Meurtre au château



Vous aimez la vie de château et les meurtres atroces ?

En moins d’une heure de lecture, découvrez comment plonger votre public dans une enquête chic et choc (même si vous avez peu de moyens).

Avant de vous en dire plus, on a 3 questions rapides à vous poser : 

🆘 Est-ce que vous avez marre de tomber sur des textes qui ne correspondent jamais à votre répartition femmes-hommes ?

🆘 Est-ce que vous en avez assez de ces textes qui essaient de faire rire tout le monde pour finir par ne plus faire rire personne ?

🆘 Est-ce que vous ne supportez plus ces comédies qui ont renoncé à éveiller l’esprit critique du public ?

Les compagnies qui ont monté Meurtre au Château ont répondu oui à au moins 2 questions. Vous n’êtes pas seul-e !

Résumé : Alors qu’une réception mondaine bat son plein au château de la Motte-Fleurie, un meurtre est commis. La victime est Kerstin, jeune concertiste suédoise. 

En accédant au texte intégral de Meurtre au château, vous obtiendrez un fichier pdf de 26 pages pour un poids ultra-réduit de 274 Ko. Le fichier est donc très facilement téléchargeable sur votre téléphone, votre ordinateur, votre tablette et imprimable à volonté.

Avec Meurtre au château vous découvrirez :

✅ une véritable enquête policière qui tiendra votre public en haleine jusqu’à la dernière minute

✅ une structure originale, à l’opposé des pièces classiques : 18 monologues suivis d’un dialogue, 

✅ une pièce dont le public, sans s’en douter, est aussi un personnage, ce qu’il ne sera pas prêt d’oublier…

✅ De nombreux monologues créant de la connivence avec le public

✅ 14 personnages pouvant être interprétés par 2 à 14 interprètes : la pièce s’adapte donc à votre distribution

✅ des monologues conçus comme de véritables morceaux de bravoure destinés à mettre en valeur l’art de l’acteur ou de l’actrice 

✅ des thématiques telles que corruption politique, la marchandisation des services publics et d’autres dérives, qui permettent au spectatrices et spectateurs d’exercer leur esprit critique

Meurtre au Château a déjà été plébiscité par :

🎭 Les Débutants, Thomery, 22 septembre 2019, qui jouent toujours la pièce à l’heure actuelle !

🎭 Y Sol en Scène, Belgentier et Néoules, février 2020

🎭 Creathea, Bruxelles, Belgique, mai 2024.

Bonne nouvelle : la lecture, le téléchargement et l’impression de Meurtre au Château sont totalement gratuits !

Mais attention : ne lisez pas cette pièce si vous n’aimez que les pièces traditionnelles !



Des compagnies aux profils très différents ont déjà joué Meurtre au château. Elles en ont fait des spectacles qui eux-mêmes, n’avaient rien à voir.

La compagnie des Débutants est la première à s’être attelée au texte. Elle l’a joué entre septembre 2018 et mars 2020, à la fois sur scène et lors de séances privées en théâtre à domicile.

Le projet avait pris la forme d’un défi : seuls deux interprètes jouaient les 14 personnages. Le travail avait dès lors abordé la construction des personnages par le costume, la posture, la gestuelle, l’élocution. C’était un véritable tourbillon de performances scéniques.Voici une brève vidéo rendant compte d’une des représentations de la compagnie.

Un autre exemple de mise en scène appartient à la compagnie Y Sol en Scène. La production de la pièce par regroupait 5 interprètes, 3 femmes et 2 hommes. La troupe avait joué à plein le côté « Cluedo » de la pièce. Un ingénieux système de costumes permettait des changements rapides et donnait aux personnages des allures de cartes à jouer. 

Quel que soit le nombre d’interprètes, l’esprit murder party demeure vivant : le public prend un vrai plaisir à suivre l’enquête et se prête volontiers au jeu des déductions.

Texte intégral de Meurtre au château à lire ou à imprimer

Personnages

Augustin Moleskine, secrétaire de mairie. 

Adeline Bredinfemme de Patrick Bredin.

Bernard Émaux, P.D.G. de La Française de Liquide.

Céline Dublot, députée écologiste.

Patrick Bredin, maire de Villiers-sur-Loing.

Michel Frotte, jardinier des Bredin.

Hortense Pascaud, lieutenant de police.

Pépito Moussu, vagabond.

Toinette Zambeau, bonne des Bredin.

Henri Poisson-Laville, collectionneur d’art. 

Eva Jakobsson, musicienne. 

Lars Blix, musicien. 

Anne Lebeljournaliste.

Madame Maudmaquerelle.

Lieu

Une antichambre 

dans le château de  la Motte-Fleurie.

L’antichambre est vide quelques secondes puis Augustin paraît. 

Augustin Moleskinetrébuchant, manquant de tomber, un verre à la main. — Oh ! Eh ben doucement quoi ! Vous pouvez pas faire attention non ? Un costume tout neuf… acheté hier à Intermarket… Elle s’en fout. Une bonne comme ça, je te la virerais, moi. J’aime pas qu’on me bouscule. (Son regard change.) Vous êtes qui ? (Buvant une gorgée.) Écœurant, ce champagne ! « T’agite pas, Augustin, vas-y mollo. » C’est vrai… j’ai mon petit rythme, et mon petit rythme, j’y tiens. J’aime quand les choses sont faites au juste moment. Pourquoi remettre au lendemain ce qu’on peut remettre au surlendemain ? Non… mon gros problème… c’est un peu ça dont je voulais vous parler… c’est le maire. Quand il est arrivé, il se la jouait déjà jeune cadre dynamique, mais depuis six mois, il est comme un lion en cage. C’est vrai que… ce qu’il a découvert dans les comptes de la mairie… un trou… mais un trou… un trou de première classe. C’est bien simple, j’avais jamais vu un trou comme ça. Il en dort plus. Son obsession ? Colmater, combler, boucher. Mais comment ? Mystère. C’est pour ça qu’il est toujours sur mon dos ! Un véritable adjudant chef. Alors j’ai décidé d’adopter une technique radicale : je suis parti en vacances. Mais au bureau. Mon maître-mot : le farniente. « T’agite pas, Augustin, vas-y mollo. » Au final, lui, je crois qu’il a fini par comprendre. La preuve : il me hait mais il m’a invité quand même. En voilà un autre, de gouffre : ce château ! Mais ça, c’est sa femme… (Il aperçoit Adeline qui a pointé le bout de son nez par une porte.) Oups ! Je vous laisse. (Il sort.)

Adeline Bredinentrant tandis qu’Augustin sort, le suivant du regard. — C’est vous qui avez ouvert la porte ? Il vous a parlé, celui-là ? Vous lui avez dit qui vous étiez ? Qu’est-ce qu’il vous a raconté ? Ne le croyez pas. On était un peu obligés de l’inviter, mais personnellement je m’en serais bien passée : il hait mon mari. Il ne fait que lui mettre des bâtons dans les roues. Ne me demandez pas pourquoi, on n’en sait rien. Les gens sont méchants. Ah ! Le Château de la Motte-Fleurie… Quand je suis passée devant, j’ai eu THE coup de cœur. Style classique, 35 pièces, 600 m2, un parc de 500 hectares, un million deux. Au début, Patrick voulait pas. Et puis j’ai usé de ma technique favorite, celle du « s’il te plaît, s’il te plaît, s’il te plaît ! » Très efficace. Jusqu’à obtention de l’objet désiré, vous répétez en boucle « s’il te plaît, s’il te plaît, s’il te plaît ! »(Ad libitum.) Et ça a marché, comme toujours. Il a raclé ses fonds de tiroir, et je l’ai eu, mon château. Le petit souci c’est que… 600 m2, faut les meubler. Alors j’ai eu une idée de dingue : créer une fondation d’art contemporain ! Faire du château un centre pour les créateurs d’aujourd’hui. (Avec l’accent anglais)The Motte-Fleurie Fondation. Parce que moi, l’art contemporain, j’adore ! En tout cas, j’espère que cette soirée de lancement va bien se passer… j’ai concocté une de ces surprises… Il faut justement que j’aille vérifier que tout est en place. Je vous laisse, je repasse. À tout à l’heure. (Elle sort vivement par une porte tandis que Bernard entre par une autre.)

Bernard Émauxentrant. — Tiens, Adeline m’avait dit que cette pièce était fermée… Vous n’avez pas vu Adeline ? Elle vient de sortir ? Ah… C’est son grand jour, elle a beaucoup à faire. Voilà quelqu’un d’innovant ! Vous avez de la chance d’être assis. Là-bas, plus une chaise disponible ! Mais pardon, je manque à tous mes devoirs, je ne me suis pas présenté : Bernard Émaux, Président-Directeur-Général de La Française de Liquide(Il distribue quelques cartes de visite.) Pardon ? Vous ne connaissez pas La Française de Liquide ? Voilà qui m’étonne. Enfin ! La Française de Liquide… une des entreprises les plus en vues en ce moment… les plus innovantes, et je n’y suis pas pour rien… croyez-moi… Comment vous dire ? À La Française de Liquide, nous nous intéressons essentiellement, principalement, presque exclusivement… au liquide. On n’imagine pas le nombre de situations où l’on a besoin de liquide. Nous travaillons avec toute la France. Mais ce n’est qu’un début et demain, dans le monde entier, quand on cherchera du liquide, c’est nous qu’on viendra trouver. Adeline, je l’ai rencontrée dans un vernissage. Elle m’a très vite parlé de son grand projet : accueillir en son château une fondation d’Art contemporain. Voilà un projet innovant ! J’ai décidé de l’aider, car pour être patron, je n’en suis pas moins homme. Et amateur d’art. Et nous voilà aujourd’hui, jour de l’inauguration, avec toute la magnificence nécessaire. Quel coup de com’ ! Quel progrès pour l’art contemporain ! Et quel projet innovant ! (Une porte s’ouvre. Bernard Émaux regarde dans sa direction.) Oh non ! Pas elle ! Excusez-moi. (Il sort très vivement tandis que Céline Dublot entre le plus vite qu’elle peut.)

Céline Dublotpoursuivant Bernard Émaux. — Monsieur Émaux ! S’il vous plaît ! S’il vous plaît ! Le lâche !… C’est ça ! Fuyez ! Vous ne pourrez pas bien longtemps échapper à vos responsabilités ! J’ai fait le lien. Voilà, pourquoi il pétoche, parce qu’il pétoche, le costume cravate ! J’ai très bien compris que la disparition de la régie municipale de l’eau n’était qu’un début ! L’évaluation et l’entretien des fosses sceptiques ? La Française de liquide. Le ramassage des ordures ? La Française de liquide. Les transports scolaires ? La Française de liquide. De la maternelle au robinet, de la chasse d’eau à la poubelle, La Française de liquide. La méthode ? Des appels d’offre bidons. La contrepartie ? Le financement massif de The Motte-Fleurie fondation, le joujou de la première dame de Villiers. Le bénéfice pour le maire : plusieurs millions d’économies par an. Les conséquences pour les Villarons ? Eau courante, services d’assainissement, abonnements de bus : hausse de tous les tarifs. Impossible à enrayer : situation de monopole. Bredin ? Oh Il a très vite saisi que j’avais saisi. J’ai reçu des lettres de menaces, on m’a crevé les pneus, et puis j’ai été victime d’un cambriolage. Alors j’ai compris que j’avais eu raison de m’inquiéter, et qu’il fallait continuer le combat. Quant à Bredin, il a qu’à bien se tenir. D’ailleurs je l’ai pas encore vu, lui. Je vous quitte, j’ai bien l’intention de lui dire ses quatre vérités, et devant tout le monde, encore ! (Elle sort.)

Patrick Bredin, paraissant lentement. — Elle est partie ? Cette fille est une hystérique. Pas pu faire autrement que de l’inviter : la députée de la circonscription ! Une écolo, en plus… Madame je lave plus blanc que blanc. Ou plus vert que vert. Heureusement, Bernard a amené son service d’ordre. Pas d’esclandre, tout va bien. Sur le fil, sur le fil… Pour moi, y a qu’une chose qui compte : un budget équilibré. C’est ce que j’ai promis aux Villarons : à la fin de mon mandat, un budget équilibré. Mais c’est pas facile. Sur le fil, sur le fil… Quand je suis arrivé, j’ai découvert un trou… mais alors un trou… Je suis tombé dedans et j’en suis pas encore remonté. Là-dessus, Adeline a commencé à me tarabuster pour acheter La Motte-Fleurie. Après, ça a été sa fondation… Heureusement que je connais un peu le Secrétaire d’État chargé de la lutte contre la fraude fiscale. Grâce à lui on a pu bricoler un petit montage financier efficace avec une société écran à Panama, mais ça me coute quand même un rein ! Sur le fil, sur le fil… J’ai vraiment cru que j’allais y laisser ma peau. Ce qui a tout changé ? Nos retrouvailles avec Bernard. Bernard Émaux, le PDG de La Française de liquide. On s’était pas revu depuis la primaire. Un authentique amateur d’art. Enthousiasmé par le projet d’Adeline. Vraiment. Avant je ne savais pas ce que c’était que l’enthousiasme. Depuis que j’ai vu Bernard signer un chèque, je sais. Mes soucis d’argent, envolés ! Il était normal que je le remercie, et que je fasse profiter sa boîte, La Française de liquide, de quelques marchés intéressants à Villiers. Ainsi, le prochain budget municipal sera équilibré ! Et lors des prochaines municipales, je pourrai dire : «Villarons, Villaronnes, je vous avais promis un budget équilibré, j’ai tenu ma promesse ! » Sur le fil, sur le fil… Mais à propos, plutôt que de rester enfermés ici, vous pourriez en profiter pour aller donner un coup de main au buffet, croyez-moi, c’est l’affluence ! (Radieux, il devient inquiet en un éclair.) Allons voir si Dublot n’en profite pas pour répandre son fiel. (Il sort comme s’il partait en filature tandis que rentre Adeline.)

Adeline Bredin, apercevant son mari, électrique. — Patrick ? Patrick ! Pas pu lui glisser un mot depuis le début de la soirée ! Je suis un peu nerveuse… Pour ce soir, je voulais le meilleur. Le meilleur de la musique contemporaine. C’est vrai : pour inaugurer une fondation d’art contemporain, quoi de mieux que de la musique contemporaine ? Grâce au carnet d’adresses de Bernard, j’appelle Pierre Boulez, j’ai son répondeur, je laisse un message, le lendemain j’apprends qu’il est mort ! Les gens sont méchants, les gens sont méchants, les gens sont méchants ! Spécialement ces salopards de compositeurs de musique ! Quant aux instrumentistes, ce sont les pires… Ils pensaient sans doute que je jetterais l’éponge. C’était mal me connaître. On me respecte, moi ! Je ne supporte pas qu’on se moque de moi… Et Bernard non plus ! Ah ! … Bernard… Quel homme !… Lors de la promotion de la branche déchets de La Française de liquide, il avait fait la connaissance d’un ensemble de musique moderne, le trio Recyclea. Trois musiciens passionnés, composant eux-mêmes leurs oeuvres et jouant uniquement sur des objets usagés, jetés au rebut. Tout le gratin de la musique contemporaine, réuni au festival de Donaueschingen, a encensé leur sonate pour fer à repasser, corde à linge et tambour de machine à laver. Sans compter qu’avec leurs instruments, ils ont pu dépanner leur hôtel qui avait un problème de pressing. Ce qu’ils vont jouer ce soir ? Une composition inédite, créée spécialement pour l’occasion. Le titre ? Monopoly, variations pour sac poubelle, douche et moteur diesel. Tout un programme ! Ils vont encore éblouir l’auditoire, j’en suis sûre. Car ils vont jouer… oui, oui, ils vont jouer… quoi qu’il arrive, ils vont jouer ! … Au fait, je suis navrée, vraiment, mais je ne peux faire autrement que vous garder ici, parce que… (Soudain on entend des cris et un mouvement général de panique.) Que se passe-t-il ? Il me semble que… (Troublée, elle sort rapidement tandis qu’entre Michel Frotte.)

Michel Frotte, fort accent paysan de chez Molière. — Bon d’là de bon d’là de bon d’là ! Où ce qu’il est, m’sieur Bredin ? Sacré nom de diou ! J’avons jamais vu ça ! Jamais ! Faut absolument qu’j’y dise ! Alors, ben, désolé, salut la compaguenie, à la revouéyure ! (Il amorce une sortie puis s’arrête.) Minute ! J’pouvons quand même pas vous laisser comme ça comme deux ronds d’flans… Je vous la faisons courte : alle est morte ! Mais… raide morte ! Assassinée. Oui, ça, assassinée, pas de doute ! Quoué ? Qui qu’est morte ? Eh ben la concertiste ! (Quittant l’accent paysan.) Oh et puis flûte ! J’en ai marre de parler comme ça, mais marre ! C’est épuisant, j’avoue. Mais c’était la seule façon de se faire embaucher : monsieur et madame exigeaient un jardinier de la campagne ! Moi qui ai grandi avenue de Clichy ! En plus, il faut que j’annonce la nouvelle à madame. Ordre de monsieur. Un meurtre ! Le soir de l’inauguration de sa fondation ! Je sais ! Je vais aller le voir et profiter de la confusion pour lui dire que, sous le choc, mon accent a disparu. J’avoue, excellente idée. (Il sort tandis qu’entre Hortense Pascaud d’un pas énergique.)

Hortense Pascaud, sortant sa carte professionnelle. — Hortense Pascaud, lieutenant de police. Que personne ne bouge. Vos papiers. Contrôle d’identité général, allez, hop hop hop ! Toutes les personnes présentes au château sont sur la liste des suspects. Même vous. Vous êtes bouclés ici depuis le début de la soirée ? Je veux pas le savoir : je dis ça je ne dis rien, un meurtre vient d’être commis. La victime ? Kerstin Offenbarung, musicienne. L’arme du crime ? Un couteau. L’abdomen a été entaillé de façon profonde et large. Elle baignait dans son sang. Il avait même commencé à dégouliner de l’estrade. (On entend des sirènes.) Les renforts. Je vous l’ai déjà  dit, tout le monde est suspect. Particulièrement Lars Blix et Eva Jakobsson, les deux autres membres du trio, les derniers a avoir vu Kerstin en vie. Mais y en a une que j’ai à l’œil. La Dublot. Elle croyait que je la regardais pas… mais au moment où j’ai annoncé qu’un meurtre avait été commis, vous auriez vu ce sourire qu’elle a affiché ! Enfin, plutôt, qu’elle a voulu dissimuler… Tout le monde sait qu’elle hait Bredin. Mais ce qu’on ignore souvent, c’est qu’il y a trois ans l’ex de Dublot a déposé une plainte pour attaque au couteau. Que Dublot aurait commise ! Je dis ça je ne dis rien. Je reviendrai plus tard. Pour l’interrogatoire. (Elle sort, énergique, alors que Pepito Moussu pointe le bout de son nez.)

Pepito Moussu, une bouteille de champagne à la main. — Oooh ! Y a encore une pièce ici ? (Regardant devant lui) M’sieurs dames. (Avançant) Cette taule, c’est quequ’chose. (Buvant à la bouteille) Carrément dégueulasse. Bien fait pour leur tronche ce qu’il leur tombe sur la gueule ! Ces enfoirés… (Il crache.) Et que je me t’achète un château, et que je me te recrute des domestiques, et que je me te roule en limousine… ça veut jouer les prout-prout mais c’est pas mieux que crotte. Avant, j’étais bien, ici. Le château abandonné, depuis presqu’un siècle, pour moi tout seul. Et le parc. Cinq cents hectares, clos de murs sur treize kilomètres. J’étais le roi. Jusqu’à ce qu’ils me te virent, ces enfoirés. (Il crache.) Mettre à la rue un clochard, fallait le faire ! D’autant que les clochards, ces enfoirés, ils crachent pas dessus quand ils viennent d’Espagne en camion, payés par cette garce de Maud ! La marge qu’ils doivent se faire, ces saligauds… Mais le jour où j’ai été de nouveau sur le trottoir, je l’ai juré : ils l’emporteront pas au paradis ! (Il sort un grand couteau rougi avec lequel il se pèle une pomme.) Le problème c’est Toinette. Vous connaissez pas cette gueuse ? La bonniche des Bredin. Elle veille au grain, cette morue. Quand je pense qu’avant de servir ici, elle officiait dans le claque de cette punaise de Maud… Je suis arrivé en me collant au préfet, je pouvais pas mieux trouver comme cachette. Mais elle m’a repéré, la grue. Là, je me suis arrêté. C’était comme quand mon paternel a vu Saint Benoît Labre. Un silence assourdissant est tombé sur nous comme un voile enchanteur et pourtant menaçant. Oui, à mes heures, je suis poète et je vous pisse à la raie. Bref, j’ai compris que plus rien ne m’arrêterait. (Montrant son couteau) Alors j’ai sorti mon Châtellerault. Vous auriez vu la tronche de l’autre pomme. (Il croque la sienne.) Elle s’est mise à trembler… Et moi je me suis éclipsé. Plus tard, quand j’ai vue l’austro-boche, si belle, si pure, baignant dans son sang, j’ai embrassé mon Châtellerault et j’ai dit « Merci Saint Benoît Labre » ! Mais vous caftez pas, hein, je compte sur vous ?  (Alors qu’Hortense passe la tête par la porte.) Oh non ! La police ! Vous m’avez pas vu ! Enfoirés !… (Il crache.)

Hortense Pascaud, apercevant Pépito Moussu disparaissant. — Hep ! Vous ! Monsieur !  Il n’est pas sur la liste des invités, ça, c’est sûr ! (Son regard change) D’ailleurs, je dis ça je ne dis rien, tout à l’heure, j’ai pas eu le temps : vos papiers ! Oh… qu’est-ce que je raconte ? Vous êtes retenus ici depuis tout à l’heure, il n’est pas possible que vous ayez participé, même de loin, à tout ce… et pourtant, je dis ça je ne dis rien, on ne doit négliger aucune piste ! Les criminels ne sont pas toujours des marginaux, des déséquilibrés mentaux ou des idéologues paranoïaques appelant au terrorisme. Dans la grande majorité des cas, un criminel est un colleur de timbres. Discret, à l’occasion serviable, lorsqu’il subit une contrariété, une vexation, un échec, il n’éclate pas à la face du monde, eh non. Il colle un timbre, quelque part, au fond de sa mémoire. Et quand son album est bourré à craquer, il vient réclamer son cadeau, sa partie gratuite, son gros lot. Pour ma part, je dis ça je ne dis rien, je vois quelqu’un qui correspond au profil… Augustin Moleskine ! Le traîne-savate qui fait office de secrétaire de mairie. La chose est connue. Années après années, mois après mois, jour après jour, il essuie le feu continu des reproches de Bredin. Pas de doute : le Moleskine, quand il rentre dans son deux-pièces, tous les soirs, vous savez ce qu’il fait ? Moi, j’ai ma petite idée : il colle un timbre. Ou deux. Ou trois. Son album devait déborder. Je disparais : je vais cuisiner ce faux jeton. Je dis ça je ne dit rien : la résolution de cette affaire est imminente. (Elle sort comme on part en filature tandis que Michel Frotte réapparaît.)

Michel Frotte, éploré. — « Oh madame ! Non madame ! Je ne peux pas y… Quelle horreur ! Je ne sais comment vous dire toute ma… tout mon… tous mes… J’avoue c’est un drame ! C’est un désastre ! Une catastrophe !… Hein ? Non je n’ai plus d’accent… Curieux, n’est-ce pas ? Le choc, sans doute. Ça aussi, quelle horreur !… Perdre ainsi le parler de ses ancêtres… Ah mon dieu ! (Il sanglote maintenant. Mais peu à peu, son sanglot se transforme en rire.) Je l’ai bien eue, cette petite dinde ! Eh non, plus d’accent, ma connasse ! (Cela le fait rire davantage.) Ça t’étonne, hein ? Quel dommage ! Un accent si terroir, un accent si pittoresque, un accent si champs-de-blé, j’avoue ça sent tellement son brave ! « Michel, vous êtes bien brave ! » « Michel, mon brave, portez donc ce sac de terreau dans la remise. » « Michel, mon brave, donnez donc un petit coup sur mes chaussures. » « Michel, mon brave, racontez-nous donc une histoire de votre pays pour faire rire Bernard… » « Michel, mon brave, montrez donc à Bernard comment vous faites le cheval ! » « Michel, mon brave, imitez-nous donc le chien ! » « Michel, mon brave, prenez donc la nourriture que vous donne Bernard ! Allons, Michel ! Mangez, mais mangez, Michel ! Dans sa main ! Mangez-lui donc dans la main ! Allons, c’est si drôle ! Voilà, c’est ça, comme ça ! Mettez-vous donc à genoux, mon brave Michel !  À genoux ! Assis ! Debout ! Couché ! Sur le ventre ! Sur le dos ! Remuez la queue ! Votre queue, Michel ! Allons, mon brave Michel ! Michel, votre queue ! » Salope. J’avais juré de frapper un grand coup, j’avoue. Oh je voulais pas la buter, elle. Trop facile, on éteint la lumière, terminé. Non, au contraire, je voulais qu’elle reste allumée, la lumière, et qu’elle voie, cette salope. Je suis entré dans les coulisses, je suis monté sur scène et je l’ai vue. Kerstin, elle s’appelait, je crois. J’ai sorti ma serpe. Et puis, j’avoue, j’ai laissé les choses aller, comme on regarde passer un train. Et puis je suis parti. Et je vais continuer. Continuer à partir. Marcher à travers le colza. Y paraît qu’en marchant vers la forêt on atteint le Loiret, puis l’ Yonne, les Bouches-du-Rhône, la Méditerranée, le Maroc, le Sahara… Je ne prendrai plus d’accent. Ça non. Je vais juste essayer de retrouver le mien. De me retrouver. Qui sait ? Peut-être que tout là-bas, au-delà de l’horizon, il y a moi. (Il sort en regardant droit devant lui tandis qu’entre Toinette.)   

Toinette Zambeau, surprise. — Ah ! Ah… c’est vrai… Monsieur m’avait dit « Tu verras, je les ai mis dans l’antichambre est, ils sont bien sages, ils ne bougent pas, ne disent rien… » J’avais oublié… oublié qu’on vous a un petit peu oubliés… Oh ce n’est pas la pire pièce du château. Madame Maud ne devrait pas tarder. Vous verrez, elle a le cœur sur la main, j’en sais quelque chose… Mais ce n’est pas pour ça que je suis… Je cherche Monsieur Émaux. J’ai un petit peu peur qu’il ait dépassé les bornes. Hier j’ai vu ma grand-mère Léontine, une ancienne institutrice qui a appris à lire à plusieurs générations de Villarons dont Monsieur Bredin, Patrick de son petit nom. Son grand plaisir était de harceler un de ses petits camarades. Un certain Bernard. Bernard Émaux. D’après ma grand-mère, c’est allé un petit peu loin. Elle me l’a raconté : « Un soir, Bernard est entré dans ma classe, sale, les cheveux brûlés, la mine défaite. C’était Patrick qui avait mis le feu à sa tignasse. Il m’a supplié de ne prévenir personne. J’ai répondu : ‘Tout de même, Bernard, ça devient grave.’ Il m’a rétorqué du tac au tac : ‘Non, c’est pas grave. C’est pas grave parce que quand je serai plus grand, je me vengerai.’ Il était si calme, si froid, si déterminé. Ça m’a presque fait peur. Les blessures de l’enfance ne se referment jamais. » Cette histoire m’est revenue en mémoire, tout à l’heure, lors de la découverte du meurtre. Tout le monde était affolé. Sauf Bernard Émaux. Je l’ai vu dans l’arrière-cuisine. À côté de la gazinière. Il souriait, calme, froid, déterminé. Il se lavait les mains et il souriait. Il frottait, frottait, frottait encore. Voyez si j’ai des raisons de m’inquiéter. Il faut que je le retrouve ! Excusez-moi, je vais prévenir la police. (Elle sort précipitamment tandis qu’entre Henri Poisson-Laville comme un somnambule.)

Henri Poisson-Laville, un cheveu sur la langue. — Je n’ai jamais de coup de cœur. Je laisse ça, entre guillemets, aux amateurs. L’achat d’une œuvre est pour moi un processus complexe qui résulte d’une étude précise. J’ai tout appris à Patrick. Lorsqu’il m’a parlé de sa fondation, je l’ai initié aux codes de l’art contemporain, le faisant pénétrer dans les arcanes de ces réseaux entre guillemets fermés. Mais avec moi il se l’est joué entre guillemets comme un vrai petit fils de pute. J’avais amorcé un processus de décision pour l’achat de Billets de transit, une œuvre qui me paraissait riche. De quoi s’agit-il ? Des billets de banque plantés dans de la crotte. Mais Patrick, entre guillemets ce petit fils de pute, m’a tout simplement passé devant et en signant bêtement un chèque, est devenu l’heureux propriétaire de Billets de transit. J’ai été la risée du milieu pendant des semaines. Je l’ai très mal vécu. Petit fils de pute. Entre guillemets. Dépression, alcool, dérèglements en tous genres… j’ai… j’ai fini par planter un couteau dans le bras de ma femme. Enfin, de mon ex-femme. Mais maintenant tout est fini. Tout est oublié. J’ai pardonné. Salaud. (Hurlant) Salaud ! Ordure ! Ordure ! (Se reprenant, murmurant presque) J’avais juré que je t’aurais… Et je t’ai eu. Le coup du meurtre, tu t’y attendais pas, hein ? (Un temps.) Mais vous êtes qui, vous ? Je crois que je me suis, entre guillemets, égaré. (Entendant qu’on ouvre une porte, il sort vivement.)

Eva Jakobsson, marchant comme hypnotisée. — Je ne l’ai pas tuée. Je préfère que les choses soient dites. Ce n’est pas moi, non. C’est Lars. Recyclea, c’est lui. Depuis l’université, il y pensait. Mettre en accord ses valeurs écologistes et sa passion pour la musique moderne : créer un répertoire musical pour des instruments construits à partir de matériaux recyclés. Et il nous a embarqués là-dedans, moi et Kerstin. Elle, c’était une jeune pianiste brillante, promise à un bel avenir. Mais elle a renoncé à tout, elle s’est engagée dans Recyclea comme on entre dans les ordres : salles de concert minuscules et désertes. Pourtant, depuis quelques années, ça a commencé à vraiment marcher. (Elle montre l’antichambre) La preuve. C’est pour ça que Lars n’a pas compris, je préfère que les choses soient dites. On monte dans l’avion pour Paris et là, Kerstin nous dit : « je quitte Recyclea. Ce concert en France sera mon dernier. » J’ai regardé Lars et j’ai vu la haine dans ses yeux. Elle, elle le regardait d’un air de défi. On aurait dit qu’elle lui hurlait : « Votre petit univers miteux et prétentieux d’intellos de la musique, je vous le laisse. » Lui, il se mordait les lèvres. Mais cela crevait les yeux, il ne lui pardonnait pas de cracher sur la haute idée qu’il se faisait de notre musique, de cracher, tout bien pesé, sur le sens même de son existence. À part, Lars m’a chuchoté : « On est plus forts que cette petite conne. Il y a deux sortes d’êtres vivants : les forts et les faibles. Les premiers sont épris d’harmonie. Les seconds se complaisent dans le chaos. Eh bien, qu’ils y retournent, au chaos. » (Soudain surprise.) Il ne me semble pas qu’on nous ait présentés. (Elle sort précipitamment alors que Lars entre presque en courant.)

Lars Blix, fébrile. — Qu’est-ce qu’elle vous a dit ? Ne la croyez pas. Elle ment comme elle respire. C’est elle qui l’a tuée ! Je préfère que les choses soient dites. Ce n’est pas moi. Moi, j’étais dehors, côté jardin. Ce n’est pas moi, non. C’est Éva, je le sais. Cette folle. À onze ans, elle mordait ses camarades au sang. À quatorze, elle plantait une fourchette dans le cœur d’une de ses condisciples. La justice fit montre d’indulgence. D’inconscience. J’ai appris tout ça un jour, en faisant du rangement. Je suis tombé sur un dossier épais, bourré de procès-verbaux, de diagnostics, d’électro-encéphalogrammes, de délibérés… Éva… Très vite, j’ai tout raconté à Kerstin. Nous sommes devenus… très proches. Et puis Éva a compris. Et puis Kerstin, je n’ai pas saisi pourquoi, a décidé de nous quitter. Et puis tout à l’heure encore, ce mot, ce mot que j’ai surpris dans la bouche d’Éva, murmuré à Kerstin, celle qui aurait dû être ma femme, ce mot atroce : « Je te tuerai… » Il faut la rattraper, rattraper Éva, c’est elle, je le sais, ce ne peut être qu’elle ! Je préfère que les choses soient dites ! Vite ! En mémoire de Kerstin et pour que justice soit faite ! (Il sort un revolver et disparaît en courant tandis qu’entre qu’Anne Lebel.)

Anne Lebel, très pro. — Eh oui David je me suis mise en retrait de la foule, dans cette antichambre un peu à l’écart et vide de tout… (Son regard change.) Non il y a quand même du monde mais l’information avant tout ! Le geste est terrible, atroce, monstrueux. Le couteau a été introduit dans l’abdomen de la concertiste, puis a vraisemblablement fouillé les entrailles de la victime dans tous les sens, comme pour en extirper la moindre parcelle de vie, avant de ressortir et d’être lancé sous l’estrade tel un simple rasoir jetable. C’est du moins ce que me confiait à l’instant le médecin faisant les premières constatations. On ne saurait bien sûr, à ce stade de l’affaire, parler de culpabilité, mais seulement de présomption, et pourtant, oui pourtant, des indices graves et concordants et accablants et horrifiants autorisent déjà ceux qui s’autorisent à penser tout haut ce que d’aucuns hurlent tout fort quand d’autres le chuchotent encore tout bas, eh bien oui, des indices graves, disais-je, autorisent la mise en accusation d’une personnalité locale et même, oui, la nouvelle ici a fait l’effet d’un choc, d’une personnalité que tous plaçaient, ironie de l’histoire, au-dessus de tout soupçon ! Pour parler bref, avec toutes les précautions d’usage, bien entendu, il semblerait, mais j’attire votre attention sur l’emploi du conditionnel, indispensable, ô combien, il semblerait, disais-je, que le meurtre sanglant de Kerstin Offenbarung, mais ceci demeure pour l’heure une simple hypothèse à confirmer par une enquête approfondie et ultérieure et je demande aux téléspectateurs de bien vouloir prendre mes propos comme tels, il semblerait, disais-je, que le sauvage assassinat de la musicienne ait été perpétré par la personne qui, justement, du moins en apparence, avait le moins intérêt, ironie de l’histoire, à ce qu’un tel événement se produise aujourd’hui et ici même ! J’ose à peine le dire et pourtant je fais le faire, n’ayons pas peur des mots, n’ayons pas peur des morts, les éléments dont nous disposons à l’heure actuelle font peser de très lourds soupçons sur une femme que tout le monde ici croyait intègre. Certes, son caractère n’était pas toujours facile mais comme me le confiait l’un des intimes de Monsieur et Madame Bredin, un certain Pépito, jamais l’on n’aurait imaginé qu’elle puisse ainsi commettre l’irréparable. En somme, vous l’avez compris, inutile de tourner autour du pot, pas la peine de noyer le poisson, au diable les circonlocutions, assez d’euphémismes et de périphrases, celle qui aurait accompli ce meurtre atroce, ironie de l’histoire, n’est autre qu’Adeline Bredin, l’organisatrice de cette réception. Anne Lebel pour Télé-Gâtinais, à vous les studios. (Elle sort tandis que paraît Patrick Bredin.)

Patrick Bredin, titubant presque. — Mais qu’est-ce qui ? … Hein ? Je ne peux pas me… Je n’arrive pas à… Elle l’a fait !… Elle a enfoncé ce sabre dans le ventre de cette femme… comment s’appelle-t-elle déjà ? … Kerstin !… Kerstin… Et pourquoi ? Parce qu’elle voulait quitter la réception sans honorer son contrat !… Sans jouer… Sans assurer le concert… J’ai du mal à saisir le lien de cause à effet… Autant, parfois, je comprends comment le meurtre a pu être envisagé comme une solution, une solution inexcusable certes, mais une solution malgré tout. Or, dans le cas présent, je ne vois vraiment pas en quoi ce meurtre pouvait arranger quoi que soit. Je m’assieds auprès d’Adeline, menottée et comme absente. Je la somme de s’expliquer. « Tu ne te rends pas compte, si le concert avait été annulé, quel scandale ! » crache-t-elle d’un air outré. « Parce que tu estimes que ton exploit nous a préservés du scandale ? » lui réponds-je en essayant de rester calme. « Tu aurais préféré que je me laisse bafouer sans rien faire ? » siffle-t-elle bouffie d’orgueil. « Si tu me demandes mon avis, j’aurais préféré que tu te laisses bafouer sans transpercer quelqu’un ! » la mouché-je en masquant mal mon agacement. « Tous ces efforts, ces mois de travail, ces nuits blanches, ces démarches pour mettre sur pied cette fondation, tu aurais voulu que je laisse tout ça gâcher par une conne glacée décidée à nous chier dans les bottes le jour de l’inauguration ?» aboie-t-elle soudain le regard halluciné. « Adeline, tu espères des applaudissements quand tu viens d’embrocher une femme au milieu de cinq cents convives ? » vociféré-je en oubliant mon rang. Hélas ! Maintenant, le château est vide. Désespérément vide. À l’exception de quelques individus. Justement, vous ne savez pas encore le plus beau : c’est pas Adeline qu’a tué cette… cette Kerstin. Sur le fil, mais pas Adeline ! J’ai eu le fin mot de l’histoire grâce à Pascaud. Cette petite m’a surpris, moi qui la prenais pour une sous-fifre, elle a bien travaillé. Le corps de la victime comporte deux plaies béantes. Ce n’est pas la blessure infligée par Adeline qui a causé la mort.  Le sabre qu’elle a dérobé à l’une des armures de la galerie haute était vieux et émoussé. C’est la seconde blessure qui a été fatale, celle dont les chairs ont été arrachées, stigmate typique d’une attaque à l’arme blanche mécanique, comme le Rotimatic, couteau à viande électrique qu’ Adhéaume, notre chef cuisinier, cherchait depuis une demi heure. Rotimatic que l’on vient justement de retrouver dans la limousine d’Henri Poisson-Laville… (Devant des regards d’incompréhension, il répète le nom avec un cheveu sur la langue.) Henri Poisson-Laville ! On vient de retrouver le Rotimatic dans la limousine d’Henri Poisson-Laville, alors que son chauffeur déplaçait le véhicule pour laisser passer les gendarmes. L’amateur d’art a accompli son forfait avec la complicité de Bernard Émaux. Bernard Émaux, PDG de La Française de liquide et grand mécène de la soirée ! Qui pourrait le croire ? Allez savoir pourquoi, Toinette se méfiait de lui et le pistait. Elle a trouvé deux paires de gants latex ensanglantés qu’il avait voulu faire fondre sur une gazinière de l’arrière-cuisine. L’entreprise n’avait que partiellement réussi : quelques bouts de matière étaient tombés au fond du brûleur. Sans attendre les analyses, les deux hommes ont avoué. Peu avant le concert, ils ont pénétré sur scène. Kerstin venait de recevoir plusieurs coups d’Adeline et baignait déjà dans son sang. Elle était en train de ramper hors des coulisses. Émaux et Poisson-Laville se sont dirigés vers elle. L’un a bâillonnée la femme tandis que l’autre l’a finie au Rotimatic. Personne n’a songé à s’inquiéter du léger ronronnement de l’appareil. Selon leurs dires, un homme coiffé d’un chapeau de paille, une serpe à la main, les aurait observés. Émaux et Poisson-Laville. Figurez-vous qu’ils s’aiment et qu’ils me haïssent. Par leur geste, ils espéraient souiller mon image et ma réputation. Avant que quelqu’un remette les pieds ici ou glisse dans l’urne un bulletin Bredin, l’océan Arctique aura submergé l’Europe. Les ordures ! (Entre Madame Maud.)

Madame Maud. — Monsieur le maire, je vous ai connu plus amène. 

Patrick Bredin. — Ah ! Madame Maud ! Je suis content de vous voir ! J’ai le sentiment de sortir d’un long tunnel solitaire… 

Madame Maud. — Taisez-vous, ça me fait ça à chaque fois que je me suis donné de la joie ! Mais dites donc, votre dame, qu’est-ce qui lui arrive de se faire embarquer par les flics ?

Patrick Bredin. — Elle a tué une femme. 

Madame Maud. — La Suédoise ?

Patrick Bredin. — Comment savez-vous ?

Madame Maud. — C’est pas ce que dit Toinette. D’après elle, ce serait plutôt Émaux et Poisson-Laville. 

Patrick Bredin. — Ils ne sont pas tout blancs, mais ils ont su être généreux avec les œuvres de la police.  

Madame Maud. — Qui, du coup, ne s’est pas montrée trop regardante ! Je connais la musique… Mais et les gens comme vous, qui connaissent la vérité ? 

Patrick Bredin. — Bernard a un carnet de chèque qui attendrirait un juge anti-terroriste. 

Madame Maud. — Et une bonne entêtée ?

Patrick Bredin. — Ce ne sera plus mon problème. Moi, je me tire aux Îles Caïman. Bernard Émaux, j’en suis sûr, sera un bon président pour la fondation et un bon maire pour Villiers-sur-Loing. Quant à Poisson-Laville, il fera un premier adjoint très distingué.

Madame Maud. — C’est dommage, on s’entendait bien, tous les deux.

Patrick Bredin. — Rassurez-vous, je ne vous ai pas oubliée. Bernard est disposé à poursuivre nos arrangements. Et nos contacts espagnols sont prévenus.

Madame Maud. — Vous avez la marchandise ?

Patrick Bredin, désignant ceux qui se taisent depuis le début. — Elle est là. 

Madame Maud. — C’est de la fraiche ?

Patrick Bredin— Autant que les conditions de transport le permettent. 

Madame Maud. — Ils viennent d’où ?

Patrick Bredin— Un pays en guerre. 

Madame Maud. — C’est vague. 

Patrick Bredin— Peu importe. Ils sont prêts à tout pour rester. 

Madame Maud. — Mais attendez… y a des hommes ! Et même des enfants…

Patrick Bredin— Et alors ?

Madame Maud. — Vous savez bien que ma clientèle…

Patrick Bredin— Vous trouverez à les employer, j’en suis sûr ! Sinon, couic ! Vous savez ce qu’on dit : « Un bon clandestin est un clandestin mort » ! Je vous laisse, j’ai mon vol à vingt-trois heures trente. 

Madame Maud, à Patrick qui sort. — Vous trouverez votre paquet sous la commode Louis XVI, comme d’habitude. Bonne chance ! (Aux autres, sortant un revolver et les tenant en joue) Moi, Madame Maud. Moi, gentille. Moi, donner travail à vous. Vous, pas avoir peur. Vous suivre moi, hein ? On se lève tranquillement et moi montrer à vous nouvelle maison, maison Madame Maud ! Là-bas, moi enlever à vous cordes autour des poignets. Moi donner à vous à boire, à manger et aussi quelques notions de français courant. Pour saluer quelqu’un, on dit « Alors chéri, tu montes ? » Ici, tout le monde il est sympa, tout le monde il est honnête ! Bienvenue en France ! 

***

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