Omnibus Café 6F/3H



Un café, des lingots et l’addition svp !

Accordez-nous moins d’1h30 de lecture et découvrez comment faire entrer votre public dans un café haut en couleurs (même si plusieurs de vos interprètes débutent).

On a 3 questions rapides à vous poser : 

🆘 Est-ce que vous avez assez de tomber sans cesse sur des textes qui ne correspondent jamais à votre répartition femmes/hommes ?

🆘 Est-ce que vous n’en pouvez plus de ces pièces où les scènes tirent en longueur ?

🆘 Est-ce que vous faites partie de ces personnes qui détestent les comédies bébêtes où l’on n’apprend rien ?

Si vous avez répondu oui à au moins deux questions, alors lisez vite ce qui suit !

À l’Omnibus Café, les clients vont et viennent. Habitués ou voyageurs de passage, chacun a son histoire. Une valise remplie de lingots viendra troubler la petite musique du quotidien. « Omnibus Café » est une comédie au rythme vif sur le thème du mensonge.

En accédant au texte intégral d’Omnibus Café, vous obtiendrez un fichier pdf de 77 à 91 pages pour un poids ultra-réduit entre 484 ko et 588 ko. Le fichier est donc très facilement téléchargeable sur votre téléphone, votre ordinateur, votre tablette et imprimable à volonté. La mise en page vous permettra de noter sur le texte toutes les indications et notes de régie que vous jugerez utiles.

Avec « Omnibus Café » vous découvrirez :

✅ une comédie faisant avancer de front 4 intrigues, relançant sans cesse l’intérêt du public

✅ une histoire d’amour très vaudevillesque, proposant au public un type d’humour qu’il a toujours plaisir à retrouver

✅ des personnages attachants, donnant aux interprètes l’opportunité de gagner la sympathie du public

✅ une pièce aux très nombreuses distributions possibles, s’ajustant avec plasticité aux effectifs de votre compagnie

✅ une comédie sur le thème du mensonge, qui proposera à votre public de réfléchir tout en se distrayant

✅ des scènes de comptoir philosophico-alcoolisées qui emporteront les rires des spectateurs

La pièce a été jouée à plusieurs reprises ces dernières années : 

🎭 Compagnie théâtrale du Pontot, Étalans, mars 2020

🎭 Bureau des Arts, Excelia Group, La Rochelle, mars 2020

🎭 Fleury Comedy, Fleury-La-Montagne, mars 2023

🎭 Théâtre du Coutzet, Delannoye, Suisse, novembre 2023

🎭 Bureau des Arts, Sciences-Po, Le Havre, mars 2024

🎭 Genlis en scène, Bonnerencontre, mars-avril 2024 

🎭 Maison pour tous, Villers-Bretonneux, juin 2024

🎭 La Ruche Prod, Villiers-Saint-Georges, juin 2024

🎭 Les Super Risouilles, Ardèche, octobre 2022- juin 2024

Bonne nouvelle : la lecture, le téléchargement et l’impression d’ « Omnibus Café » sont totalement gratuits !

Intéressé-e ? Attention, cependant : cette pièce est fortement déconseillée aux personnes qui n’aiment pas l’atmosphère si particulière des bistrots.



Omnibus Café fait partie de nos textes les plus joués. Chaque année, il est monté par plusieurs compagnies. La pièce donne l’occasion de reconstituer une ambiance « bistrot » qui fait toujours mouche sur le public.

Voici un choix de quelques productions.

La compagnie Fleury Comedy a joué la pièce au printemps 2023, en Saône-et-Loire. Une troupe de 8 interprètes, avec une répartition équilibrée : 4 femmes 4 hommes.

La compagnie du Val de Gartempe, à l’automne 2019, a joué la pièce une dizaine de fois dans le département de la Vienne. Une distribution avec 7 interprètes, pour 5 femmes et 2 hommes.

La clé des Champs, à l’automne 2018, est la compagnie qui a joué pour la première fois la pièce. C’était à Andel, en Bretagne. La distribution était très large et incluait une quinzaine d’interprètes.

La captation intégrale du spectacle se trouve sur Youtube. Vous pouvez la découvrir ci-dessous.

Texte intégral d’Omnibus Café version 17 personnages à lire ou à imprimer

Personnages

Simonela patronne férue d’astrologie.

Renéle patron fanfaron.

Stéphane ou Stéphanieconducteur ou conductrice de train au bout du rouleau.

Johannela serveuse multi-tâches en quête d’amour.

Maître Duclosavocat-e désabusé-e.

Isapétillante contrôleuse en trains régionaux.

Nadiacontrôleuse en trains grandes lignes, belle mais glacée.

Christianauteur de théâtre indécis.

Erikprofesseur de chant très amateur.

Carlo ou Carla Bagarellaaccent italien, féroce.

Gino ou Gina Bagarellaaccent italien, cauteleux/cauteleuse.

Nini, vendeuse aveugle de cartes postales et de crayons.

Fredun-e client-e souriant-e

Jeanne ou Jeanun-e client-e fauché-e.

Dominiqueun-e client-e généreux/généreuse.

La Friteun-e client-e inquiète. 

Mimiun-e client-e fort-e en gueule.

NOTE

  1. Les scènes avec les personnages de Fred, Jeanne/Jean, Dominique, La Frite et Mimi sont autonomes et peuvent être coupées sans gêner le bon déroulement de la pièce. 
  2. Plusieurs rôles peuvent être joués par un-e même acteur/actrice.
  3. Les rôles de Stéphane/Stéphanie, Maître Duclos, Gino/Gina, Carlo/Carla, Fred, Jeanne/Jean, La Frite et Mimi peuvent indifféremment être joués par des hommes ou des femmes.

Le décor

Une salle de café. Un comptoir, un panneau « Omnibus Café », tables, chaises, mobilier ad libitum. 

Derrière le bar, Simone, la patronne, est en pleine lecture du journal. René, le patron, est assoupi dans un coin. Fred, un-e client-e élégant-e, est assis-e et consulte son téléphone. Johanne, la serveuse, nettoie les tables. Tout en nettoyant, elle regarde autour d’elle pour voir si on l’observe. Puis, devant l’indifférence générale, elle lâche : 

Johanneironique. — Ça sert à quelque chose de faire des efforts !

Simonesans lever les yeux de son journal. — De quoi tu parles ?

Johanne. — Je passe deux heures chez le coiffeur, je change de coupe et pas une remarque !

Simoneregardant Johanne. — Tu as changé de coupe ?

Johanne. — Ben oui !

Simoneidem. — Qu’est-ce que tu as changé ?

Johanne. — Au lieu d’un organisé-dépeigné, j’ai pris un décoiffé-structuré !

Simoneobservant Johanne mais ne voyant rien. — Ah…

Johanne, énervée. — Ça ne se voit pas ?

Simonehypocrite. — Si, si ! Maintenant que tu me le dis…

Johanne. — Alors pourquoi personne ne s’en rend compte ?

Simone. — Les astres en ont peut-être décidé ainsi… 

Soudain, la radio se met en route toute seule. 

Simone, tournant les boutons de l’appareil. — Qu’est-ce qui lui arrive ? (Au bout d’un moment, la radio s’éteint.)Incompréhensible ! (À Johanne) T’es quel signe, déjà ?

Johanne. — Scorpion.  

Simone, terrifiée. — Scorpion ? C’est le pire des signes !

Johanne. — C’est pas vrai. Les pires, c’est les balances. J’ai jamais aimé les balances, moi…

Simone, consultant l’horoscope. — Scorpion… scorpion… voilà ! (Lisant) « Préparez-vous à un grand événement, comme une rencontre importante. Il pourrait y avoir une attirance mutuelle immédiate, et vous vous sentirez comblée. » (À Johanne) Oh ma chérie ! Ça serait formidable !

Johanneblasée. — Arrête… Tout ça, c’est n’importe quoi.

Simone, révoltée. — Pas du tout, c’est scientifique ! Ça dépend de la position des planètes.  

Johanne. — Ça dépend surtout de la position de mon compte webflirt. (Sortant son téléphone) Est-ce que j’ai eu des likes, aujourd’hui ?

Simone. — Webflirt ? C’est ton machin pour attraper des hommes ?

Johannedépitée. — Aucun like…

Simone. — Ce qui signifie ?

Johanne. — Ça veut dire que personne n’a aimé mon profil depuis… pff… depuis très longtemps ! On ne me reconnaît vraiment pas à ma juste valeur…

Simone. — Oui, eh bien arrête de te mettre martel en tête. Ça va changer, tout ça. C’est écrit là : (Reprenant son journal) « une rencontre importante. » (Elle continue à lire.) Oh non !

Johanne. — Quoi ?

Simone, mystérieuse. — Euh… rien, rien…

Johanne. — Dis-moi !

Simone, moqueuse. — Je croyais que c’était n’importe quoi !

Johanneprise en défaut. — Oui, mais j’ai quand même envie de savoir !…

Simone, reprenant sa lecture. — « Attendez cependant de mieux vous connaître l’un l’autre avant de tirer des conclusions hâtives. »

Johannepas convaincue. — Ça veut dire quoi ?

Simone. — Eh bien sûrement que… bien connaître quelqu’un, ça prend du temps…

Johannepersifleuse. — Merci pour ce conseil ! Je n’y aurais jamais pensé ! Et sinon, c’est quoi la une du journal, aujourd’hui ?

Simone. — Le mensonge. 

Johanne. — Le mensonge ?

Simone. — Ils font un grand dossier sur le mensonge. Pourquoi on ment, quels sont les mensonges les plus courants… Les mensonges préparés, les mensonges spontanés… Il paraît que les femmes mentent trois fois par jour. Et les hommes, six fois ! Pour un couple, ça fait neuf mensonges par jour… Et sur une semaine… quarante-neuf mensonges ! Et sur un mois… (Cherchant puis, découragée par le calcul) Faut pas s’étonner que le monde tourne pas rond !

Entre Stéphane/Stéphanie, conducteur/conductrice de train, une valise à la main. 

Simone. — Bonjour Stéphane/Stéphanie !

Stéphane/Stéphanie. — Salut Momone. 

Simone. — T’as l’air en petite forme ! 

Stéphane/Stéphanie. — Je suis crevé-e !

Simone. — Le boulot ?

Stéphane/Stéphanie. — Je l’adore, mon boulot. Tout gosse, je voulais déjà conduire une loco… Mais ils nous en demandent de plus en plus !… J’ai enchaîné plusieurs missions de nuit…

Simone. — Qu’est-ce que je te sers ?

Stéphane/Stéphanie. — J’ai besoin d’un remontant. 

Simone. — Alors un cognac ! (Elle le/la sert.)

Stéphane/Stéphanie. — Un cognac, ça remonte ?

Simone. — Ça remonte, mais uniquement si tu le descends ! (Elle pose le verre devant lui/elle. Avisant la valise et faisant de l’humour) Dis donc, t’as un train à prendre ?

Stéphane/Stéphanie, le regard noir. — Très drôle. (Il/Elle pose la valise sur le comptoir, ce qui réveille René.) Je te réveille, grand ?

René, de mauvaise foi. — Moi ? Je dormais pas !…

Stéphane/Stéphanie, ironique. — Non, bien sûr… tu te reposais les yeux, c’est ça ? 

René, borné. — À tout casser, je dois dormir une heure par nuit…

Stéphane/Stéphanie, moqueur/moqueuse. — Forcément, si tu dors sept heures le jour !

René, borné. — D’ailleurs, si je dors une heure par nuit, c’est surtout par politesse pour Momone ! (Soupir de Momone.) Pour pas la laisser toute seule… Parce que si je m’écoutais, je dormirais pas du tout ! Tiens… je me souviens, en 70, j’ai pas dormi pendant quinze jours ! Je suis allé voir le pharmacien pour lui demander des pilules, que j’ai achetées à crédit. 

Stéphane/Stéphanie. — Henri ?

René. — Henri ! Il m’avait filé des doses d’anesthésiant pour pachyderme, que le véto lui avait laissées… Des machins à mettre K.O. un éléphant ou un hippopotame… Ça m’a rien fait ! Trois jours après, il entre ici et me réclame les sous. « Pas question que je paye pour ta camelote » qu’j’y dis ! « Fais pas l’andouille et règle-moi ce que tu me dois » qu’y m’dit. « Jamais je te règlerai, même si tu me mettais un flingue sous le nez ! » qu’j’y dis !

Stéphane/Stéphanie. — C’est marrant, Henri m’a raconté cette histoire, mais avec une version différente. D’abord, c’était pas du tout un anesthésiant pour éléphant, mais un simple somnifère. 

René, jouant la tristesse. — Il perd la boule Henri, ça me fait de la peine…

Stéphane/Stéphanie, s’amusant. — Et puis concernant tes dettes, il paraît que tu lui as donné l’argent sans faire de problème dès qu’il a élevé un peu la voix…

René, pris au piège de son mensonge, tentant de sauver la face. — Heu… Oui ! Oui, c’est vrai !… Dans un deuxième temps ! Parce que j’ai vu qu’il allait s’énerver, et comme je le sais fragile du cœur… (Changeant de sujet, sur le ton de l’humour, en montrant la valise) Tu pars en voyage ?

Stéphane/Stéphanie. — C’est un voyageur qu’a dû oublier ça. Je l’ai trouvée en sortant de la cabine. 

Simone. — Y a un nom, une adresse, quelque chose ?

Stéphane/Stéphanie. — Rien. 

René prend la valise et la regarde sous toutes les coutures.

René. — C’est lourd, ce machin-là. 

Simone, soudain suspicieuse. — Ce serait pas un colis piégé ?

René colle son oreille à la valise.

Stéphane/Stéphanie. — Je sais bien que l’époque est dangereuse, mais pourquoi veux-tu qu’on pose une bombe dans l’omnibus de Villiers ? Pour protester contre la couleur des banquettes ?

Simone. — C’est peut-être quelque chose d’important.

Stéphane/Stéphanie. — Si c’était tellement important, ça n’aurait pas été oublié dans le train. 

René. — C’est pas faux. Surtout vu ce que ça pèse. C’est du plomb ou quoi ?

Stéphane/Stéphanie. — C’est pas une valise de plombier.

Simone. — Remarque, s’il n’y a pas d’étiquette, peut-être que le propriétaire ne voulait pas qu’on le retrouve…

Stéphane/Stéphanie. — Tu veux dire que cette valise aurait été laissée dans mon train exprès ?

René. — Peut-être qu’à l’intérieur, on trouverait des renseignements sur le propriétaire ? (Il essaie de l’ouvrir.)

Stéphane/Stéphanie. — Ne te fatigue pas, j’ai essayé, impossible…

René, s’acharnant sur la valise. — Jamais une valise ne m’a résisté ! Je me souviens, en 70…

Stéphane/Stéphanie. — En attendant, si le propriétaire veut la récupérer et qu’il la retrouve ouverte de force, tu vas te faire sacrément enguirlander !

René, s’acharnant toujours à ouvrir la valise. — Tu crois me faire peur ? Il est pas encore né, celui qui me donnera la chair de poule !… (Devant son échec, il regarde attentivement la valise.) Il y a un code à faire.

Stéphane/Stéphanie. — Souvent, les gens ne personnalisent pas la combinaison. Essaie six fois zéro. 

René, essayant d’ouvrir après avoir fait le code. — C’est pas ça. 

Stéphane/Stéphanie. — Essaie une date célèbre. 

René. — Une date célèbre ?

Stéphane/Stéphanie. — Oui, je sais pas… quatorze zéro sept quatre-vingts neuf.

Simone. — Quatorze zéro sept quatre-vingts neuf… ça me dit quelque chose…

Stéphane/Stéphanie. — Ah… (Essayant de lui faire deviner) C’est un événement historique important…

Simone, cherchant. — Quatorze zéro sept quatre-vingts neuf… (Ayant soudain une idée) Ah oui, je sais ! C’est l’Armistice !

Stéphane/Stéphanie. — L’Armistice ?

Simone. — Ben oui ! Le jour où on a tué Louis XVI !

Stéphane/Stéphanie, ironique. — Je reconnais bien là ta culture historique…

René, constatant que cette combinaison ne marche pas. — Encore raté…

Stéphane/Stéphanie. — Laisse tomber.

René. — Tu vas la déposer au bureau des objets trouvés ?

Stéphane/Stéphanie. — Justement, je voulais te demander un service. Le bureau ouvre dans une heure. Or moi, je n’ai qu’un rêve, contrairement à toi : aller me coucher ! Alors si tu pouvais apporter la valise là-bas…

René. — Si tu veux.

Stéphane/Stéphanie. — Merci grand, je te revaudrai ça !

Simone. — Repose-toi bien !

Stéphane/Stéphanie sort.

Simone, lisant son journal, à René. — Voyons ce qu’ils disent sur toi… Ah voilà… Taureau. (Lisant) « Vous aurez de grandes chances de remplir votre compte en banque grâce à la présence bienfaisante de la planète Mercure dans votre Ciel ».

René. — Oh… faut que je joue au loto, moi…

Johanne. — Tu y crois ?

René, prudent. — J’y crois… j’y crois… quand c’est bon j’y crois… et quand c’est pas bon, je dis que c’est des bêtises… (Avec un couteau, il essaie d’ouvrir la valise, qui résiste, puis qui cède. Apparaissent des lingots d’or.) Oh la vache, des lingots ! 

Johanne, revenant près de René. — Qu’est-ce qui se passe ?

René, refermant hâtivement la valise et la dissimulant derrière le comptoir. — Rien ! Va donc passer un coup en cuisine !

Johanne sort alors qu’entre Christian, un petit carnet à la main.

Christian, se dirigeant vers le comptoir. — Salut la compagnie !

René. — Tiens, voilà l’écrivain !

Christian. — J’ai fini ma pièce !

René. — Grande nouvelle ! Tu as trouvé un titre ?

Christian. — J’hésite. 

René, à part. — Comme d’habitude…

Christian. — J’ai pensé à « Dialogues de comptoir ». 

René. — Ça me rappelle quelque chose…

Christian. — Pas très original, c’est vrai… Du coup, je penchais pour « La même chose, Simone ! » Je trouve ça plus vivant !

René, pensif. — Simone… Momone ? Ma Momone ? Tu l’as mise dans ta pièce ?

Christian. — Quoique « Dialogues de comptoir », tout de suite, on voit bien où ça se déroule…

René. — Ça a le mérite d’être concret. (Revenant à son idée) Mais pour revenir à tes personnages… 

Christian. — Et en même temps, « La même chose, Simone », on entend bien les gens parler !

René. — Et combien de fois par jour, je l’entends, celle-là ! (Préoccupé) Mais pour revenir à tes personnages…

Christian. — C’est vrai, mais « Dialogues de comptoir », ça pose d’emblée le décor… Quoiqu’il en soit : C’est ma tournée !

René. — Sacré Christian… il offre toujours sa tournée quand il n’y a personne…

Christian, minimisant. — Personne, personne…

René. — Qu’est-ce que je te sers ?

Christian, hésitant. — euh… une noisette… 

René. — Et une noisette, une !

Christian. — Non, attends !… je crois que j’ai envie d’une boisson un peu plus riche en lait… Plutôt un crème. 

René. — Et un crème, un !

Christian. — Non, attends !… c’est vrai que j’aime le lait, mais à condition qu’il soit léger et mousseux… À la réflexion, je vais prendre un capuccino…

René. — Tu es sûr ?

Christian. — Euh… je crois, oui…

René. — Tu crois ou tu es sûr ?

Christian. — Euh… je suis sûr…

René. — Sûr, sûr ?

Christian. — Sûr, sûr !

René. — Et un capuccino, un !

Christian. — Non, attends !

René, s’énervant. — Quoi, encore ?

Christian. — Finalement, je vais peut-être me prendre une boisson fraiche…

René, se retenant. — Je te confirme que tu vas te prendre une boisson fraiche. (Explosant) Mais tu vas te la prendre en pleine poire, si tu continues comme ça !

Christian, n’ayant pas entendu. — Quoi ?

René. — Rien !

Christian, ouvrant son petit carnet et prenant un stylo. — Tu sais, je me demande si je ne pourrais pas mettre ça dans ma pièce.

René. — Quoi « ça » ?

Christian. — Ben ça, ce qu’on vient de dire !

René, quittant son comptoir. — D’accord, mais je prends dix pour cent !

La radio se met en route toute seule et laisse échapper une musique.

René. — Cette radio, faudrait vraiment faire quelque chose ! (Arrivant près de Fred ) Tournée générale ! 

Fred. — Voilà qui est sympathique !

René. — Qu’est-ce que je vous sers ?

Fred. — Un porto.

René, méfiant. — Vous êtes sûr/sûre ?

Fred, ne comprenant pas. — Ben oui, pourquoi ?

René, gêné. — Je préfère demander confirmation…

Fred. — Vous fêtez quelque chose ?

René, montrant Christian. — Pas moi, monsieur !

Fred, le reconnaissant. — Christian !

Christian, après avoir levé la tête. — Oh Fred !

Fred. — C’est fou de se retrouver là !

Christian, se levant et s’approchant de Fred. — Ça fait une paye !

Fred. — Tu écris toujours ?

Christian. — Toujours ! Je suis auteur de théâtre !

Fred. — Formidable ! Et tes pièces se jouent ?

Christian. — Je n’ai encore rien publié !… J’hésite même sur le titre, alors…

Fred. — Je me disais bien que je t’avais vu la dernière fois !

Christian, inquiet. — Tu m’as vu ?

Fred. — Oui, au supermarché, en train de garnir les rayons…

Christian, gêné. — Oui ! Vu que mes pièces ne sont pas encore en vente… J’ai décidé de prendre un emploi dans le commerce. Ça me permet de garder un pied dans la vie réelle !

Fred. — Et accessoirement, ça te donne un revenu. 

Christian, idem. — Accessoirement, oui…

René, apportant les consommations. — Un porto, et un verre de lait ! (Il pose le porto devant Fred et le verre de lait devant Christian.)

Christian, surpris. — J’ai pas commandé de verre de lait. 

René, le regard noir. — Tu voulais bien prendre une boisson fraiche ? C’est du lait frais. (Il repart.)

Christian, à Fred. — Et sinon, comment ça va ?

Fred, souriant-e. — Écoute… tout va très bien !

Christian. — Tant mieux !

Fred. — Je sens que je suis en train de passer à une autre étape de ma vie. Je me concentre sur l’essentiel. On achète toujours des tas de trucs… Mais est-ce qu’on a vraiment besoin de tout ça ? Je dis non ! J’ai appris, progressivement, à mener une existence plus simple. 

Christian, admiratif. — C’est vraiment très respectable d’arriver à un tel degré de sagesse. Je ne sais pas si je pourrais. 

Fred. — C’est à dire que j’ai pas pu faire autrement. Je suis au chômage depuis deux ans ! Ils m’ont viré-e comme un-e malpropre, ces enfoirés ! Et depuis, impossible de retrouver quelque chose !

Christian, compatissant. — Ah… euh… vraiment… désolé… je…

Fred. — Mais ne t’inquiète pas, à part ça, tout va bien !

Christian, reprenant son sourire. — C’est vrai ?

Fred. — Mais oui ! Tu sais le boulot… c’est pas ça l’important ! L’important, c’est la famille !

Christian, approuvant. — Très, très !

Fred. — Tu vois, ces derniers temps, je passe beaucoup de temps avec mon fils. Et ça, ça me fait vraiment plaisir !

Christian. — Il doit être grand, maintenant ?

Fred. — Oh oui ! Tu sais, Je peux enfin profiter de lui, échanger et l’accompagner dans sa découverte du monde.

Christian. — Ça me fait plaisir que vous puissiez partager des choses comme ça. 

Fred. — Enfin tu sais, je ne fais que mon devoir, parce que mon mari est mort/ma femme est morte dans un accident de voiture il y a trois ans. Alors, du coup, ben mon fils, il a plus que moi !

Christian, gêné. — Ah… oh… je… condoléances… je…

Fred. — Ce sont les aléas de la vie. Mais à part ça, tout va bien ! 

Christian, reprenant son sourire. — C’est vrai ?

Fred. — Mais oui ! Tu sais, les relations de couple… ça va, ça vient ! C’est pas ça, l’important ! L’important c’est d’avoir la santé !

Christian, soudain inquiet. — Mais de ce côté-là, pas de problème ?

Fred. — Aucun ! J’ai fait un check-up la semaine dernière, tout fonctionne parfaitement !

Christian, peu confiant. — C’est sûr ?

Fred. — Mon toubib me l’a dit : « Vous avez une force herculéenne ! »

Christian, pleinement rassuré. — Tant mieux !…

Fred. — Oui, tant mieux, parce que la famille de mon mari/de ma femme m’attaque en justice ! Ils m’accusent de n’avoir pas fait réviser la voiture à temps et donc d’être responsable de son accident mortel ! Le pire, c’est qu’ils ont des chances de gagner. Mon avocat me l’a dit, ça sera difficile d’éviter la taule !

Christian, soufflé par cette révélation. — Ah… ah oui quand même… (Ne sachant comment se sortir de la conversation) Mais à part ça, tout va bien ?

Fred, définitivement positif/positive. — Oh oui, tout va très bien ! Et toi, comment ça va ?

Christian, dans un sincère élan de joie. — Moi ? Je viens de terminer mon manuscrit, alors ! (Regardant Fred et cherchant une catastrophe à raconter pour ne pas étaler son bonheur) Alors… alors… eh ben crois-moi… j’ai cru que j’allais y laisser ma peau !

Fred, avec surprise. — Ah bon ? Pourquoi ?

Christian, ne sachant que répondre. — Eh bien parce que… parce que… en imprimant mon manuscrit… je me suis coupé l’index ! (Il le montre.)

Fred, regardant le doigt de Christian, dubitative/dubitatif. — Ah oui ?

Christian, constatant que son doigt est intact. — Là, tu vois rien, mais crois-moi : c’était un massacre, c’était une boucherie sur mon tapis, c’était les chutes du Niagara de la Mer rouge ! 

Fred. — T’as appelé SOS médecins ?

Christian. — Non, j’ai mis un pansement. (Silence.) Et ça a guéri.

Fred. — Tu vois ? Faut toujours être optimiste, dans la vie !

Christian, se sentant soudain stupide. — C’est juste… je suis trop pessimiste… 

Fred, se levant. — Bon ben salut, Christian ! 

Christian, se levant également. — Salut Fred ! Je suis content de savoir que tout va bien pour toi ! 

Fred. — Et merci !

Christian. — Pour ?

Fred. — Eh ben pour le porto ! 

Christian. — Ah, oui !

Fred sort laissant Christian debout, comme dans un rêve. René sort la valise de derrière son comptoir. Il l’ouvre et la contemple.

René. — Mais y en a combien ?…

Soudain, Johanne ressort de la cuisine. René referme alors vivement la valise et la remet derrière le comptoir.

Johanne. — Fini !

René, cherchant à la faire repartir. — Va nettoyer la cuisinière !

Johanne. — Hein ? C’est pas à moi de le faire !

René. — Quand je t’ai embauchée, je t’ai prévenue, c’est un poste multi-tâches !

Johanne. — Multi-tâche, ça veut pas dire que je m’occupe de toutes les saletés !

Johanne repart en cuisine. René, dépité, ouvre son journal.

René, à la cantonade. — Il paraît que le mensonge le plus utilisé par les hommes sur les sites de rencontre est le poids. C’est curieux, j’aurais dit la taille…

Deux femmes ou deux hommes ou un homme et une femme entrent et vont s’asseoir.

Jeanne/Jean. — C’est fou, on était dans deux wagons successifs !

Dominique. — Le destin ! Qu’est-ce que tu prends ?

Jeanne/Jean. — Un café.

Dominique, à René. — Deux cafés !

Jeanne/Jean. — On ne se voit plus trop, maintenant.

Dominique. — C’est vrai. Depuis qu’ils vous ont envoyés au siège… Pourquoi, au fait ?

Jeanne/Jean. — Question d’efficacité, il paraît. 

Dominique. — Effectivement ! Comme ça, ils vous ont à l’œil. Votre service était calamiteux, à ce qu’on dit…

Jeanne/Jean. — Qu’est-ce qu’on dit ?

Dominique. — Oh ! Plein de choses ! Depuis que vous êtes partis, les langues se délient !…

Jeanne/Jean. — Je l’aurais parié ! …

Dominique. — D’ailleurs, il est souvent question de toi.

Jeanne/Jean. — Ah ?

Dominique. — Oh oui ! Tous les collègues qui ont travaillé avec toi ne se gênent plus, crois-moi !

Jeanne/Jean. — Tiens ! … Et de quoi parlent-ils ?

René, apportant les consommations. — Deux cafés !

Jeanne/Jean, fouillant ses poches. — Tu vas rire… j’ai plus un sou ! …

Dominique, amusé-e. — Ne t’inquiète pas, j’ai ce qu’il faut. (Il/Elle règle la consommation.)

René, avant de regagner le comptoir. — Merci !

Jeanne/Jean, à Dominique. — Merci ! 

Dominique, l’œil moqueur. — Je t’en prie…

Jeanne/Jean. — Alors qu’est-ce qu’ils disent de moi, mes chers ex-collègues ?

Dominique, attisant la curiosité de Jeanne/Jean. — Laisse tomber…

Jeanne/Jean. — Allez, dis-moi !

Dominique, malicieux/malicieuse. — Tu veux vraiment le savoir ?

Jeanne/Jean. — Mais oui !

Dominique. — Ils disent que t’es avare !

Jeanne/Jean, offusqué-e. — Moi, avare ?

Dominique. — Ben oui, avare. Quand il faut participer à un cadeau, tu oublies toujours de prendre du liquide, et quand il s’agit de payer un coup à boire, tu n’as jamais rien ! Tu voles toutes les serviettes en papier de la cantine pour les ramener chez toi. Tu récupères les gobelets en plastique, les mégots des cendriers et tu tapes tous les nouveaux collègues parce qu’ils ne connaissent pas encore ta radinerie. 

Jeanne/Jean, furieux/furieuse. — Quel culot !

Dominique. — Tu trouves qu’ils exagèrent ?

Jeanne/Jean, idem. — Plutôt, oui !

Dominique. — Moi, je ne trouve pas.

Jeanne/Jean, surpris-e. — Comment, toi aussi tu te ligues contre moi ?

Dominique. — Qui a payé les cafés ?

Jeanne/Jean, outré-e. — Quoi ? Alors parce que je n’ai pas de… Alors tu penses que ?… (Il/Elle fouille de nouveau dans ses poches et en sort quelques pièces.) Voilà, ça y est, je les retrouve ! Je me disais bien, aussi… (Les mettant devant Dominique) Tiens, c’est pour toi. C’est moi qui offre les cafés !

Dominique, repoussant les pièces. — Mais non, ne le prends pas comme ça…

Jeanne/Jean, repoussant les pièces. — C’est une question de réputation ! Je ne veux pas que tu ailles hurler avec la meute sur ma prétendue avarice…

Dominique, repoussant les pièces, gêné-e. — Je ne hurlerai pas avec la meute. Je dirai haut et fort, au contraire, que tu as insisté pour payer les cafés. 

Jeanne/Jean, reprenant les pièces. — Bon, j’accepte que tu prennes les cafés, mais alors, pour me rattraper, je t’invite : tu viens dîner à la maison !

Dominique. — Ce ne sont que des cafés, tu n’es pas obligé-e…

Jeanne/Jean. — Mais ça me fait plaisir ! En plus, tu n’es jamais venu-e ! Disons samedi prochain ?

Dominique. — Samedi, c’est très bien !

Jeanne/Jean, se levant. — C’est entendu ! Alors, à samedi !  Je te laisse, j’ai ma correspondance ! (Il/Elle sort vivement.)

Dominique, se levant aussi, alors que Jeanne/Jean a disparu. — Mais attends, je n’ai pas ton adresse ! Ni ton numéro de téléphone…

Dominique, déçu-e, sort lentement.

Isa entre. Costume de contrôleuse de trains régionaux.

Isa, apercevant Christian. — Chri-Chri !

Christian, ravi. — Isa ! 

Ils se jettent dans les bras l’un de l’autre et s’embrassent. 

Christian. — Qu’est-ce que tu prends ? 

Isa. — Un diabolo fraise. 

Christian, à René. — Un diabolo fraise !

Ils s’asseyent.

Isa. — Et toi, tu ne prends rien ?

Christian, pris au dépourvu. — Euh… si… euh… un café !… non… une noisette !… non… un capuccino !… non…

René, moqueur. — Un lait frais ?

Christian, perdu. — Euh… oui…

Isa. — Tu sais, je n’ai que quelques instants !…

Christian. — Heureusement !

Isa. — Quoi « Heureusement » ?

Christian. — Non, je veux dire, « malheureusement » !

Isa. — J’arriverai à Lyon en fin de journée et je serai revenue demain en début d’après-midi. 

Christian, insouciant. — Ça colle parfaitement !

Isa. — Qu’est-ce qui colle parfaitement ?

Christian, tentant de justifier ses propos. — Eh bien le… le timing ! 

Isa. — Tu as des obligations ?

Christian, heureux de cette intervention. — Oui voilà, c’est ça !

Isa. — Qu’est-ce que tu vas faire, pendant que je roulerai vers la capitale des Gaules ?

Christian, déstabilisé. — Rien ! 

Isa. — Comment « rien » ?

Christian, pataugeant. — Enfin, je veux dire… si, si, j’ai du travail… il faut que je révise mon manuscrit… Alors tu vois, ça tombe bien qu’on ne se voie pas jusqu’à demain !

Isa, triste. — Parfois, je me demande si tu ne m’as pas choisie juste parce que je suis souvent en déplacement…

Christian, la consolant. — Qu’est-ce que tu vas chercher ?

René apporte les consommations.

Isa, triste. — J’aimerais tellement qu’on passe plus de temps ensemble !

Christian. — Moi aussi !

Isa, reprenant espoir. — C’est vrai ?

Christian. — Mais oui !

Isa, avec coquetterie. — Tu dis ça pour me faire plaisir…

Christian. — Pas du tout, je le pense !

Isa, lui prenant les mains. — Mon chéri, merci, je suis heureuse !

Christian. — Voilà qui me rassure !

Isa. — Cela me conforte dans mon choix. 

Christian. — Ton choix ?

Isa. — J’en ai assez d’être sans arrêt loin de toi. 

Christian. — C’est vrai que c’est crispant…

Isa. —  N’est-ce pas ! Alors j’ai pris une décision. 

Christian, soudain inquiet. — Laquelle ?

Isa. —  Il y a un emploi qui se libère au guichet de la gare !

Christian, de plus en plus inquiet. — Laquelle ?

Isa. —  Ben, celle-ci ! 

Christian, au comble de l’inquiétude. — Cette gare ?

Isa. —  Oui, cette gare ! Alors, j’ai demandé le poste. Je commence dans deux mois !

Christian, défait. — C’est une blague ?

Isa. —  Pas du tout. Tu es content ?

Christian, au désespoir. — Si je suis content ? Alors là ! Je suis… je suis aux anges !

Isa, lui reprenant les mains. —  Oh mon amour ! Terminées, les absences incessantes. Désormais, je serai libre tous les jours à partir de dix-sept heures.

Christian, en panique. — Si j’avais pu imaginer que tu ferais ça pour moi !…

Isa, malicieuse. —  Je n’ai pas fini de t’étonner…

Christian, pétrifié. — Ça promet… (Regardant l’heure) Mais au fait, dépêche-toi, tu vas rater ton train ! 

Isa, regardant également l’heure. —  C’est vrai. (Se levant) En ta compagnie, je ne vois pas le temps passer ! (L’embrassant) À demain, chéri !

Christian, se levant et l’embrassant d’un air inquiet. — À demain !

Isa sort alors que Simone vient récupérer les consommations.

Simone. — T’es plus avec Nadia ?

Christian, comme sortant d’un rêve. — Hein ? Euh… Si !

Simone. — T’es encore avec Nadia ?

Christian. — Je te dis que oui.

Simone, désignant le diabolo fraise. — Alors c’est qui, celle-là ?

Christian. — Isa !

Simone. — T’es aussi avec elle ?

Christian, gêné. — Ben oui…

Simone, admirative. — Eh ben mon cochon !

Christian. — Je n’arrive pas à me décider…

Simone, ironique. — Comme c’est étonnant, venant de toi…

Christian. — Ne ris pas. Crois-moi, c’est pas facile tous les jours…

Simone. — J’imagine… Comment tu fais ?

Christian. — Elles sont toutes les deux contrôleuses de trains. Isa est en régions et Nadia sur les grandes lignes. Quand l’une revient de Grenoble, l’autre part à Londres. Il faut tout le temps que je jongle avec les horaires de chacune…

Simone. — Ça doit être du travail de précision…

Christian. — Oh oui ! (Abattu) Mais ça commence à m’épuiser…

Simone. — Jamais un grain de sable n’est venu gripper la mécanique ?

Christian. — Jamais ! Je croise les doigts…

Simone. — Et tu penses continuer longtemps comme ça ?

Christian. — Je ne sais pas de quoi l’avenir sera fait…

Simone. — Tu devrais lire ton horoscope. T’es de quel signe ?

Christian. — Euh… Balance…

Simone, cherchant dans son journal. — Alors… Balance… Balance… (Lisant) « En couple, vous récolterez ce que vous avez semé. Le négatif comme le positif, selon votre comportement de ces derniers jours : succès et bonheur pour ceux qui ont fait les bons choix, difficultés et déceptions si vous vous êtes engagé sur une mauvaise voie ».

Christian, à part. — Oh purée…

Nadia entre. Costume de contrôleuse grandes lignes.

Christian, sautant au cou de Nadia. — Oh ma chérie !

Nadia, le repoussant. — Doucement ! J’arrive à peine de Milan. Je suis crevée !

Christian, penaud. — Pardon, chouchou ! Qu’est-ce que tu prends ?

Nadia, le grondant gentiment. — Tu sais bien !

Christian, s’excusant. — Bien sûr ! … (Commandant) Une coupe et…

René, rigolard. — Un verre de lait ?

Christian, mal à l’aise. — Euh… oui…

Nadia, le regardant. — Toi, tu as fini ta pièce ! Mais tu hésites encore sur le titre.

Christian, admiratif. — C’est pour ça que je t’aime : tu lis en moi comme dans un livre ouvert.

Nadia. — Ça a toujours été comme ça. Je devine tout.

Christian, malicieux. — Pas tout…

Nadia, malicieuse à son tour. — Tu me caches des choses ?

Christian, évasif. — On a tous nos petits secrets…

Nadia, souriante mais incisive. — Pas avec moi !… Tu m’excuses ? Un coup de fil important !

Nadia sort et croise Isa alors que René apporte les consommations.

Christian, voyant Isa, nerveux. — Isa ? Mais qu’est-ce que tu fais là ?

Isa, souriante. — Mon train ne part plus !

Christian, presque un cri. — Quoi ?

Isa. — La loco est en panne ! Je ne vais plus à Lyon ! On va pouvoir passer la journée ensemble !

Christian, au désespoir. — Mais c’est vraiment génial !…

Isa, regardant les consommations apportées par René. — Tu es avec quelqu’un ?

Christian, ne comprenant pas la question. — Pardon ?

Isa, désignant les consommations. — Tu ne vas pas boire tout ça ?

Christian, ramant. — Une erreur, sûrement… (Une idée a germé dans son esprit) Dis-moi Isa, je peux te demander d’aller me chercher un stylo à la papeterie, en face, le mien ne fonctionne plus !

Isa, surprise. — Oui, si tu veux… mais… tu ne peux pas y aller toi-même ?

Christian, voulant à tout prix qu’elle sorte. — Si ! Si, bien sûr… Mais j’attends le coup de fil d’un éditeur !…

Isa. — Tu n’as pas ton portable ?

Christian, cherchant une nouvelle parade. — Si ! Si !… mais… il ne marche plus ! Alors j’ai donné le téléphone d’ici…

Isa. — En ce cas… Je reviens tout de suite ! (Elle l’embrasse et sort.)

Simone, une fois qu’Isa est sortie, à Christian. — Dis donc toi, tu serais pas dans la merde ?

Christian, désespéré. — Qu’est-ce que je vais faire ?

Johanne sort de la cuisine en se frottant la manche.

Johanne. — La cuisinière est propre ! Mais je me suis tâchée…

Simone. — Tu vois, finalement, que t’es multi-tâches ! (Devant le regard noir de Johanne) Je rigole ! On va mettre de l’Hyper-clean.

Johanne. — Je crois que j’aurais surtout besoin d’un nouveau chemisier de service !

Simone. — Hein ?

Johanne. — Ça fait un an que je l’ai, celui-là !

Simone. — Et alors ?

Johanne. — Et alors, il est démodé !

Simone. — Si je t’en achète un maintenant, il sera démodé l’année prochaine.

Johanne. — Et alors ?

Simone. — Et alors, quand on y réfléchit, le meilleur moyen d’être démodé demain, c’est d’être à la mode aujourd’hui !

Johanne. — Moi, ce que j’en dis… C’est pour le standing de l’établissement !… Bon… J’espère que Thomas sera à l’heure pour son service… Je suis crevée, moi… (Sortant son téléphone. Après l’avoir regardé, désespérée) Toujours aucun like !

Simone. — T’es sur Webflirt ?

Johanne. — Oui ! Et le moins qu’on puisse dire, c’est que je n’intéresse pas grand monde ! 

Simone, malicieuse, désignant Christian. — Demande à l’écrivain, c’est un homme à femmes !

Johanne, à Christian. — C’est vrai ? Alors, vous vous y connaissez en séduction !

Christian, gêné. — Pas tant que ça…

Johanne, à Christian. — Qu’est-ce qui vous préférez chez une femme ?

Christian. — Qu’est-ce que je préfère chez une femme ? (Il réfléchit et finit par trouver) Son souvenir. 

Brusquement, il part sous le regard étonné des autres.

Johanne, à part, sans comprendre. — Son souvenir ? (Son visage s’illumine) j’ai compris ! Les hommes, il faut les faire rêver ! (Prenant son téléphone) Je vais apporter quelques modifications à mon profil Webflirt. D’abord mon prénom. « Johanne ». Trop banal… Si je mettais « Janice »… ou « Joyce » ? … non… (Souriant soudain) « Jennifer » ! « Jennifer », c’est bien. Ensuite mon métier : « serveuse ». (Faisant la moue) Ça fait pas métier de winner, ça… (Ayant une idée, tout en veillant à rester discrète) Je sais. (Écrivant) « patronne, à l’Omnibus Café. »  

Simone, l’observant. — On dirait que ça va mieux… 

Johanne, large sourire. — Je  crois que je vais faire des rencontres !

Simone. — Je te le souhaite, ma belle !

Johanne, surprise. — Oh ! ça y est ! Mon profil vient d’être liké !

Simone. — Et par qui ?

Johanne. —Un certain Julio ! (Manipulant son téléphone) Avec cet effet de contre-jour, les traits ne sont pas très précis mais… Il est Espagnol, romantique, adepte des voitures de sport, a une maison avec piscine en face de Bilbao… Je vais aussi liker son profil… Peut-être le début de quelque chose ?

Simone. — Bilbao, c’est quand même pas tout près !…

Entrent La Frite et Mimi. Ils/Elles vont au comptoir.

La Frite. — Alors, qu’est-ce que je t’offre ?

Mimi. — Je sais pas : j’arrête de boire. 

La Frite. — Quoi ?

Mimi. — Ordre du toubib : le foie.

La Frite. — Mince !

Mimi. — Qu’est-ce que tu veux, c’est la vie !

La Frite. — Mais qu’est-ce que tu vas faire ?

René, à La Frite et Mimi. — Comme d’habitude ? 

Mimi. — Ben non, justement, pas comme d’habitude. Aujourd’hui, je bois pas d’alcool. Alors je vais prendre un bock de bière. 

La Frite, à René. — Deux ! (À Mimi) C’est le genre de régimes sans alcool que j’aime bien !

Mimi. — J’ai une soif !

La Frite. — Et moi donc !

Mimi. — Quand le toubib m’a annoncé la nouvelle : j’ai cru que j’allais me mettre à pleurer. 

La Frite. — Je te crois !

Mimi. — Et pi je m’suis dit, Mimi, y a pas que l’alcool dans la vie. 

La Frite. — C’est vrai. Y a le pinard, aussi !

René sert les consommations.

La Frite. — Bon, bah à ta nouvelle vie sans boire !

Les verres s’entrechoquent et sont bus culs secs.

La Frite. — Dis donc, je t’ai pas dit : j’ai eu une promotion. 

Mimi. — Ah ?

La Frite. — Le patron veut plus que je bosse aux ordures. 

Mimi. — Bonne nouvelle !

La Frite. — Alors il m’a collé-e aux détritus !

Mimi, après un temps. — C’est pas la même chose ?

La Frite. — Rien à voir ! Les ordures, c’est des déchets, mais moches ; alors que les détritus, c’est des déchets, mais qui ont fait des études !

Mimi. — Faut qu’on fête ça ! Qu’est-ce que tu prends ?

La Frite. — Comme d’habitude, et toi ?

Mimi. — Moi itou. (À René) Patron, deux « Comme d’habitude ». (Pendant que René sert deux petits verres d’un liquide transparent) Mais c’est mon dernier verre !

Les verres s’entrechoquent et sont bus culs secs.

La Frite. — Dis donc, je t’ai pas dit : mon fils a eu son bac avec mention.

Mimi. — Ah ?

La Frite. — Ils sont que quelques-uns à avoir eu une mention, dans sa classe.

Mimi. — Bonne nouvelle ! C’est quoi, sa mention ?

La Frite. — Mention « non admis ».

Mimi, après un temps. — Ça veut pas dire qu’il l’a pas ?

La Frite. — Rien à voir ! S’il l’avait pas, il serait collé. Mais là son prof m’a dit, « Votre fils, il est trop calé. Il est calé et recalé ! Du coup on le fait revenir l’année prochaine ! »

Mimi. — Faut qu’on fête ça ! Qu’est-ce que tu prends ?

La Frite. — Comme d’habitude, et toi ?

Mimi. — Moi itou. (À René) Patron, deux « Comme d’habitude ». (Pendant que René sert deux petits verres d’un liquide transparent) Mais c’est mon dernier verre !

Les verres s’entrechoquent et sont bus culs secs.

La Frite. — Dis donc, je t’ai pas dit : en face de chez moi, y a un petit bistrot qui vient d’ouvrir.

Mimi. — Ah ?

La Frite. — Même que c’est moins cher qu’ici !

Mimi. — Bonne nouvelle !

La Frite. — C’est vraiment dommage que tu boives plus…

Mimi, après un temps. — On pourrait peut-être y aller. Histoire de trinquer une ultime fois.

La Frite. — Si tu veux !

Mimi. — Mais ce sera mon dernier verre !

Titubant, La Frite et Mimi sortent. René ressort la valise de derrière le comptoir. Il l’ouvre et en contemple le contenu. 

René, à part. — Mais qu’est-ce que je vais en faire ? …

Entre Me Duclos.

Johanne, le/la saluant. — Bonjour maître !

Me Duclos. — Salut la compagnie !

René referme immédiatement la valise et la remet sous le comptoir.

Johanne. — Comme d’habitude ?

Me Duclos. — Plus que jamais !

Johanne. — Je vous la prépare.

Johanne disparaît en cuisine.

René, à Me Duclos. — J’ai une question pour vous.

Me Duclos. — Vous savez que je prends quatre-vingts de l’heure !

René. — Je les mettrai sur votre compte.

Me Duclos. — Je plaisante ! Comme oserai-je vous demander des honoraires, alors que vous faites la meilleure omelette aux champignons de la région ? (Regardant l’heure) J’ai mon train dans quinze minutes. Servez-moi donc un muscadet, ça va m’aider à réfléchir. 

René, tout en le/la servant. — Eh bien voilà, supposez que quelqu’un trouve des lingots d’or. Qu’est-ce que cette personne…

Me Duclos, le coupant. — Vous avez trouvé des lingots d’or ?

René. — Mais non ! C’est juste une supposition… Imaginez… Vous trouvez des lingots d’or. Qu’est-ce que vous faites ?

Me Duclos. — Attendez une minute… Je les trouve chez moi, dans mon grenier ?

René. — Non… Disons dans le train…

Me Duclos. — Dans le train ? Des lingots tranquillement déposés sur le siège à côté du mien ?

René. — Mais non ! … Disons… Vous vous apprêtez à descendre du train et là vous voyez une valise. Dessus, pas d’indication, rien. Comme vous êtes honnête, vous la rapportez aux objets trouvés. Mais le service n’est pas encore ouvert. Alors vous ouvrez la valise, pour voir si vous ne pouvez pas obtenir des renseignements sur le propriétaire. Et là, bing ! Des lingots !

Me Duclos, s’amusant. — Qu’est-ce que vous racontez bien ! On jurerait que vous avez vécu la scène…

René, prenant peur. — Eh ben non, justement, je l’ai pas vécue ! Juste une simple supposition…

Me Duclos, entrant dans son jeu. — Une simple supposition, bien entendu… Récapitulons : je trouve une valise de lingots dans le train. 

René. — Voilà !

Me Duclos. — Que faut-il faire ?

René. — C’est ce que je vous demande !

Me Duclos. — Aller immédiatement porter le tout à la police. 

René. — Quoi ? Mais ces lingots, ils sont à moi !

Me Duclos, amusé-e. — À vous ?

René, bafouillant. — Enfin, je veux dire… à la personne qui a trouvé ces lingots !…

Me Duclos. — Pas automatiquement !

René. — Comment, « pas automatiquement ! »

Johanne revient de la cuisine avec une assiette.

Johanne, posant l’assiette devant Me Duclos. — Et une omelette aux champignons, une !

René, à Johanne. — Va racheter des œufs. 

Johanne. — Des œufs ? Mais il y en a plein le frigo !

René. — Et si Me Duclos veut une deuxième omelette ? Allez ! Et en vitesse !

Johanne, en soufflant, sort.

René après avoir vérifié que personne ne les écoute. — Donc, si je trouve des lingots… (S’embrouillant) Enfin, si quelqu’un trouve des lingots dans un train, ils ne sont pas à moi ? (Bafouillant) Euh… pas à lui ?

Me Duclos. — Vous oubliez la société de transports ! Si vous trouvez des lingots dans un train, ne perdez pas de vue que vous avez déniché ce trésor chez elle. C’est à elle qu’appartient le train.

René mal à l’aise. — Je ne vous parle pas de moi, mais d’une…

Me Duclos. — Oui, oui… une hypothèse, une supposition…

René satisfait, malgré tout. — Même si je pouvais garder seulement la moitié, enfin, si la personne pouvait garder seulement la moitié, ça serait déjà…

Me Duclos. — La moitié, comme vous y allez !

René. — Vous pensez que je pourrais même pas garder la moitié ?

Me Duclos. — Tout dépend de la provenance de ces lingots, de leur valeur historique… L’État peut très bien décider qu’ils sont d’un intérêt national !…

René. — Donc autant tout garder sans rien dire à personne.

Me Duclos. — Je ne saurais vous le recommander.

René. — Évidemment ! En tant qu’avocat-e, vous ne pouvez pas me conseiller de contourner la loi.

Me Duclos. — Moi ? Ne pas vous conseiller de contourner la loi ? Au contraire : c’est mon métier ! Non, je ne me place pas sur le plan de la loi, mais sur le plan de votre sécurité. 

René. — Ma sécurité ?

Me Duclos. — Trouver des lingots et les garder tels quels, c’est se mettre en danger. 

René, dont l’inquiétude grandit. — Ah bon ?

Me Duclos. — D’où croyez-vous qu’ils viennent, ces lingots ? D’une petite grand-mère qui allait déposer ses économies au coffre du Crédit paysan ? 

René, de plus en plus inquiet. — Mais d’où ils sortent, ces putains de lingots ?

Me Duclos. — Je vais vous le dire : trafics, truanderies, banditisme. 

René, en panique. — Ah ?

Me Duclos, s’amusant à jouer avec les nerfs de René. — Je n’aimerais pas être là quand les propriétaires viendront les récupérer…

René, tentant de masquer sa peur. — Eh ben si je les avais, ces lingots… Je les attendrais, moi… ces bandits… ces truands… oui ! … et de pied ferme ! … Il est pas encore dans les testicules de son père, celui qui me fera jouer des castagnettes !

Me Duclos, ironique. — Certes, mais comme vous n’avez pas ces lingots, vous n’avez pas à vous inquiéter !

Simone, bidouillant la radio. — Si seulement ce vieux machin voulait bien marcher…

Entre Nini, aveugle, lunettes noires, canne blanche, sac en bandoulière. Tout à coup, la radio se met à marcher et fait entendre une valse un peu triste.

Simone. — Ah !

Nini, avançant doucement. — Voulez-vous des cartes postales ? J’ai aussi des crayons.

Me Duclos, regardant les cartes. — Le Sacré-Cœur, le Mont Saint-Michel… 

Nini. — Elles sont belles, mes cartes postales. Et aussi mes crayons.

Me Duclos. — Je préfèrerais une carte d’ici. 

Simone, se servant un verre de rouge. — D’ici ? Qu’est-ce que vous voulez qu’on mette sur une carte postale ?

Me Duclos. — Je ne sais pas… L’Omnibus Café !

René. — C’est une idée… ça nous ferait de la pub !

Me Duclos, à Simone. — Je vais lui prendre un crayon, quand même… (Regardant les crayons.) Ah… c’est des crayons de couleur…

Nini. — Les crayons de couleur, ça met du bonheur dans la vie.

Me Duclos, à Nini. — Un crayon bleu, s’il vous plaît.

Nini, lui donnant un crayon. — Merci monsieur/madame. 

Me Duclos, lui donnant une pièce. — De rien. 

Nini. — Avec le bleu, on peut changer un ciel de pluie en ciel de joie.

Me Duclos, à Simone. — Elle est bien gentille. 

Simone, à René. — Je me trouve un peu pâle. Je devrais peut-être lui prendre du rouge ?

René. — Du rouge ? Tu penses pas que t’en as suffisamment pris aujourd’hui ? (Simone hausse les épaules.)

Nini, sans que personne ne la voie, relevant ses lunettes, laissant apparaître un regard parfaitement normal et malicieux, sifflant d’une traite le muscadet de Me Duclos, et lançant, gouailleuse. — À la revoyure, les jeunes !

Elle sort tandis que la radio grésille et s’éteint.

Simone. — Elle cache bien son jeu, celle-là !

Me Duclos. — C’est une poète… Un jour, j’étais en primaire, et le crayon rouge de la maîtresse, celui avec lequel elle corrigeait nos cahiers, a disparu. Or elle ne pouvait pas me supporter. Pour elle, c’était donc une évidence : j’étais le/la coupable ! C’est ce jour-là que j’ai décidé de me lancer dans le métier d’avocat. Pour que justice soit faite ! 

René. — Allons, allons, maître, vous avez bien dû défendre des coupables !

Me Duclos. — Oui. Et j’en suis fier/fière ! Eux aussi ont le droit d’être défendus, droit à un jugement équitable. 

René. — Bien sûr ! Mais, il vous est bien arrivé de mentir un peu pour arranger les choses en faveur d’un client.

Me Duclos. — Qu’est-ce qui vrai ? Qu’est-ce qui est faux ? Tout est une question de point de vue.

René. — Qu’est-ce que vous racontez ? Il n’y a pas plusieurs vérités…

Me Duclos. — Non seulement il y en a plusieurs, mais il y en a autant que d’êtres humains sur cette Terre ! Ce que vous croyez vrai aujourd’hui, demain sera faux. On a longtemps pensé que la Terre était plate ou que les hommes politiques tenaient leurs promesses.

René. — Enfin, maître ! Vous ne pouvez pas nier que l’eau mouille, que le feu brûle, qu’après la nuit vient le jour, que le ciel est bleu. Ce sont des vérités qui crèvent les yeux !

Me Duclos. — Peut-être, mais en attendant vous ne pouvez pas me le prouver.  

René. — Quoi donc ? 

Me Duclos. — Que le ciel est bleu.

René. — Je n’ai pas besoin de vous le prouver, puisque je le vois !

Me Duclos, souriant-e. — Ça me rappelle un procès : « M. le président, ne cherchez plus de preuves, j’ai vu l’accusé ». Bien entendu ! D’ailleurs tout le monde avait vu l’accusé. Il était recherché par toutes les polices du pays. Dès lors qu’on avait placardé son portrait un peu partout, chacun avait vu l’homme recherché qui dans sa rue, qui faisant des courses au supermarché, qui pêchant paisiblement au bord d’une rivière… Et chacun aurait pu prêter serment !

René, perdu. — Bon alors… la vérité n’existe pas ?

Me Duclos. — Mais si !

René, de plus en plus perdu. — Alors, comment on la reconnaît ?

Me Duclos. — La vérité, c’est ce qu’on croit !

Simone. — Ça, je comprends ! Et moi, l’astrologie, j’y crois ! Vous êtes quel signe ?

Me Duclos. — Capricorne.

Simone, cherchant dans son journal. — Capricorne… Capricorne… Voilà ! (Lisant) « Ce qui vous réussira le mieux en ce moment sur le plan physique ? Les méthodes naturelles : manger de façon saine et équilibrée, bien dormir, pratiquer un peu de sport, et vous oxygéner le plus souvent possible. » (À Me Duclos) Vous n’allez pas me dire que tout ça, c’est faux ?

Me Duclos, ironique. — Qui pourrait dire le contraire ? Je vois mal un horoscope préconisant : « pour maintenir votre santé au top, mangez des plats pourris de manière compulsive, ne dormez plus, bougez le moins possible et surtout, surtout, arrêtez de respirer. »

Simone, ne saisissant pas l’ironie. — Ça prouve bien que dans l’horoscope, on dit pas que des âneries ! 

Johanne rentre avec une boîte d’œufs.

Johanne. — Eh voilà ! Maître, je vous refais une omelette ?

Me Duclos. — Non merci. (Regardant son verre vide) Je ne me souviens pas avoir bu si vite. 

René. — Je vous ressers ? 

Me Duclos. — D’accord. Un petit !

Renéà Johanne. — Va mettre en route le four. Le plat du jour, c’est poulet rôti. 

Johanneà René. — Il serait temps qu’on change le four… Il ne m’inspire pas confiance.

René. — Et avec quel argent ? Il tombe pas du ciel !

Me Duclos. — Non, mais il se trouve parfois dans une valise oubliée dans un train… 

Renérêveur. — Si seulement… Depuis la délocalisation de l’usine de chaussures en Pologne il y a deux ans, la fréquentation s’est beaucoup ralentie. Et même si on est en plein cœur d’une gare, il ne faut pas se le cacher : il y a moins de trains et on est dans le rouge ! Heureusement, j’ai la solution.

Me Duclos. — Des lingots ?

René. — Oui ! Heu… non ! La chanson. (Tout le monde reste perplexe après cette déclaration.)

Johanne. — La quoi ?

René. — La chanson !

Johanne. — Quelle chanson ?

René. — Celles que je chante.

Me Duclos. — Vous chantez ? 

René. — Depuis des années !

Johanne. — Je t’ai jamais entendu.

René. — Je réserve mes talents pour ma salle de bains. En attendant mieux…

Me Duclos. — Et qu’est-ce que vous chantez ?

René. — Je suis resté très nostalgique. Mon truc, c’est plutôt l’accordéon et le musette. 

Johannefaisant la grimace. — Et c’est avec ça que tu comptes faire rentrer de l’argent ?

René. — Aujourd’hui, sur internet, n’importe qui peut sortir une chanson. Alors pourquoi pas moi ?

Johanne. — Et tu crois que le musette, ça va déchaîner les foules ?

René. — T’en as déjà écouté ?

Johanne. — Non, beurk…

René. — Alors ne dis pas que t’aimes pas, si tu connais pas !

Johanne. — Fais-nous une démonstration !

René. — Comme ça ? Tout de suite ? Devant vous ? Je ne sais pas si j’oserai !…

Me Duclos. — Il faudra bien, si vous voulez vous mettre à la chanson. René. — C’est vrai, après tout… D’autant que j’ai toujours su que j’étais très doué ! (Après un léger moment d’hésitation) « Ah le petit vin blanc, qu’on boit sous les tonnelles, quand les filles sont belles, du côté de Nogent ! » (Les autres paraissent peu convaincus par la prestation. Comme pour s’excuser) J’ai pas eu le temps de me chauffer la voix aujourd’hui.

Johanneà part. — En attendant, ça nous aura bien chauffé les oreilles…

René. — De toute façon, je vais prendre des cours…

Johanne. — Des cours de chant ?

René. — Exactement ! D’ailleurs mon prof devrait arriver d’un instant à l’autre…

Johanne. — Ici ?

René. — C’est juste un premier cours, pour voir s’il me convient. Je n’ai pas encore eu affaire à lui… Et après, je sors mon album, on devient riche et nos problèmes de sous sont résolus !

Me Duclosironique. — C’est beau, d’avoir des rêves… 

René. — Il était temps. Demain, j’ai une audition !

Johanne. — Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

René. — Pour le bal des pompiers ! Faut absolument que je sois pris. C’est bien payé, ce machin-là… (À Johanne) Dis donc, toi, je ne te paie pas pour faire la conversation ! Allez, ouste !

Johanne. — En tout cas, tu pourras enfin changer le four, il date de Mathusalem !

Johanne ressort par la cuisine.

Simone. — Mathusalem… C’était le nom des anciens proprios ?

Me Duclos. — Je vous laisse, j’ai mon train !

René. — À bientôt, maître. 

Me Duclos. — À bientôt !

Me Duclos sort en croisant Erik.

Erik, vêtu dans le genre « artiste », au téléphone, sans être entendu du reste de la salle. — Non, je ne peux pas te parler j’arrive chez le pigeon, là. (Un temps.) Ouais, un faux essai gratuit, comme on a dit. Hin… hin… Quoi ?  Écoute, j’ai essayé de m’habiller en prof de musique… (Un temps.) Nan, j’y connais rien, mais je vais faire illusion, ne t’inquiète pas ! À tout à l’heure ! (Il raccroche. Puis, emphatique) Je cherche un dénommé « René ». 

René. — C’est moi !

Erik, se présentant. — Erik von Stroheim. Ex-ténor du Wiener Staatsoper et ancien élève du Konservatorium de Fribourg. 

Simoneimpressionnée. — Vous êtes le ? … le ?… le professeur de chant ?

Erik, se désignant d’un geste théâtral. — Lui-même ! 

Simone. — C’est vraiment une chance que vous soyez venu. J’adore la musique classique, moi ! Vous aimez Les Quatre Saisons ?

Erik. — C’est avec des pommes de terre et du thon, c’est ça ? 

Simone. —Mais non ! Les Quatre Saisons de Vivaldi !

Erik, pataugeant. — Vivaldi ? C’est un chef italien ?

Simone. —Mais non ! Antonio Vivaldi, le compositeur !

Erik, jouant celui qui s’y connaît. — Évidemment, Vivaldi ! Ou avais-je la tête ! 

Simone. — Cela dit, j’ai aussi d’autres centres d’intérêt…

Erik, heureux de cette intervention. — Je vous en félicite. Il faut savoir varier les plaisirs !

Simone. — Par exemple, l’autre soir, j’ai regardé un documentaire sur la Callas. 

Erik, cherchant. — La Callas ? (Un sourire apparaissant sur son visage) Ah oui ! C’est un gros poisson avec plein de piques sur les nageoires ?

Simone, regardant Erik bizarrement. — Mais non ! Maria Callas, la cantatrice ! 

Erik, ramant. — Mais bien sûr ! Maria Callas ! Suis-je bête ! D’autant que j’ai été l’écouter la semaine dernière !

Simone. — Ça m’étonnerait, elle est morte en 1977 !

Erik, cherchant quelque chose. — Oui mais… mais… c’était son hologramme ! (Changeant de sujet, à René) Vous êtes prêt pour votre essai gratuit ?

Renépaniqué. — Attendez… attendez… il faut que… que j’aille me gargariser un peu… histoire de m’éclaircir la voix.

Erik. — Mais non ! Ce sera parfait comme ça, croyez-moi !

René. — Je vous offre quelque chose ?

Erik, intéressé. — Mais… pourquoi pas ? … Vous avez du whisky ?

René. —Bien sûr !

Erik, superbe. — Donnez-moi le meilleur !

René, le servant. — Un petit Chivas… vous m’en direz des nouvelles…

Erik, faisant cul-sec. — Il est bon ! (Accusant peu à peu le coup du whisky) Bien… nous pouvons commencer votre essai gratuit. Allez-y. 

René. — Quoi « allez-y ».

Erik, s’asseyant car son Chivas pèse plus lourd qu’il ne l’aurait cru. — Eh ben, essayez. 

René. — « Essayez », « Essayez »… Essayez quoi ?

Erik, la bouche un peu pâteuse. — Eh ben essayez de chanter !  

René. — Ah… bon… Très bien… Vous allez voir… Vous allez pas être déçu… (Se raclant la gorge, timidement) « Ah le petit vin blanc… qu’on boit sous les jarretelles… » Euh non ! Je me suis trompé ! 

Erik, content quoiqu’ensuqué. — Dommage ! Vous voulez continuer ?

René, ne comprenant pas. — Ben oui… On vient juste de commencer… On va pas s’arrêter maintenant…

Erik. — Très bien, ça vous fera deux billets ! 

René. — Quoi ? Mais vous m’aviez dit que l’essai était gratuit !

Erik. — C’est exact.

René. — Alors pourquoi vous me réclamez deux billets ?

Erik. — Parce que ça y est, vous l’avez fait, l’essai gratuit. Maintenant, si vous voulez que je vous donne un cours, ça vous fera deux billets !

René. — Ça, c’est un peu fort !

Erik. — Si ces conditions ne vous conviennent pas, je m’en vais ! Mais vous m’avez dit que vous avez une audition demain ? Ça va être compliqué de me trouver un remplaçant d’ici là !

René, sortant son portefeuille. — Bon, bon… ça va… (Donnant deux billets à Erik) C’est pas très honnête, tout ça…

Erik, empochant les billets avec un large sourire. — La vie est dure pour les artistes, mon bon monsieur… Commençons. Dans votre façon de chanter, il y a trois choses qui ne vont pas. Le rythme, le souffle et la voix. 

René, ironique. — Si ce n’est que ça, je suis rassuré…

Erik. —Tout d’abord, le rythme. Vous n’avez aucun rythme, mon vieux ! À vous écouter, on dirait un moteur arrivant en fin de réservoir ! Pour corriger cela, il suffit de marquer les temps en tapant du pied par terre. Ainsi, le tempo sera plus régulier. Allez-y, je vous guide.

 Renémarquant chaque syllabe soulignée d’un coup de pied au sol lorsque Erik lui indique. — « Ah le petit vin blancqu’on boit sous les tonnellesquand les filles sont belles, du côté de Nogent » (René, s’étant observé lui-même, affiche une expression de déconvenue.)

Erik. — Très bien ! Maintenant, le souffle. Vous n’avez aucun souffle, mon vieux ! À vous écouter, on dirait un asthmatique lors de son dernier soupir ! Pour corriger cela, il suffit de prendre régulièrement des inspirations. Allez-y, je vous guide. 

Renésuivant toujours les indications d’Erik. — « (Inspiration.) Ah le petit (Inspiration.) vin blanc, (Inspiration.) qu’on boit sous les (Inspiration.) tonnelles, (Inspiration.) quand les filles (Inspiration.) sont belles, (Inspiration.) du côté de (Inspiration.) Nogent. » (René, s’étant observé lui-même, n’est absolument pas convaincu du résultat.)

Erik. — Très bien ! Pour finir, la voix. 

René, désireux d’écourter la leçon. — Merci, mais je crois que je vais m’arrêter là…

Erik, croyant de plus en plus à ce qu’il fait. — Tout de même ! Finissons ! Vous n’avez aucune voix, mon vieux ! À vous écouter, on dirait une souris avec un chat dans la gorge. Pour corriger cela, il suffit d’aller dans les graves en poussant avec le ventre. Oui, il faut pousser ! Car le chant, c’est un accouchement ! Allez-y, je vous guide. 

Renéd’une voix très grave, contractant son ventre selon les indications d’Erik. — « (Contraction.) Ah le petit vin blanc, (Contraction.) qu’on boit sous les tonnelles, (Contraction.) quand les filles sont belles (Contraction.), du côté de Nogent ».

Erik. — Très bien ! Maintenant, vous appliquez les trois consignes à la fois : pulsation, inspiration et contraction.

Renéd’une voix très grave, contractant son ventre et marquant le rythme du pied. — « (Inspiration et contraction.) Ah le petit vin blanc(Inspiration et contraction.) qu’on boit sous les tonnelles(Inspiration et contraction.) quand les filles sont belles(Inspiration et contraction.), du côté de Nogent ». (René et Simone sont effondrés par le résultat de cet exercice.)

Erik. — Extraordinaire ! Maintenant, vous savez chanter !

René, incrédule. — Vous êtes sûr ?

Erik. — Totalement ! Suivez mes conseils et demain, à l’audition, vous allez faire un malheur !…

René, à part. — Ça pour faire un malheur, je vais faire un malheur…

Erik. — Avant de repartir, je vais prendre un petit café.

Simone, ayant suivi toute la scène, médusée. — Tenez.

Erik, voulant boire son café mais s’en renversant la moitié sur lui. — Zut ! De quoi j’ai l’air maintenant ? Je ne peux quand même pas rester comme ça ?

René, dans la tête duquel une idée germe. — J’ai peut-être une solution…

Erik, reprenant espoir. — Vous me sauveriez la vie !

René. — J’ai une chemise à votre taille dans mon armoire. Je peux vous la prêter !

Erik, aux anges. — Ce serait très charitable de votre part !

On entend une explosion dans la cuisine. De la fumée s’en échappe. Johanne en ressort le visage barbouillé de noir.

Simone. — Qu’est-ce qui se passe ?

Johanne. — Le four ! Je enfourné les poulets, J’ai réglé le thermostat… et puis… et puis…

René. — Et puis quoi ?

Johanne. — Et puis tout a valsé ! … la porte du four a valdingué sur le mur d’en face… Je me suis aperçue que j’avais mis par erreur la pyrolyse…

Simone. — Pas de bobo ?

Johanne. — Je crois que ça va…

René. — Tant mieux. (À Erik) Je reviens…

Alors que Johanne se débarbouille, Erik la regarde de plus en plus.

Erik. — Excusez-moi, mademoiselle, mais je crois que je vous ai déjà vue quelque part…

Johanne, peu agréable. — On me l’ai déjà faite, celle-là. Soyez plus original. 

Erik. — Ce n’est pas une phrase apprise par cœur… Je vous assure, je vous connais… Attendez… (Il consulte son téléphone portable et la regarde.) Ça y est ! Jennifer !

Johanne, le regardant sans comprendre. — Hein ?

Erik. — Tu es bien Jennifer ?

Johanne, se remémorant son pseudo, un peu gênée. — Ah ! euh… oui ! (Le regardant) Julio !

Erik, la regardant sans comprendre. — Hein ?

Johanne. — Tu es bien Julio ?

Erik, se remémorant son pseudo, un peu gêné. — Ah ! euh… oui ! Mais… au fait… C’est toi la patronne, ici ?

Johanne. — Quoi ?

René revient avec une chemise propre sur un cintre. 

Erik. — Dans ton profil, tu dis que tu es « patronne » à l’Omnibus Café.

René, posant la chemise. — Et voilà ! (À Erik) Elle est  à vous !

Johanne, à Erik. — Tu connais René ?

Erik. — Oui ! C’est une longue histoire… (Désignant René) C’est ton employé ?

Johanne, mal à l’aise. — Euh… oui, bien sûr…

René, voulant affirmer son autorité. — Bon dis-donc, Johanne, je veux bien que cette explosion t’ait secouée, mais maintenant faudrait voir à aller nettoyer tout ce bordel ! (Il montre la cuisine d’où parviennent encore des nuages de fumée noire.) Parce que les clients du déjeuner, ils vont radiner dans pas longtemps ! Et Thomas, quand il prendra son service, faudra qu’il puisse envoyer les menus ! Allez, bouge-toi les fesses ! 

Erik, à Johanne, outré. — Comment il te parle !…

Johanne, s’efforçant de rire. — Sacré René ! … Il ne fait pas dans la dentelle ! …

Erik, toujours outré. — Moi, un de mes employés me parlerait comme ça, je le mettrais à la porte tout de suite !

Johanne, jouant la magnanimité. — Il est un peu à cran, en ce moment… Là je n’ai rien dit, mais la prochaine fois, je lui expliquerai qui est la patronne, ici !

René, à Johanne, de plus en plus énervé. — Eh oh ! Miss ! J’ai pas été clair ? Tu te mets au boulot et tout de suite ! Sinon, crois-moi, ça va chauffer ! Magne-toi le popotin !

Erik, doublement outré. — Oh ! On se demande vraiment qui est le patron, ici… (À Johanne) Tu ne vas pas rester sans rien faire ?

Johanne, gênée mais contrainte d’agir. — Ça non ! Il a dépassé les bornes ! (À René) René ?

René, s’apercevant de la présence de Johanne. — T’es encore là ?

Johanne, peu sûre d’elle. — Oui, je suis encore là… Je suis encore là parce que j’ai quelque chose à te dire…

René, excédé. — Pas de problème, on fait comme d’habitude : tu me fais une note, je la mets en boule, je la fous au panier et on n’en parle plus !

Johanne, de moins en moins sûre d’elle. — Eh bien non ! Tu ne la mettras pas au panier, cette fois !

René, surpris par cette audace. — Tiens ?

Johanne, reprenant un peu confiance. — Voilà… écoute bien… (Le regardant dans les yeux) Ne me parle pas sur ce ton ! …

René, soufflé par cette demande. — Non mais oh ! C’est qui le patron, ici ?

Johanne, souhaitant changer de sujet. — Oh je t’en prie, hein ! 

René, têtu. — Réponds à ma question : « C’est qui le patron, ici ? »

Johanne, éludant. — C’est bon… c’est bon…

René, borné, plus sec. — C’est qui le patron, ici ?

Johanne, à voix basse. — Ça va… ça va… C’est toi…

René, de mauvaise foi. — J’ai pas entendu. C’est qui ?

Johanne, d’une voix normale. — C’est toi…

René, criant. — C’est qui, le patron ?

Johanne, hurlant. — C’est toi le patron !

René, fier de cette victoire. — J’aime mieux ça…

Erik, ne comprenant pas, à Johanne. — Mais alors, c’est lui, le patron ?

Johanne, essayant de maintenir le mensonge. — Pas du tout !…

Erik. — Alors pourquoi tu le lui as dit ?

Johanne, cherchant quoi dire. — Parce que… parce que… (Trouvant) Parce que j’ai décidé de laisser René être le patron une semaine sur deux !

Erik. — Ah bon ? Pourquoi ?

Johanne, inventant au fur et à mesure. — C’est une sorte de… management participatif !… pour… pour impliquer davantage mes employés ! …

Erik, admiratif. — C’est hyper novateur !…

Johanne, jouant la modestie. — Merci… merci…

Erik. — Du coup… Quand René te donne des ordres…

Johanne. — Eh bien je les applique !  C’est la règle du jeu…

René, renfrogné. — Johanne, t’es pas en pause ! Alors retourne dans cette cuisine, sinon je te colle mon pied où je pense !

Johanne à René, après avoir fait un clin d’œil à Erik. — Oui patron !… (Erik répond à Johanne par un autre clin d’œil.)

Johanne retourne dans la cuisine.

René, à Erik. — Alors, pour la chemise ?

Erik. — Eh bien, je crois que je vais profiter de votre générosité ! Mais, une question : à quelle heure Jennifer finit-elle ?

René. — Jennifer ? C’est qui, celle-là ?

Erik. — Eh bien votre… (Clin d’œil.) Votre serveuse ! 

René. — Ah ! … Johanne ? (Regardant sa montre.) Oh… D’ici une demi-heure…

Erik. — Bien alors… Je reviens tout de suite… 

Erik sort.

René, à part. — Celui-là, s’il est prof de musique, moi je suis la Reine d’Angleterre…

La radio se remet en marche.

Simone, bidouillant l’appareil. — Celle-là… un coup elle marche, un coup elle marche pas… (Elle s’absorbe alors dans le démontage de la radio, qui vient de s’éteindre à nouveau.)

Discrètement, René ressort la valise de derrière le comptoir. Il la rouvre et en contemple le contenu, pensif.

René, pour lui. — Je pourrais peut-être les enterrer dans l’arrière-cour… ou je les fais fondre et je me fais refaire les dents du haut…

Soudain, Johanne rentre par la cuisine. Elle jette un regard circulaire.

René, tentant de cacher la valise. — Qu’est-ce qui se passe encore ?!

Johanne. — Julio n’est plus là ?

René. — Julio ?

Johanne. — Oui, le garçon qui était là…

René. — Ah ! Erik ! 

Johanne. — Erik ?

René, nerveux. — Bon, on peut savoir ce qui t’amènes ?

Johanne. — Ben, c’est à dire que comme j’ai cramé les poulets, je voulais savoir ce que je… (Elle s’interrompt car elle se rend compte que René lui cache quelque chose.) Qu’est-ce que c’est ?

René, mal à l’aise. — Rien, rien…

Johanne. — C’est une valise ? Tu pars en voyage ?

René, idem. — Mais non, mais non…

Johanne, voyant le contenu du bagage. — Mais… mais… c’est quoi, tous ces lingots ?

René, lui faisant signe d’être discrète. — Parle moins fort !

Johanne, impressionnée, parlant bas. — D’où ça vient ?

René, idem. — J’en sais rien ! 

Johanne, idem. — Comment ça, t’en sais rien ?

René, idem. — Elle était dans le train !

Johanne, idem. — Y a le nom du proprio ?

René, idem. — Non !

Johanne, idem. — Génial ! T’es riche !

René, idem. — Je sais pas…

Johanne, idem. — Comment, tu sais pas ?

René, idem. — J’ai peur que ça me rapporte plus d’emmerdements qu’autre chose…

Johanne, idem. — Des emmerdements ? Comment ça des emmerdements ?

René, idem. — Johanne, réfléchis : cette valise a bien un propriétaire !… 

Johanne, idem. — Et alors ?

René, idem. — Et alors il va vouloir la retrouver ! 

Johanne, idem. — Où est le problème ? On la met en sécurité et on fait moitié-moitié !

René, idem. — Hein ?

Christian rentre, nerveux.

Christian, à la cantonade. — Nadia n’est pas là ?

René, cachant rapidement la valise avec l’aide de Johanne. — Quoi ?

Johanne, bas, à René. — Alors René, pour les poulets ?

René. — Je m’en fous ! Débrouille-toi !

Johanne ressort, dépitée.

Christian. — Et Isa ? Elle est là, Isa ?

René. — Pourquoi t’es parti sans un mot, tout à l’heure ?

Christian. — Je sais pas…

René. — Et pourquoi t’es revenu ?

Christian. — Je sais pas…

René. — T’as pas l’air bien…

Christian. — René, je ne sais pas comment je vais m’en sortir…

Nadia rentre, au téléphone.

Nadia. — Entendu, à bientôt ! (Elle raccroche. À Christian) Qu’est-ce que tu fais debout ?

Christian, nerveux. — Je… je me dégourdissais les jambes… Il en a duré un temps, ton coup de fil…

Nadia. — Ils tiennent à moi…

Christian. — Qui ?

Nadia. — Dans la hiérarchie.

Christian. — Ah ?

Nadia. — Ils me proposent un poste de manager.

Christian. — Mais c’est… bravo, ma chérie !

Nadia. — Non seulement j’encadrerai une équipe de vingt personnes à bord du train, mais je m’occuperai aussi de leur évolution de carrière.

Christian. — Eh bien… on va fêter ça !

Tous les deux lèvent leurs verres alors qu’Isa rentre, un stylo à la main.

Isa. — J’ai cru que je n’en trouverais jamais ! 

Isa dévisage Nadia, qui la regarde de haut en bas. 

Isa, saluant Nadia. — Bonjour.

Nadia, saluant Isa. — Madame. 

Silence gêné.

Nadia, voyant le stylo porté par Isa, à Christian. — Tu fais faire tes courses à madame ?

Christian, bafouillant. — Non c’est parce que… enfin je veux dire… voilà, c’est…

Isa. — Christian attendait un coup de fil important, alors il m’a demandé de…

Nadia, la coupant. — Un coup de fil ? Quel coup de fil ?

Christian, de moins en moins sûr de lui. — Alors c’était… c’était… comment s’appelle-t-il, déjà ?

Nadia. — Et si tu nous présentais ?

Christian. — Euh… oui… oui… (Faisant les présentations) Nadia, Isa. 

Autre silence gêné.

Nadia. — Eh bien le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est une présentation synthétique !… Mais… (Regardant l’uniforme d’Isa.)Nous sommes collègues, je pense.

Isa. — Oui, je travaille en trains régionaux.

Nadia, avec une pointe d’orgueil. — Moi sur les grandes lignes. J’arrive de Milan…

Isa. — Moi, je devais partir à Lyon, mais la locomotive a eu une panne.

Nadia, réfléchissant. — Tiens… En résumé, vous ne devriez pas être là ?

Isa, souriante. — Non, c’est vrai… C’est une chance !

Nadia. — Une chance ?

Isa, aux anges, se rapprochant de Christian. — Oui ! Comme ça, on va pouvoir passer plus de temps avec Christian ! 

Nadia, fulminant. — Tu m’expliques, Christian ?

Christian, prenant Nadia à part. — Ne fais pas attention à elle, c’est une déséquilibrée qui est folle de moi…

Nadia, bas. — Tu ne m’en as jamais parlé !

Christian, bas. — Je ne voulais pas t’ennuyer avec ses crises…

Nadia, bas. — Il faut neutraliser cette énergumène.

Isa, toujours souriante. — Dites donc, tous les deux… Si vous continuez vos messes basses, je vais me poser des questions ! …

Nadia, à Isa. — Madame, je vous demanderai d’arrêter immédiatement de harceler mon fiancé, sinon je serais obligée de prévenir la police. 

Christian, bas, à Nadia. — Tais-toi !

Isa, quittant son sourire. — Votre « fiancé » ? (À Christian) Qu’est-ce qu’elle raconte, cette morue ?

Christian, bas, à Isa. — Ne t’occupe pas d’elle ! C’est une nymphomane !

Nadia, éclatant. — Mais pour qui elle se prend, celle-là ?

Christian, bas, à Nadia. — Ne fais pas attention, cette fille est une malade !

Nadia, à Isa. — Si je suis une morue, vous, vous êtes une belle garce !

Isa, hors d’elle. — Moi, une garce ? Mais c’est vous qui vous jetez sur mon mec !

Nadia, criant. — Christian ? Votre mec ? Nous sommes fiancés depuis deux ans !

Christian, à part. — Oh lala…

Isa, hurlant. — Deux ans ? Mais c’est avec moi que Christian est fiancé ! Et depuis deux ans et quinze jours !

Isa et Nadia se retournent lentement vers Christian : elles ont compris.

Isa et Nadiapleines de rage. — Christian ! …

Christian. — Je… je… je… je vais vous expliquer…

Nadia. — Pauvre type !

Isa. —Minable !

Nadia. — Tocard !

Isa. — Enfoiré !

Nadia. — Ne cherche plus à me revoir ! 

Elle s’en va.

Isa. — Tout est fini entre nous ! 

Elle s’en va.

Christian, leur courant après. — Vous n’allez quand même pas me laisser comme ça !…

Il sort.

René, pensif. — La bigamie, c’est avoir une femme de trop. (Il réfléchit encore.) La monogamie aussi.  

Simone, se décollant de la radio.  — Cette radio commence à me courir ! Je vais voir chez Proxiconfort s’ils peuvent me dépanner !

Elle sort alors que René remet la valise sur le comptoir. Il regarde autour de lui pour vérifier qu’il n’y a personne puis il l’ouvre.

René. — Bon. Il va bien falloir prendre une décision… Alors… (Il se met à compter ses lingots.) Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix… (Il fait une pause, car il commence à respirer vite.) Je pensais pas qu’il y en avait tant que ça… (Il reprend son dénombrement.) Onze, douze, treize, quatorze, quinze, seize, dix-sept, dix-huit, dix-neuf, vingt, vingt-et-un, vingt-deux, vingt-trois, vingt-quatre… (Il s’arrête, essoufflé et répète, comme assommé) Vingt-quatre lingots… (Prenant son téléphone)Voyons… cours du lingot… trente-trois mille. (Il vérifie qu’il a bien lu le chiffre.) Trente-trois mille ?! Trente-trois mille le lingot ? Mais c’est… c’est… Wouah ! … (Il se met à trembler.) Bon, bon bon… Alors trente-trois mille fois vingt-quatre… sept cents quatre-vingts douze mille… (Il suffoque.) Sept cents quatre-vingts douze mille dans une valise ! …. (Incrédule, René se sert un verre qu’il avale cul-sec.) Réfléchissons : ils vont bien finir par manquer à quelqu’un ces sept cents quatre-vingts douze mille ! ça se remarque, quand on perd sept cents quatre-vingts douze mille… Bien… Dès la fermeture, je vais chez les flics…

Rentre Johanne.

Johanne, ayant enfilé un tablier.  — Finalement, à midi, ça sera pâtes au thon pour tout le monde ! (Le regard sur René qui range maladroitement la valise sous le comptoir) Encore avec tes lingots ? 

René. — Mais tais-toi ! Ne prononce pas ce mot ici !

Johanne — Lequel ? « Lingot » ?

René. — Chut !

Johanne — T’as pas l’air bien… Tu veux qu’on appelle le docteur Poussin ?

René. — Fiche-moi la paix !

Johanne — Quel grincheux, celui-là…

Johanne repart en cuisine en ronchonnant alors que rentre Simone.

Simone — Personne peut venir ! Je crois que cette radio est foutue…

Rentre Erik, avec un bouquet de fleurs.

Erik, guilleret.  — Rebonjour ! Servez-moi donc une coupe de champagne ! 

René, le servant. — Dites donc… Une question comme ça… Vous n’avez jamais été professeur de chant ?

Erik — Euh… non… jamais… 

René. — Et vous arnaquez souvent les gens, comme ça ?

Erik — Vous connaissez le nombre de marches de la Tour Eiffel ?

René. — Je vois pas le rapport !

Erik — Un soir, j’étais avec des amis et la conversation roule sur la Tour Eiffel. La question se pose : combien de marches possède-t-elle ? Voulant les impressionner, j’affirme que je l’ai visitée il y a peu et que j’ai compté moi-même le nombre de marches. C’était un mensonge… Ni une, ni deux, quelqu’un prend son portable, fait une recherche et me lance : « Alors ? ça fait combien de marches ? » J’essaie un chiffre au hasard… J’étais en-dessous… très en-dessous… Vous savez combien de marches possède la Tour Eiffel ? 1665. Exactement. Je ne suis pas près d’oublier ce chiffre ! On me proposa un gage, que j’acceptais, pour ne pas perdre la face… Je devais me faire payer pour donner une leçon dans un domaine que je ne connaissais pas. Ce fut le chant. Et voilà toute l’histoire… J’ai enregistré la scène avec mon téléphone, comme ça, mes copains pourront…

René, le coupant, énervé. — Donc, si je comprends bien… vous m’avez sifflé deux billets pour satisfaire votre amour-propre…

Erik, gêné.  — On peut dire ça comme ça…

René, regardant son bouquet. — Vous avez un rendez-vous ?

Erik — Avec votre serveuse !

René. — Johanne ?

Erik — Mais non ! Jennifer ! C’est pour ça… (Montrant sa chemise) Je ne peux pas rester avec une chemise pleine de café… Votre proposition tient toujours ? 

René. — Pour la chemise propre ? Mais bien entendu ! (Il prend le cintre sur lequel se trouve la chemise propre.) Je vous la prête avec grand plaisir ! Ça vous fera deux billets. 

Erik — Quoi ?

René. — Deux billets pour vous prêter cette chemise toute la soirée. 

Erik, sortant deux billets, de mauvaise grâce et les donnant à René.  — Eh ben vous, alors… (René lui donne la chemise propre, qu’Erik met après avoir enlevé sa chemise.)

Simone. — Sinon, vous êtes quel signe ? 

Erik — Poisson.

Simone, cherchant dans son journal. — Poisson… poisson… Ah ! voilà ! « Grâce au trigone Jupiter-Neptune, vous serez le scénariste, réalisateur et interprète de votre vie » C’est très bon ! « À la manière d’un magicien, vous aurez plus d’un tour dans votre sac. Mais attention aux illusions ! » Vous êtes du genre baratineur ?

Erik — Moi ? Sûrement pas !

Johanne ressort de la cuisine.

Johanne, à René.  — Tout va bien : ça mijote. Tu pourrais me dire merci : j’ai sauvé la situation !

René. — T’as sauvé la situation que t’avais contribué à rendre merdique !

Johanne, s’apercevant soudain de la présence d’Erik et lui faisant un clin d’œil tout en s’adressant à René.  — Oui patron !

Erik, tendant le bouquet à Johanne.  — Tiens, c’est pour toi.

Johanne, le prenant.  — Merci… C’est très aimable à toi ! Mais je ne suis pas présentable… Il me reste du noir… (Elle s’essuie le visage.) Et je dois sentir le poisson ! …

Erik, reniflant.  — Du thon ?

Johanne, admirative.  — Quel nez !

René, à Erik. — Si vous parlez à ma serveuse, j’aimerais que ce soit pour consommer. C’est quoi votre petit nom, déjà ? Erik ?

Johanne — Erik ? Mais non ! Julio !

René, contestant. — Ah non ! Erik !

Johanne, le contredisant.  — Je sais ce que je dis : Julio !

René. — Erik !

Johanne — Julio !

Erik. — Hervé ! Mon vrai nom, c’est Hervé…

René et Johanne. — Hervé ?

Erik. — Oui… Quand j’ai passé l’annonce pour mes cours de chant… Je trouvais qu’Erik, ça faisait sérieux… Et quand j’ai créé mon profil sur Webflirt, je pensais que Julio, ça serait accrocheur. Le côté latin lover…

Johanne — Mais alors… tu m’as menti ?

Erik. — Ce n’était pas vraiment un mensonge, mais plutôt un petit arrangement avec…

Johanne — Comment veux-tu que je te fasse confiance ?

Erik. — Mais tu peux ! Parce que j’affirme que pour tout le reste…

Johanne — Tout le reste est vrai ?

Erik. — Mais oui !

Johanne — Ta voiture de sport ?

Erik. — Mais oui ! Une simca 1000 avec un moteur de fiat 500 !

Johanne, déçue.  — Ton jardin avec piscine ?

Erik. — Mais oui ! Trois boudins avec gonfleur automatique !

Johanne, très déçue.  — Ta maison en face de Bilbao ?

Erik. — Mais oui ! Juste en face ! Le Bilbao, le meilleur bar à tapas de tout le centre commercial !

Johanne, anéantie.  — En voilà assez ! Je crois que nous n’avons plus rien à nous dire…

Erik, ne comprenant pas. — Mais enfin, Jennifer ? …

Johanne, très froide.  — Au revoir !

Erik, triste. — Ah ? Bon… Au revoir…

Erik s’en va lentement et mélancoliquement.

Simone, à Johanne. — Je te trouve légèrement gonflée, comme fille ! 

Johanne — Comment ça ?

Simone. — Tu lui plais, ça crève les yeux !

Johanne — Il m’a menti !

Simone. — Et alors ?

Johanne — Il m’a menti sur son nom, il m’a menti sur sa maison…

Simone. — Comme toi !

Johanne — Moi ?

Simone. — Tu t’es présentée sous ton vrai prénom ?

Johanne — Euh non… je me suis fait appeler Jennifer, parce que je trouvais ça plus…

Simone. — Et ton boulot ici ? Qu’est-ce que tu lui as raconté ?

Johanne — Je lui ai dit que… (Bas) Je lui ai dit que j’étais la patronne…

Simone. — Tu manques pas de toupet !

Johanne — Oui, mais je trouvais que « serveuse », ça faisait pas assez…

Simone. — Tu lui donnes un faux prénom, ensuite un faux boulot, et après tu fulmines parce que lui aussi a un peu embelli la réalité ?

Johanne — J’ai peut-être un peu exagéré…

Simone. — Le mot est faible ! Je vais te dire, Johanne : en vérité, vous vous êtes trouvés !

Johanne, avec une lueur d’espoir.  — Tu crois ?

Simone. — J’en suis sûre ! Alors je n’ai qu’un conseil à te donner : finis ton service, mets en route le déjeuner et ensuite, rejoins-le !

Johanne — Tu as peut-être raison…

Simone. — Et puis tu sais… personne n’est éternel ! Alors… quand sonnera l’heure de la retraite… et qu’il faudra que L’Omnibus Café trouve un nouveau capitaine, eh bien… il se pourrait que tu sois en bonne place pour prendre le poste…

Johanne, joyeuse.  — C’est vrai ?

René. — Mais pour ça, en attendant, il faut bosser !

Johanne, déterminée.  — Tu peux compter sur moi ! Je vais en mettre un coup !

Johanne repart en cuisine, revigorée alors qu’Isa et Fred rentrent ensemble.

Isa. — Et tu viens souvent, ici ?

Fred. — En ce moment, j’ai beaucoup de temps libre ! (Commandant, au comptoir) Deux cafés ! (À Isa) On s’était pas vu-e-s depuis combien ? Trois ans !

Isa. — J’ai appris pour ton mari/ta femme. Condoléances !

Fred. — Hélas… j’ai eu beaucoup de peine… Mais maintenant, ça va mieux, j’ai rencontré quelqu’un !

Isa, triste. — Félicitations !

Fred. — Toi, ça n’a pas l’air d’aller…

Isa, au bord des larmes. — Je viens d’apprendre que mon fiancé me trompe !

Fred. — Ce n’est que ça ? Le mien/la mienne aussi !

Isa. — Oui mais moi, ça fait deux ans que ça dure !

Fred. — Mais moi, ça fait plus longtemps encore ! En fait… je crois que je suis cocu-e depuis que je l’ai rencontré-e. 

Isa. — C’est horrible !

Fred. — Ce sont des mensonges incessants : « Je rentrerai tard, j’ai une réunion », « Ne m’attends pas, je suis en panne sur l’autoroute », « Désolé-e, j’ai un séminaire ce weekend à Barcelone ». Bref, c’est une succession de duperies dont je suis toujours la victime !

Isa. — Tu ne t’es pas décidé-e à agir ?

Fred. — Oh si ! Il était temps, d’ailleurs… j’ai décrété que je ne serais plus le jouet de ses fables. Et depuis, tout va bien.

Isa. — Comment fais-tu ?

Fred. — C’est très simple : je fais semblant d’y croire. 

Isa, après un temps. — Pardon ?

Fred. — Face à toutes ses inventions, toutes ses impostures, tous ses mensonges éhontés, je conserve la même attitude : je fais mine de prendre tout ça pour la vérité. 

Isa, décontenancée. — Ah… C’est ta parade ?

Fred. — Génial, non ?

Isa, peu convaincue. — Si on veut…

Fred. — Il/Elle pensait que je serais le dindon de la farce, mais il/elle s’est bien planté-e. C’est moi qui le nique ! Allez, faut que j’y retourne !

Fred sort en laissant Isa méditer sur cette histoire.

Simone, à Isa. — Un deuxième ?

Isa. — Non… Un kirsch ! Où sont les toilettes ? Simone lui fait un petit signe.)

Christian rentre alors qu’Isa vient de disparaître.

Christian, à Simone. — Donne-moi quelque chose de fort !

Simone. — Un kirsch ?

Christian. — Bonne idée ! (Simone lui montre celui qu’elle vient de servir pour Isa. Christian le boit cul-sec.) C’est fort, ce truc ! …

Simone, resservant un deuxième verre. — C’est ce que tu voulais, non ? 

Christian. — Il faut que je change ! J’en ai marre de moi ! Je me mets toujours dans des situations… Je n’arrive pas à prendre des décisions…  

Simone. — C’est parce que tu veux contenter tout le monde… 

Christian. — Je suis trop gentil…

Simone. — Dans la vie, il faut savoir choisir. Et choisir, ça signifie toujours renoncer à quelque chose.  

Christian. — Tu as raison. Mais ça va changer. Tu ne vas plus reconnaître le nouveau Christian ! Désormais je vais trancher dans le vif ! Quitte à faire des malheureuses !

Isa sort des toilettes.

Isa. — Christian !

Christian. — Isa ! 

Ils se précipitent dans les bras l’un de l’autre. 

Christian. — Tu es revenue !

Isa. — Je n’aurais jamais pu partir comme ça ! Je t’aime trop !

Christian. — Moi aussi je t’aime, mon amour ! (Baiser.) D’ailleurs tu sais, c’est avec toi que je veux faire ma vie. En vérité, c’est très bien que Nadia soit partie comme ça. 

Isa. — C’est vrai ? Oh je suis si heureuse !  Et si je te présentais à maman ?

Christian. — D’accord ! Je veux que tout le monde sache que désormais, nous formerons un couple indissoluble !

Isa. — Ne bouge pas. Je passe chez le fleuriste et je reviens te prendre !

Christian. — Très bien mon amour ! (Nouveau baiser.)

Isa sort vivement.

Christian, à Simone. — Tu ne peux pas savoir comme je suis soulagé ! C’est comme si on m’avait enlevé un poids ! (Voyant le deuxième kirsch) Tu m’as resservi ? (Il le boit cul-sec.) C’est fort, ce truc…

Nadia rentre. 

Nadia. — Christian !

Christian. — Nadia ! 

Ils se précipitent dans les bras l’un de l’autre. 

Christian. — Tu es revenue !

Nadia. — Je n’ai pu me résoudre à partir… Je crois que je t’aime.

Christian. — Moi aussi je t’aime, mon amour ! (Baiser.) D’ailleurs tu sais, c’est toi que je veux épouser. En vérité, c’est très bien que Isa soit partie comme ça. 

Nadia. — C’est vrai ? Au fond de moi, j’étais sûre que ça se terminerait comme ça… Et si je te présentais à papa ?

Christian. — D’accord ! Je veux que la Terre entière sache que désormais, il n’y aura plus personne entre toi et moi !

Nadia. — Reste ici. Je passe chez le caviste et je reviens te prendre !

Christian. — Très bien ma chérie ! (Nouveau baiser.)

Nadia sort vivement.

Christian, à part, commençant à sentir le poids du kirsch. — Je suis dans une merde, moi… (Montrant le verre de kirsch vide) Un autre !

Constatant que la bouteille est vide, Simone sort pour en rechercher. Titubant, Christian n’attend pas qu’elle revienne et s’en va. Soudain, la radio émet des grésillements et laisse échapper un son.

René — Ça y est ! Elle remarche !

Radio — Flash Spécial : le célèbre Clan des Siciliens a encore frappé. Très tôt, ce matin, les gangsters tristement connus des services de police ont attaqué un transporteur de fonds en panne sur l’autoroute. Ils ont ensuite pris la fuite avec une valise remplie d’une vingtaine de lingots d’or. Après avoir perdu leur trace, la police les aurait aperçus près d’une voie ferrée, mais sans le bagage contenant leur trésor. Il est donc probable que la valise ait été égarée. Si d’aventure vous trouvez une valise bourrée de lingots, n’attendez pas : votre vie est en danger ! Les deux malfrats ne reculeront devant rien pour récupérer leur magot ! (La radio se brouille de nouveau.)

René, avec un air de défi.  — Eh ben je l’attends, moi, le Clan des Siciliens ! Ils peuvent venir avec leurs bagnoles, leurs hommes de mains et leurs flingues ! Ces lingots, ils sont à moi ! Pour y toucher, faudra me passer sur le corps !

Entrent les frères ou les sœurs Bagarella. Avec un air patibulaire, ils/elles se mettent à inspecter la pièce alors que René les regarde d’un air inquiet. Puis, les Bagarella se rapprochent lentement du comptoir.

Carlo/Carla, accent italien. — Bonjour monsieur. Un ristretto, s’il vous plaît. Bien serré.

Gino/Gina, accent italien. — La même chose. 

René, les servant, nerveux, mais tentant de faire bonne figure. — Je ne pense pas vous avoir déjà vu dans mon établissement, messieurs/mesdames.

Carlo/Carla. — On a horreur des transports en commun. Mais on est parfois obligé-e-s de les prendre, quand notre Alfa Roméo fait des siennes.

René. — Et qu’est-ce qui vous amène dans notre jolie ville ?

Gino/Gina. — On a perdu quelque chose. 

René, inquiet. — Ah ?

Carlo/Carla. — Quelque chose de très important pour nous.

René, de plus en plus inquiet. — Ah ?

Gino/Gina. — Une valise. 

René, très nerveux. — Une… une valise ?

Carlo/Carla. — Une valise !

René, jouant l’idiot. — Une valise ? Vous savez… ici, vous êtes à l’Omnibus Café. Autant vous dire que des valises, on en voit à longueur de journée !

Gino/Gina. — Notre valise à nous, c’est une valise un peu spéciale…

Carlo/Carla. — Une valise un peu plus lourde que les valises ordinaires…

René, jouant l’idiot, toujours très nerveux. — Je… je ne vois pas ça autour de moi…

Carlo/Carla. — On a mené notre petite enquête.

Gino/Gina. — On a fouiné dans tous les coins.

Carlo/Carla. — On a recueilli des indices.

Gino/Gina. — On a interrogé différentes personnes.

Carlo/Carla. — Et on a fini par savoir que quelqu’un est entré ici tout à l’heure avec une valise, puis est ressorti sans rien.

René, jouant l’idiot, très très nerveux. — Tiens ? 

Gino/Gina. — Une valise qui ressemble beaucoup à la nôtre.

René, tremblant comme une feuille. — Ah bon ?

Carlo/Carla. — Vous ne l’auriez pas vue, par hasard ?

René. — Écoutez… je… non…

Carlo/Carla. — C’est une valise à laquelle on tient beaucoup.

Gino/Gina. — Il faut qu’on la retrouve. C’est important. Très important. 

René. — Navré mais… j’ai beau essayer de me souvenir… je ne me souviens pas avoir vu de valise ce matin…

Gino/Gina, à son frère/sa sœur. — Peut-être qu’on pourrait aider monsieur à se rafraîchir la mémoire ?

Carlo/Carla. — On a justement ce qu’il faut. (Sortant un revolver et tenant René en joue) Alors, ça vous revient ?

René, épouvanté. — Non ! Non ! Je vous en prie !

Gino/Gina, sortant également un revolver. — Allez ! Cherchez bien dans vos souvenirs… Une valise plutôt lourde…

René, sortant la valise de sous le comptoir. — La voilà ! Elle est là !

Gino/Gina. — Vous voyez, en faisant un petit effort !

René. — Ça me revient, maintenant ! Un client l’a trouvée dans le train et l’a laissée ici !…

Carlo/Carla. — Reste à savoir si le contenu est intact. (Il/Elle ouvre la valise et compte.) Le compte y est !

Gino/Gina. — Encore heureux ! …

La Radio, se remettant en marche brusquement. — Flash spécial : le Clan des Siciliens, que toutes les forces de l’ordre recherchaient, a finalement été appréhendé avec l’intégralité de son butin. Vous pouvez donc être pleinement rassurés : les gangsters sont à présent sous les verrous ! Bonne journée à toutes et à tous ! (La radio se brouille de nouveau.)

Carlo/Carla, faisant allusion au flash. — En voilà qui ne font vraiment pas honneur à la Sicile ! (À René) Nous sommes, nous aussi, d’origine sicilienne. 

René. — Mais alors vous n’êtes pas ? …

Gino/Gina. — C’est vrai qu’on ne s’est pas présenté-e-s !

Carlo/Carla. — Carlo/Carla et Gino/Gina Bagarella, spécialistes en farces et attrapes ! 

Gino/Gina, sortant un lingot de la valise. — On dirait des vrais, n’est-ce pas ? Mais ce sont des accessoires de décoration ! Ils sont remplis avec du plomb. Vous pouvez vous en servir comme presse-papier ou pour caler une porte. 

Carlo/Carla, approchant un lingot de René. — Vous voyez, c’est marqué là, en tout petit : « Made in China. » 

René. — Et vos revolvers ?

Les Bagarella actionnent leurs revolvers, qui laissent apparaître un drapeau « Bang ! ».

Gino/Gina, refermant la valise. — Merci et au revoir. 

Carlo/Carla. — N’hésitez pas à passer nous voir, si vous avez envie de faire des farces ! 

Les Bagarella sortent en riant alors que Simone rentre avec une nouvelle bouteille de kirsch.

Simone. — L’écrivain est parti ?

René, comme sortant d’un rêve. — Euh… oui…

Johanne sort de la cuisine.

Johanne. — C’est bon, tout est en place. Au fait, il faudra qu’on parle. À propos de mon augmentation !

René. — Ta quoi ?

Johanne. — Vu tous les lingots que t’as ramassés, tu vas pouvoir m’augmenter !

Simone. — Quels lingots ?

René, mélancolique. — Oh tu sais, les lingots, ça va, ça vient…

Johanne. — Quoi ? Tu les as plus ? (Se souvenant de quelque chose.) Mais au fait… J’ai entendu un truc à la radio à propos du Clan des Siciliens. C’était eux ?

René, hésitant, puis. — Oui !

Johanne. — Ils voulaient récupérer les lingots ?

Simone. — Mais quels lingots ?!

René. — Stéphane/Stéphanie avait trouvé une valise dans son train. Il/Elle me l’a laissée en dépôt ici, et quand je l’ai ouverte : des lingots ! En fait, c’était le Clan des Siciliens !

Johanne. — C’est drôle parce que je me souviens que y a pas longtemps, j’ai vu une annonce pour des faux lingots chez les Farces et attrapes Bagarella !

René. — Eh ben là, pas du tout ! Les miens, c’étaient des vrais ! J’étais là en train de faire briller mes verres quand tout à coup, qu’est-ce que je vois : le Clan des Siciliens qui entre dans la salle !

Johanne, épouvantée. — Mais ils étaient combien ?

René. — Je sais plus… une quinzaine…

Johanne, surprise. — J’ai rien entendu…

René. — Sans prévenir, ils pointent leurs armes sur moi. Poignards, magnums 737, mitrailleuses Beretta et kalachnikovs ! Ils me disent : (Contrefaisant l’accent italien) « On sait que t’as les lingots. Aboule ! » J’ai cru ma dernière heure arrivée, mais j’ai pas bronché ! J’ai regardé celui qui me semblait être le chef et j’y ai dit droit dans les yeux : « Dis donc, le Macaroni, quand on est poli, on dit bonjour ». Et là, tu me croiras si tu veux, le voilà qui se met à pleurer ! « S’il te plaît, monsieur, rends-nous les lingots, c’est le cadeau d’anniversaire de la mamma ! » Je lui ai balancé un torchon pour qu’il essuie ses larmes et j’ai rétorqué : « C’est bon, je vous les rends, ces lingots. Mais parce que vous me faites pitié ! Et maintenant, dégage avant que je m’énerve. »

Johanne, admirative. — Wouah ! 

René. — Et ouais, je suis comme ça, moi ! La famille avant tout. Mais toute cette histoire m’a donné une bonne leçon. (Autoritaire) Maintenant, ça va filer droit ici ! Plus d’exception. On applique les règles !

Johanne. — De toute façon, lingots ou pas, tu vas faire fortune dans la chanson !

René, dubitatif. — Je suis plus trop sûr…

Johanne. — Du coup, tu ne vas pas pouvoir éponger les dettes de l’Omnibus Café ?

René. — Je le crains…

Simone, parcourant le journal. — Oh ! Il y a une nouvelle école supérieure qui ouvre à la rentrée prochaine. Quinze mille étudiants ! Une école de police !

René, exultant. — Nous sommes sauvés ! Commande quinze caisses de rouge !

Erik rentre avec une chemise à la main.

Erik, à René. — Je vous rapporte votre chemise. Finalement, je crois qu’il faut que j’arrête de vouloir paraître ce que je ne suis pas ! (À Johanne) Ah, Jennifer ! 

Johanne, souriante. — Je m’appelle Johanne.

Erik. — Excuse-moi…

Johanne, souriante. — Aucune importance Julio, euh… non, Erik ! euh… non… Hervé !

Erik. — Je me disais… C’est trop bête, cette histoire…

Johanne. — C’est vrai ! Et si on allait boire un verre pour en discuter ? Mais, ailleurs qu’ici ! 

Erik, souriant. — Avec plaisir !

Johanne, à René. — Thomas devrait arriver dans cinq minutes. Exceptionnellement, tu m’autorises à quitter mon service un peu plus tôt ?

René, regardant sa montre. — C’est bon, vas-y !

Johanne, lui faisant une bise. — Merci René !

Johanne et Erik sortent alors qu’Isa rentre.

Isa, avec un bouquet de fleurs, fait le tour de la salle puis, à René. — Christian n’est pas là ?

René. — Christian ? 

Nadia rentre.

Nadia, avec une bouteille de vin, à René. — Christian est parti ?

René. — Il me semble, oui !

Soudain, Nadia s’aperçoit de la présence d’Isa. Elle regarde son bouquet de fleur tandis qu’Isa regarde sa bouteille de vin. 

Simone, le nez dans son journal. — Il paraît que « grâce à la subtile alchimie des effets lunaires et Vénus », on sera nombreux à voir notre vie sentimentale renaître de ses cendres… Vérité ou mensonge, j’ai envie d’y croire !

Soudain, la radio grésille et laisse échapper un air de musette.

René. — Finalement, elle marche très bien, cette radio ! Allez, c’est ma tournée ! (À Isa et Nadia) Qu’est-ce que je vous offre, mesdames ?

***

FIN 

de 

Omnibus Café 

Des questions ? Des remarques ?

Écrivez-nous : contact@rivoireetcartier.com


Cette pièce vous a plu ? Pour découvrir la prochaine en avant-première, inscrivez-vous sur le site et abonnez-vous à notre Lettre de Nouvelles.

Retour en haut