Les Débutants ont créé notre comédie L’Imparfait du subjectif le 18 novembre 2023. Retour sur une production amateur qui va au plus près du public.
L’Imparfait du subjectif : une pièce de théâtre cousue main
L’Imparfait du subjectif est une pièce de théâtre écrite spécifiquement pour Sabrina Clauss et François Mariano, comédiens de la compagnie. Il est le pendant de Meurtre au Château. Autant ce dernier est monologué, autant L’Imparfait du subjectif est dialogué.
De Meurtre au Château était née une satisfaction : le rapport direct au public. En effet, cette dernière pièce est constituée de 18 monologues et un dialogue. Les interprètes sont donc presque toujours en face à face avec le public. Monologuer, cela veut dire prendre toute la scène pour soi et communiquer de manière très forte avec les spectateurs et spectatrices. On tisse un lien tout à fait particulier avec elles, eux. Cependant, le revers de ce dispositif est aussi une certaine solitude scénique. Sabrina et François ont alors exprimé l’envie d’un texte qui leur permettrait d’être davantage en présence l’un de l’autre.
Le défi d’écriture était de construire une pièce d’une heure avec seulement deux personnages. Certes, l’exercice avait déjà été réalisé avec Collision. Mais il fallait en quelque sorte renouveler l’exploit. Dans une pièce avec sept ou huit personnages, le nombre de personnages en lui-même est un facteur d’action et de rythme. Facteur d’action d’abord : chacun·e peut être doté·e d’un désir et par conséquent engendrer une intrigue. Facteur de mouvement, ensuite : chacun·e, par le simple fait qu’il entre en scène ou s’éclipse en coulisse, amène de la vie. Dans une pièce à deux, il en va autrement. Les lignes de désir ont tendance à se restreindre et les entrées et sorties se limitent. Pour que l’action puisse se développer, on a donc utilisé la technique du secret. Chaque personnage porte ainsi en lui divers secrets, qui vont être progressivement dévoilés durant la pièce. L’écriture consiste donc à dissimuler des informations stratégiques et à les dévoiler au meilleur moment. Chaque révélation va peser sur l’action et la relancer dans une direction différente de celle où elle était engagée auparavant. Quelle est l’intrigue de la pièce ? La voilà : Louis, directeur d’une institution catholique, s’apprêtait à passer une soirée tranquille. C’était sans compter l’incursion d’un visage de son passé.
L’imparfait du subjectif a été écrite en majorité sur la ligne R entre Fontainebleau et Paris-Gare-de-Lyon, dans des trains s’arrêtant à Melun et Bois-le-Roi. C’est donc une production d’écrit ferroviaire !… Les corrections finales ont été apportées dans notre bureau, où nous disposons de tous les usuels et autres dictionnaires nécessaires. Comme toujours, nous avons œuvré sur notre fidèle MacBook Pro et son increvable word.
Écrire dans le train est l’ordinaire de Rivoire & Cartier. Les Regio 2N sont des bureaux très confortables et très tranquilles surtout quand ils naviguent en pleine forêt de Fontainebleau. Sur ce mode d’écriture, Italo Calvino a laissé des pages magnifiques dans ses Leçons Américaines. La vitesse du train met pour ainsi dire en mouvement les pensées et les mots. Le paysage qui défile à travers la vitre matérialise ce qui pourrait être une avancée de l’action. Les arrêts en station rythment la séquence de travail qui prend la régularité d’une session ayant presque toujours la même durée. Cela devient un véritable rituel.
La démarche d’écriture a plus particulièrement consisté, au départ, à construire un squelette comprenant les révélations majeures de la pièce. Une fois ces nœuds dramatiques trouvés, définir leur meilleur ordre d’apparition a été la deuxième étape. De là a découlé un travail d’approfondissement des personnages. C’est alors qu’on est revenu sur le squelette des révélations pour leur donner de la chair. Cela a donné une sorte de continuum de contenu, d’événements, de paroles, à partir duquel s’est élaboré le dialogue. Le dialogue lui-même a connu deux versions. La première était assez neutre. Elle collait à l’action et aux informations nécessaires pour la progression de l’intrigue. La deuxième version a ajouté une deuxième couche à la première version, plus orientée vers le comique. Il s’est agi de se fonder sur les informations et éléments de la première version pour produire des punchlines en résonnance avec le sens proposé. L’écriture ne produisait plus de l’information ou de l’action mais un commentaire décalé sur ces dernières. Les techniques de rupture et de construction alors ont été privilégiées pour la rédaction de ces répliques : antithèses, oxymores, parallélismes, chiasmes, etc.
Très vite, en travaillant sur les personnages, il a semblé intéressant de faire de Louis le directeur d’un Institut catholique. Il ne faut y voir là aucune catholico-phobie : un personnage parfaitement structuré sur le plan des valeurs était ce qui convenait pour montrer la puissance de déstabilisation d’Isa. Le personnage de Louis, d’une certaine façon, représente l’Ordre : le professeur, le croyant, le pratiquant, une vie installée et régulière. Isa, au contraire, représente le Désordre : mère d’un enfant sans père, nomade, profession ambiguë, etc. Et si, au bout du compte, elle en vient à tant perturber Louis, c’est en raison de la manière dont elle se représente le passé. Voilà le thème de la pièce : l’idée que nous nous faisons du passé. Que ce passé ait réellement existé ou non, ce n’est pas l’essentiel. Ce qui compte, c’est ce que nous en gardons. Ce qui est important, c’est que nous continuons à rêver ce passé et c’est ce rêve-là qui peut influencer notre présent.
Vingt-trois heures environ ont été nécessaires pour écrire le texte. La première version comportait près de 10 000 mots. À l’automne 2023, le texte a été coupé et réduit à 7000 mots.
Les premières esquisses du texte datent d’octobre 2020. Une première mouture du texte a été achevée en décembre 2020 sous le titre « Questions de principes ». Les répétitions ont commencé à l’été 2022. Elles se sont accélérées au printemps et à l’automne 2023. La répétition générale a eu lieu le 12 novembre 2023 en Bourgogne, chez François. Les deux premières représentations ont eu lieu le 18 novembre 2023, à Thomery, chez Johannes, qui avait réaménagé son salon en théâtre de 21 places. Puis, la troisième représentation a eu lieu à Brennes, chez un particulier, le 2 décembre 2023, devant 25 spectateurs.
Les Débutants, une compagnie d’expérience
La compagnie des Débutants est aujourd’hui formée par trois amis, Sabrina Clauss, François Mariano et Johannes Landis. Ils se sont rencontrés au collège et maintiennent entre eux un lien amical et théâtral depuis de très nombreuses années. Sabrina est professeur des écoles. Elle anime également des ateliers théâtre et pratique l’improvisation. François, de son côté, est juriste. Johannes, professeur de communication et de théâtre, est aussi le directeur littéraire de Rivoire & Cartier.
Toutefois, la compagnie n’a pas toujours été en effectif si resserré. En effet, lors de sa création, elle comportait une dizaine de membres. Ce fut alors pour la troupe une période jalonnée de créations : Ma Solange comment t’écrire mon désastre Alex Roux de Noëlle Renaude, Palace de Jean-Michel Ribes, On purge bébé de Georges Feydeau, L’Augmentation de Georges Perec. Cependant, les changements géographiques et personnels ont conduit la compagnie à se concentrer avec le temps. Ne sont restés que trois des fondateurs, qui ont poursuivi l’aventure théâtrale.
Sabrina est dotée d’une vraie puissance comique, mais elle sait aussi porter des nuances plus sensibles. François, de son côté, n’est pas en reste, même s’il s’agit d’un comique plus noir, pouvant même à l’occasion devenir inquiétant. Il aime aussi embarquer ses partenaires dans des improvisations pas toujours prévues… Johannes a, de son côté, participé à de nombreux spectacles. Il préside par ailleurs la Compagnie de Théâtre Amateur de Moret. Il a toujours mis en scène ses amis, jouant avec eux à l’occasion.
L’Imparfait du subjectif par les Débutants : théâtre à domicile
Pour L’Imparfait du subjectif, tout en restant à la mise en scène, Johannes a esquissé le dispositif scénique avec Sabrina. Cette dernière a endossé le rôle d’Isa, François prenant celui de Louis.
Le fauteuil Voltaire a été prêté par Joëlle Valet, souffleuse dans la Compagnie de Théâtre Amateur de Moret. L’affiche a été réalisée par Catherine Landis, ancienne graphiste de presse, qui avait aussi créé celle de Meurtre au Château. Johannes lui a demandé de reprendre le style de la précédente, afin de créer une unité.
Le public de la compagnie est restreint, comme c’est souvent le cas pour le théâtre amateur. Il s’agit d’un cercle de connaissances élargi, qui se construit beaucoup sur le bouche-à-oreille.
La mise en scène a volontairement réduit le dispositif scénique, pour le rendre léger et transportable. Un tapis et un paravent permettent de délimiter l’espace. Le fauteuil Voltaire et la bouteille de whisky signalent l’appartenance sociale de Louis. Un pliant se cache sous le fauteuil, une cravache derrière le paravent, et deux verres remplis de « Champagne » attendent en coulisses.
Les répétitions ont majoritairement eu lieu en Bourgogne, dans la maison de campagne de François, sur 14 mois. Répéter en maison n’est jamais commode, mais c’était justement l’un des buts de la pièce : jouer à domicile. Les Débutants avaient déjà pu expérimenter ce format avec Meurtre au Château, qui avait été joué à la fois dans des théâtres et à domicile. Il s’agissait de réitérer la chose avec L’Imparfait du subjectif. Aussi, répéter en maison paraissait l’idéal, afin de se placer d’entrée de jeu dans les conditions de représentation.
Jouer le spectacle à domicile, cela veut dire, en tant qu’interprète, avoir le public au plus près de soi. Cela veut dire l’entendre respirer, faire des commentaires, recevoir de manière décuplée ses réactions, parfois jouer avec lui. Lors du spectacle, au cours d’un passage particulièrement tendu, le personnage de Louis doit tomber au sol. Or, lors de la troisième représentation, il est tombé entre les jambes d’une personne, ce qui a provoqué une floppée de rires chez le public. François s’est contenté de se retourner lentement, a regardé la personne en question, puis s’est relevé et a poursuivi. Ce n’était pas grand’chose, mais dans ce simple jeu il y a tout le sel d’une représentation de théâtre à domicile : une interaction beaucoup plus forte que lors d’une représentation en salle. Une autre conséquence du théâtre à domicile est le renforcement de l’illusion théâtrale. Elle souvent difficile à obtenir, contrairement à la télé ou au cinéma, qui bénéficient d’un fort effet de réel. Au cinéma ou devant une série, il n’est pas rare d’oublier qu’on est au cinéma ou devant une série. Il est assez commun de plonger complètement dans la fiction. Au théâtre, c’est plus difficile de ne plus voir qu’on se trouve devant des interprètes sur une scène… Or, lors d’une séance de théâtre à domicile, il est plus fréquent de laisser de côté cet l’artifice. Le fait que le public se trouve dans un véritable salon, une véritable maison, un véritable appartement, cette présence dans un lieu non initialement prévu pour le spectacle accroît l’illusion de se trouver en face de personnes réelles. Ce brouillage entre réalité et fiction fait de plein droit partie du plaisir du théâtre à domicile et c’est ce type de sensations que la compagnie voulait retrouver.
Les répétitions ont suivi un protocole déterminé. La première étape était toujours une italienne. On en rappelle ici la définition : ce qu’on appelle une « italienne » est l’abréviation de « répétition à l’italienne ». Les interprètes sont alors cul sur la chaise et jouent leurs répliques sans gestes ni mouvements. Cette manière de travailler a toujours été pour la compagnie la base de son travail. Cela part de la conviction qu’une oralisation du texte de qualité est la meilleure voie d’accès au jeu. L’italienne telle que la compagnie la pratique n’est en effet pas une occasion de bouler le texte le plus vite possible, mais bien un moment pour jouer le texte dans ses nuances. Les Débutants partent du principe que si ce jeu « audio » fonctionne, alors la mise en espace se déroulera bien. Tout se passe comme si une oralisation satisfaisante impliquait un « mouvement » ne demandant qu’à s’imprimer dans l’espace. En répétition, Johannes ferme d’ailleurs souvent les yeux pour « écouter » les interprètes. Le texte « respire-t-il » bien ? Les silences disent-ils quelque chose de ce qui se noue entre les personnages ? Ne sont-ils pas trop longs ? Tel passage n’est-il pas trop rapide ou au contraire trop lent ? Il y a quelque chose de musical là-dedans.
Une fois cette première étape franchie, arrive la mise en espace du texte. Pour Johannes, il s’agit surtout de trouver une dynamique optique porteuse de sens, déplacements, postures et gestuelles venant compléter ou contredire le texte. C’est à ce moment que tout le travail de l’italienne donne ses fruits. Bien « dire » le texte implique une profonde compréhension des personnages. Sabrina et François arrivent donc dans l’espace « pleins » de leurs personnages. Aussi, leur jeu est déjà assuré et ils sont à la source de l’essentiel des propositions de jeu, qui sont examinées, affinées, retenues ou supprimées collectivement avec l’œil extérieur de Johannes. L’italienne a permis une sorte d’accord fondamental à partir duquel il est possible de faire des variations. La direction d’acteur s’axe alors sur le sous-texte, le non-dit, ainsi que sur les ruptures de ton.
À l’automne 2023, la compagnie fait un premier filage qui monte à 70 minutes. C’est trop de 10 minutes par rapport au format fixé. 1h était en effet la durée visée, afin de s’insérer de manière fluide dans les programmations de festival. Des coupes sont réalisées. Le spectacle tombe à 45 minutes. Cela devient trop court : demander aux gens de se déplacer pour trois quarts d’heure de spectacle, ça paraît peu. Le projet actuellement est donc de réintégrer un certain nombre de coupes et d’inclure dans la mise en scène une séquence purement non verbale afin de se rapprocher des 60 minutes désirées.
Les premières représentations ont permis d’observer quelques réactions dans le public. Les rires dominent les deux premiers tiers de la pièce. Sur le dernier tiers, les réactions se font plus inquiètes : comment tout cela va-t-il finir ? Cela semble logique : comme souvent avec Rivoire & Cartier, le fond de l’intrigue est plutôt noir. Et puis, in fine, c’est le soulagement…
D’autres représentations publiques sont prévues en salle de spectacle, à Montcourt-Fromonville mais également à Paris. Plusieurs représentations privées sont en cours de négociation. À domicile, l’entrée du public se fait généralement au chapeau. Les dépenses de montage n’ayant pas dépassé 300 EUR, le spectacle se révèle très rentable.
Le souhait de la compagnie est maintenant de jouer le spectacle le plus longtemps possible. Répéter un spectacle est une somme d’efforts très importante. Aussi, le jouer tant qu’il y a de la demande semble la meilleure réponse. Tout en continuant de jouer L’Imparfait du subjectif, la compagnie va aussi continuer de proposer Meurtre au Château, pièce dans laquelle François et Sabrina peuvent explorer de multiples facettes de leur jeu.
Toutefois, il est aussi bon de préparer la suite… À peine la première représentation de L’Imparfait du subjectif passée, François et Sabrina faisaient à Johannes une proposition : un sujet de pièce. Ou plutôt un cadre, voire un genre. Il faut maintenant se mettre au travail… Mais ce ne sera pas pour tout de suite. En attendant, on peut suivre l’actualité de la compagnie sur Facebook.
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