Hôtel Dracula

Comédie vampirique pour 5F/2H

Peut-on survivre à une nuit dans l’Hôtel Dracula ?

Accordez-nous moins de deux heures de lecture et plongez votre public dans une comédie gothique mêlant suspense, humour et rebondissements (même si vous avez peu de moyens).


La chasse aux vampires est lancée…


Avant de vous en dire plus, on a 3 questions rapides à vous poser :

🆘 Vous n’avez pas envie d’une pièce réaliste ?
🆘 Vous fuyez les pièces à l’intrigue plate ?
🆘 Vous ne voulez pas d’une pièce à thèse ?

Si vous avez répondu oui à au moins deux questions, alors lisez vite ce qui suit !


Résumé :

Dans les Alpes françaises, en 1947, l’Hôtel Dracula cache bien des secrets. La propriétaire, Carmilla, est une vampire séculaire déterminée à préserver son existence… et son standing. Dragomir, son fils mélancolique, rêve d’un autre destin. Lorsque deux chasseuses de vampires, sous couverture, s’infiltrent dans l’hôtel pour les démasquer, les tensions montent. Quiproquos, dialogues mordants et révélations inattendues s’entrelacent dans cette comédie où rien n’est ce qu’il paraît.


En accédant au texte intégral de Hôtel Dracula, vous obtiendrez un fichier PDF de 118 pages pour un poids ultra-réduit de 966 Ko, téléchargeable sur votre ordinateur, votre tablette, votre téléphone, et imprimable sur n’importe quel support. La mise en page vous permettra de noter sur le texte toutes les indications et notes de régie que vous jugerez utiles.


Avec « Hôtel Dracula », vous découvrirez :

✅ Une comédie gothique pleine de mordant : des dialogues savoureux et une intrigue qui captivera le public.
✅ Des personnages hauts en couleur donnant aux interprètes les moyens d’exprimer leur talent.
✅ Un hall d’hôtel au style gothique, simple à monter.
✅ Une intrigue haletante : des rebondissements et un final mémorable qui tiendront le public en haleine.
✅ Une ode à l’amour, qui ravira le public.

Intéressé(e) ?

Téléchargez gratuitement le texte intégral de Hôtel Dracula

et laissez votre public savourer une comédie où l’humour et le fantastique s’entrechoquent avec brio.

Attention : déconseillé aux compagnies qui n’apprécient pas l’univers des vampires.


Votre groupe prépare Hôtel Dracula ?

Déclarez votre représentation sur le site de la SACD :
👉 Faire la demande d’autorisation sur le site de la SACD


Questions fréquentes sur Hôtel Dracula

Est-ce une pièce comique ou plutôt une parodie fantastique ?

Les deux ! Hôtel Dracula mêle le comique de situation et les codes du fantastique. Le rire naît autant des quiproquos que du contraste entre le sérieux gothique des personnages et leurs failles très humaines.

Faut-il un décor compliqué pour jouer cette comédie ?

Pas du tout. L’action se déroule presque entièrement dans le hall d’un hôtel. Quelques éléments de style (un comptoir, un fauteuil, des lampes tamisées) suffisent à évoquer l’ambiance gothique et mystérieuse du lieu.

Peut-on la jouer sans effets spéciaux ?

Oui. La force de la pièce repose sur le jeu des comédiens et les rebondissements. Les effets peuvent être simplement suggérés par la lumière, la musique ou le ton des dialogues.

Quel type de public appréciera Hôtel Dracula ?

Les spectateurs qui aiment les comédies à suspense, les clins d’œil au cinéma d’horreur, et les histoires pleines de rebondissements. Les rires sont garantis, même pour ceux qui n’ont jamais cru aux vampires !


Ces dernières années, la pièce a été jouée à plusieurs reprises :

 On pourra mentionner le Groupe Artistique de Moret, qui a créé le texte en 2018. En voici quelques photos ci-dessous.

Le Rideau reprisé a ensuite joué une version resserrée de la pièce pendant près de trois ans. Voici l’équipe presque au complet ci-dessous :

Hôtel Dracula de Rivoire & Cartier par le Rideau reprisé.

Extrait d’Hôtel Dracula à lire ou à imprimer

Personnages

Madeleinegérante et cuisinière de l’Hôtel Dracula.  

Joséphinebonne à tout faire de l’hôtel.  

Carmillapropriétaire de l’hôtel.

Dragomirson fils.

Une première cliente

Une seconde cliente

Un client

Le décor

Nous sommes en France, dans les Alpes, en 1947. L’action se déroule dans le hall de l’Hôtel Dracula, à la tombée de la nuit. On y trouve une entrée donnant sur l’extérieur, une porte descendant dans une crypte, un escalier montant aux chambres et une porte menant à la cuisine. Réception, une grande chaise, un canapé, un pouf, une petite table basse, un poste de TSF posé sur un guéridon. Style gothique.

Acte I

Le téléphone sonne. 

Joséphinedepuis le premier étage. Téléphone !

Madeleinedepuis la cuisine. J’y vais !

Joséphine, en tenue de bonne, entre par l’escalier.

Joséphine. Non c’est moi !

Madeleine, vêtue d’un tablier de cuisine, entre par la porte de la cuisine.

Madeleine. Non c’est moi !

Joséphine. Non c’est moi !

Madeleine. Non c’est moi !

Joséphinedécrochant. Hôtel Dracula, j’écoute ? (Un temps.) Absolument, monsieur. Quand pensez-vous arriver ? (Un temps.) Tout sera prêt, monsieur. 

Madeleine, bas. Parfait, continue.  

Joséphineau téléphone. À quel nom dois-je réserver la chambre ? (Un temps.) M. le duc de Monclar ? 

Madeleine, bas, impressionnée. Le duc de Monclar, oh mon dieu !

Joséphinebas, à Madeleine. C’est bien, le duc de Monclar ?

Madeleine, bas. Très bien, oui ! C’est madame la comtesse qui va être contente !

Joséphineau téléphone. Oh… M. le duc… c’est un honneur pour nous… Quelques petites questions encore… Vous vous êtes fait vacciner contre la tuberculose ? 

Madeleine, bas. Qu’est-ce qui te prend ?

Joséphineau téléphone. Le tétanos ? 

Madeleine, bas. Mais tu es folle ?

Joséphineau téléphone. La grippe ? 

Madeleine, bas. C’est un hôtel ici, pas un hôpital !

Joséphineau téléphone. La coqueluche ? Le typhus ? La fièvre jaune ? 

Madeleine, bas. Arrête ça tout de suite !

Joséphineau téléphone. Pas la fièvre jaune ? Ah, je suis navrée, M. le duc, mais je me vois obligée d’annuler votre réservation. A mon grand regret, M. le duc. Au revoir, M. le duc. Et allez vous faire vacciner, M. le duc. (Elle raccroche.)

Madeleine. Mais qu’est-ce que tu as fait ? !

Joséphine. Je nous ai sauvées !

Madeleine. Sauvées de quoi ?

Joséphine. De la fièvre jaune !

Madeleine. Hein ? Tout ça parce que ce brave homme…

Joséphine. Pas question de se retrouver avec une jaunisse, quarante de fièvre et un negro vomito !

Madeleine. Tu es démente…

Joséphine. Je suis prudente !

Le hululement de la chouette se fait entendre.

Madeleine. Déjà ?

Joséphine. Il est dix-huit heures. 

Joséphine va allumer la TSF. Une musique d’orgue lugubre envahit la pièce. La porte de la crypte s’ouvre lentement et paraît Carmilla. Elle est pâle et porte une robe sombre très distinguée, à l’ancienne. Elle avance lentement au rythme de la musique. Soudain, la TSF se brouille. Immédiatement, prises de panique, Joséphine et Madeleine tentent de retrouver la station mais font entendre de la musique hawaïenne, une fanfare de cirque, de l’accordéon musette, etc., au grand dam de Carmilla.

Carmilla. Assez ! (Joséphine et Madeleine coupent la TSF alors qu’elle hurle « J’ai la rate qui se dilate, j’ai le foie qu’est pas droit, etc. ») Vous comptez me faire subir ça chaque soir ? Je vous l’ai dit et répété : il faut changer cette radio ! (À Madeleine .) Je vous ai donné de l’argent pour un nouveau poste. 

Madeleine. Oui, mais la fenêtre de ma mansarde fermait mal, alors avec ce froid, j’ai préféré la faire réparer. 

Carmilla. Vous avez osé désobéir à mes ordres ? 

Madeleine. Mme Carnea, je vous présente toutes mes…

Carmilla, rectifiant. Mme la comtesse !

Madeleine. Mme la comtesse ! Excusez-moi…

Carmilla. C’était la maxime de feu mon mari : « Soigne ton entrée, soigne ta sortie et entre les deux, fais ce que tu peux. » Aussi je compte sur vous pour que la comtesse Carnea ait dorénavant une entrée à la hauteur de son rang : horrifique ! Horrifique, mais digne. Dignité, dignité, dignité.

Dragomir apparaît par l’entrée de la Crypte. Il est débraillé et a les cheveux en bataille. Il avance péniblement en baillant à s’en décrocher la mâchoire et en se grattant le dos. 

Dragomir, faisant une bise à Carmilla. Mauvaise nuit, mère.

Carmilla. Mauvaise nuit, Drago. (Contemplant l’accoutrement de son fils.) Drago, tu pourrais tout de même essayer d’être un peu moins… ou un peu plus… 

Dragomir. Un peu plus quoi ?

Carmilla. Peu importe… (La crypte se referme.) Ce soir, c’est une nuit spéciale. (Chantant avec Madeleine et Joséphine .)« Mauvais anniversaire, nos vœux les plus austères, et que la hideur vous apporte le malheur ! Que l’année entière vous soit bien sanguinaire et que l’an fini nous soyons tous décrépits pour chanter en chœur, Mauvais anniversaire ! » Mauvais anniversaire, Drago ! (Elle l’embrasse.)

Madeleine et Joséphine, embrassant Dragomir. Mauvais anniversaire, monsieur Dragomir !

Dragomir, ravi. Comme c’est méchant ! Il ne fallait pas. Ça me fait vraiment plaisir !

Carmilla, stupéfaite. Pardon ?

Dragomir, se rendant compte de son erreur. Je veux dire, ça me fait vraiment souffrir !

Carmilla, rassurée. Comme le temps passe : déjà 140 ans ! Mais tu resteras toujours mon petit poupon !

Dragomir. Mère, s’il vous plaît, j’ai plus 106 ans…

Joséphine, tendant un paquet. J’ai pensé à votre cercueil. 

Dragomir, ouvrant le paquet. Un anti-thermite… Comment tu as deviné ? C’est exactement ça que je voulais pas …

Madeleine, tendant un paquet. Pour couvrir l’odeur d’humidité de la crypte. 

Dragomir, ouvrant le paquet. L’eau de toilette mortuaire de chez Coco Javel ! Avec ça je vais sentir le vestiaire de piscine…

Carmilla, tendant un paquet. Comme tu ne m’en as jamais parlé, j’ai pensé que la pudeur t’étreignait…

Dragomir, ouvrant le paquet. Un portrait de vous ! Je l’accrocherai au-dessus de mon cercueil et je m’endormirai en faisant de beaux cauchemars…

Carmilla. Alors, Drago, tu es malheureux ?

Dragomir. Oh oui ! Justement, c’est ça le problème… 

Carmilla. Je crois qu’il faut que nous ayons une petite discussion… 

Elle fait signe à Joséphine et Madeleine de disparaître. Elles sortent. 

Carmilla. Drago, tu as déjà fait ta crise d’ado ! Tu avais 116 ans, tu ne vas pas recommencer ?

Dragomir. Ça fait 140 ans que je suis malheureux. Vous, 170. 

Carmilla. 169 ans et quatre mois !

Dragomir. Vous ne croyez pas qu’on pourrait essayer d’être heureux ? Un tout petit peu. 

Carmilla. Nous avons déjà conféré à ce sujet. Un vampire est fait pour une chose : propager le malheur. 

Dragomir. Alors je ne vous demande qu’une faveur. Depuis que nous nous sommes installés dans cet hôtel, vous m’interdisez de mettre le nez dehors. Pour mes 140 ans, laissez moi sortir d’ici ! 

Carmilla. Sortir ?

Dragomir. Juste quelques instants. Je fais un petit vol plané dans la vallée et je reviens tout de suite. 

Carmilla. Si tu sors, tu ne reviendras jamais. Les chasseurs de vampires rodent avec une idée fixe : nous détruire. Ils ont déjà pris ton père, Satan ait son âme, je ne veux pas qu’ils me prennent mon fils. Si je croise un de ces destructeurs de vampires, Lucifer sait que je l’enverrai en enfer. Ce sont des larves immondes, comme tous les êtres humains. 

Dragomir. Pas comme Madeleine et Joséphine !

Carmilla. Une larve immonde est capable de nettoyer une chambre d’hôtel en tablier blanc.

Dragomir. Musset serait d’accord avec vous. 

Carmilla. Sur le tablier blanc ?

Dragomir. Sur le genre humain. 

Carmilla. Il le méprise aussi ?

Dragomir. Jusqu’à un certain point. Écoutez : (Lisant un livre qu’il tient à la main .) « Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses ; le monde n’est qu’un égout sans fond ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent malheureux en amour ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière ; et on se dit :  » J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé.  » » 

Carmilla. C’est joli. Mais tout ça, c’est de la littérature. Cela dit, j’ai une surprise : ce soir, nous organisons un dîner costumé ! 

Dragomir. C’est vrai ? Oh merci mère ! Être un autre que moi, l’espace d’un instant…

Carmilla, victime d’un étourdissement. Oh mon Diable ! …

Dragomir. Mais qu’est-ce qui passe ? Madeleine, Joséphine, vite !

Madeleine et Joséphine entrent précipitamment.

Dragomir. Maman se sent mal !

Madeleine. Du sang frais de canard, ça va la requinquer. (Madeleine fait respirer à Carmilla son tablier et elle revient à elle.)

Dragomir. Vous m’avez fait une de ces peurs… C’est votre faute, aussi ! Avec votre manie de ne sucer que des aristocrates. 

Carmilla, choquée. Dragomir, je t’en prie ! 

Dragomir. C’est vrai ! Vous pourriez sucer un roturier ! Ou bien sucer Madeleine. Même Joséphine… Je suis sûr que si vous leur demandiez gentiment…

Carmilla, bondissant. Assez ! Tu sais que je déteste cette expression… Mais tu le fais exprès pour me provoquer, méchant… Apprends que la comtesse Carnea ne suce pas ! D’ailleurs je n’ai jamais sucé. En aucune occasion. Même dans un moment d’égarement. Je laisse ça aux vampires vulgaires. Moi, je ne suce pas le sang des hommes, je le bois, c’est différent. Je rends les hommes exsangues, je vide les humains de leur liquide vital, j’absorbe leur énergie et leur âme. Et s’il faut boire, autant choisir un grand cru classé. Voilà pourquoi la comtesse Carnea n’a jamais pris pour cible un homme ou une femme du peuple. Jamais. Elle ne plongera ses crocs que dans le cou d’un représentant de la noblesse. Question de standing, mon petit père. 

Dragomir. On voit le résultat : anémie sévère ! D’ailleurs, ça fait combien de temps que vous n’avez pas sucé ? 

Carmilla. Oh ! Mais tu le fais exprès ? Demain, ça fera six mois !

Joséphine. Les clients nobles, ça court pas les rues.

Madeleine, bas. Tais-toi. Je te rappelle que tu en as fait fuir un tout à l’heure.

Dragomir. Six mois mais… au bout de six mois… six mois justes… un vampire qui ne s’est pas abreuvé de sang… provoque sa propre destruction ! 

Madeleine et Joséphine, joyeuses. C’est vrai ? (Carmilla les regarde d’un œil furibond. Elles se reprennent.)

Joséphine. Ce serait dommage…

Carmilla. Il faut que je trouve une proie. Cette nuit !

Dragomir. Mère, soyez raisonnable, je vous en prie ! 

Carmilla. Ne t’inquiète pas. Si je ne trouve personne à me mettre sous les crocs, je me transformerai en chauve-souris ! Même si manger des moucherons jusqu’à la fin de ses jours n’est pas une perspective très réjouissante. 

Madeleine. Venez Mme la comtesse, vous allez prendre le frais au clair de lune. 

Carmilla. Votre gentillesse me surprend. 

Madeleine. C’est surtout que y a des moineaux plein l’arrière-cuisine et qu’on m’a volé mon épouvantail !

Carmilla et Madeleine sortent tandis que Dragomir va s’asseoir dans le canapé et se plonge dans la lecture de son livre.

Joséphine. Rassurez-vous Monsieur Dragomir, j’ai jamais vu quelqu’un de 170 ans en aussi bonne santé ! 

Depuis l’extérieur entrent une première et une seconde cliente.

Une première cliente. Aubergiste !

Joséphine. Voilà, voilà… Bonsoir mesdames. En quoi puis-je vous être utile ?

Une première cliente. Nous aimerions deux chambres. 

Joséphine. Parfaitement… C’est très calme en ce moment…

Une première cliente. Enfin… une chambre pour moi et pour mademoiselle, une mansarde, cela suffira. (Elle a désigné la seconde cliente.)

Joséphine. Très bien. Combien de nuits resteront ces dames ?

Une première cliente. Une seule, pour commencer. Nous prolongerons peut-être. 

Joséphine. Ces dames font du tourisme ?

Une seconde cliente. On peut dire ça comme ça. 

Joséphine. Prendrez-vous votre dîner ici ?

Une première cliente. Oui.

Joséphine. Ce soir le dîner sera costumé ! Nous avons des déguisements à disposition. Cela vous amuserait ?

Une seconde cliente. Pourquoi pas ?

Joséphine. Vous vous êtes faites vacciner ?

Une première cliente. Je vous demande pardon ?

Dragomir. Joséphine, arrête d’ennuyer ces dames avec tes vaccins. 

Joséphine. Mais enfin, monsieur…

Dragomir. Il suffit !

Joséphine. Vous viendrez pas vous plaindre si vous chopez la tuberculose. D’ailleurs j’ai une toux qui me vient, moi… (Elle se met à tousser.)

Dragomir. Quoi qu’il en soit, mesdames, vous arrivez à point : ce n’est pas tous les soirs que nous organisons un dîner costumé.

Une première cliente, voyant Dragomir lisant On ne badine pas avec l’amour. Un lecteur de Musset dans ce petit hôtel perdu…

Une seconde cliente. Madame ferait mieux de ne pas parler à des inconnus…

Dragomir, à la première cliente. Vous connaissez Musset ?

Une première cliente. J’adore les romantiques.

Une seconde cliente. Madame sait bien que nous avons fort à faire…

Dragomir, lisant. « Je veux aimer, mais je ne veux pas souffrir ; je veux aimer (…) »

Une première clientepoursuivant de mémoire. « (…) d’un amour éternel, et faire des serments qui ne se violent pas. »

Dragomir. Vous le connaissez par cœur ?

Une première cliente. Seulement les phrases remarquables. 

Dragomir. Elles le sont toutes. 

Une première cliente. Comme vous.

Ils se regardent intensément.

Joséphine. Si ces dames veulent bien me donner leurs noms. 

Une première cliente. Il est vrai que je ne me suis pas encore présentée. Mme la marquise de Bellac. (Dragomir sursaute tandis que Joséphine a un petit sourire.) 

Dragomir, insistant sur les de. De ? De Bellac ? Vous avez bien dit « De Bellac » ? 

Une seconde cliente, à part. Mais il est bouché ou quoi ?

Dragomir. Mais alors… Vous êtes noble ?

Une seconde cliente, à part. Perspicace, le gars !

Joséphine, ayant un sourire mauvais. Mme la comtesse Carnea, la propriétaire de l’hôtel, sera positivement ravie de vous rencontrer. N’est-ce pas monsieur Dragomir ?

Mme de Bellac, qui était la première cliente. Dragomir ?

Dragomir. Heu… oui, oui… bien sûr… (Se présentant .) Comte Dragomir Carnea. Fils de la comtesse Carnea. 

Mme de Bellac. Enchantée, comte. Je vois que nous sommes entre gens du même monde. (Désignant la seconde cliente .) Voici Lisette, ma bonne.

Joséphine. Je vous mène à vos chambres. (À Lisette, bas .) Tu seras gentille de garder tes microbes, collègue !

Joséphine, Mme de Bellac et Lisette montent dans les chambres et laissent Dragomir seul un court instant tandis qu’entre un client.

Le client.  Ah ! Buongiorno ! 

Dragomir, à la vue du client, à part. Oh non pas lui !…

Le client.  Come sta ?

Dragomir. Bene… bene… che cosa fatte oggi ? 

Le client.  Scusi ?

Dragomir. Che cosa fatte oggi ? 

Le client.  No capisco…

Dragomir, à part. Il ne comprend même pas quand je lui demande ce qu’il fait aujourd’hui…

Le client.  Heu… nespresso pizza dolce vita… confetti paparazzi bel canto mafioso… capriciosa maestria graffiti… spaghetti al dente impresario vibrato allegro vivace finale concetto !

Dragomir. … Bene… bene… bene…

Le client.  Ciao !

Le client monte vivement dans les chambres.

Dragomir, à part. Je ne comprendrai jamais rien à l’italien. 

De la cuisine, entrent Carmilla et Madeleine.

Madeleine, tenant un tissu à la main.  Ça donnerait un peu de gaieté à la réception !

Carmilla.  Il n’en est pas question ! La réception est en style gothique, elle restera en style gothique. 

Madeleine.  C’est sinistre !

Carmilla.  De votre point de vue.

Madeleine.  Ne vous demandez pas pourquoi les clients se font rares. 

Carmilla. Madeleine, vous outrepassez vos prérogatives. Vous n’êtes plus propriétaire de cet hôtel. Désormais c’est moi qui dirige cette maison. D’ailleurs, quand je vous ai offert de racheter cette ruine, vous n’avez pas beaucoup hésité.

Madeleine.  J’étais criblée de dettes !

Carmilla. Justement. Qui vous a proposé un toit et un emploi, à vous et à Joséphine ?

Madeleine.  Et qui m’a proposé un loyer ? Un loyer pour habiter chez moi !

Carmilla. Ce n’est plus chez vous. Alors rangez ce tissu. Nous ne tenons pas une bonbonnière. À propos, voilà pour vous. (Elle donne un papier à Madeleine.)

Madeleine.  Mon avis d’échéance de loyer ! Bien aimable… C’est comme une lettre du percepteur. Le meilleur moment, c’est quand je la mets au panier. (Lisant .) Quoi ? (Elle relit.) Vous avez fait une erreur. 

Carmilla. Ah ? (Elle relit.) Non, tout est juste. 

Madeleine.  Mais non. Vous vous êtes trompée sur le montant. 

Carmilla, relisant. Pas du tout.  

Madeleine. Vous vous êtes pas trompée sur le montant ? 

Carmilla, relisant. Mais non.  

Madeleine, indignée. Vous m’augmentez mon loyer ?

Carmilla. Eh oui. 

Madeleine. En quel honneur ? 

Carmilla. Vous êtes une charge, ma petite Madeleine, vous ainsi que Joséphine. Je vous ai gardées pour vous arranger, mais vous pesez sur le budget !

Madeleine. Joséphine et moi ? On habite dans des chambres misérables et on dépense rien !

Carmilla. Vous ne dépensez rien mais vous coûtez ! Parce qu’à la fin du mois, quand j’ai enlevé votre nourriture, votre linge à blanchir, l’eau, l’électricité, le téléphone, ma coiffeuse, ma manucure, ma modiste, mon visagiste, mon dentiste – parce que mes crocs, tout de même ! – eh bien vous me croirez si vous voulez, il ne reste plus grand’ chose !

Madeleine. Mais enfin, vous êtes richissime !

Dragomir. Maman, elle a raison…

Carmilla. Moi, richissime ? Ah ! Laissez-moi rire.

Dragomir. On n’est pas riches ?

Carmilla. Tu sais bien que ces révolutionnaires grossiers et malpropres nous ont tout pris !

Dragomir. Tout ?

Carmilla. Presque tout. Il nous reste quoi ? Une misère. Un million, un million deux, à tout casser. 

Madeleine. Moi je voudrais bien avoir une misère d’un million deux sur mon compte… On est en dix-neuf cent quarante-sept, la France vient d’être libérée, et nous, je vais vous dire ce qu’on est : des esclaves !

Carmilla. Eh bien partez !

Madeleine. Pour que vous nous transformiez en statues, comme l’autre fois ? Merci ! (À part .) Mais je trouverai la solution… Et bientôt, Joséphine et moi, on sera libres ! (À Carmilla .) Alors, Mme la comtesse, pas trop faim ?

Carmilla. Justement si ! (Carmilla a un étourdissement.)

Dragomir. Maman !

Madeleine, allant secourir Carmilla. Mme la comtesse ! (Se ravisant .) Oh et puis zut ! 

Madeleine sort par la cuisine.

Dragomir. Mais Madeleine ! … Madeleine, reviens ! Maman, réveillez-vous, je vous en prie…

Carmilla. Où suis-je ? 

Dragomir. C’est moi ! C’est Drago, c’est votre fils ! Du sang de canard frais… ça a marché tout à l’heure…

Dragomir sort par la cuisine tandis que Joséphine descend des chambres.

Carmilla. Ah ! ma brave Joséphine, vous au moins vous m’aimez bien !

Joséphine.  De tout mon cœur, madame ! (À part .) Un jour je te crèverai, Carnea…

Carmilla, lui tendant un papier. J’en profite… Non non, vous l’ouvrirez après, tranquillement… Sinon, quoi de neuf ?

Joséphine.  Deux nouvelles clientes. L’une des deux va vous plaire. 

Carmilla. Ah ? (Consultant le registre .) voyons… voyons… « Mme la marquise de Bellac » ?  (Insistant sur le de .) De Bellac ? J’ai bien lu De Bellac ? Une marquise ? Une noble ! Enfin ! Elle arrive à point. Je suis sauvée ! Carmilla, ton souper est servi ! Je vais pouvoir la saigner, jusqu’à la dernière goutte… 

Madeleine entre par la cuisine.

Madeleine. Qu’est-ce qu’il a, votre fils, à chercher partout du sang de canard ?

Carmilla. C’était pour moi, sans doute… mais ce n’est plus la peine… la comtesse Carnea va passer à table ! Joséphine, allez me la chercher immédiatement !

Madeleine. Qui ça ?

Carmilla. Vous, mêlez-vous de vos affaires. 

Madeleine. Justement, Joséphine s’en allant dieu sait où, c’est mes affaires. Parce que si vous voulez que je serve à dîner aux clients, va falloir descendre au village chercher des oignons. Madame la comtesse attendra !

Carmilla. Du moment que ce n’est pas de l’ail, je vous en donne l’autorisation.

Joséphine. Descendre au village, à cette heure–ci ?

Madeleine. Eh ben dépêche-toi !

Joséphine. C’est le bagne, ici…

Joséphine sort par l’extérieur.

Carmilla. J’ai attendu six mois, je peux attendre une demi-heure de plus… Le temps qu’elle revienne, je vais me laver les crocs !

Carmilla descend dans la crypte.

Madeleine. Qu’est-ce qu’elle raconte ?

Le client descend des chambres.

Madeleine. Oh non… l’Italien du 12… 

Le client. Buonasera signora !

Madeleine. Oui, oui… bonna soira…

Le client. Gnocchi incognito mercato Machiavel tombola vespa ?

Madeleine. Flûte !

Madeleine sort par la cuisine tandis que descendent des chambres Mme de Bellac et Lisette.

Le client. Flûte ? Che significa, flûte ?

Mme de Bellac. Il est logique que je dorme dans la chambre avec baignoire et vous dans la soupente ! 

Lisette, qui était la seconde cliente. Oui madame.  

 Mme de Bellac. A-t-on jamais vu une bonne avec autant de prétention !

Soudain, elles voient le client. Lui aussi les remarque. Tous paraissent un peu nerveux. Ils regardent dans les coins puis, rassurés, ils se rapprochent les uns des autres.

 Le client, quittant son accent italien. Félicitations, vous avez réussi votre infiltration avec brio. 

Lisette. Moi je suis désolée mais je suis pas d’accord !  

Le client. Vous avez des remarques, Grosville ?

Lisette. Un peu que j’ai des remarques ! Pourquoi que je fais pas la marquise de Bellac ? Moi aussi je peux être distinguée, si je veux !

Le client. Personne n’en doute, Grosville. Mais traditionnellement, c’est moi qui choisis les couvertures des étudiants, en fonction de ce que j’estime le plus crédible, et faites-moi confiance, en bonne, vous êtes criante de vérité. D’ailleurs vous avez eu toute liberté pour choisir votre prénom. Et Lisette vous va comme un gant. De même que la marquise de Bellac va comme un gant à Haussmann.

Lucie, qui jouait Lisette. Ouais… ouais… tout ça parce que je suis pas de la haute, comme mademoiselle…

Le client. Museau, Grosville ! Je fais appel à votre esprit sportif. Que chacune fasse son compte-rendu et ce, dans les formes. Haussmann au rapport !

Mina, qui jouait Mme de Bellac. Oui, professeur ! Mina Haussmann, étudiante en 3e année à l’école de chasseurs de vampires de Paris, épreuve finale, rapport d’étape au professeur Van Helsberg. Nous sommes arrivées à l’objectif il y a dix minutes. Après avoir observé quelques instants les autochtones afin de comprendre leurs us et coutumes, nous avons pris possession de notre couchage. Il s’agit pour ma part d’une merveilleuse petite chambre rustique et bien exposée, donnant sur la vallée et offrant aux yeux éblouis du voyageur contemplatif un paysage à la fois romantique et sévère, qui aurait inspiré Châteaubriand et Victor Hugo. Terminé. 

Van Helsberg, qui jouait le client. Dites donc Haussmann ! Vous vous croyez à l’Académie française ? Je vous demande un compte-rendu, pas vos mémoires en quinze volumes ! Grosville au rapport !

Lucie. Oui, professeur ! Lucie Grosville, étudiante en 3e année à l’école de chasseurs de vampires de Paris, épreuve finale, rapport d’étape au professeur Van Nesberg. 

Van Helsberg. HELsberg !

Lucie. Helberg !

Van Helsberg. HelSberg ! Oh…

Lucie. Helsberquo !

Van Helsberg. C’est pas grave…

Lucie. Oui, professeur ! Comme disait l’autre, on a montré notre blair y a une dizaine de minutes, le temps de mater les pignoufs du coin, et après, on a radiné dans nos perchoirs. Oh la taule que j’ai ! C’est pas un palace, ce palanquin ! Un gourbi, que même un clodo il en voudrait pas ! Bref, j’ai quand même eu le temps de zieuter le menu et ça, au moins, c’est pas dégueulasse : gigot, chèvre et prunes, y a moyen de se faire une bâfrée des familles. Terminé. 

Van Helsberg. Vous vous croyez où, Grosville ? Chez vous ? Sur la butte Montmartre ? Vous êtes en formation à l’école de chasseurs de vampires de Paris et cela demande un certain respect des codes. 

Lucie. Ça gaze, prof ! (Devant le regard noir que lui lance Van Helsberg .) Enfin je veux dire, d’accord, Professeur Van Hekberk. 

Van Helsberg. Mesdemoiselles, je n’en crois pas mes oreilles. Je vous demande un rapport ; la première décrit sa chambre comme Gustave Flaubert et la seconde me fait un topo sur le gigot d’agneau ! (Hurlant .) Au risque de vous paraître emporté, je vous pose la question : qu’est-ce que c’est que ces conneries ? 

Madeleine paraît par la cuisine. 

Mina, redevenant instantanément Mme de Bellac, à Van Helsberg. Et… vous venez d’où, exactement ? 

Van Helsberg, tentant de parler italien, très aimable.  Eh… une poco citta qui n’este non lointo do Milano…

Mina. Intéressant, n’est-ce pas Lisette ? 

Lucie. Pour sûr, madame…

Madeleine a disparu vers l’extérieur.

Van Helsberg, à voix basse, instantanément plus dur.  Vous vous rendez compte des risques que nous prenons si nous sommes découverts ? J’ai le sentiment que vous n’avez pas la pleine conscience des enjeux de votre mission. Je vous le rappelle : la cellule Nosferatu du Vatican nous a signalé que deux vampires sont ici depuis plusieurs années. Arrivés de Transylvanie, ils ont fait de cet hôtel leur repaire. Adieu le pittoresque Hôtel des randonneurs et bonjour sinistre Hôtel Dracula.

Mina. Pas très discret, ce nom. 

Van Helsberg.  Ils espéraient sans doute qu’un tel nom les préserverait justement de tout soupçon. Penserait-on que des criminels en fuite iraient choisir pour cachette L’Hôtel Jack L’Éventreur ? Quoi qu’il en soit, ici, à L’Hôtel Dracula, les clients finissent entre les crocs des deux monstres, vidés de leur sang. 

Lucie. Ils auraient pu choisir une popote plus près de Paname. 

Van Helsberg.  Grosville, vous avez séché vos cours de géographie vampirique ? Les vampires sont originaires de Transylvanie, région où s’élève le massif montagneux des ?

Mina. Carpates ! 

Van Helsberg.  Bien, Haussmann ! Et ce massif montagneux court à travers toute l’Europe, puis arrivé à l’ouest, il devient ? 

Mina. Les Alpes !

Van Helsberg.  Voilà pourquoi nos deux vampires se sont établis ici, dans nos belles Alpes françaises, une région si chère à mon cœur… Cet environnement leur rappelle leur milieu naturel. Tout ça, vous devriez le savoir, n’est-ce pas Grosville ! Comme vous devriez connaître votre mission. Vous la connaissez ? 

Lucie. Quand même ! Identifier ces deux vampires et les détruire. 

Van Helsberg.  Affirmatif ! (S’animant peu à peu jusqu’à  devenir haineux.) Les détruire, les occire, les carboniser, les brûler !!!

Madeleine entre par l’extérieur avec quelques buchettes dans les mains.

Van Helsberg, reprenant son rôle de client italien, soudainement très aimable. Alfa Roméo piano piano Puccini ? 

Mina, jouant Mme de Bellac et faisant semblant de comprendre. Oui, mais comme la garantie avait expiré, je n’ai pas pu être remboursée !

Lucie, pour participer à la conversation. C’est pour ça, moi je prends toujours une extension de garantie…

Madeleine disparaît par la cuisine.

Van Helsberg. Je vois que vous jouez vos rôles à merveille. Heureusement, sinon votre mission serait impossible. Mais je ne vous en ai pas dévoilé tous les aspects. Vous le savez, la renommée de notre école de chasseurs de vampires est en chute libre. L’école créée à Londres par mon confrère le docteur Van Helsing nous prend tous nos élèves. Ils vont tous là-bas et nous sommes devenus les chasseurs de vampires les plus ringards de toute l’Europe. Je me souviens, il n’y a pas si longtemps, en troisième année, je faisais mon cours de rentrée devant cent vingt étudiants. Cette année, quand je suis arrivé dans le grand amphi, je n’en ai comptées que deux. Et c’était vous. C’est pourquoi je me dois d’opérer une sélection drastique. Entre vous deux, je n’en veux qu’une : la meilleure ! Votre mission est de démasquer les deux vampires de l’hôtel et les détruire ? Eh bien seule celle qui réussira cet exploit obtiendra son diplôme officiel de chasseuse de vampires. L’autre, elle pourra se lancer dans la broderie sur soie.

Lucie. Quoi ?

Mina. Vous ne parlez pas sérieusement ?

Van Helsberg. Si, jeunes filles. De vous deux, une seule obtiendra le diplôme de chasseuse de vampire ! Nous délivrons très peu de diplômes et cette petite quantité se doit d’être d’une qualité minimale, sinon nous perdrons définitivement toute crédibilité. Mais si vous êtes là aujourd’hui, c’est que vous avez malgré tout les compétences pour devenir chasseuses de vampires. Enfin, je l’espère… Interrogation orale surprise ! Qu’est-ce qu’un vampire ?

Lucie. Un revenant en corps se nourrissant de sang humain.

Van Helsberg. Que craignent les vampires ?

Mina. La lumière du jour !

Lucie. L’ail !

Mina. Les crucifix !

Lucie. L’eau bénite !

Van Helsberg. Et les miroirs ?

Lucie. Ils ne les craignent pas mais ne s’y reflètent pas !

Van Helsberg. Comment devient-on vampire ?

Mina. En buvant le sang d’un vampire !

Van Helsberg. Peut-on tuer un vampire ?

Lucie. Un vampire est déjà mort. On ne peut donc pas le tuer. Mais on peut le détruire.

Van Helsberg. Bravo, c’était un piège… Comment détruire un vampire ?

Mina. On le jette sous la lumière du jour !

Lucie. On lui coupe la tête !

Mina. Et on la remplit d’ail !

Lucie. Et on lui plante un pieu dans le cœur !

Van Helsberg. En quel bois ?

Lucie. En bois de tremble !

Van Helsberg. Mais… vos connaissances théoriques sont excellentes ! Vous pourriez presque damer le pion à un de vos collègues de Londres… Votre équipement est prêt ? Ail en quantité ?

Lucie et Mina. Affirmatif.

Van Helsberg. Crucifix ? 

Lucie et Mina. Affirmatif.

Van Helsberg. Eau bénite ? 

Lucie et Mina. Affirmatif.

Van Helsberg. Miroir de poche ? 

Lucie et Mina. Affirmatif.

Van Helsberg. Pieux et marteaux ?

Lucie et Mina. Affirmatif.

Van Helsberg. Épée consacrée ?

Lucie et Mina. Affirmatif.

Van Helsberg. Poudre et rouge à lèvres ?

Lucie et Mina. Quoi ?

Van Helsberg. La séduction est une arme à ne pas négliger. Bref, vous avez ?

Lucie et Mina. Affirmatif. 

Van Helsberg. Vos professeurs de deuxième année ne m’avaient pas menti. Prometteuses, vous êtes prometteuses ! Mais attention : une seule d’entre vous sera diplômée par notre école. Nous nous retrouverons tout à l’heure : l’hôtel organise ce soir un dîner costumé. Ce sera l’occasion pour moi de suivre discrètement vos progrès. En attendant, bonne chance, mesdemoiselles. Que la meilleure gagne !

Il remonte dans les chambres. Mina et Lucie s’observent.

Lucie. Bon, écoute, je vais pas être salope, et je vais te donner un conseil que tu ferais bien de suivre : dégage.  

Mina. Pardon ?

Lucie. Non mais tu cloches que dalle ou quoi ? J’ai dit « dégage ».

Mina. Dégager ? Et en vertu de quoi ?

Lucie. En vertu de ce que t’as aucune chance d’avoir ton diplôme, là. 

Mina. Ah ! Et… qu’est-ce qui te fait dire ça ?

Lucie. Oh là ! Des tas de choses…

Mina. Lesquelles ?

Lucie. Ben… comment te dire… T’as pas le fight. 

Mina. Le quoi ?

Lucie. Le fight ! Ça veut dire le « combat » en américain. 

Mina. Tu parles américain ?

Lucie. J’ai été copine avec un GI alors… forcément… j’ai un peu pratiqué. La langue. La langue américaine, quoi. Et moi je te le dis, t’as pas le fight ! 

Mina. Tu crois ?

Lucie. Je le vois bien ! T’es là… t’ajustes ta robe, t’écris des poèmes… mais tu sais pas trop comment faire. 

Mina. C’est un peu vrai…

Lucie. C’est très vrai ! Alors que moi, je sais exactement comment je vais faire !

Mina. Ah oui ?

Lucie. Ouais ! Je vais foncer d’abord et réfléchir après ! Enfin, si j’ai le temps. Pour ça, je fais un régime hyper stric’. Et crois-moi, c’est pas facile. 

Mina. Je peux le concevoir. 

Lucie. Le matin, à jeun, deux verres de bordeaux, pour le fer et aussi les tanins : c’est un antibiotique naturel ! Ensuite, une tartine de roquefort ; ce petit fromage qui pue possède un champignon du feu de dieu, le penicilium roqueforti, je peux te dire il dégage les bronches. À midi, une demie bouteille de champagne, pour le phosphate, évidemment ; c’est un tonique, si tu préfères ; et j’enchaîne avec un camembert entier, pour le calcium et la vitamine B. Et comme j’ai un petit excès pondéral (entre parenthèses, je vois vraiment pas pourquoi), le soir, au coucher, trois verres de rosé. Je suis déter, je suis déter !

Mina. Déter ?

Lucie. Déterminée, si tu préfères ! Parce que moi je suis là pour choper !

Mina. Choper des vampires ?

Lucie. Mais non, banane, choper des mecs ! 

Mina. Des… des…

Lucie. Choper des mecs, t’as bien compris ! Pas question que je me tape un vampire… Tu crois que c’est facile sur La Butte ? j’avais le choix entre cette enflure de Prosper et cette loque de Marcel. Avec le premier je me retrouvais tapineuse en cinq secs, avec le second je vendais de la quincaillerie jusqu’à la fin des rats. J’ai préféré me tirer comme une grande. Mais j’en suis convaincue : quand je sortirai mon diplôme, ça va être la queue ! La queue pour s’inscrire à mon carnet de bal ! Je veux choper et je choperai !

Mina. En effet, je vois que tu es résolue à l’emporter. Mais je ne suis pas moins décidée que toi. 

Lucie. Ah ouais ?…

Mina. Je vais te raconter une histoire. J’avais une petite chatte que j’adorais. Je l’avais appelée Dinah. Je l’avais recueillie dans la rue, alors qu’elle n’était qu’un petit chaton chétif et pelé. J’ai bien cru qu’elle allait mourir. Pourtant, je l’ai nourrie, câlinée, je lui ai donné tout mon amour. Et elle a survécu. Nous ne passions pas un jour l’une sans l’autre. Alors j’ai compris que l’amour pouvait faire des miracles. Mais l’histoire n’est pas terminée. Un soir, j’ai eu des mots avec mon père. Il m’accusait de m’enfermer dans un monde de livres où les personnages n’étaient que des figures idéales et parfaites. Il me reprochait d’être incapable de me confronter aux atrocités de la vie réelle. 

Lucie. C’est un peu ce que j’essayais de te dire avec mes mots…

Mina. Mais ce soir-là, inconscience de la folle jeunesse, j’ai osé lui répondre. Je lui ai lancé : « Père, vous me pensez trop tendre, trop naïve pour notre monde ? Vous avez la conviction que jamais je ne pourrai être dure ? Cruelle ? » Alors, j’ai appelé Dinah. Elle est venue à moi tout de suite. Je l’ai prise dans mes bras, j’ai ouvert la fenêtre, et je lui ai dit : « Eh bien Dinah, nous allons voir si tu vas retomber sur tes pattes, même après sept étages. » Et je l’ai balancée !

Lucie. T’as pas fait ça ? T’as fait ça ? !

Mina. Tu sais ce qui m’a rendue le plus triste ? J’ai été obligée d’aller nettoyer ses débris sur le trottoir !

Lucie, à part. Cette fille est une tueuse !

Dragomir entre par la cuisine.

Dragomir. Impossible de trouver un canard ni, à plus forte raison du… Ah vous êtes là ! Satan soit loué ! Écoutez-moi : vous ne devez pas rester ici. Alors je n’ai qu’un seul conseil à vous donner : partez ! Partez quand il en est encore temps !  Mais partez maintenant ! Vous courez un grave danger !

***

TÉLÉCHARGEZ LE TEXTE INTÉGRAL POUR VOTRE LECTURE

Continuez la découverte avec d’autres créations

Voir d’autres comédies


Cette pièce vous a plu ? Pour découvrir la prochaine en avant-première, inscrivez-vous sur le site et abonnez-vous à notre Lettre de Nouvelles.

Retour en haut