cette expérience est advenue avec Une Femme Idéale, et c’est un honneur pour nous.

La Kompagnie du parapluie dans Une Femme Idéale, comédie de Rivoire et Cartier
Sandrine Mansion, Frédéric Ries et Françoise Losser.

Frédéric et Sandrine font du théâtre depuis les années 1990. Sandrine a également fait du théâtre musical. Tous les deux ont mené beaucoup de projets théâtraux ensemble. Ils ont également vécu des aventures artistiques très variées : spectacle historique dans un château, doublage du français vers alsacien. Sandrine est aussi impliquée dans une troupe qui investit les lieux du patrimoine. On a ainsi pu la voir dans le château du Haut Koenigsbourg, en sorcière brûlée sur le bûcher, au moment d’Halloween. Elle a également fait de la figuration dans une série TV anglaise.

Françoise, quant à elle, a rencontré le théâtre par hasard : un spectacle requerrait une chorale. Or il se trouvait qu’elle en dirigeait une. Elle fait donc la connaissance de la troupe qui lui propose un rôle : elle accepte. Puis, elle finit par intégrer le théâtre alsacien avec Frédéric. Elle a aussi fait de la figuration pour le film Couleur de l’incendie de Clovis Cornillac ou encore la série TV Une Affaire française

Le choix d’Une Femme Idéale

Le choix de notre comédie Une Femme Idéale s’est imposé à la compagnie. En effet, elle recherchait une pièce nécessitant une logistique légère, pour la faire tourner facilement. Notre texte, il est vrai, ne nécessite ni pesant décor ni accessoires nombreux. Par ailleurs, certains spectacles ont parfois une fâcheuse tendance à allonger le temps de représentation : trois actes peuvent facilement donner lieu à deux entractes, certes utiles pour apporter des recettes de complément, réalisées avec une buvette et une restauration légère. Une Femme Idéale permettait au contraire un spectacle resserré. La pièce en elle-même est calibrée pour durer 1h-1h10. La mise en scène de Frédéric Ries, par son interaction avec le public et l’ajout de quelques séquences picturales bienvenues, fait monter la durée à 1h20. On obtient donc une soirée théâtrale qui conserve une certaine brièveté.

Au-delà de ces questions de timing, ce qui a aussi plu à Frédéric est la construction dramaturgique de la pièce, que nous avons en fait découverte grâce à lui ! Il n’est pas rare, au bout du compte, que les artistes de la scène soient les meilleur-e-s analystes de nos pièces. C’est le cas pour Frédéric, qui nous a révélé la structure profonde d’Une Femme Idéale, que nous n’avions pas perçue au prime abord. On pourrait la décrire ainsi : l’imbrication de deux trios vaudevillesques. Le premier, explicite, est posé dès le début de la pièce : Armand, sa femme Virginie et sa maîtresse Estelle. On est là dans le plus pur vaudeville. Mais un deuxième trio, caché celui-là, se superposant partiellement au premier, émerge progressivement durant la pièce et l’emmène vers la comédie de caractères. Sur le plan temporel, les deux genres se succèdent dans la pièce : la première partie ressortit de plein droit au vaudeville, quand la deuxième partie appartient davantage à la comédie de caractères. Cela permet aux artistes d’expérimenter deux registres différents car fondés sur deux logiques distinctes. Dans le vaudeville, la situation façonne le personnage, alors que dans la comédie de caractère c’est le personnage qui façonne la situation. Frédéric a aussi été sensible à l’écriture des dialogues. 

Une Femme Idéale, comédie de Rivoire et Cartier par la Kompagnie du parapluie.
Une Femme Idéale, premier spectacle joué en français par la Compagnie.

La production du spectacle par la Kompagnie du parapluie

La Kompagnie a joué la pièce pour la première fois en 2021. Même si les éléments scéniques sont délibérément réduits, il n’en demeure pas moins que l’espace a été savamment construit, en se fondant sur une compréhension profonde de la situation : les vêtements jetés çà et là évoquent un déshabillage rapide. Des cartons de pizza, une bouteille de vin et deux verres laissent penser à un repas pris à la hâte. Le rouge, couleur de la passion, de l’amour, du flux vital, mais aussi du danger, de la blessure, du sang versé, domine l’ensemble. On relève aussi de très belles cornes d’animal, qui ne sont pas sans rappeler les cocufiages multiples de la pièce. Enfin, des toiles réalisées par Françoise elle-même viennent compléter l’ensemble. Dans une veine qui peut faire penser au Pop art, elles s’assemblent peu à peu à mesure que le puzzle des relations entre les personnages se reconstitue. 

Le décor d'Une Femme Idéale, comédie de Rivoire et Cartier par la Kompagnie du parapluie
Les toiles de Françoise Losser réalisées pour la production du spectacle.

Sandrine est une interprète mutine, pleine de pétillant et de fraîcheur. Françoise propose un jeu sobre, solide, toujours juste. Frédéric met en exergue la rouerie de son personnage, et entretient une connivence permanente avec le public.

L’une des représentations la plus mémorable de la Kompagnie a sans doute été La Poudrière, une galerie d’Art de Sélestat. La proximité entre les interprètes et le public était grande, vu la configuration du lieu. Cela a impacté le jeu, au point que le public a participé plus qu’à l’ordinaire et n’a pas hésité à apostropher les acteurs pour leur faire des suggestions.

Ce sont les rencontres qui permettent à la troupe de programmer des représentations. Ainsi, la Kompagnie a fait l’ouverture et la clôture du festival d’Herrlisheim, avec Une Femme Idéale. Cela a été l’occasion pour un des organisateurs du festival de Beblenheim de voir la troupe et de lui proposer de venir intégrer ledit festival. La logistique légère d’Une Femme Idéale a permis à la Kompagnie d’être réactive et de répondre présent. Actuellement, la compagnie a joué 8 fois la pièce.

La représentation de Kintzheim

Lorsque la Kompagnie a joué à La Poudrière de Sélestat, le lieu, splendide, n’avait pourtant pas le nombre de chaise requis pour une représentation théâtrale. C’est alors que Christian Schleifer, le maire de Kintzheim, leur a proposé de leur prêter le mobilier de sa commune. Quelle n’a pas été sa surprise lorsqu’il s’est aperçu que Sandrine était également une de ses patientes. En effet, en plus de ses fonctions électives, monsieur le maire est également médecin généraliste. Or la troupe, en venant chercher les chaises, stockées dans la salle Harmonie du village, se demande si elle ne pourrait pas y jouer. Le maire valide. Jérôme Culibrk s’est ensuite chargé de l’organisation et de la communication, afin de transformer la représentation en action caritative au profit de l’Amicale des donneurs de sang de Kintzheim. 

Après une représentation placée sous le signe du rire, une collation était proposée par l’Amicale. De la restauration légère typiquement alsacienne, accompagnée avec modération de vins blancs et crémants locaux ont participé à la grande convivialité de ce moment. Des échanges très sympathiques eurent lieu avec les spectatrices et spectateurs, le correspondant local des Dernières Nouvelles d’Alsace et la compagnie. Nous souhaitons remercier particulièrement Jérôme Culibrk, pour son travail important d’organisation, ainsi que Christian Schleifer, pour sa générosité et son accueil.

Les retours du public ont mis l’accent sur les surprises émanant des rebondissements qui émaillent l’intrigue. D’autres ont reconnu des réactions, des stratégies qu’ils ont ou eux-mêmes observer ou mettre en œuvre dans la vie réelle. 

Et maintenant ?

Les artistes sont maintenant en recherche d’une pièce en alsacien, susceptible de mobiliser les effectifs du Théâtre Dialectal de Sélestat. Ils examineront également les possibilités de jouer en français avec la Kompagnie du parapluie. En juin, ils feront un voyage ensemble, récompense d’une activité qui, tout en proposant un rendu très professionnel, reste bénévole, ne l’oublions pas. En outre, il est important, pour une compagnie de théâtre, de se ménager des temps de rencontre hors théâtre, qui ont l’intérêt de maintenir la cohésion et de faire découvrir ses partenaires de jeu d’une autre façon. Frédéric, Sandrine et Françoise se connaissent très bien, ce qui leur donne une complète liberté de jeu. Sur scène, quand ils s’enlacent ou s’embrassent, leur engagement est total ! Puis, à partir de juillet, les répétitions de la pièce en alsacien vont commencer. 

Pour ce qui est d’Une Femme Idéale, la pièce, ou son avatar, Un Mari Parfait, continuent leur course. En effet, Une Femme Idéale est une pièce à trois personnages : un homme et deux femmes. Mais nous avons tout de suite senti que cette pièce pouvait aussi se raconter avec deux hommes et une femme. Ainsi est née une version à dominante masculine : Un Mari Parfait. Et ces deux textes poursuivent leur voyage. Une production d’Une Femme Idéale a été lancée du côté de l’Océan Indien et La Compagnie Edolo de Bourgogne est actuellement en tournée avec le texte. Un Mari Parfait n’est pas en reste puisqu’il est en ce moment joué par L’Effort artistique d’Aix-en-Provence 

Quoi qu’il en soit, cet article est encore une fois l’occasion de remercier toutes les compagnies qui choisissent Rivoire & Cartier : sans elles, nous ne serions rien !

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