Promotion

Textes jouables par 2



Quand l’amitié rentre en conflit avec l’ambition

Accordez-nous moins d’une heure de lecture et découvrez une comédie captivante sur le conflit entre amitié et réussite dans le monde du travail (même si vous avez peu de moyens).

Avant de vous en dire plus, on a 3 questions rapides à vous poser :

🆘 Vous n’aimez pas les pièces dont l’intrigue demeure plate ?
🆘 Vous ne supportez pas les pièces dans lesquelles l’esprit de sérieux domine ?
🆘 Pour autant, vous ne voulez pas d’un simple divertissement ?

Si vous avez répondu oui à au moins deux questions, alors lisez vite ce qui suit !

Voici le résumé de Promotion :
Josiane et Sybille, amies de longue date, travaillent dans la même entreprise. Lorsque Josiane se voit proposer une promotion, leur amitié est mise à rude épreuve. Entre ambitions personnelles, tensions professionnelles et valeurs humaines, cette comédie explore avec humour et émotion les dilemmes que chacun peut rencontrer dans le monde du travail.

En accédant au texte intégral de Promotion, vous obtiendrez un fichier PDF de 58 pages pour un poids ultra-réduit de 402 Ko, téléchargeable sur votre ordinateur, votre tablette, votre téléphone, et imprimable sur n’importe quel support. La mise en page vous permettra de noter sur le texte toutes les indications et notes de régie que vous jugerez utiles.

Avec Promotion, vous découvrirez :

✅ Une comédie humaine et sociale : des dialogues incisifs qui captivent et amusent le public.
✅ Des personnages variés et nuancés : un duo féminin où chaque actrice peut briller dans un rôle riche en émotions.
✅ Un décor minimaliste : un simple bureau, parfait pour une mise en scène légère .
✅ Une intrigue universelle : des thèmes comme l’ambition, l’amitié et le dépassement de soi, qui parlent à tout le monde.
✅ Une réflexion subtile : cette pièce questionne avec humour les limites que nous sommes prêts à franchir pour réussir. Le public a donc, s’il le souhaite, matière à réfléchir.

Intéressé(e) ? Téléchargez gratuitement le texte intégral de Promotion et laissez votre public explorer les dilemmes du monde du travail à travers cette comédie mordante et actuelle.

Attention : déconseillé aux compagnies qui ne veulent pas d’un discours critique sur le monde du travail !

Voir d’autres comédies pour 2 personnages



Promotion est la suite de Collision. On y retrouve Josiane et Sybille, quelques temps après leurs retrouvailles dans la première pièce. Chacune a changé et se projette vers d’autres horizons.

Texte intégral de Promotion à lire ou à imprimer

Personnages

Josiane.

Sibylle.

Le décor

Le bureau de Josiane chez Aware Consulting. Un ordinateur et un téléphone portables. Deux photos : sur l’une d’elles, plusieurs enfants ; sur l’autre, deux adolescentes souriantes. Des mugs, une boîte à thé, du sucre, du lait, une petite assiette avec des gâteaux. Un jeu de dames, des piles de dossiers. À côté du bureau, une grande corbeille de fleurs. 

1. 

Josiane, vêtue d’un tailleur strict, est assise à son bureau et tape à l’ordinateur. Son téléphone sonne. Elle regarde l’appelant et décroche.

Josianeau téléphone. Ma chérie ? Vas-y, je t’écoute.

Sybille, vêtue elle aussi d’un tailleur strict, enceinte de huit mois, apparaît. Elle est également au téléphone.

Sibylleidem. N’ayons pas peur des mots : c’est d’ores-et-déjà une œuvre majeure du XXIe siècle.

Josianeid. Mon eye-liner ? Ah non, j’en n’ai plus. Utilise ton argent de poche. Il est là pour ça.

Sibylleid. Je le sais, Kyomi Hashimoto est un des artistes au monde les plus côtés, je le sais.

Josianeid. C’est du Esther Beauté, je le sais.

Sibylleid. Pendant sa période bleue, il était encore accessible aux budgets intermédiaires, mais depuis sa période verte, il est devenu d’un cher.

Josianeid. Il y a un magasin en face du cabinet, je le sais. Oh non, je t’arrête tout de suite : ça coûte un bras et on a besoin d’argent pour le toit. Pas de folie, ça non.

Sibylleid. Au MoMa ? en ce moment ? Il faudra que j’y passe. En tout cas, j’ai fait des folies pour mettre l’œuvre en valeur, ça oui.

Josianeid. On ne va pas en discuter pendant des heures.

Sibylleid. Je pourrais en parler pendant des heures. Un lit-cage licorne, une table-à-langer farfadet et un casier à couche princesse. L’ensemble sera parfait. Quoi ? Il est déjà vendu ? Mais… je ne comprends pas…

Josianeid. Et Intermarket ? Ce qu’ils ont c’est très bien. Chic et pas cher.

Sibylleid. Mais non…

Josianeid. Mais si !

Sibylleid. C’est une blague ?

Josianeid. Je parle très sérieusement !

Sibylleid. Vous vous rendez-compte ? J’ai redécoré toute la chambre d’enfant pour qu’elle soit raccord avec l’œuvre ! Et vous, vous me dites que…

Josianeid. J’entends quoi, là ?

Sibylleid. Mais non j’en retrouverai pas un comme ça ! 

Josianeid. Lola ?

Sibylleid. Un mobile pour bébé de ce style, c’est unique ! 

Josianeid. Lola, réponds.

Sibylleid. Je ne veux pas n’importe quoi, je veux celui-là, je veux « le mobile origami de Kyomi Hashimoto, idéal pour une montée en compétences dès les premières heures de la vie » !

Josianeid. Ce sont des bruits de tiroirs, ça. 

Sibylleid. Donnez-moi les coordonnées de l’acheteur. Si je lui propose un bon prix, peut-être que…

Josianeid. Je sais reconnaître le bruit que font les tiroirs de ma commode.

Sibylleid. S’il vous plaît !

Josianeid. Lola, s’il te plaît !

Sibylleid. S’il vous plaît !

Josianeid. S’il te plaît !

     En même temps. 

Josiane et Sybilleensemble. Oh !

Josiane.  Elle m’a raccroché au nez, le petit chameau !

Sibylle. Il m’a raccroché au nez, cet enfoiré !

Sibylleà Josiane. Ça y est. Le Hashimoto vient de me passer sous le nez.

Josianeà Sybille. Non ?

Sibylle. Un acheteur a été plus rapide que moi. Quelle barbe !

Josiane. Je sais que vous y teniez beaucoup.

Sibylle. Quoi vous ?

Josiane. Enfin… je sais que tu y tiens…

Sibylle, dont la colère monte progressivement. Oui, Chris m’a fait découvrir Hashimoto, oui on a décidé de faire un bébé, oui il a changé d’avis, oui j’ai choisi de garder l’enfant, oui Chris s’est barré, mais non, non et non : cet achat n’est pas l’expression d’un regret de Chris ! Qu’il aille se faire voir, ce salaud ! (Regardant soudain Josiane avec plus d’attention .) Ça ne va pas ?

Josiane. En ce moment, Lola est stressée. Elle attend les résultats de ses demandes de fac. Ça la rend un peu… Le toit fuit. Tout le monde campe dans le salon. On est tous fatigués.

Sibylle. Je connais un très bon couvreur.

Josiane. On verra d’ici quelque temps. (Son téléphone sonne.) Oui Fifou ? Euh… et alors ? Non, j’en sais rien. Eh bien cherche, elle ne doit pas être bien loin. (Elle raccroche.) Drame : Fifou ne retrouve plus sa deuxième chaussette. 

Sibylle, appelant quelqu’un au téléphone. C’est pour ça qu’il t’appelait ?

Josiane, souriant. Je suis censée connaître la place de chaque objet de la maison.

Sibylle. Et voilà : répondeur ! À chaque fois que j’appelle Henri, c’est pareil. Il est où, là ?

Josiane. Stockholm ou Porto, je ne sais plus.

Sibylle. Depuis que l’expansion a été décidée, on ne le voit plus. On ne se parle plus qu’au téléphone. 

Josiane. Tu voulais lui parler de quoi ?

Sibylle. Il m’a mis sur deux dossiers.

Josiane. La digitalisation et Junglezone.

Sibylle. C’est ça. La digitalisation, c’est intéressant. En plus, c’est Matt qui est en charge avec moi.

Josiane. Il est super sympa.

Sibylle. Très. Je veux bien continuer à m’investir sur le sujet. Mais Junglezone…

Josiane. Junglezone, c’est chaud…

Sibylle. Junglezone, c’est brûlant. J’ai déjà eu assez de mal comme ça à leur dégoter un dircom… Mais assurer en plus le service après-vente… Tu te souviens, quand Henri m’a collé le dossier ?

Josiane. Pesos devenait fou.

Sibylle. Il y avait de quoi. Tout le monde s’en donnait à cœur joie : télé, radio, web…

Josiane. « Bret Pesos : un management par la peur ».

Sibylle. « Enquête exclusive : plongée dans l’enfer de Junglezone ».

Josiane. « Mépris, intimidation, pause pipi minutée : bienvenue chez Junglezone ».

Sibylle. « Bret Pesos déclare au board de Junglezone : les syndicats, je les briserai ».

Josiane. Qui aurait envie d’aller travailler là-bas ? 

Sibylle. L’image de Junglezone était bien amochée. Durablement. On le pensait.

Josiane. Et pourtant, tu as trouvé ! 

Sibylle. Ça n’a pas été sans peine. 

Josiane. On était sûrs que tu réussirais.

Sibylle. J’ai bien cru que j’allais me planter. Henri m’avait filé le dossier, j’ai fait le job, Ok. Mais me charger du suivi… (Elle fait un signe négatif.) Jamais j’ai parlé à Pesos. Pourtant il a mon numéro.

Josiane, impressionnée. Pesos a ton numéro ?

Sibylle. Il l’a exigé. « Vu l’importance du poste à pourvoir, blablabla » Il ne m’a jamais appelée et je ne l’ai jamais vu. Une fois, une seule fois je suis allée au siège. Je suis passée à côté d’une salle dans laquelle il faisait une réunion. Des hurlements, des insultes… rien que de te raconter… brrr… non, je ne veux plus de Junglezone ! Le cabinet doit arrêter de bosser avec ce genre de client. C’est ce que je voulais dire hier soir. 

Josiane. À l’Assemblée des associés ?

Sibylle. Voilà. J’en avais parlé à Raphaël.

Josiane. Il a l’habitude des grosses boîtes.

Sibylle. Exactement. Je sais que je me serais heurtée à Maurice et son clan.

Josiane. Les vieux ?

Sibylle. Ce genre de considérations, ça leur passe complètement au-dessus de la tête. 

Josiane. Tu crois ?

Sibylle. Ce n’est pas très étonnant, vu leurs états de service. 

Josiane. De quoi tu parles ?

Sibylle. Tu me fais marcher ?

Josiane. Non, je ne vois pas. 

Sibylle. Ne me dis pas que tu n’as jamais eu affaire aux mains baladeuses de Maurice ? À ses allusions déplacées ?

Josiane. C’est vrai que je le trouvais un peu tactile…

Sibylle. Un peu tactile… Toi, tu es tactile, Josiane. Être tactile, c’est chaleureux. Ce n’est pas du harcèlement. Maurice, par contre…

Josiane. Du harcèlement ?

Sibylle. Quand on a fait la digitalisation des dossiers de Maurice, eh bien on a trouvé, tout au fond d’une armoire, bien cachés, des dizaines de témoignages de harcèlement sexuel le concernant.

Josiane. Et ces plaintes n’ont jamais abouti ?

Sibylle. Étouffées contre de l’argent, vraisemblablement. C’est du moins ce qu’on a compris avec Matt en lisant les papiers que Maurice avait si bien planqués.

Josiane. Tu en as parlé à Henri ?

Sibylle. Il m’a dit de laisser dormir tout ça. Ce serait dommageable pour le cabinet, on en pâtirait tous, Maurice devrait se retirer d’ici un an, etc.

Josiane. Alors là… je ne regarderai plus Maurice de la même façon…

Sibylle. Tu comprends, maintenant ? Junglezone peut maltraiter ses employés, les harceler, nier leurs droits, ça passe bien au-dessus de Maurice et son clan. Ah ! Si j’avais été là, je leur aurais montré, moi, que bosser pour Junglezone, c’est de l’esclavage moderne !

Josiane. Tu as eu une urgence ?

Sibylle. Des nausées. Je n’étais vraiment pas opérationnelle… D’ailleurs, j’ai reçu des tas de messages de ces messieurs.

Josiane. C’est gentil.

Sibylle. C’est condescendant. Je ne suis pas malade. Je suis enceinte. Aujourd’hui, ça va mieux. (Elle prend un gâteau sur la petite assiette et croque dedans.)

Josiane, attendrie. On dirait…

Sibylle, observant le bureau de Josiane. Un vrai salon de thé !

Josiane. C’est un attrape-collègue. Lait, gâteau… Ça sent bon, ça attire. Bonjour Josiane, comment ça va, un thé oui pourquoi pas, au fait, tu ne connais pas la dernière d’Henri ?

Sibylle, prenant la photo désignant deux ados. On était quand même de jolies collégiennes. 

Josiane. On est de jolies femmes ! Une amitié comme la nôtre…

Sibylle. C’est unique.

Josiane. Je ne te remercierai jamais assez de m’avoir fait rentrer dans la boîte.

Sibylle. Henri cherchait une secrétaire. Amies un jour…

Sibylle et Josiane, ensemble. Amies toujours !

Josiane, en connivence. D’ailleurs, on est vendredi.

Sibylle. Tout à l’heure, petit verre du weekend, comme d’habitude ?

Josiane. Bien sûr !

Sibylle, regardant le bouquet. Jolies fleurs.

Josiane. C’est Irène. Une jeune diplômée à la recherche d’un job. Elle était venue nous confier son dossier. Son premier entretien avec Henri avait été catastrophique et il avait refusé de la prendre. J’avais retrouvé Irène en pleurs sur le trottoir. J’ai proposé à Irène de la coacher. J’ai convaincu Henri de la recevoir pour un deuxième entretien. Résultat gagnant ! Irène s’en est d’ailleurs confié à Henri qui en a été très surpris. 

Sibylle. Bien joué ! (Posant le regard sur le jeu de dames.) On n’a pas fini notre partie. C’est à qui ?

Josiane. À toi.

Sibylle. Bon. (Observant le jeu .) J’ai deux options. Soit je te laisse une chance, soit je t’écrase à plate couture. Je crois que je vais choisir la deuxième solution ! (En un seul mouvement, Sibylle prend toutes les pièces de Josiane.)

Josiane. Merci…

Sibylle. Ce n’est pas contre toi, Josy…Quand on a du jeu, il faut le jouer !

Josiane. Toi et ta légendaire bienveillance…

Sibylle. Je ne suis pas bienveillante ?

Josiane. Ce n’est pas ta qualité première.

Sibylle. Ah non ? Je ne trouve pas, moi. Au contraire. Je me vois comme quelqu’un de plutôt bienveillant, en fait…

Josiane, riant. Bien sûr Sibou, tu es très bienveillante, tout le monde sait ça…

Sibylle. Tu n’étais pas ironique, avant. Ça doit être le travail à mon contact…

Josiane. Je me trompe peut-être. Faisons un test.

Sibylle. Un test ?

Josiane. Un test de bienveillance.

Sibylle. Un test de bienveillance… Je suis hyper bienveillante ! Et puis tes tests, je les connais, c’est n’importe quoi.

Josiane, souriant. Voilà une remarque pleine de bienveillance…

Sibylle, un peu honteuse. Évidemment, si tu me tends un piège… Bon, c’est quoi, ton test ?

Josiane. Très simple. J’ai reçu ce matin une flopée de CV à vous dispatcher. On en prend un au hasard. Je te laisserai le lire et le commenter. Et tu verras…

Sibylle. C’est toi qui verras que je suis plus bienveillante que tu ne le crois…

Josiane. Pari tenu ! (Elle prend quelques feuilles au sommet d’une pile de papiers et les regarde.)

Sibylle. On a dit au hasard !

Josiane. Oui, oui… (Elle tend une des feuilles à Sibylle. Cette dernière regarde le document. Son nez se tord imperceptiblement, ce qui fait rire sous cape Josiane.)

Sibylle, plissant les yeux. Tout ce rouge… c’est un peu criard… 

Josiane, trop heureuse de cette remarque. C’est une critique ?

Sibylle, comprenant son faux pas. C’est un compliment !

Josiane. Un compliment ?

Sibylle. Un compliment, parfaitement. (Essayant de retomber sur ses pieds.) Le cri, ça attire. Quoi de mieux pour happer l’attention de la recruteuse ?… (Elle rejette un œil au CV, lequel semble l’incommoder.) Un tel rouge… ça sort du lot, forcément… (Poursuivant sa lecture.) En tout cas, ce jeune homme ne s’embarrasse pas de détails ! Le descriptif des missions, c’est pas du Marcel Proust. 

Josiane, pensant prendre Sybille en faute. Trop vague ?

Sibylle, tentant de se rattraper. C’est vague, c’est vrai, mais c’est très bien, ce vague. 

Josiane. Très bien ?

Sibylle, prenant un air satisfait. Mais oui, très bien ! Ces intitulés vides, ces formulations creuses, ces phrases qui ne veulent rien dire, quel talent !

Josiane, se retenant de rire. Écrire pour ne rien dire, c’est une qualité ?

Sibylle, essayant de croire à ce qu’elle dit. Il y en tellement qui écrivent pour dire quelque chose, qu’écrire pour ne rien dire, c’est faire preuve d’une belle audace ! 

Josiane, ironique. L’audace des débutants.

Sibylle, sans percevoir l’ironie. Voilà. (Poursuivant sa lecture .) Pour un débutant, ce jeune homme a néanmoins une kyrielle d’expériences. Il vole littéralement de poste en poste… ça fait combien de jobs par an ?

Josiane, tendant un piège. C’est mauvais signe, hein ?

Sibylle, se laissant aller. Mauvais signe ? C’est rédhibitoire ! Invariablement, le gars part au bout de trois ou quatre mois. Soit il est incompétent, soit il est imbuvable ! Le genre de candidat à mettre au placard définitivement.

Josiane. Sa formation paraît pourtant solide.

Sibylle. Solide ? (Elle éclate de rire. Lisant .) « The Seagulls Business School » !

Josiane. Oui, c’est pas très connu…

Sibylle. Une école en plastique, oui ! 

Josiane, essayant tout de même de la sauver. En plastique, tu es sûre ?

Sibylle, se lâchant totalement. En plastique ? Non, c’est vrai, je ne suis pas sûre. Par contre, je suis certaine qu’on peut dire que c’est une école de merde ! Encore des gugusses qui se décrètent profs et qui délivrent de jolis diplômes sans aucune valeur.(Avec mépris .) Quelle pitié… (Elle regarde alors Josiane et comprend qu’elle vient d’échouer au test.)

Josiane, avec la satisfaction de celle qui a gagné son pari. Sans commentaire. 

Sibylle, déstabilisée. Je suis bienveillante ! Mais ça ne m’empêche pas d’être objective… Bon… Eh bien je vais me remettre à ce passionnant dossier Junglezone… Dossier, qui, crois-moi, ne mérite aucune bienveillance !

Josiane. Un thé pour te donner du courage ?

Sibylle. Merci, mais j’ai tellement de retard… Si seulement je pouvais coller quelqu’un d’autre sur le dossier. Ça intéresserait peut-être Raphaël ?

Josiane. Ça m’étonnerait. Il part pour Berlin.

Sibylle. Et alors ? 

Josiane. Définitivement.

Sibylle. Il quitte la boîte ?

Josiane. Mais non…

Sibylle. Je ne comprends pas…

Josiane. C’est vrai, tu n’étais pas là…

Sibylle. Où ça ?

Josiane. L’Assemblée des associés. C’est à ce moment-là que ça s’est décidé. Raphaël va prendre la direction du bureau allemand. 

Sibylle. Hein ?

Josiane. Je n’ai pas encore envoyé le compte-rendu.

Sibylle, dont la colère monte. Mais… Raphaël ? C’est n’importe quoi…

Josiane. Il parle couramment.

Sibylle. N’importe qui peut parler couramment ! 

Josiane. Il est très impliqué.

Sibylle. D’autres le sont largement plus que lui. 

Josiane. À qui penses-tu ?

Sibylle. À qui je pense ? Hum… Fais réviser ton détecteur de talent…

Josiane, comprenant l’allusion. Excuse-moi…

Sibylle, ironique. Et de quoi ? C’est normal, je suis un être inférieur qui doit faire l’objet d’une discrimination : je suis enceinte. Pour me repérer de loin, cousez-moi une poule pondeuse jaune sur le revers de ma veste !

Josiane, allant dans son sens. Et on te réserve des toilettes et une cantine séparées ?

Sibylle. Raphaël parti à Berlin, qui va récupérer ses dossiers ? Jerem, Nico, JP et (Se désignant .) la pestiférée… Pourquoi, quand je pense aux mois à venir, j’ai l’image d’une oie qu’on gave ?

Josiane. Rassure-toi. L’Assemblée a décidé d’embaucher un nouveau recruteur. 

Sibylle, ironique. Encore un nouveau collègue avec qui il faudra repartir de zéro…

Josiane, décrochant son téléphone. Henri ? Ça va, merci. Oui, je m’en souviens. Oh vous savez, je pense qu’on aura tous à cœur de l’accueillir comme… Excusez-moi, je n’ai pas bien… (Soudain, le visage de Josiane change d’expression. Grave .) Vous êtes sérieux ? Et vous pensez que c’est une bonne idée ? Eh bien… écoutez… je ne sais pas… Ce serait un gros changement. Il faut que j’y réfléchisse. En tout cas merci beaucoup, Henri. 

Josiane raccroche. Un silence. Sibylle la regarde de manière interrogative mais Josiane semble tout à coup très affairée. 

Sibylle. C’était Henri ?

Josiane. Non, c’était ma sœur qui se faisait une bouffe avec le pape.

Sibylle. Il doit t’avoir dit quelque chose d’important…

Josiane. Il faut que j’y pense.

Sibylle. À quoi ?

Josiane. À sa proposition. 

Sibylle. Henri te fait souvent des propositions ?

Josiane. Jamais. C’est pour ça, j’ai l’impression qu’il est sérieux.

Sibylle, approuvant. La vieille école : pas de blagues.

Josiane. Je crois.

Sibylle, s’impatientant. Bon, alors ! Pour te faire parler, il faut que je te menotte à un radiateur en fonte ?

Josiane. Eh bien… Il m’a… Henri m’a suggéré de candidater au poste de recruteur. 

Sybille sourit puis se met à rire de plus en plus fort, tandis que Josiane se décompose.

Sibylle, encore secouée d’éclats de rire. Sacré Henri… Et tu disais qu’il ne blaguait pas ? 

Josiane. Il était sérieux.

Sibylle, s’arrêtant de rire. Il faut appeler un médecin. Il te propose de… (Elle ne continue pas.)

Josiane, froissée. Il me propose de déposer ma candidature au poste de recruteur, pour prendre la suite de Raphaël.

Sibylle. Josiane, je vais être directe : oublie.

Josiane. Oublie ?

Sibylle. Henri se surmène. Il dit n’importe quoi.

Josiane, vexée. N’importe quoi ? Ma candidature, n’importe quoi ?

Sibylle. Désolé, Josiane, mais je préfère te dire la vérité. Henri est sur trop de choses, il n’a pas les idées claires… toi pour ce poste, mais c’est…

Josiane, bouillant. C’est quoi ?

Sibylle. Josiane… ce n’est pas contre toi mais… toi, recruteuse, c’est non !

Josiane, dépitée. Merci…

Sibylle. Tu bosses ici depuis trois ans. Tu le sais bien, recruter quelqu’un, ça ne se fait pas comme ça. Nous, les recruteurs, on a une véritable méthodologie, ça n’a rien d’inné. Les RH, ça demande une formation solide.

Josiane, déprimée. Oui, oui, et moi, avec mon bac eu au rattrapage…

Sibylle. Et puis, tu sais… Jérem, Nico, JP… faut se les farcir. De vrais machos.

Josiane. Tu m’as dit.

Sibylle. Blagues salaces dans la veine de Maurice, mépris à peine voilé… En tant que femme, il faut s’imposer. 

Josiane. Je me laisse marcher sur les pieds ?

Sibylle. Il y a aussi tout ce que tu ne vois pas.

Josiane, sur la défensive. Je suis aveugle, maintenant ?

Sibylle. Je veux dire : à l’extérieur. Bosser au recrutement, c’est être en relation constante avec le sommet hiérarchique de grandes organisations. Cela requiert une certaine habileté professionnelle. Il faut savoir s’adresser correctement à un directeur général, employer le bon langage, utiliser les codes des instances exécutives pour les retourner en sa faveur.

Josiane, haussant un sourcil. Et ça, je n’en suis pas capable ? Qu’est-ce qui m’en empêcherait ? (Ironique .) Ah mais oui, suis-je bête, je viens des quartiers populaires… 

Sibylle. Arrête…

Josiane. N’est-il pas possible d’apprendre ? De progresser ? De changer ? Tout au long de la vie ?

Sibylle. Bien entendu. C’est pour ça qu’il existe des diplômes, des formations professionnelles. 

Josiane. On n’apprend pas qu’à l’école

Sibylle. Je ne dis pas le contraire.

Josiane. L’expérience aussi est un apprentissage, et un apprentissage très concret. C’est souvent, pour les modestes, le seul moyen de s’élever. 

Sibylle. Je t’ai blessée…

Josiane. J’ai beaucoup donné depuis trois ans. Cet investissement mérite une reconnaissance. (Répondant au téléphone.) Fifou ? Un séjour au ski ? Organisé par la prof de sport ? C’est combien ? Ah… Bon… on va voir ça, mon grand, on va voir ça. À plus tard, bisou. 

Sybille regarde Josiane. Cette dernière devient songeuse.

Sibylle. Tu sais, Josiane, faut pas idéaliser le métier de recruteur. C’est pas si…

Josiane, pas convaincue. Tu vas me dire que c’est chiant ?

Sibylle. C’est pas chiant, mais c’est pas non plus une sinécure…

Josiane, regardant Sibylle de l’œil de celle qui n’est pas dupe. C’est pas une sinécure ?

Sibylle. Eh non Josiane, eh non, c’est pas une sinécure, contrairement à ce que tu pourrais penser…

Josiane, ironique. C’est vrai que vous avez vraiment l’air d’en baver.

Sibylle, sans saisir l’ironie. Mais un peu qu’on en bave, mais bien sûr qu’on en bave, mais je veux qu’on en bave… On a une pression de malade !

Josiane. Une pression ?

Sibylle. Oui, une pression ! Enfin une pression… des pressions. Pression des candidats, qui veulent qu’on leur trouve un job toujours plus vite. Pour eux, chaque jour sans rendez-vous est un jour de chômage supplémentaire. Pression des employeurs, qui veulent sans cesse qu’on leur trouve des candidats. Pour eux, chaque jour sans entretien creuse le déficit. Pression des associés : il faut continûment créer des emplois, sans quoi le cabinet ne fait pas assez de chiffre. Bref, être recruteuse, c’est vivre quotidiennement le risque de burn out ! (Répondant au téléphone .) oui ? Bonjour Diane. Oui je sais. (À Josiane .) C’est au sujet du dîner annuel des recruteurs. Tiens, encore une fichue corvée ! (Au téléphone, résignée .) Oui, j’y serai, comme tous les ans, pas moyen de faire autrement… (À Josiane .) Cette petite sauterie se résume à un élixir d’hypocrisie… Il faut faire des courbettes à tout le monde, ne pas dire le mot qui fâche, parfois mentir effrontément, bref… une torture ! (Au téléphone .) Moui ? oh… encore ? Eh bé, ce n’est pas l’imagination qui les étouffe ! (À Josiane .) Et comme tous les ans, qu’est-ce qu’on va nous servir ? Caviar, langouste, champagne !… c’est d’un ennui ! En plus, le meilleur, dans la langouste, c’est la mayo. Je te laisse imaginer les dégâts sur la ligne… (Au téléphone .) Quoi ? Non… tu me fais marcher ? (Furibarde .) Ah les enfoirés ! (À Josiane .) Alors là, c’est le pompon ! Devine la destination que ces enflures ont choisie ? La Havane !

Josiane, les yeux pleins d’étoiles. La Havane ?

Sibylle, ne décolérant pas. La Havane ! Non mais je vous demande un peu… Tu imagines dans quel état je vais revenir ? Déphasée par le décalage horaire et carbonisée par les coups de soleil ! (Au téléphone .) Hein ? Combien ? Par virement dans 3 jours ? Oh les ordures… les ordures… (Raccrochant, à Josiane .) Ce dîner marque aussi le temps de la prime annuelle des recruteurs. Et devine de combien elle est cette année ?

Josiane. Il y a eu des restrictions ?

Sibylle, au comble de la rage. Ils nous filent 80 000 ! 

Josiane, le souffle coupé. 80 000 ?

Sibylle, écœurée. 80 000, tu imagines ? 

Josiane, les yeux brillants. Oh oui, j’imagine, j’imagine très bien…

Sibylle, excédée par avance. Et quand ce putain de virement de 80 000 sera fait, tu sais ce qui va se passer ?

Josiane, rêvant. Tu vas faire des travaux chez toi ?

Sibylle. Mon banquier va me harceler !

Josiane. Ah ?

Sibylle. « Je voulais vous parler d’un très bon placement », « C’est un excellent produit, rémunérateur et sans risque », « Vous pouvez aussi choisir ce pack constitué d’un portefeuille équilibré et très productif », « J’ai vu que vous n’aviez pas d’assurance vie, on ne sait jamais, on peut mourir… » (Avec un mouvement d’humeur .) Ah ! Tous ces emmerdements, j’en ai assez, assez, assez !

Josiane, après un silence. Moi, je les veux bien.

Sibylle. Hein ?

Josiane. Tous ces emmerdements. 

Sibylle. Tous ces emmerdements ?

Josiane. Je les veux bien.

Sibylle, ayant le sentiment d’avoir produit l’inverse de ce qu’elle voulait obtenir. Si seulement c’était aussi simple… (Répondant au téléphone .) Henri ? Moui… Ah oui, je viens d’avoir Diane. (Mécontente .) Oui, La Havane, je sais… Une « bonne tranche » ? « On va s’en payer une bonne tranche » ? Euh… si vous voulez, Henri, si vous voulez… Hein ? (Le regard noir .) Mais si, mais si, je suis ravie… De toute façon, c’est un incontournable, alors… (Prêtant attention aux réactions de Josiane .) Pour moi, c’est plus une réunion de bureau qu’autre chose… Ah et pourquoi m’appelez-vous ? Junglezone ? (Plus agressive .) Quoi encore avec Junglezone ? Si Junglezone m’ennuie ? Henri, vous êtes sérieux ? Je n’en peux plus de ces conna… de ces voyous ! Ce sont de vrais voyous, Henri, vous savez ? Si je ne les apprécie pas ? Vous me demandez si je ne les apprécie pas ? Travailler pour eux, c’est un enfer ! Henri, ça reste entre nous, mais Bret Pesos est un vrai sadique. Il prend un malin plaisir à diriger son entreprise comme une dictature. J’ai eu de la chance de leur trouver un dircom in extermis. Sinon, vous pouvez être sûr que Pesos serait encore en train de me tarabuster… Enfin… je vous redis tout ça, mais vous le savez parfaitement, n’est-ce pas, Henri ? Bien. Hum… Je vous demande pardon ? Me retirer le dossier ? Mais… qu’est-ce qui se passe ? J’ai fait une bourde ? Oui, Henri, c’est vrai… « pas à l’aise », voilà, le terme est sans doute plus juste… « une lassitude pathologique » ? Alors là non Henri, je vous arrête ! Oui, j’éprouve peut-être un peu de fatigue, mais je ne suis pas malade. Je suis juste enceinte ! Ça ralentit ? Qu’est-ce qui ralentit ? Être enceinte, ça ralentit ? (Fulminant .) Je vous ferai remarquer, Henri, que c’est grâce à ce genre de ralentissement que vous êtes venu au monde ! Oui, je suis un petit peu énervée, oui… (Sombre .) En effet, Henri, en effet, je serais soulagée de ne plus avoir à traiter ce dossier, vous avez vu juste… Eh bien voilà, Henri, c’est confirmé. (Glacée .) Merci, au revoir.

Josiane. Henri te propose de t’enlever Junglezone ? 

Sibylle, contenant sa rage. Oui…

Josiane. Tu es contente ? 

Sibylle, le visage barré. Ravie.

Josiane, décrochant son téléphone. Henri ? (Sibylle se met à regarder Josiane avec attention.) Junglezone ? (Sibylle sursaute.) Oui, Sibylle m’en a parlé… (Un temps.) Pardon ? Excusez-moi j’ai pas bien… (Un autre temps.) Oh Henri… (Gênée, Josiane regarde Sibylle en coin, alors qu’un nuage noir se forme au-dessus de cette dernière.) Henri… je vous remercie de penser à moi, mais je ne suis que votre secrétaire et… oui, oui, oui je vais présenter ma candidature à ce poste de recruteur, c’est vrai, mais… heinhein… oui, Irène, oui, oui une métamorphose complète, vous avez raison, mais Junglezone, Junglezone… Comment ? Un test ? Ah oui, alors évidemment, si c’est un test… (Un flot de sentiments contradictoires tournent dans la tête de Josiane.) bon… hum… euh… pfff… allez… c’est d’accord ! (Josiane raccroche, alors que des poignards sortent des yeux de Sibylle et viennent percuter Josiane. Cette dernière regarde son amie, cherche quoi dire.) Je… Henri… Junglezone, ce dossier pourri…

Sibylle, sèche. Te casse pas, j’ai compris.

Josiane, souhaitant une confirmation. Tu n’en voulais plus ?

Sibylle, polaire. C’est exact. 

Josiane, rassurée. Tout va pour le mieux.

Sibylle, s’échauffant par degrés. Mais oui, tout va pour le mieux… Henri me retire le dossier Junglezone et il le donne à qui ? À quelqu’un qui n’a jamais géré une telle affaire de toute sa vie !

Josiane, déstabilisée. Oui… c’est vrai… mais je… mais je… Irène…

Sibylle, éclatant. Et qu’est-ce que je vais faire, moi, maintenant ? Suis-je encore utile à ce cabinet ?

Josiane. N’exagère pas…

Sibylle. Je voudrais bien t’y voir… on me met en congé forcé, en quarantaine, en exil !

Josiane. En exil…

Sibylle. Si Henri ne veut plus de moi, qu’il me le dise ! « Sibylle, tu n’es qu’une grosse vache enceinte, tu ne rentres ni dans tes tailleurs, ni dans les standards des RH, alors s’il te plaît, barre-toi ! » Putain de mecs…

Josiane. Je croyais que ce dossier te sortait par les yeux ?

Sibylle. Il me sort par les yeux. Mais j’ai comme l’impression d’être victime d’un petit jeu qui ressemble furieusement à « déshabiller Pierrette pour habiller Jacqueline ».

Josiane, répondant au téléphone. Lola ? (Éclatant de joie.) Oh bravo ma grande ! La Sorbonne ! Ton premier vœu ! C’est génial ! On va faire une grande soirée pour fêter ça ! Hein ? Des livres ? Oui, bien sûr… des fringues ? Oui, aussi, aussi… (Son visage s’assombrit.) Une chambre à Paris ? (Moins enthousiaste.) Hum… bien sûr, ma grande, bien sûr… Comment ? Oui, on est un peu justes en ce moment… (Plus déterminée.) Mais ça va aller. Tout ira bien. (Un temps.) Possible… tu en sauras plus bientôt. (Elle raccroche.) Bien alors… (Fouillant sur son bureau.) Voyons… mon dossier rose, où est-il ? 

Sibylle, lui donnant le dossier qu’elle cherche. Lola est prise à la Sorbonne ?

Josiane, le prenant. Oui. 

Sibylle, alors que Josiane ouvre le dossier. Bonne nouvelle…

Josiane, consultant des papiers dans le dossier. Oui, bonne nouvelle, oui. Oh lala…

Sibylle. Quoi ? 

Josiane. Je suis très en retard sur les candidatures à traiter, j’en ai une, deux, trois, quatre… Je sais pas si… je sais pas si…

Sibylle, avec un mouvement d’humeur. Tu sais pas quoi ?

Josiane. Et puis j’ai la mienne !

Sibylle. La tienne ?

Josiane. Ma candidature !

Sibylle, l’œil sombre. Ah…

Josiane. Et maintenant j’ai Junglezone ! 

Sibylle, sèche. Tu l’as voulu.

Josiane, dont la panique monte. Je sais pas si…. Je sais pas si… 

Sibylle, criant presque. Mais bordel, qu’est-ce que tu ne sais pas ?!

Josiane, criant presque aussi. Je sais pas si je vais y arriver ! 

Sibylle, avec un petit sourire sarcastique. C’est beaucoup de travail, pour une secrétaire…

Josiane, s’agitant. Mais comment je vais faire, hein ? Comment je vais faire ?

Sibylle, implacable. Appelle Henri, dis-lui que tu renonces.

Josiane, aux abois. À quoi ?

Sibylle, simplement. À tout.

Josiane. Pas question !

Sibylle. Pas question ?

Josiane. Henri me teste. Il veut voir si je tiens le choc.

Sibylle. Tu t’entêtes ?

Josiane, avec défi. Oui, je m’entête. Je pense que… je pense que je peux le faire. (Regardant sa montre. Son visage s’éclaire.) C’est l’heure de notre verre du vendredi… Et ça, c’est sacré ! 

Sibylle, partant. Désolée, j’ai pas le temps.

Josiane. Pas le temps ? Je pensais qu’au contraire…

Sibylle, juste avant de disparaître. J’ai une foule de choses à faire. Tout comme toi, d’ailleurs !

Josiane, seule, contemple ses dossiers avec appréhension.

***

2. 

Le bureau de Josiane est vide. 

Sibylle, entrant, au téléphone, regardant prudemment s’il n’y a personne avant d’avancer. Attends… c’est bon, elle est pas là. Tu te rends compte, Matt ? Elle, on lui donne tout et moi j’ai plus rien ! Et alors ? Je suis enceinte donc moins efficace ? Putain… vous, les mecs de ce cabinet, vous êtes vraiment… (Regardant son téléphone .) Henri. Je te laisse. (Appuyant sur un bouton. Faussement aimable .) Bonjour Henri, comment allez-vous ? (Avec ironie .) Moi ? Mais ça va très bien, Henri. Je dirais même plus : tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Je tenais vraiment à vous remercier de m’avoir virée du dossier Junglezone. Mais oui, vous remercier, Henri, de tout mon cœur ! Je n’en avais pas conscience, mais je suis atteinte d’une grave maladie : j’attends un enfant ! Du coup, mes compétences ont fondu comme de la neige sur un gros œuf à la coque. Heureusement, vous, les hommes, vous savez ce genre de choses. Et nous, les femmes, nous les ignorons totalement. Ah vous ne comprenez pas ? Vous ne comprenez pas ce qui me met de si méchante humeur ? Pardon ? « La bonne personne à la bonne place » ? Mais comme vous avez raison, Henri. Josiane a le sens de la diplomatie, elle est très à l’écoute de ses interlocuteurs, contrairement à la furie qui s’occupait du dossier avant elle, notoirement brutale et sourde ! (Feignant de chercher dans sa mémoire .) Qui c’était, déjà, cette folle furieuse ? (Faussement heureuse d’avoir trouvé .) Ah oui, c’est vrai, c’était moi ! (Explosant .) Merde, merde, merde et merde, Henri ! C’est clair ou il faut que je développe ? « Qu’est-ce qu’il y a ? » Il y a que tout le monde ici me considère comme diminuée, malade, inapte, alors que je suis juste enceinte, Henri ! Enceinte : vous savez, l’atroce pathologie qui fait que votre vie a commencé voici une cinquantaine d’années. Ah vous vous êtes rendu compte que j’étais contrariée ? Dans ce cas qu’est-ce que vous attendez pour faire quelque chose, bordel ?! Vous vouliez m’alléger de Junglezone ? Eh ben mission accomplie, Henri, bravo ! Mais pourquoi ? Pourquoi vous vouliez m’alléger ? Je suis lourde et pesante, c’est ça ? (Un temps. Elle change de ton.) Une nouvelle mission ? Ah. Et c’est quoi, cette nouvelle mission ? Oui, je sais qu’on cherche des gens pour un poste de recruteur… (Un temps.) Vous voulez que j’évalue les candidatures ? Euh… une minute, Henri… si, je crois savoir ce qu’est un bon recruteur… et le genre de personne qu’il faut pour le poste, oui… Attendez… l’idée c’est : je sélectionne quelqu’un et je le propose à l’Assemblée des associés ? (Un temps.) Mouais… J’hésite, Henri, c’est compréhensible, non ? Mais parce que je vous rappelle que vous avez poussé Josiane à candidater. Quoi « et alors » ? Josiane et moi on se connaît depuis… Comment voulez-vous que je sois objective ? (Soudain plus penaude .) Euh… Henri, ne haussez pas la voix comme ça… Des histoires de bonnes femmes ? Non mais dites-donc… Oui, c’est vrai, j’ai plus grand-chose à faire, mais ce n’est pas moi qui ai… Ah, je vois, donc je suis la seule qui aie le temps de… (Flattée .) C’est vrai… c’est vrai… dans le cabinet, peu de personnes ont, comme moi, une telle expérience, une telle hauteur de vue, une telle… (Soudain déstabilisée .) euh… oui, vous pouvez considérer que j’accepte… mais, Henri, attendez… Henri ? Allô ?

Josiane entre vivement.

Sibylle, un peu gênée. Salut…

Josiane, frontale. Comment as-tu pu me faire ça ?

Sibylle. De quoi tu parles ?

Josiane. Me laisser tomber comme une vieille chaussette, un vendredi, le soir de notre verre… C’est vraiment dégueulasse, Sibylle ! Elle est où, ta bienveillance ? Elle est où, ton amitié ? Moi, j’ai comme l’impression qu’elles sont allées se faire foutre.

Sibylle. Henri vient de m’appeler. 

Josiane, avec un mouvement d’humeur. Oh c’est bon !

Sibylle, surprise. Quoi, c’est bon ?

Josiane, cruelle. Arrête de nous la jouer « Ouais, le patron m’a appelée, parce qu’on s’entend hyper-bien »… ça m’emmerde ! Et plus précisément : tu m’emmerdes !

Sibylle, froide. C’est moi qui vais évaluer les candidatures au poste de recruteur. 

Josiane, se fige, le souffle coupé, puis avec un visage s’éclairant progressivement d’un pauvre sourire. J’ai peut-être été un peu excessive. (Alors que Sibylle la fixe d’un regard noir, essayant de se tirer de son faux-pas .) Mes mots ont dépassé ma pensée. En fait, je voulais dire exactement le contraire de ce que j’ai dit. Il n’y a pas plus bienveillante ni plus humaine que toi ! (Sibylle, intéressée, attend de voir comment Josiane va tenter de retourner la situation.) C’est pour ça, quand tu es partie en refusant qu’on prenne notre verre habituel, je me suis dit : « C’est tellement pas Sibylle » ! (Tentant de changer de sujet .) Alors comme ça, c’est toi qui vas évaluer les candidatures au poste de recruteur ? Super nouvelle ! Ceci étant dit, notre amitié ne doit pas rentrer en ligne de compte. Le fait qu’on soit de super copines ne doit en rien te faire perdre ta neutralité. Certes, ma candidature est atypique, riche d’une expérience au plus près du terrain, pétrie de valeurs humanistes, mais loin de moi l’idée de vouloir t’influencer… D’ailleurs, mis à part moi, il y a d’autres candidats ? 

Sibylle, glaciale. Tu penses que c’est un sujet dont on va pouvoir parler ensemble ?

Josiane, riant artificiellement. Non, bien entendu ! En tout cas, c’est une très bonne chose que ce soit toi, l’évaluatrice. Ton exigence, ta connaissance ultra-pointue du secteur, ton esprit critique, c’est toi la personne idéale pour évaluer les candidatures au poste. Et je le dis sans aucune arrière-pensée. 

Sibylle, ironique. Ben non, aucune…

Josiane. Tu as remarqué ?

Sibylle. Quoi ?

Josiane. J’ai complètement réorganisé mon bureau.

Sibylle, sceptique. Ah oui ?

Josiane. Oui, regarde ! C’est beaucoup mieux rangé, mieux classé, plus rationnel.

Sibylle, pas convaincue. Heinhein…

Josiane, avec entrain. Tu vois cette pile de dossiers ? C’est le boulot que je vais emmener chez moi ce soir. D’ailleurs j’ai complètement revu mes méthodes de travail. Par exemple, je suis devenue très attentive à ma façon de dire « bonjour ». 

Sibylle. Ta façon de quoi ?

Josiane. Ma façon de dire « bonjour ».

Sibylle, surprise. Ah…

Josiane. Avant, je disais bonjour comme ça : (Très chaleureuse .) « Bonjour ! » C’était vraiment ambiance plage et paillote !

Sibylle. Là, je dois avouer, c’est vrai, c’est comme ça que tu dis bonjour.

Josiane. Disais.

Sibylle. Disais ?

Josiane. C’est comme ça que je disais bonjour. Mais j’ai changé. Maintenant, je m’y prends comme ça : (Aimable comme une enclume .) bonjour. (Redevenant conviviale .) Qu’est-ce que tu en penses ? 

Sibylle. Ben…

Josiane. Beaucoup plus pro, hein ?

Sibylle, pour ne pas la froisser. On peut dire ça comme ça…

Josiane. Ces derniers temps, je pensais à toi.

Sibylle, sur la défensive. Tiens ?

Josiane. Je me disais : « Les capacités de Sibylle sont sous-exploitées. »

Sibylle, avec ironie. Tu crois ?

Josiane. J’ai bien réfléchi : et si tu reprenais le dossier Junglezone ?

Sibylle, sèche. Comme c’est aimable à toi de me faire l’aumône, mais je ne suis pas ta poubelle. 

Josiane riant un peu trop fort. J’adore ton humour ! (Répondant au téléphone.) Oui, Matt ? Oui, je sais qu’il y a réunion digitalisation cet après-midi.

Sibylle. 15h00.

Josiane. Oui, je pense que Sibylle a prévu d’y être.

Sibylle, à part. Un peu ! Il ne me reste que ça, ou presque…

Josiane, sentant la bombe. Tu voudrais que je vienne avec elle ?

Sibylle, éclatant. Ah non, merde ! (Arrachant le téléphone à Josiane, rongeant son frein .) Sybille à l’appareil. C’est quoi, ces conneries ? J’ai pas besoin d’un chaperon ! Oui, la dernière fois j’ai eu une montée de lait, et alors ? Le prestataire du site internet a été incommodé ? Mais je m’en contrefous, Matt, des humeurs de ce monsieur… Mauvais pour l’image du cabinet ? (La colère monte .) Mais… mais… mais je l’emmerde, ce petit monsieur… et toi aussi, Matt, je t’emmerde ! Ah putain, vous les mecs de ce cabinet, vous êtes vraiment… Oui, c’est moi qui vais me charger d’évaluer les candidatures pour le poste de recruteur, mais je ne vois pas le rapport ! Ah non, c’est pas vrai… Pas toi ! Toi aussi, tu pensais m’alléger ? (Entrant en fureur .) Mais qu’est-ce que vous avez, tous, à vouloir m’alléger ? C’est quoi cette obsession de la Sibylle light ? Je suis un pachyderme ? Je suis en train de casser la porcelaine et de niquer le parquet ? Bienveillant ? C’était bienveillant ? Eh bien tu vas aller te faire foutre, toi et ta bienveillance ! Ouais, c’est ça, (Regardant Josiane, qui se glace .) j’ai des tas de dossiers de candidats à évaluer pour le poste de recruteur. Je vais d’ailleurs m’y mettre tout de suite… Ciao. (Elle redonne son téléphone à Josiane. Puis, elle tombe sur leur photo de jeunesse.) « Amies un jour, amies toujours »… (Elle ricane.) Quelle devise puérile !

Josiane, blessée. Une devise d’amitié.

Sibylle. Fallait vraiment être naïves pour écrire ça.

Josiane. C’était de notre âge. 

Sibylle. On est bien d’accord : on en n’est plus là. Aujourd’hui, on est dans le monde pro. Et le monde pro, il chasse des têtes. 

Josiane, soudain plus froide. Je sais. (Lui tendant un papier .) Vas-y, fais ton job. (Sybille lit le papier attentivement alors que Josiane devient nerveuse.)

Sibylle, montrant un endroit du papier. Tu as fait une erreur. « Aware consulting » s’est transformé en « Avare consulting ». 

Josiane, regardant, contrariée. Ah…

Sibylle, acide. Déjà qu’on nous accuse d’avoir les dents qui rayent le plancher… plutôt maladroit…

Josiane, conciliante. C’est vrai…

Sibylle, montrant un autre endroit. Et ça : « les potes que j’ai occupés »…

Josiane, gênée. Pff…

Sibylle. C’est Fifou qui te l’a écrit, ton CV ? (Accrochant sur un autre élément .) Et c’est quoi ce titre ? « Une fille qu’elle est bien pour votre boîte » ?

Josiane, souriant. Je voulais mettre une touche d’humour…

Sibylle. Je croyais que tu t’étais mise au sérieux ?

Josiane, avec un pauvre sourire. Il faut quand même, de temps en temps, garder une petite détente…

Sibylle, acide. Une petite détente… (Soudain happée par un autre détail .) Et c’est quoi, ça ? Dans la case « loisirs », tu as marqué « cocktails » ! Et après, tu nous fais la liste ? Mojito, Caïpirinha, Porto Flip ?!

Josiane, doucement. C’est sympa…

Sibylle, tranchante. C’est n’importe quoi ! (Posant le papier.) Bien, imagine : je suis madame Martin, directrice financière d’un grand groupe pharmaceutique. Je viens de démissionner de mon poste et je cherche un nouvel emploi. (Se mettant dans le rôle .) Bonjour madame.

Josiane, se mettant elle-aussi dans le jeu. Bonjour madame. Asseyez-vous. Comment allez-vous ? Alors comme ça, on a quitté son job ? 

Sibylle, quittant le jeu. On n’entre pas en matière de cette façon ! « Alors comme ça, on a quitté son job ? » Tu n’es pas sa shampouineuse ! Et tu te présentes à quel moment ? Quand tu lui dis au revoir ? Concentre-toi, Josiane !

Josiane, sortie du jeu, déstabilisée. Oui… (Reprenant son rôle.) Je me présente, madame Martin : je suis Josiane et je vais m’occuper de votre dossier. Quel beau soleil ! Malheureusement, je crois qu’on annonce de l’orage pour demain…

Sibylle, dans son rôle, mais sèche. Je ne suis pas venue ici pour parler météo. 

Josiane, sentant la gaffe mais tentant de se rattraper. Bien entendu… Vous êtes mariée ? Divorcée ? Vous avez des enfants ? 

Sibylle, aimable comme un frigo Siemens. Vous croyez vraiment que c’est le sujet ?

Josiane, sur le grill. Un peu, un peu quand même… parce que si je veux vous retrouver un job, il faut que je m’intéresse à vous…

Sibylle, prenant Josiane en faute. Et la raison pour laquelle j’ai démissionné de mon poste ? Ça vous intéresse ?

Josiane, consciente d’avoir fait un nouveau faux pas. Mais oui, ça m’intéresse ! Ça m’intéresse beaucoup, même…

Sibylle, avec un petit sourire crispé. En ce cas, n’hésitez pas à me la demander…

Josiane, souriant aussi. Très bien…

Sibylle, sans comprendre. Alors ?

Josiane, idem. Alors ?

Sibylle, avec éclat. Alors vous me demandez ?!

Josiane, déstabilisée. Euh… oui, oui… alors… hum… pourquoi, pourquoi vous avez démissionné ?

Sibylle, simplement. Les hommes.

Josiane, ne sachant que répondre. Ah les hommes, très bien…

Sibylle. Très bien ? Au contraire, très mal ! Je dirais même, très mâle ! Sexisme, machisme, cette sensation qu’on vous prend pour une petite créature fragile… (Pleine de sous-entendus .) Vous voyez ce que je veux dire ?

Josiane, déstabilisée par cette allusion. Euh oui… oui, je crois…

Sibylle. Alors, qu’est-ce que vous avez à me proposer ?

Josiane. Eh bien… euh… (Fière de ce qu’elle va dire .) Vous venez d’un grand groupe pharmaceutique, il me semble ?

Sibylle. C’est cela.

Josiane, avec plus d’assurance. Nous avons de nombreuses opportunités dans le secteur. 

Sibylle. Sauf que moi, j’en n’ai rien à cirer.

Josiane. Pardon ?

Sibylle. L’industrie pharmaceutique, je ne veux plus en entendre parler.

Josiane, défaite. Ah bon ?

Sibylle, trop heureuse d’avoir encore pris Josiane au piège. J’ai décidé de réorienter ma carrière.

Josiane. Ah oui ?

Sibylle, triomphant. Eh oui. Je me suis reconvertie dans la cuniculiculture.

Josiane. La quoi ?

Sibylle. La cuniculiculture. L’élevage de lapins. Je cherche un emploi d’ouvrière agricole. (Avec cruauté .) Vous voyez, vous êtes totalement à côté de la plaque…

Josiane, les yeux sombres. Je vois, oui…

Sibylle, quittant son personnage, avec un certain plaisir. J’en ai vu, des entretiens catastrophiques, mais là, on est descendu au troisième sous-sol… 

Sibylle sort, laissant Josiane seule, démoralisée.

***

3. 

Josiane est avachie sur son bureau, profondément mélancolique. Un temps, puis son téléphone sonne.

Josiane, morne. Allô ? Fifou ? Tu es avec ta sœur ? (Soudain émue .) Oh… vous y avez pensé !… Merci mes amours… (Elle pleure presque.) Oui, on fêtera ça ensemble à la maison, ce soir. Lola a fait un gâteau ? Vous êtes adorables… Mais je ne veux pas de cadeaux, hein ? Je vous embrasse fort. 

Sibylle paraît, Josiane essuie ses larmes. Sibylle passe devant le bureau sans un regard pour Josiane, puis disparaît. Josiane s’occupe. Puis Sibylle reparaît.

Josiane. Tu cherches Henri ? Il vient de sortir. 

Sibylle paraît contrariée. Elle prend son téléphone.

Josiane, tendant une enveloppe à Sibylle. Un courrier est arrivé pour toi. Daté d’aujourd’hui même. (Espérant que Sibylle va comprendre .) Le 2 février. 

Sibylle, prenant le papier. Merci. (Sibylle ne réagit pas. Josiane semble déçue. Puis, elle réfléchit.)

Josiane. Tu as quel âge ?

Sibylle, surprise. Tu le sais bien. On a le même. 

Josiane, feignant la surprise. Ah  oui, c’est vrai, je n’avais pas réalisé que tu avais déjà mon âge… (Malgré l’insistance de Josiane, Sibylle ne semble pas comprendre. Josiane en est contrariée. Puis, faisant semblant de poursuivre son raisonnement .) On a quelques semaines d’écart, finalement… ce qui veut dire que tu es mon aînée… (Sibylle ne perçoit toujours pas l’allusion.)

Renfrognée, Josiane sort avec sa bouilloire.

Sibylle, seule, répondant à un appel. Henri ? Justement, je suis au cabinet. Alors on a dû se croiser. (Josiane reparaît sans être vue de Sibylle. Voyant Sibylle en conversation, elle s’arrête et écoute.) Je sais que Josiane a très envie du poste. Elle souhaite évoluer, c’est bien normal. Écoutez, Henri, je n’ai pas eu le temps d’étudier à fond le dossier de Josiane… (Répondant à une objection d’Henri .) Tout de même, Henri, il faut bien que j’étudie son dossier pour… Oui, bien sûr, je la connais très bien, oui… C’est moi qui vous l’ai recommandée, je m’en souviens… Tout le monde est très satisfait d’elle, c’est vrai… Et je vois parfaitement comment elle travaille au cabinet, oui… Eh bien Henri, si vous y tenez vraiment… donner à Josiane un poste de chargée de recrutement serait une terrible erreur. (Josiane est foudroyée par cette phrase.) Elle n’a aucune notion de la manière dont on approche un candidat potentiel. Oui, elle a de l’empathie, je suis d’accord avec vous. Mais c’est pas recruteuse qu’elle doit faire, plutôt assistante sociale. Désolé, mais pour moi, c’est non. Au revoir Henri.

Sibylle sort sans voir Josiane.  

Josiane, sonnée, garde le silence. Lentement, elle va s’asseoir à son bureau. 

Josiane, après un long temps. On dit « la vie, c’est injuste ». On dit : « j’ai pas eu ce à quoi j’avais droit », « on m’a pas donné ce que je méritais ». On a tort. Y a pas de hasard. Baby-sitter, caissière, secrétaire… C’est ça, mon monde. Je me souviens, papa était en face de moi. Il avait rassemblé tout l’argent. Tout l’argent qu’il fallait pour m’inscrire à la fac. Fier, il était. Sa Josy allait aller à l’Université. Mais moi, je lui ai dit : « Non papa. Je veux pas faire des études. Je veux vivre. » Son visage n’a rien laissé transparaître. Mais j’ai vu son regard se voiler. Il a juste dit : « Si c’est ça que tu veux… » Et puis il est allé s’asseoir sur sa vieille chaise de bois. Il regardait les vagues, sans décrocher un mot. J’ai pas mesuré tout de suite à quel point je l’avais déçu. Si tu savais ce que j’ai regretté, papa. Ce que j’ai regretté de t’avoir dit ça, plus tard, quand cet enfoiré de Marc me répétait que j’étais bonne à rien… (Un temps bref, son regard change.) Il avait tort. Et Sibylle aussi, elle se trompe. Ils se trompent tous sur mon compte. Moi aussi, je peux faire de grandes choses. 

Sibylle rentre.

Josiane. J’ai tout entendu. 

Sibylle. De quoi tu parles ?

Josiane. Ta conversation avec Henri.

Sibylle. Les choses sont claires. Depuis le temps que je voulais te le dire. 

Josiane. Depuis le temps ?

Sibylle. J’ai remarqué que ton attitude n’était pas professionnelle depuis un moment. J’avais choisi de ne pas en parler à l’équipe par amitié.

Josiane. Par amitié ? (Elle ricane.) Tu sais pas ce que c’est. L’amitié, c’est s’entraider.

Sibylle. À quel prix ? Laisser l’autre dans l’illusion ? 

Josiane. Va jusqu’au bout, aies le courage de tes opinions. Dis-le ! Je suis nulle !

Sibylle. Tu n’es pas nulle, Josiane, mais tu es… limitée. 

Josiane, ulcérée. Limitée ? Moi, je suis limitée ? (Elle accuse le coup, puis hurlant.) Mais tu te rends compte de ce que tu me balances ?! 

Sibylle, minimisant. Ça va, c’est pas…

Josiane. Limitée ! C’est vraiment immonde ! …

Sibylle. C’est le mot juste. 

Josiane. C’est ça, enfonce le clou…

Sibylle. C’est pas méchant.

Josiane, acérée. Non, c’est même plutôt gentil !

Sibylle. Limitée, ça veut dire que tu as des limites. C’est logique, les RH c’est un métier…

Josiane. Fais-moi progresser ! 

Sibylle. Josiane ! On n’est pas une école. 

Josiane. Bon, d’accord, je me suis plantée avec mon CV…

Sibylle. Et avec madame Martin ! 

Josiane. Oui, là aussi, c’est vrai, mais j’ai pas droit à l’erreur ? 

Sibylle. On est une boîte dans un secteur ultra concurrentiel. On doit être hyper efficaces, sinon on va se faire bouffer. On peut pas se permettre de coller une amatrice à un poste stratégique. 

Josiane a les larmes aux yeux. Sans un mot, elle met leur portrait à la poubelle. 

Sibylle. Je persiste et je signe : ne t’en déplaise, tu n’as pas l’étoffe d’une recruteuse. Tu ne sais déjà pas parler aux candidats, mais qu’est-ce que ce serait, si  tu étais amenée à prendre la parole devant des grands patrons ? Bonjour le massacre…

Josiane. Tu sais ce que tu es ? Un être aigri, aveugle, incapable de compréhension, une caricature de working girl avec une pierre à la place du cœur. Les Ressources Humaines, t’as que ça à la bouche… Tu sais ce que c’est, être humain ? Il n’y a pas un gramme d’humanité dans tout ce que tu viens de me dire. Toi, ta vraie spécialité, ce sont les Ressources Inhumaines. (Entendant quelque chose sur son téléphone.) Allô ? (Soudain très aimable.) Ah Henri, vous étiez là ? J’ai dû décrocher sans m’en rendre compte… Je ne suis pas énervée, non… À qui je parlais ? Oh euh…eh bien, à une candidate… oui… non, je ne l’engueulais pas… Pas du tout… J’étais en train de la briefer… Sur quoi ? Euh… sur tout ce qu’on ne doit surtout pas dire en entretien… Oui, c’est une méthode originale, oui… Comment ? Il faut que nous ayons une discussion à propos du poste de recruteuse ? Je le pense en effet… Ce n’est pas pour ça que vous m’appelez ? Mais alors pourquoi vous m’appelez ? Le patron de Junglezone est en colère ? Qu’est-ce qui lui arrive, à ce brave homme ? Le dircom vient de démissionner ? (Sibylle a un coup au cœur.) Oui, la situation est critique, c’est le moins qu’on puisse dire. La compétence du cabinet est mise en cause, bien sûr… Bret Pesos est fou furieux ? Ah… Oui, je sais, c’est moi qui suis chargée du dossier… (Soudain excitée.) Vous voulez dire que Pesos a mon numéro ? (Déçue.) Oh… Vous préfèreriez que je m’en occupe pas ? (Un temps.) Bon… S’il m’appelle, je ne réponds pas ? D’accord. De votre côté, vous essayez de le joindre. Bien… (Elle raccroche. Elle jette un coup d’œil à Sibylle, puis cruelle .) Henri était paniqué. Au fait, je ne me souviens plus qui a recruté ce dircom ?

Sibylle, sombre. C’est moi.

Josiane, feignant de s’en souvenir. Ah oui, c’est vrai ! Mais c’était il y a combien de temps ?

Sibylle, plus sombre encore. Un mois.

Josiane, surjouant la surprise. Un mois ? Un mois seulement ? Oh lala quel échec ! Tu te rends compte ? Une grande professionnelle de la profession comme toi, se planter à ce point…

Sibylle, crispée. C’est bon, Josiane…

Josiane. Tu ne te rends pas bien compte, Sibylle. On est une boîte dans un secteur ultra concurrentiel. On doit être hyper efficaces sinon on va se faire bouffer. On peut pas se permettre de faire de la merde comme ça. 

Sibylle, éclatant. Je voudrais bien t’y voir, moi, face à ce connard de Pesos !

Josiane, avec un air de défi. Ton Pesos, je le prends quand tu veux, ma grande. (Son téléphone reçoit un appel.) Je ne connais pas ce numéro. (Montrant son téléphone à Sibylle.) C’est lui ?

Sibylle, énervée. Je ne connais pas son numéro par cœur.

Josiane, regardant son téléphone, avec excitation. Je crois que je vais décrocher. 

Sibylle, soudain inquiète. Fais pas ça. C’est peut-être lui.

Josiane, avec envie. Justement.

Sibylle. Tu vas te faire griller définitivement.

Josiane, avec ironie. Je croyais que c’était déjà fait ? (Décrochant.) Oui. Elle-même. Bonjour M. Pesos. En effet, c’est ma collègue Sibylle qui s’est occupée du recrutement de votre… (Sibylle frémit.) Ne quittez pas, je vous la passe. (Josiane passe le téléphone à Sibylle, qui ne prend pas le combiné et fait « non » de la tête. Bas .) Assume tes responsabilités.

Sibylle, bas. Ce n’est plus moi qui suis le dossier.

Josiane, bas. C’est toi qui nous as mis dans ce merdier.

Sibylle, bas. C’est toi qui es en charge. Débrouille-toi !

Josiane, reprenant le téléphone, furieuse. Oui, M. Pesos, je vous passe ma collègue Sibylle, qui est justement dans la pièce à côté de moi. (Elle tend de nouveau le téléphone à Sibylle.)

Sibylle, prenant le téléphone, non sans avoir jeté à Josiane un regard noir. Puis, très douce. M. Pesos ? (Sibylle fronce les sourcils. Le niveau sonore à l’autre bout du combiné paraît élevé. Sibylle essaie de parler mais est coupée à plusieurs reprises.) Oui… Oui mais… Si je peux me permettre… C’est juste, pourtant… Bien entendu, un mois, c’est très court… Non, je n’ai pas vu le cours de l’action ce matin… Ah ? Ah oui quand même… Vous allez remonter, j’en suis certaine… (Nouveau froncement de sourcils correspondant à une nouvelle salve de cris de la part de Pesos.) Votre image ? Mauvaise ? (De mauvaise foi .) Vous m’étonnez. Des déclarations des syndicats ? Je ne suis pas au courant. Une ambiance délétère ? Les droits sociaux bafoués ?… Non, je n’ai rien vu de tout ça… (Soudain sur le grill .) Une solution ? Vous me demandez, à moi, une solution ? Mais… mais M. Pesos… ça ne se fait pas comme ça… je ne vais pas vous sortir un remède miracle de mon chapeau… (Déstabilisée .) Ah non, M. Pesos, tout de même… « Vous ne servez à rien », comment pouvez-vous dire ça ? Je… (Choquée .) Hein ? Quoi ? Pardon ? Ma tête ? (Prenant peur .) Vous allez demander ma tête ? (Perdant ses moyens .) Mais… mais vous ne pouvez pas… Vous n’êtes pas propriétaire du cabinet et… Salir ma réputation ? Me mettre hors-jeu définitivement ? (La voix tremblante .) Mais c’est… mais c’est… c’est atroce, comment pouvez-vous ? (Sibylle se tourne vers Josiane pour demander de l’aide. Mais cette dernière tourne ostensiblement le dos à Sibylle. Sibylle reprend le combiné, dans lequel on sent une grande agitation.)Mais une seconde, laissez-moi réfléchir, laissez-moi… (Sibylle fond en larmes silencieusement. Josiane tourne la tête vers elle. Soudain, décidée, elle s’empare du combiné.)

Josiane. M. Pesos, Josiane à l’appareil, on s’est parlé tout à l’heure. (Ferme .) Vous voulez pas me parler, peu importe, désormais c’est moi votre interlocutrice. (Sibylle, surprise, change de regard et se met à suivre avec attention la conversation.) Je ne me trompe pas, vous parliez à ma collègue de la pub atroce que vous font vos employés ? (Fronçant les sourcils, car ça crie dans le combiné. Puis, sans affect .) Plus vous criez, moins vous êtes convaincant. Oui, en effet, je me permets, parce que c’est sur moi que vous criez. Alors je vous le dis très simplement : va falloir arrêter de parler aux gens comme des chiens. En tout cas, avec moi, ça va pas le faire. (Sibylle ouvre des yeux grands comme des soucoupes.) Il y a sûrement un truc qui va pas chez vous. (Nouveaux hurlements dans le combiné. Josiane déclare alors avec puissance .) Vous voulez que je vous cire les bottes, comme tous les gentils toutous qui vous entourent ? Ou vous voulez la vérité ? Vous êtes dans une merde noire. Tout le monde vous dit que c’est la faute d’Aware consulting ? Eh ben barrez-vous ! Trouvez-vous d’autres chasseurs de têtes. On vous courra pas après. Vous pensez peut-être qu’on est ravis de s’emmerder avec un client comme vous ? Alors de deux choses l’une, soit on marche ensemble et vous la bouclez une minute, soit vous continuez à jouer au connard de CEO et je raccroche. (Un silence.) Ah… ça fait du bien, un peu de calme… Vous voulez une solution ? J’en ai une. (Le visage de Sibylle change.) Que vous bossiez avec nous ou avec un autre cabinet RH, le problème restera le même. A moins que vous changiez de point de vue. Va falloir accepter de penser différemment. Think outside the box, si vous préférez. Vos employés n’ont aucune possibilité d’évolution. (Haussant le ton .) Aucune ! Perdez pas votre temps à m’expliquer le contraire. Alors, votre nouveau dircom, vous allez le recruter en interne. (Ça réagit fort dans le combiné. Sans se démonter .) Un cariste dircom, et pourquoi pas ? Est-ce que vous avez seulement une idée des compétences de vos salariés ? Non. Vous vous en foutez. Ce que vous cherchez, c’est de la chair à plateforme logistique. Parmi ces gens, vous avez peut-être la perle rare qui va vous tirer du bourbier où vous êtes. Mais pour ça, encore faut-il se donner la peine de la chercher. Avec un test bien construit, on va dénicher la personne qui a le plus gros potentiel. Ensuite, formation intensive de 6 mois et pendant ce temps-là, mobilisation générale du service com. Vous réalisez l’impact que ça aura, en interne et en externe ? Sans compter la teneur de vos futures prises de parole : enfin un discours vrai. J’imagine déjà la campagne que vous pourrez en tirer : Yasmine, maman solo, simple manutentionnaire chez Junglezone, vient d’être recrutée pour prendre en responsabilité la direction de la communication de l’entreprise. Fine connaisseuse du terrain, son expérience concrète sera complétée par une formation com & marketing. Accompagnée pas à pas dans sa prise de poste, elle disposera progressivement de tous les leviers pour mettre en œuvre une communication fermement arrimée à la réalité de l’entreprise. Une trajectoire exemplaire, symbole de la nouvelle politique RH de Junglezone. (Un silence.) M. Pesos ? (Un autre silence.) M. Pesos, vous êtes là ? (Encore un silence.) Josiane, c’est ça. J.O.S., oui. Si on peut se rencontrer en face à face ? Maintenant ? Bien sûr. (Sibylle, stupéfiée, regarde Josiane avec admiration.) Enfin, je vous dis « bien sûr », vous savez, M. Pesos, en ce moment, je suis débordée… C’est cela, demain, dans l’après-midi, très bien. (Un silence.) Je vous propose plutôt de passer chez nous. (Conviviale .) Parfait, à demain, Bret ! Vous permettez que je vous appelle Bret ? Tant mieux, alors bye Bret ! (Josiane raccroche.)

Long silence.

Sibylle. Merci. 

Sans un mot, Josiane passe derrière son bureau et en tire un paquet, qu’elle tend à Sibylle.

Sibylle. C’est pour moi ? (Elle ne bouge pas.) Non, je ne peux pas…

Josiane ouvre le paquet. Elle en sort un magnifique mobile origami qui se déploie avec délicatesse.

Sibylle, dans un souffle à peine audible. Oh… (Soudain, elle écrase une larme et va pour sortir.)

Josiane. Où vas-tu ?

Sibylle. Je démissionne.

Sybille sort, laissant Josiane interloquée.

***

4. 

Josiane est assise derrière son bureau.

Josiane, au téléphone, sans entrain. Le test doit être prêt dans une semaine au maximum. Je l’ai promis à Pesos, je compte sur vous. (Répondant à un autre appel.) Matt ? Oh merci. (Un temps.) Oui, il est venu hier. Mon idée de promouvoir une salariée en interne l’a complètement convaincu. (Un temps. Puis, avec le sourire.) C’est vrai… je postule pour un job de recruteuse, j’avais presque oublié… Vous déciderez ça demain ? Ah… et… j’ai mes chances ? (Un temps. Son sourire s’agrandit.) Je savais que je pouvais compter sur toi. (Un autre temps.) Ça ne me surprend pas d’Henri. Depuis que Pesos est venu, il s’est mis à me parler comme… d’égal à égale. (Un temps, son sourire s’efface.) Maurice et sa bande ? Zut… Ils sont combien ? Donc, ils pourraient tout faire foirer… (Un temps, essayant de sourire.) Ouais, je vais essayer… Hein ? Oh rien… (Un temps.) Rien, je te dis. (Un temps.) Ben… C’est aujourd’hui que Sibylle doit repasser prendre ses affaires… (Un temps. L’émotion la gagne.) On a passé du bon temps elle et moi. Et puis, c’est elle qui m’a fait rentrer. (Un temps.) On verra. (Un temps, elle rit presque.)Merci. (Elle raccroche.)

Sybille entre, écharpe, mouchoirs. Elle a quitté son tailleur strict pour une tenue plus confortable. Elle éternue.

Josiane. À tes souhaits.

Sibylle. Merci. (Elle se mouche.)

Josiane. Je vais te faire un thé. 

Sibylle. Ça va aller. (Elle se met à tousser.)

Josiane. Ça te fera du bien. 

Josiane sort avec sa bouilloire.

Sibylle. Non Josiane ! (À part .) Quelle tête de mule. (Répondant au téléphone .) Oui, c’est Sibylle. Je peux vous déposer mon ordi et mon portable tout de suite ? D’accord, j’arrive. (Elle raccroche mais reçoit tout de suite un nouvel appel.) Henri ? Oui, je suis au bureau. Je vous entends mal. Vous êtes en transit à Madrid ? Oui, je rends les appareils du cabinet, je mets mes affaires dans un carton et au-revoir. (Un temps.) Non, rien ne me fera changer d’avis. (Un temps.) Un gâchis de compétences ? Comment ça, Henri ? J’ai des compétences ? Vous êtes sûr ? Je vous rappelle que c’est vous qui m’avez supprimé mes missions les unes après les autres. Me ménager ? Avec ma grossesse ? Vous vous imaginez peut-être que j’en avais besoin ? Conseil d’amie : la prochaine fois que vous voulez faire quelque chose pour mon bien, demandez-moi mon avis avant ! Quoi, vous me prenez au mot ? Mon avis ? Mon avis sur quoi ? Sur ce qu’il faudrait changer pour que je reste ? C’est pas à moi de réfléchir à ce genre de choses. C’est votre job, ça, Henri. Oui je vous ai dit de me demander mon avis, oui vous me le demandez, non je veux pas vous le donner, non c’est pas logique, je sais… Vous savez Henri, la seule chose qui pourrait me faire rester, c’est que vous embauchiez Josiane comme recruteuse. (Josiane est rentrée sur cette phrase, sa bouilloire à la main, sans être vue de Sibylle, mais se tient en retrait, émue.) Oui, je sais. Je vous ai dit l’inverse. Elle a géré Pesos d’une façon… il lui mange dans la main. Vous savez que je suis directe : elle a l’étoffe d’une très grande. (Un temps.) Quoi, Maurice et sa clique ? Ne me dites pas qu’ils ont prévu de la refuser ? Ils ont combien de voix ? Merde ! Bon, bah, Henri, vous savez ce qui vous reste à faire. Il faut vraiment que je vous mette les points sur les i ? Vous avez un moyen de pression sur Maurice. Et pas un petit moyen. Vous voyez pas ? Oui, c’est exactement ça, Henri, je vous demande de faire comprendre à Maurice qu’il va faire gentiment ce qu’on va lui demander de faire, à savoir voter pour le recrutement de Josiane. Sinon ? Eh bien sinon on rend publics les témoignages des victimes de ce porc ! Ce serait dommage, une si belle carrière salie à quelques mois de la retraite… (Un temps. Sibylle esquisse un sourire.) Comme vous dites, Henri, il est temps d’apporter un vent de fraicheur dans cette boîte ! Et si le vote est en faveur de Josiane, je resterai. Je vous le promets. (Elle raccroche.)

Sans un mot, Josiane se dirige tranquillement vers son bureau. Sibylle s’aperçoit alors de sa présence. Josiane sert à Sibylle une tasse de thé, y ajoute un peu de lait et du sucre, puis la lui tend. Elle se sert ensuite une tasse.

Sibylle, regardant sa tasse. Tout y est. Tu me connais bien. 

Josiane. Depuis longtemps. On dirait un vieux couple.

Sibylle. Qu’est-ce que ça fait d’avoir une chieuse à tes côtés depuis tout ce temps ?

Josiane. J’ai l’impression d’avoir trouvé une jumelle. (Sibylle rit. Josiane aussi.)

Sibylle. C’est moi, la chieuse, pas toi.

Josiane. Qu’est-ce qu’une chieuse ?

Sibylle. Quelqu’un qui fait passer sa gueule avant tout le reste. 

Josiane. Tu vas donner la vie pour la première fois. C’est un grand changement. Comme tous les changements, ça inquiète. Si on ajoute à ça Henri, qui te décharge de tes missions les unes après les autres… Tu t’es sentie en danger. Qu’est-ce qu’on fait, face au danger ? Quand on est une petite souris, on fuit. Quand on est une lionne, on se bat. Tu t’es battue. Et bien battue. Même si tu n’as pas forcément donné les coups aux bonnes personnes…

Sibylle. Alors… tu n’es pas fâchée ? 

Josiane, sortant leur portrait de la poubelle et le remettant sur le bureau, désignant la photo. Merci de ce que tu as dit à Henri. Oui, j’ai entendu, par hasard… (Faisant réapparaître le mobile origami.) Tu vas l’accepter, cette fois-ci ? 

Sibylle. Tu me pardonnes ?

Josiane. Dis, mon anniversaire…

Sibylle. Je l’avais fait exprès ! Je sais très bien que c’est le 3.

Josiane. Pas le 3, le 2 !

Sibylle. C’est ce que je voulais dire…

Josiane, tendant le mobile à Sibylle. Amies un jour…

Sibylle, prenant le mobile. Amies toujours !

Elles se prennent dans les bras l’une l’autre.

FIN DE Promotion

Des questions ? Des remarques ?

Écrivez-nous : contact@rivoireetcartier.com


Cette pièce vous a plu ? Pour découvrir la prochaine en avant-première, inscrivez-vous sur le site et abonnez-vous à notre Lettre de Nouvelles.

Retour en haut