Rivoire & Cartier, auteurs de comédies

Pièces de théâtre comiques ou comédies ?

Trouver une pièce de théâtre comique

Trouver une pièce de théâtre comique est une requête très fréquente chez celles et ceux qui cherchent un texte à jouer. Cela traduit la volonté de faire rire le public, de lui faire passer un bon moment. Or, au théâtre, une pièce de théâtre qui joue sur le comique se nomme une « comédie ». Le comique est une tonalité à laquelle nous avons souvent recours. Nous y avons d’ailleurs consacré un article de blog, que nous vous recommandons, si vous souhaitez davantage de détails. 

Le registre comique

Attention, pourtant, à ne pas faire de confusion. Le comique est un registre, que d’ailleurs nous employons souvent. Qu’est-ce qu’un registre ? Certains textes provoquent chez le récepteur des émotions : rire, tristesse, sentiment d’un destin inexorable, doute entre ce qui relèverait de la réalité et ce qui relèverait du fantasme, admiration, colère, etc. Ces réactions sont associées au thème du texte ainsi qu’à des caractéristiques d’écriture du texte qui renvoient à la notion de registre. On peut de cette façon parler de registre comique, ironique, pathétique, tragique, fantastique, épique, polémique, etc. Le registre ne dépend spécifiquement d’aucun genre. Ainsi, si le comique est présent dans la comédie, un poème ou un passage de roman peut également être comique. Écrire une comédie, c’est bien plus que chercher à faire rire. C’est s’inscrire dans une tradition théâtrale que nous revendiquons pleinement. 

Brève histoire de la comédie

On s’accorde pour voir une des origines de la comédie dans les rites en l’honneur de Dionysos. Les officiants, vêtus de faux-ventres et de faux-culs, symboles de l’abondance et de la fertilité, se mettent à improviser. Des auteurs comme Aristophane et Plaute écrivent ensuite des comédies, qui abordent de manière satirique mœurs politiques, comportements humains et relations familiales. 

Au Moyen-Âge et à la Renaissance, les farces héritent de fonds thématique, en s’appliquant à rabaisser toute forme d’autorité. Si ce genre vous intéresse, nous vous invitons à vous reporter sur l’article de blog que nous y avons consacré. Plus tard, au XVIe siècle, la Commedia dell’arte italienne poursuit cette tradition, en se fondant sur l’improvisation et un jeu gestuel. 

Au XVIIe siècle, l’auteur comique phare est bien entendu Molière, qui fait la synthèse des tendances précédentes.  Au XVIIIe siècle, la comédie se fait davantage psychologique avec Marivaux et s’oriente vers la contestation sociale avec Beaumarchais.  

Au XIXe siècle, la comédie prend un tour plus satirique et permet l’éclosion du vaudeville. Des personnages nouveaux sont montrés sur scène : employés, rentiers ou aristocrates désargentés font le bonheur de Labiche, Feydeau ou Guitry. 

Au XXe et XXIe, la comédie se mélange à l’absurde au drame, au méta-théâtre et aborde des pans jusqu’alors inexplorés. On pourra citer Ionesco, Vinaver, Müller, Viripaev, Ayckbourn.

La tradition de la comédie chez Rivoire & Cartier

Malgré ces transformations profondes, peut-on trouver des constantes ? Comment s’incarne la tradition de la comédie chez Rivoire & Cartier ?

Le milieu des personnages

Tout d’abord, la comédie traditionnelle prend place dans un milieu populaire et bourgeois. Comme on peut le voir dans Coriaces, Samantha et Tony sont issu de la classe modeste : elle est caissière, tandis que lui est manutentionnaire. Le couple chez qui ils vont pour garder un chat, Amaury et Diane, ont plus de moyens. Amaury, patron de Tony, dirige un laboratoire pharmaceutique, tandis que Diane est femme au foyer.  La comédie traditionnelle n’utilise pas de personnages nobles et quand elle le fait, c’est pour montrer en quoi ils ne le sont pas, en tout cas moralement. Dans Adultère et conséquences, on peut trouver un exemplaire de cette noblesse en Madame de Marcy, directrice de la Clinique Saint-Bernard. Elle affecte d’être très pieuse et demande volontiers des professions de Foi à qui veut travailler avec elle. Pourtant, dès qu’il s’agit de faire du chiffre d’affaires, elle perd tout charité chrétienne et n’hésite pas à appeler ses concurrents des « putains de jésuites ». 

La comédie telle que la tradition nous la donne met donc en scène une humanité commune, moyenne, qui rencontre des problèmes de famille, ou de société. Cette bipartition thématique est sensible dans notre répertoire. Ainsi, dans Collision, le personnage de Josiane fait face à l’adultère de son mari, alors que Faux profil aborde les pièges de la rencontre en ligne. 

Les thèmes

Des thématiques actuelles

On peut par conséquent dire que la comédie s’inscrit traditionnellement dans l’air du temps, dans une époque, dont elle capte les thèmes, les préoccupations et le langage. De fait, notre répertoire reste poreux à l’actualité. Trois fois Axelle évoque le phénomène sectaire, que l’on peut deviner en filigrane dans le discours de la fille du personnage principal. Qui veut devenir maire ? montre le mélange information-divertissement, que désigne le vocable infotainement : on peut y voir une campagne municipale transformée en jeu de télé-réalité. Quant à Weekend de Pâques, il est rempli de ce langage d’affaires mélangeant business english et notions issues de la vague psychologie liée au développement personnel.

Conflits de générations

Parmi les sujets habituels de la comédie traditionnelle, on trouve les conflits de génération et les projets de mariage contrariés. Ainsi, une partie importante d’Un Ravissant Petit Village est fondé sur une opposition mère-fille. D’abord ignoré la seconde, le conflit est progressivement révélé par l’intrigue. Il met au jour deux visions du monde opposées qui se révéleront irréconciliables. Les projets de mariages contrariés, en revanche existent peu chez Rivoire & Cartier, mais c’est pour mieux leur substituer la manière dont les pères ou les mères tentent de briser les amours de leurs fils ou filles. On peut citer à cet égard Hôtel Dracula. On y voit Carmilla, vampire de 173 ans, demander à son fils Dragomir de renoncer à Mina, car cette jeune fille est devenue la proie de cette créature plus que centenaire. 

Le savant moqué

Autre sujet fermement ancré dans la comédie traditionnelle : la moquerie envers le soi-disant-savant. Il s’agit d’un thème farcesque que la comédie s’est approprié. La situation dans laquelle un personnage détenteur de savoir fait face aux limites de ses connaissances se retrouve dans plusieurs pièces de Rivoire & Cartier. On trouve un exemple très vif de cette configuration dans notre comédie western Dernière Diligence pour Kansas City. On peut y voir le capitaine Miller, héros de la bataille de Slim Buttes. Face à une assemblée de voyageurs de diligence, il entreprend de la raconter en détail. Or, il tourne les choses à son avantage et fait plusieurs écarts avec la vérité historique, ce que ne manque jamais de souligner Taureau-Ailé, Indien lui aussi présent lors de cette bataille.  

Sujets plus graves

Mais la comédie peut aussi s’attaquer à des sujets plus graves, politiques et religieux. C’est aussi le cas dans notre répertoire, où des thématiques difficiles affleurent parfois. On peut ainsi voir dans Promotion différentes évocations du sexisme ordinaire tel qu’il se manifeste dans le milieu professionnel. La situation de départ de La Vie de bureau repose sur la fermeture d’un site industriel, actualité hélas très répandue. Dernière Diligence pour Kansas City parle du génocide indien. 

Démesure

Quoi qu’il en soit, la comédie traditionnelle cherche à plaire par le spectacle de la démesure. Cet excès peut venir de la situation. Ainsi, dans Hôtel Beaumanoir, le personnage de Montjoie a déclaré que s’il revenait encore bredouille de la chasse, il mangerait son chapeau. Comme il échoue de nouveau à rapporter du gibier, il demande au restaurant de l’hôtel de lui accommoder son chapeau de manière à en faire un plat délicieux qu’il pourra manger sans heurt. 

MONTJOIE. Vous me demandiez si désirais manger quelque chose en particulier.

JOUBERT, sans comprendre. En effet.

MONTJOIE, désignant son chapeau. Eh bien voilà ce que je voudrais manger.

JOUBERT. Votre… votre chapeau ?

MONTJOIE. Mon chapeau.

JOUBERT. Votre chapeau ? Vous souhaitez manger votre chapeau ?

MONTJOIE, confirmant. C’est bien cela, je souhaite manger mon chapeau.

JOUBERT. C’est une demande peu commune…

MONTJOIE. Vous venez de me dire que le client est roi.

JOUBERT. Et je vous le confirme…

MONTJOIE. Aussi, étant moi-même client-e, je souhaiterais manger mon chapeau à déjeuner.

JOUBERT. Je me permets nonobstant de vous signaler que nous avons à la carte des plats plus délicieux les uns que les autres et que…

MONTJOIE. Je connais la carte, je vous remercie. Croyez bien que j’aurais préféré y puiser quelques douceurs qui auraient illuminé mon repas. Ma demande n’a rien d’une tocade. 

JOUBERT. Jamais je n’aurais osé…

MONTJOIE. Je ne fais qu’accomplir mon devoir.

JOUBERT. Votre devoir ?

MONTJOIE. Mon devoir envers le Code du Chasseur.

JOUBERT. Le Code du Chasseur vous impose de manger votre chapeau ?

MONTJOIE. Le Code du Chasseur m’impose le respect de la parole donnée. Hier, comme vous le savez, je n’ai tiré aucun gibier.

JOUBERT. La saison ne vous est guère propice, en effet.

MONTJOIE. Aussi, ce matin, quand les lièvres ont été lâchés dans les bois de l’Hôtel, j’ai eu le malheur de dire : « Si aujourd’hui encore je ne fais aucune prise, je mange mon chapeau ». Force est de constater que je vais être obligé-e d’avaler mon couvre-chef.

L’excès peut aussi venir du caractère. Omnibus Café met ainsi en scène le personnage de Christian, qui peine à faire des choix. Les quelques lignes suivantes donnent un aperçu de son indécision.

RENE. — Qu’est-ce que je te sers ?

CHRISTIAN, hésitant. — euh… une noisette… 

RENE. — Et une noisette, une !

CHRISTIAN. — Non, attends !… je crois que j’ai envie d’une boisson un peu plus riche en lait… Plutôt un crème. 

RENE. — Et un crème, un !

CHRISTIAN. — Non, attends !… c’est vrai que j’aime le lait, mais à condition qu’il soit léger et mousseux… À la réflexion, je vais prendre un capuccino…

RENE. — Tu es sûr ?

CHRISTIAN. — Euh… je crois, oui…

RENE. — Tu crois ou tu es sûr ?

CHRISTIAN. — Euh… je suis sûr…

RENE. — Sûr, sûr ?

CHRISTIAN. — Sûr, sûr !

RENE. — Et un capuccino, un !

CHRISTIAN. — Non, attends !

RENE, s’énervant. — Quoi, encore ?

CHRISTIAN. — Finalement, je vais peut-être me prendre une boisson fraiche…

RENE, se retenant. — Je te confirme que tu vas te prendre une boisson fraiche. (Explosant 🙂 Mais tu vas te la prendre en pleine poire, si tu continues comme ça !

CHRISTIAN, n’ayant pas entendu. — Quoi ?

RENE. — Rien !

CHRISTIAN, ouvrant son petit carnet et prenant un stylo. — Tu sais, je me demande si je ne pourrais pas mettre ça dans ma pièce.

RENE. — Quoi « ça » ?

CHRISTIAN. — Ben ça, ce qu’on vient de dire !

RENE, quittant son comptoir. — D’accord, mais je prends dix pour cent !

Parfois, l’excès, qui se trouve au cœur du dispositif de la comédie, peut venir du langage. David Vincent les a vus est emblématique de ce genre de débordements. Krystian, le metteur en scène, est à fleur de peau et s’emporte souvent. Jacques-Yves et Jean-Louis nous racontent les répétitions.

JACQUES-YVES. Les répétitions avaient pas si mal commencé. 

JEAN-LOUIS. Au contraire. Elles avaient plutôt bien commencé. 

JACQUES-YVES. Non, c’est vrai, y avait une espèce d’allant, de bonne humeur.

JEAN-LOUIS. Mais progressivement, faut bien le dire…

JACQUES-YVES. Progressivement, lentement, on sait pas quand, pas vraiment…

JEAN-LOUIS. On sait pas quand, ça a changé… on sait pas vraiment quand, insensiblement…

JACQUES-YVES. Ça a changé… il a changé. 

JEAN-LOUIS. Oui, il a changé, Krystian… On le sentait moins… moins dans le truc… 

JACQUES-YVES. C’est vrai qu’on le sentait moins emballé par ce qu’on faisait…

JEAN-LOUIS. Moins, beaucoup moins…

JACQUES-YVES. Par rapport à nos propositions, y avait comme… comme une petite retenue…

KRYSTIAN. Qu’est-ce que c’est que ce boulot de chiottes ? Ma parole, vous êtes complètement déglingués ! Deux bouffons, deux petits branleurs, voilà ce que vous êtes ! 

JEAN-LOUIS. Ça va ! N’en rajoute pas ! Elle était pas si mauvaise que ça, notre scène !

KRYSTIAN. Pas si mauvaise ? Vous me donnez envie de déféquer !

L’excès peut aussi prendre une forme plus directe et intervenir par l’action. Ainsi, dans Coriaces, Amaury ne peut plus supporter les intrus qui se sont installés chez lui. Il décide donc d’employer la manière forte.

AMAURY, soulevant la cloche et dévoilant une grenade explosive. —C’est à consommer sur place. (Il écrase un spasme de rire.)

TONY, prenant la grenade à la main. —Ça, ça me dit quelque chose. Comment ça s’appelle, déjà ? Ah oui, une grenade ! (Réalisant soudain 🙂 Une grenade ! Ah ! (Il envoie l’objet à Samantha.)

Diane reparaît par le jardin d’hiver.

SAMANTHA, réceptionnant la grenade et la renvoyant à Diane. —Une grenade ! Ah !

DIANE, réceptionnant la grenade. —Une grenade ! Ah ! (Elle se tourne de tous côtés, puis courant vers l’extérieur 🙂 Couchez-vouuuuuuuuus ! 

Diane a disparu. Peu de temps après, une explosion monstrueuse retentit.

L’excès propre à la comédie peut aussi venir de l’intrigue.  Ainsi, dans La Part du hasard, on montre différentes intrigues possibles à partir d’une situation initiale unique. Ce foisonnement inhabituel semblera excessif à qui n’aime que les intrigues linéaires.

Romanesque, ridicule et fantaisie

Face à ces excès, le lectorat ou le public prend ses distances et se sent conforté dans sa supériorité. Cela ne provoque pas nécessairement le rire. Le comique, en effet, n’est ni nécessaire, ni suffisant pour définir la comédie, même si elle ne cherche pas à l’effacer. D’autres registres entrent de plein droit dans la comédie. On peut ainsi mentionner le romanesque, qui intervient lorsque l’intrigue prend un tour inattendu. Le fameux Deus Ex Machina, qui désigne un dénouement résolu par un élément purement extérieur, en fait partie. Nous l’avons utilisé dans Qui veut devenir maire ? Lors de la scène finale, un personnage retrouve son père et sa mère, qu’elle avait côtoyés durant toute la pièce sans pour autant savoir qu’il s’agissait bien de ses géniteurs. Ce n’est pas le rire qui est l’émotion phare ici, mais la surprise. Le ridicule est l’un des autres registres de la comédie. L’émotion visée est alors la gêne, comme dans cette scène de La Vie de Bureau, où l’on vide le bureau du personnage de Bernard sous les yeux de celui-ci, qui voit ainsi passer toutes ses affaires sous ses yeux, y compris ses revues pour public averti… Enfin, la comédie est également le royaume de la fantaisie, registre qui nous éloigne du rationnel. L’effet attendu est alors une certaine désorientation du public. On peut évoquer David Vincent les a vus et son alternance entre scènes au présent, scènes dans le passé et scènes jouées, ou encore L’Étoffe des songes et la manière dont chaque personnage navigue entre des identités sans cesse renouvelées.

Le répertoire de Rivoire & Cartier relève donc bien de la comédie, dans son acception la plus traditionnelle. Pourtant, nous renouvelons aussi le genre, car nous lui injectons des ingrédients uniques qui donne un caractère singulier à notre répertoire. 


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