Pièces de théâtre

Un théâtre à jouer pour déjouer nos travers

Pour une compagnie, mener une saison théâtrale complète est un exercice complexe. Certes, il y aura sans doute un spectacle à mettre en répétition, peut-être un spectacle ou d’autres à reprendre. Par ailleurs, la compagnie sera sûrement amenée à jouer. Voilà ce que pourrait dire un observateur extérieur, peu versé dans la pratique théâtrale. Mais ces quelques éléments ne sont que la partie immergée d’un iceberg de taille imposante, constitué d’un nombre important de choses à faire. Il est bien vrai, ce mot de Louis Jouvet, lorsqu’il affirme qu’une représentation théâtrale réussie est une « suite de catastrophes évitées de justesse ». 

En effet, le risque est grand d’oublier une chose importante, voire capitale pour le lever du rideau. La conséquence de ce genre d’oublis est une montée de stress, qui peut produire de la tension et nuire à l’état de décontraction nécessaire au bon déroulement du spectacle. Le doute, la peur et la colère envahissent alors les esprits, alors que le collectif devrait seulement être tourné vers ce plaisir du partage propre à la représentation théâtrale.

Comment faire pour ne rien n’oublier ? Comment s’y prendre pour que tout soit fait en temps et en heure ? 

Nous vous proposons d’envisager cette situation en « mode projet ». En effet, ce mode vous permettra de définir tout ce qui doit être fait et d’en assurer le suivi. Qu’est-ce que ce « mode » ? C’est une certaine façon de gérer une action collective. 

Définition du terme de “projet”

On peut définir un projet comme un processus unique comportant une date de début et une date de fin avec un objectif. Le projet a un caractère temporaire et aboutit à un résultat unique. Par exemple, une chorale met au point un nouveau récital, un club de photo monte une exposition. Dans les deux cas, il y a un début, une fin et un résultat unique. En revanche, le fait que chaque chanteur ou chanteuse doive entretenir sa voix et son articulation ne peut être considéré comme un projet, puisqu’il n’y a pas de date de fin. Par définition, une tâche journalière n’est pas un projet : l’une et l’autre n’ont pas les mêmes finalités et n’impliquent ni les mêmes méthodes, ni les mêmes processus. 

Qu’est-ce qu’un processus ? Un processus est un ensemble d’activités ayant un lien les unes avec les autres, et faisant passer des éléments d’un état A à un état B.

Concrètement, il s’agit de diviser une activité en sous-parties de manière à isoler le fonctionnement de chacune d’entre elles. Une « approche processus » permet une plus grande précision dans la gestion et le pilotage d’une activité. 

Nous avons tous travaillé en approche processus un jour ! Prenons l’exemple d’une recette de cuisine. Le processus « réaliser un gâteau » est décomposé en plusieurs activités. Casser les œufs, mettre de la farine, remuer etc. sont autant d’étapes qui peuvent être réalisées individuellement, mais qui, mises bout-à-bout participent à la finalisation du projet, ici, le gâteau. 

Qui intervient pour chaque tâche ?

De quoi ai-je besoin pour chaque tâche ?

Combien de temps prend chaque tâche ?

Est-ce que les tâches ont un ordre ou une dépendance entre elles ? Peuvent-elles être réalisées simultanément ?

Pour quand mon processus doit-il être terminé ?

En répondant à ces questions, sans vous en rendre compte, vous faites du management de projet. Manager un projet veut dire prendre en compte une triple contrainte : le coût, le délai et la qualité. Le coût est le budget alloué au projet, le délai est la date pour laquelle le projet doit être prêt, la qualité sont les caractéristiques intrinsèques du résultat du projet. 

Un projet a un cycle de vie que l’on peut représenter sous la forme de la « roue » de Deming, ou méthode PDCA, acronyme de to Plan, to Do, to Check, to Act. Ces quatre étapes se suivent et s’enchaînent dans un processus d’amélioration continue. 

To Plan : planifier. C’est l’étape la plus importante et la plus chronophage : la cheffe de projet va définir toutes les composantes du projet. Bien entendu, les choses ne sont jamais figées et il est habituel de revoir le planning à plusieurs reprises. 

To Do : faire. Il s’agit de la phase de réalisation du projet. Elle dépend étroitement de l’étape de planification puisque le chef de projet va mettre en œuvre tout ce qui a été planifié par ses soins. La cheffe de projet pourra revoir sa planification si des modifications interviennent dans la vie du projet.

To Check : vérifier. C’est une étape extrêmement importante : il s’agit de contrôler les différentes phases d’avancement du projet. Ces points de passages sont appelés « jalons » et vont permettre au chef de projet de constater les écarts entre ce qui était prévu (To Plan) et ce qui a été fait (To Do). Chaque jalon induit l’achèvement d’une tâche et le lancement de la suivante. Le jalon marque souvent la production d’un livrable ou au moins d’une revue de projet. Sur le passage du jalon, le chef de projet procède à la vérification du livrable, contrôle la qualité, la tenue du budget et des délais. Il ajustera son planning si nécessaire. 

To Act : agir. Cette étape est la suite immédiate du Check. Des décisions sont prises pour corriger les écarts constatés.

Nous allons maintenant voir, étape par étape, des méthodes et des outils qui vont vous permettre de gérer en toute sérénité votre saison théâtrale. 

La charte de saison

Ça y est, la saison théâtrale en cours touche à sa fin et vous êtes en train de réfléchir à la saison suivante. Pour cette première approche de votre future saison, il est nécessaire de définir les grandes lignes ainsi que les résultats attendus. Pour vous donner les moyens d’être efficace, vous rédigerez une « charte de saison ». Ce document ne peut se construire qu’avec les parties prenantes de la saison, puisqu’il faut définir les rôles et collecter les exigences de chacun et chacune. 

Suivant la complexité de votre saison théâtrale, le contenu de votre charte peut varier. Il peut être très précis avec par exemple, la définition des différents livrables, l’organisation générale du projet et même un nombre de spectateurs à atteindre. Et certaines fois, au contraire, il peut être très vague et se contenter d’une description sommaire de la saison et de sa triple contrainte budgétaire, temporelle et qualitative. Sachez que plus vous serez précis, plus vous pourrez ultérieurement quantifier le coût, les délais et construire le rétro-planning. Une charte de saison n’a ni contraintes de précision ni limites. L’objectif sous-jacent de la charte est d’obtenir des précisions qui vont faciliter la planification de la saison et contribuer à en assurer une meilleure compréhension par toutes les personnes qui y contribuent.

En voici les composantes : 

Titre et description de la saison : l’intitulé d’une saison correspond souvent aux années civiles sur lesquelles elle court. La saison théâtrale commençant traditionnellement en septembre et s’achevant en août, il est commun de parler de la « saison 2023-2024 » ou de la « saison 2024-2025 ». Mais naturellement, vous pouvez donner un titre à votre saison, pour mettre en valeur l’orientation phare que vous souhaitez lui donner, par exemple « développer nos publics » ou « « Jouer plus et plus loin ».

C’est également dans cette partie que vous pouvez donner des éléments de contexte et d’environnement global, par exemple, le fait que les institutions ou les collectivités sont frappées par l’inflation et rechignent à acheter des spectacles.

Objectif de la saison : Quel(s) besoin(s) votre saison va-t-elle satisfaire ? Monter un nouveau spectacle ? Diffuser un spectacle déjà monté ? Aborder un nouveau répertoire ? Développer la formation ? Acquérir des spectateurs ? Pouvez-vous chiffrer ces besoins ?

Périmètre de la saison : agirez-vous au plan local, national, international ? Portée pour les publics : quelles sections de la compagnie sont concernées ? Quelles sont les cibles visées ? Par exemple, si vous souhaitez développer l’éclairage de vos spectacles, le régisseur lumière sera particulièrement concerné. Si vous voulez créer un vivier pour pérenniser vos effectifs par le biais d’un atelier, vos cibles seront donc des personnes désireuses de s’initier au théâtre et extérieures à la compagnie.

Contraintes et hypothèses de réalisation : On évoque déjà ici les risques identifiés, comme par exemple, le départ d’une décoratrice faisant peser la réalisation du décor sur le seul décorateur restant.

Nom du responsable ou de la cheffe de la saison, ainsi que son niveau d’autorité pour légitimer ses interventions au sein de l’organisme et plus particulièrement des équipes qui ne sont pas sous son autorité. Ce peut être la présidente de la compagnie ou la metteure en scène. 

Identification des compétences requises, ainsi que des ressources pré-assignées si elles sont connues : nombre de membres de la compagnie, disponibilité financière sur le compte bancaire, etc. Si vous souhaitez développer la diffusion de votre spectacle, vous aurez besoin de compétences en relations commerciales, par exemple. 

Identification des besoins en prestation externe : impression, traiteur, mise en scène, régie, etc.

Les principaux livrables prévus : un spectacle prêt à jouer, par exemple. 

Étude préliminaire des coûts dans les grandes lignes, il s’agit d’un budget estimatif.

Hypothèses de planification : macro-planning. 

Ce à quoi peuvent s’ajouter une description sommaire de la portée de la saison et sa relation avec le plan stratégique de la compagnie.


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Le plan de management de saison

Une fois la charte de saison mise au point, l’heure sera venue d’élaborer un plan de management de la saison. Ce plan décrit la manière dont la saison sera planifiée, gérée, maîtrisée et close. Il s’appuie sur la charte de saison et le développe. En voici les composantes :

Introduction : elle précise les documents applicables, comme les statuts de la compagnie et éventuellement son règlement intérieur ainsi que les règlements intérieurs des locaux qu’elle utilise. 

Présentation de la saison : on mentionne ici les intervenants principaux de la saison (comédiennes, metteuse en scène, accessoiriste, administrateurs, etc.), les objectifs, les facteurs clés de succès, les référentiels règlementaires comme l’obligation d’assurance civile, le droit d’auteur, la règlementation des activités artistiques professionnelles et amateurs, etc. 

La prise en compte du déroulement de la saison : on indique les conditions qui peuvent faire évoluer le plan de management de la saison (départ d’un comédien, annulation ou déplacement de représentation, changement de conditions, etc.), les réunions de point d’étape de la saison sont programmées, on précise la manière dont les retours d’expérience et les leçons apprises durant la saison sont consignés, on définit comment sont traitées les demandes de changement, on établit la check-list des jalons des phases majeures de la saison, on précise comment la saison sera clôturée et comment seront enregistrés les changements, enfin on fait la liste de tous les documents relatifs au management de la saison.

Processus de la validation des exigences : on définit les exigences de la saison (par exemple : chaque membre de la compagnie joue et ait un rôle intéressant, le spectacle fait rire le public, le spectacle comporte un entracte, etc.), la manière dont elles peuvent être modifiées et vérifiées.


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C’est à ce moment qu’est précisé le produit final, par exemple : un spectacle issu du répertoire de Boulevard avec un décor complexe, des intermèdes musicaux joués en direct et une trentaine d’effets lumière différents. On définit alors les livrables de la saison : continuité jouée, décor, costumes, accessoires, affiches, etc. En prenant appui sur ce document, on présente alors l’organigramme des tâches (ODT) de la saison, lequel montre les tâches nécessaires à l’élaboration de chaque livrable. 


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La gestion de l’échéancier de la saison : à partir de l’ODT, on met en séquence chaque activité, en lui attribuant un responsable, un délai de réalisation au plus tôt, normal et au plus tard. C’est qu’en jargon de projet, on appelle un diagramme de gantt, du nom de son inventeur.


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Le budget de la saison : On fait un budget prévisionnel de la saison. 

La gestion de la qualité : Quand les réunions d’étapes de la saison sont-elles placés ? Qui est chargé du contrôle de la qualité ? Comment garde-t-on la mémoire de ces contrôles ?

La gestion des ressources : quelle est l’équipe du projet ? Quelles ressources sont internes, quelles ressources sont externes ?

La gestion des risques : Et si un comédien est indisponible alors qu’une représentation est programmée, que faire ? Cette partie du plan de management identifie les risques et présente les actions à même de réduire les risques majeurs.

La gestion des communications de la saison : cette gestion peut s’appuyer sur différents indicateurs. 

Indicateur « Suivi budgétaire »

Indicateur « Planning à 45° »

Indicateur « Couverture des exigences »

Indicateur « Suivi des risques »

Indicateur « Stabilité des exigences »

Indicateur « Qualité produit »

Indicateur « Qualité processus »

Indicateur « Nombre d’incidents »

On dressera alors le tableau de bord complet de la saison. Ci-dessous, vous trouverez un tableau de bord correspondant à une réunion de suivi du projet.


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La gestion des approvisionnements : quels sont les fournisseurs ? (charpentier, décoration intérieure, brocante, imprimeur) quels sont les cahiers des charges à élaborer ? Comment sélectionner les fournisseurs ?

La gestion de l’engagement des parties prenantes : comment s’assurer de l’implication de tous et toutes ?


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Les autres phases de la saison

To do : faire. 

À partir de la charte de la saison, la cheffe de projet pourra donner à chacun et à chacune les tâches qu’il ou qu’elle doit réaliser, la qualité inhérente à ses tâches, la date pour laquelle elles doivent être accomplies, ainsi que le budget alloué, le cas échéant. 

Les phases To Check, vérifier et To Act, agir, viendront lors des réunions d’étape de la saison. Pendant ces réunions d’étape, on complète le tableau de bord de la saison. Chaque jalon est alors évalué. Trois possibilités s’offrent au responsable de la saison : le jalon est validé, le jalon est terminé, le jalon est refusé. Avec cette dernière possibilité, une action correctrice est mise en place. Cette dernière peut jouer sur les trois pilliers de tout projet : on décale de délai pour parvenir à la bonne réalisation du jalon, on ajuste le budget en programmant une dépense supplémentaire, on change la qualité. Exemple : le vase de la petite commode de votre décor doit être peint en rose pour le 19 janvier. Or, lors de la réunion d’étape du 20 janvier, la cheffe de projet note que le vase n’est toujours pas peint. Le jalon correspondant est donc refusé et voici comment est gérée la chose : on ne peut pas jouer sur le délai car la première est le 21 janvier. Prévoir une dépense supplémentaire serait inutile, on ne jouera donc pas sur les coûts. En revanche, on jouera sur la qualité : le vase sera retiré du décor, car sans peinture, il ne s’accorderait pas avec le reste. 

Voilà, vous disposez à présent de tous les outils nécessaires pour gérer votre saison théâtrale. À vous de les utiliser et les adapter à votre configuration : nous les avons présentés en détail, mais ils peuvent être simplifiés lorsque le projet a une voilure réduite et une équipe plus légère.