Le Partage du gâteau

Vaudeville déjanté pour 11

Quand des quadruplés se disputent une valise pleine d’argent

Accordez-nous moins d’une heure de lecture et plongez votre public dans une comédie rythmée qui mêle poursuites et quiproquos (même si vous des débutant-e-s dans le groupe).


Emmenez votre public dans un tourbillon qui décoiffe…


Avant de vous en dire plus, on a 3 questions rapides à vous poser :

🆘 Vous en avez assez des comédies plan-plan ?
🆘 Vous fuyez les pièces où les personnages sont plats et sans relief ?
🆘 Vous ne voulez pas d’une pièce dans laquelle le rythme se traîne ?

Si vous avez répondu oui à au moins deux questions, alors lisez vite ce qui suit !

Résumé :

Dans une maison cossue du Vésinet, une valise contenant 160 000 euros met en ébullition une galerie de personnages hauts en couleur : des quadruplés qui sont de parfaits sosies, des policiers maladroits, un magnat canadien, des domestiques excentriques et même des malfrats. Quand les secrets de famille, les faux-semblants et les quiproquos s’en mêlent, la maison devient le théâtre d’un chaos aussi hilarant qu’inattendu. Entre rires et tensions, le spectateur est tenu en haleine jusqu’à la dernière scène.

En accédant au texte intégral de « Le Partage du gâteau », vous obtiendrez un fichier PDF de 129 pages pour un poids ultra-réduit de 871 Ko, téléchargeable sur votre ordinateur, votre tablette, votre téléphone, et imprimable sur n’importe quel support. La mise en page vous permettra de noter sur le texte toutes les indications et notes de régie que vous jugerez utiles.


Avec « Le Partage du gâteau », vous découvrirez :

✅ Une comédie allant à toute allure : le rythme s’accélère au fur-et-à-mesure, captant le public jusqu’à la dernière scène.
✅ Des personnages riches et modulables : une distribution adaptable entre 8 et 11 acteurs, pouvant pallier certains aléas de production.
✅ Un décor pratique : un hall de maison bourgeoise, facilement réalisable.
✅ Des quadruplés à faire jouer par un seul acteur : de quoi donner à l’interprète les moyens d’assurer une performance mémorable.
✅ Une intrigue captivante : un mélange subtil de quiproquos, de satire sociale et d’humour burlesque, qui séduira un large public.
✅ Des thèmes profonds : une critique sur les excès d’ambition, les apparences et les relations humaines, qui pourront donner à réfléchir à votre public.


Bonne nouvelle : la lecture, le téléchargement et l’impression de « Le Partage du gâteau » sont totalement gratuits !

Intéressé(e) ? 

Téléchargez gratuitement le texte de la pièce

Attention, cependant : cette pièce est fortement déconseillée aux compagnies qui ne disposent pas d’un interprète d’expérience pour jouer les rôles des quadruplés.


Vous répétez déjà Le Partage du gâteau ?

Pensez à la déclaration SACD avant la représentation  :
👉 Faire la demande d’autorisation sur le site de la SACD


Questions fréquentes sur Le Partage du gâteau

Comment gérer sur scène des quadruplés sans se perdre ?

C’est tout l’enjeu comique du texte ! Un seul acteur incarne les quatre frères, et le challenge est de maîtriser le rythme et les ruptures de ton. Les changements de costume, de voix ou d’attitude font partie intégrante du jeu : plus l’interprète s’amuse, plus le public rit.

Quel rythme faut-il donner à la pièce ?

Un tempo soutenu, presque chorégraphique. Le Partage du gâteau repose sur une mécanique de quiproquos et de portes qui claquent : le rire naît du chaos maîtrisé. La clé, c’est de ne jamais laisser retomber la tension.

Le décor doit-il être réaliste ?

Pas forcément. Un simple hall bourgeois, quelques portes, une valise et des accessoires symboliques suffisent. L’important n’est pas le réalisme, mais le mouvement : tout doit servir la confusion joyeuse de cette comédie à ressorts.

Quel message se cache derrière cette avalanche de gags ?

Sous les rires, la pièce parle d’avidité, d’identité et de famille. L’argent agit comme un révélateur : chacun montre son vrai visage. C’est une satire du paraître et du pouvoir, menée tambour battant.


Ces dernières années, la pièce a été jouée par plusieurs compagnies : 

La pièce a donc été créée par la CTAM (alors le GAM) en 2015 à Moret-sur-Loing, Seine-et-Marne. Voici une photo de la production.

Le Partage du gâteau de Rivoire & Cartier, par le Groupe Artistique de Moret

Une deuxième production a été mise sur pied en 2016 par la Compagnie de Théâtre Amateur de Plounéventer, Finistère.

Le Partage du gâteau de Rivoire & Cartier, par la Compagnie de Théâtre Amateur de Plounéventer.

Extrait du Partage du gâteau

Personnages

BEAUREPAIRE, capitaine de police.

BEAURIVAGE, lieutenant de police.

ALIENOR, femme de Marc-Antoine.

MARC-ANTOINE, fondateur de Fleurignac Comptabilité.

ALDO, maître d’hôtel d’Aliénor et Marc-Antoine.

HENRI, directeur comptable de Fleurignac Comptabilité.

ZAZA, femme du sous-préfet

MARCIA, employée de maison.

MCCARTHY, président du Big Caribou Mutual Funds.

MCARTHUR, assistante de McCarthy.

BOB, malfrat

FRANCK, voyou

TAO-CHING, citoyen de la République Populaire de Chine.

RONALDINHO, footballeur brésilien.

***

N.B. Marc-Antoine, Franck, Tao-Ching et Ronaldinho sont joués par un seul et même acteur. 

Le décor

L’action se déroule dans la maison de Marc-Antoine et Aliénor, qui est une vaste demeure, cossue mais chic, sise au Vésinet. La scène représente le hall de la maison en trois murs. Le mur du fond est garni de la porte d’entrée, donnant sur l’allée qui aboutit à la rue après avoir traversé une courte bande de gazon. À côté de cette porte est accroché le portrait d’un homme en blouse blanche : il s’agit du professeur Fleurignac. Sur le mur situé à jardin, on voit une porte à deux battants menant au grand salon. Entre cette porte et la porte d’entrée, le mur du fond est percé d’une ouverture dévoilant un couloir continuant à angle droit, en direction de la cuisine. Une sonnette intérieure est posée au mur entre cette ouverture et la porte d’entrée, de l’autre côté de laquelle se trouvent quelques marches d’escalier montant dans les étages. À cour, le mur possède une porte vitrée mais opaque ouvrant vers le jardin d’hiver. Un canapé, un fauteuil, une table basse, une plante verte, un guéridon avec une chaise. 

Acte I

Tableau 1

Un matin d’automne. Sur le guéridon est posé un cageot avec des orchidées en pot. Aliénor est en tenue de jardinage : jean, bottes, chemise à carreaux, tablier bleu, chapeau de paille (d’Italie). Un peu folklorique, cette tenue n’en est pas moins du dernier chic. Beaurepaire et Beaurivage sont en uniforme.

BEAUREPAIRE. Désolée de vous déranger de si bon matin. Nous passons avant notre service. 

BEAURIVAGE. D’ailleurs on n’a pas déjeuné, il fait faim.

BEAUREPAIRE, bas. Taisez-vous, lieutenant.  

ALIENOR. Je me lève toujours tôt. Pour mes orchidées. 

BEAUREPAIRE. Je vous explique rapidement : je dirige la fanfare de la brigade depuis des années. Notre concert annuel a lieu en février. Or, il nous manque un instrument : un tuba basse.

BEAURIVAGE. Justement mon instrument. C’est vraiment pas de pot, ça. 

BEAUREPAIRE. C’est ennuyeux. D’autant que nous reversons les bénéfices aux gens dans le besoin.

BEAURIVAGE. Justement, moi aussi je suis dans le besoin : j’ai envie de faire pipi. 

BEAUREPAIRE, bas. S’il vous plaît, lieutenant. (Haut) Nous ne voudrions pas annuler le concert et…

ALIENOR, lui donnant un billet. Bravo pour votre action. Simplement, une question : vous ne pouvez pas faire sans ?

BEAUREPAIRE. Sans ?

ALIENOR. Sans tuba basse ?

BEAURIVAGE. Et qu’est-ce que je vais faire, moi, pendant le concert ? Du tricot ?

BEAUREPAIRE. Sans tuba basse ? Impossible ! Se passer de la solide tenue du tuba basse pour jouer ma « Symphonie pour Gyrophare, cuivres et matraques » !

ALIENOR. Capitaine ! Vous composez ?

BEAUREPAIRE. Oui… Oui… J’essaie. Enfin, tout le monde ne s’appelle pas Wolfgang Amadeus Mozarella.

ALIENOR. Mozarella ?

BEAURIVAGE, à part. Mozarella ? Pourquoi pas Ludwig van Bête de somme ?

BEAUREPAIRE. Bref ! J’ai prévu avec tuba basse, il faut que ce soit joué avec tuba basse !

ALIENOR. Ah ! l’imprévu ! C’est ce qui fait parfois le charme de la vie… Mais dites-moi, comment faites-vous ?

BEAUREPAIRE. Pour ?

ALIENOR. Ce n’est pas à vous que je parle mais au lieutenant. 

BEAUREPAIRE. Ah !

ALIENOR. Oui, comment faites-vous pour répéter ?

BEAURIVAGE. Oh ! C’est très simple ! Moi, je mime le tuba basse, comme ça (Elle fait comme si elle tenait un tuba basse entre les mains.), et je chante ma partie. Capitaine, on fait un petit bout à Mme Fleurignac ?

BEAUREPAIRE. Oh… nous ne l’avons déjà que trop dérangée ! 

ALIENOR. Au contraire, j’aime tant la musique !

BEAUREPAIRE. Bon. Alors voici le premier mouvement de la symphonie, mouvement intitulé « Garde à vue. Alla marcia allegro agitato morendo barbaro ma non troppo comodo battaglia con forza con glacé con moto mais pas Yamaha. » 

Comme un chef d’orchestre, Beaurepaire dirige Beaurivage qui mime un tuba et essaie d’en imiter le son en faisant une mélodie constituée de « pom, pom, pom ».

ALIENOR, peu convaincue. C’est original.  

BEAUREPAIRE. Évidemment, si j’obtenais une promotion, j’aurais assez d’argent pour acheter ce tuba. 

BEAURIVAGE. Eh ben, c’est pas demain la veille que je vais avoir mon biniou. 

BEAUREPAIRE. Merci, en tout cas, pour votre générosité. Je ne sais pas si tous les Vésigondins seront comme vous. Quoi qu’il en soit, nous sommes encore très loin du compte. Bonne journée. 

ALIENOR. Bonne journée, mesdames. 

Beaurepaire et Beaurivage sortent par la porte d’entrée. 

ALIENOR, s’adressant aux orchidées, radieuse. Mes chéries, vous me surprendrez toujours.

Pendant ce temps, tendu, Marc-Antoine descend en trombe les escaliers, les yeux rivés sur sa montre. Il porte un costume cravate strict. 

MARC-ANTOINE, consultant sa montre. 7h45, café. J’ai dix secondes d’avance ! (Geste de victoire.)

ALIENOR. Bonjour, mon cher.

MARC-ANTOINE, appelant vers le couloir. Aldo ! Mon café ! (À Aliénor, qui s’est approchée pour l’embrasser) Bonjour, princesse. (Au moment où elle va lui donner un baiser, il se détourne et va vers le couloir.) Aldo ! On se dépêche !

ALIENOR, dépitée. Tu as bien dormi ? (Avec un sécateur, elle coupe délicatement quelques tiges des orchidées.)

MARC-ANTOINE, le nez sur sa montre. Pourtant, je lui ai expliqué : 7h45, café ; 7h50, brossage de dents ; 7h52, rendez-vous avec Henri ; 8h02, départ pour l’agence, 8h12…

ALIENOR. Henri ? Il vient ici ?

MARC-ANTOINE. Il a juste à traverser la rue. On va pas aller à l’agence alors qu’il habite juste en face de chez nous. 

ALDO, arrivant du couloir, costume et gants blancs, tenant un plateau sur lequel est disposé un journal, une soucoupe et une tasse de café fumant. Votre café, monsieur. 

MARC-ANTOINE, prenant la tasse et désignant le journal. Posez ça là. J’avais dit 7h45.

ALDO. Parfaitement, monsieur. 

MARC-ANTOINE. Vous êtes en retard.

ALDO. En retard ? (Il regarde sa montre.)

MARC-ANTOINE. En retard.

ALDO. Que Monsieur m’excuse, mais il me semble, sauf erreur de ma part, qu’il est bien 7h45. 

MARC-ANTOINE. Quand je dis 7h45, pour vous, ça veut dire 7h44. 

ALDO. Bien monsieur. 

MARC-ANTOINE. Anticipez, mon vieux. 

ALDO. Oui monsieur. 

MARC-ANTOINE. C’est pas compliqué. 

ALDO. Non monsieur. (À part, avant de disparaître dans le couloir) « Ô Temps, suspens ton vol »…

ALIENOR. Ne t’inquiète pas. Je suis sûre qu’Henri va être emballé. 

MARC-ANTOINE. T’es gentille. Mais t’y connais rien. 

ALIENOR. C’est vrai. (Aspergeant ses orchidées avec un vaporisateur.) Mais parfois, il y a des choses inattendues. Regarde, ces orchidées, qui aurait pu imaginer que…

MARC-ANTOINE. C’est vrai, parfois, il y a des choses inattendues. Comme cette rayure sur la Mercedes.

ALIENOR. Ah !… oui… le virage de l’avenue… je l’ai pris de façon un peu raide…

MARC-ANTOINE. En tout cas j’espère qu’Henri sera rapide. (De nouveau le nez sur sa montre.) Parce qu’après : 8h12, courrier ; 8h32, préparation de ma doc. ; 9h00, rendez-vous pour l’audit avec « Sharks and Co. »…

ALIENOR. Je passe au marché faire quelques courses. 

MARC-ANTOINE. Comme prévu. (Sur sa montre) Tu as une enveloppe de 25,75 €. 

ALIENOR. Je prends une viande pour ce soir ?

MARC-ANTOINE, toujours les yeux sur sa montre. Deux steaks hachés de 150g pièce. C’est ce qui était programmé. 

ALIENOR. J’irai vers 11h00-midi, je ne sais pas très bien parce que…

MARC-ANTOINE, après avoir lu sur sa montre. Non. Vas-y entre 9h30 et 10h00. Après, il y aura une averse de 2h15 avec des rafales localement fortes. 

ALIENOR, moqueuse, au garde-à-vous. Bien chef. (Réfléchissant.) Tu sais, Marco… je me disais… enfin… je me demandais… on a vraiment un beau mois d’octobre…

MARC-ANTOINE, lisant sur sa montre. Exact. 4°C au-dessus des moyennes saisonnières. Du jamais vu depuis 1975. 

ALIENOR. Ah oui ? Eh bien justement, je pensais que ce soir, ça aurait été sympa d’aller manger une glace.

MARC-ANTOINE. Une glace ? 

ALIENOR. Oui ! Chez Puccini. Elles sont délicieuses et… 

MARC-ANTOINE. Mais… enfin… je comprends pas… (Un léger temps.) Non, mais tu rigoles ?

ALIENOR. Bah, non !

MARC-ANTOINE. Mais… princesse… une glace… c’est pas prévu au budget !

ALIENOR. Oui, je sais, mais… pour quelques euro… on devrait pouvoir…

MARC-ANTOINE. Hors de question !

ALIENOR. S’il te plaît, Marco…

MARC-ANTOINE. N’insiste pas. Lundi on dépense 10 € de plus que prévu et vendredi on se retrouve en cessation de paiement ! Heureusement que je gère notre portefeuille et celui de mes clients avec plus de rigueur ! Tu veux une glace ? D’accord. Je planifie ça. (Il appuie sur l’écran de sa montre.) Le mois prochain. Lundi 18. Ce sera jour de glace. 

ALIENOR, un peu triste, esquisse de nouveau le salut militaire. Bien, chef. 

MARC-ANTOINE, posant son café sur le guéridon avec un œil sur sa montre. Aldo ! (À part) 7h50, brossage de dents. (Il remonte l’escalier quatre à quatre.) 

Sonnerie de téléphone.

ALIENOR, regardant son appareil. Une notification de Web-Flirt. (Lisant) « Rudolf vous a envoyé une photo. » (Regardant si Marc-Antoine a bien disparu, puis faisant apparaître une photo sur l’écran.) T’es quand même pas mal, toi. Allez, tu mérites bien un commentaire. (Elle appuie sur l’écran.)

Aldo arrive du couloir, Aliénor range vivement son téléphone. 

ALIENOR, tandis qu’Aldo prend la tasse. Aldo, je sens que je vais faire une folie !

ALDO. Madame Aliénor, ne me dites pas que…

ALIENOR. Il s’appelle Rudolf, il est beau, nous avons les mêmes goûts et… et j’ai très envie de le rencontrer ! Une semaine qu’on s’envoie des messages sur Web-Flirt.

ALDO. Vous n’y pensez pas, madame. Certes monsieur n’est pas évident tous les jours. Il faut dire que ces derniers temps il a été très pris par son projet… euh… comment appelle-t-il cela ? …

ALIENOR. Cupidor.

ALDO. Cupidor, c’est ça ! Mais, il va se ressaisir. 

ALIENOR. Des années que j’attends ça ! Si seulement tout pouvait redevenir comme au premier jour. La tendresse… la passion… l’amour…

ALDO. Vous avez essayé de parler avec lui ?

ALIENOR. Comment faire ? Il a toujours les yeux rivés sur sa montre multifonction. 

ALDO. Ayez tous les deux une franche explication. Et puis donnez-lui une limite. 

ALIENOR. Une limite ?

ALDO. Fixez-lui un délai. Et si, passé ce délai, rien n’a changé, alors, malheureusement, la seule solution sera peut-être de…

ALIENOR. Mais oui ! Ça c’est une idée. Un délai !

MARC-ANTOINE, descendant en trombe les escaliers. Bientôt 7h52 ! Henri ne va pas tarder à… Aldo, laissez-nous ! J’ouvrirai à M. Zambeault. (À Aliénor) Et toi, à tes orchidées !

ALIENOR, tandis qu’Aldo disparaît dans le couloir. Une minute, Marco, je voudrais qu’on ait une petite discussion… 

MARC-ANTOINE, allant prendre le cageot d’orchidées et le mettant dans les mains d’Aliénor. Pas le moment ! J’ai des choses plus sérieuses à voir !

ALIENOR, raccompagnée malgré elle vers le jardin d’hiver. Plus sérieuses ? Mais enfin, Marco…

MARC-ANTOINE. S’il te plaît ! Henri va arriver !

ALIENOR, devant la porte du jardin d’hiver, le cageot dans les mains. Écoute, Marco, cette situation est insupportable. Je te donne trois mois pour changer ça. Sinon on va au clash ! C’est compris ?

MARC-ANTOINE, regardant dehors. Oui, oui, c’est d’accord ! (Aliénor sort dans le jardin d’hiver. Lui répondant alors qu’elle n’est plus là) Je vais te le changer, ton cageot. Pas la peine de t’énerver.

Sonnette. Marc-Antoine va ouvrir.

HENRI, un attaché-case à la main, en costume cravate d’une tenue froissée. Salut vieux. 

MARC-ANTOINESalut. (Poignée de main.)

HENRI. Marco, ça va pas. Les peintures Bariolo ne renouvellent pas leur contrat. C’est la quatrième entreprise qui nous claque dans les mains en deux mois. Et toujours pour le même motif : monsieur Fleurignac est trop « tatillon ». Et quand je dis « tatillon », crois bien que j’édulcore. Bref, nous sommes au bord du gouffre. 

MARC-ANTOINE. Mon compte en banque aussi est au bord du gouffre. Je n’en parle pas à Aliénor, parce que vu le train de vie qu’on…

HENRI. Et mon compte à moi ? Tu crois qu’il a le sourire ?

MARC-ANTOINE. Mais qu’est-ce qu’on va faire ?

HENRI. J’ai la solution : tu es un génie !

MARC-ANTOINE, riant. Arrête tes bêtises !

HENRI. Non, non ! Je suis sérieux. Assieds-toi. (Marc-Antoine s’assoit sur le canapé. Montrant l’attaché-case.) Ce que tu viens de créer est tout simplement révolutionnaire !

MARC-ANTOINETu crois ?

HENRI. Sûr et certain.

MARC-ANTOINEFormidable !

HENRI. Petit cachotier. Voilà ce que tu mijotais depuis plus d’un an… 

MARC-ANTOINEEh oui !

HENRI. « Cupidor » ! Ton invention… Ton père, s’il était encore de ce monde, serait fier de toi. J’imagine très bien la pub qu’on pourrait faire ! (Comme un présentateur de télé-achat) « Cupidor, le logiciel qui traque le gaspillage dans vos livres de comptes. Quel que soit le format de vos fichiers de comptabilité, vous n’avez qu’à les déposer dans Cupidor. Ensuite, laissez Cupidor travailler pour vous. Cupidor analyse vos mouvements de trésorerie, identifie les gaspillages et élabore le plan de rigueur personnalisé vous permettant d’éradiquer toutes les dépenses inutiles. Cerise sur le gâteau, Cupidor vous connecte aux prestataires les plus low cost du marché. Cupidor, l’austérité dans votre PC ! » (Il sort de l’attaché-case un ordinateur portable.) J’ai fait le test. J’ai fait analyser mes comptes par Cupidor. Grâce à lui, et rien qu’en éliminant les gaspillages, mon compte est passé d’un découvert de 6 423 € à un solde créditeur de 29 789 € ! Ça, c’est de l’austérité ! Voilà un produit qui peut intéresser les particuliers, les entreprises et les États ! Ah ! Si la Grèce ou le Portugal avaient eu Cupidor ! Et ce n’est que le début… Un jour… pas si lointain… tous les ministres de l’économie du monde seront remplacés par Cupidor. 

MARC-ANTOINETu t’emballes un peu, là…

HENRI. Peut-être. Ce qui est certain, c’est que Cupidor représente l’avenir de Fleurignac Comptabilité. Or, c’est quoi, Fleurignac Comptabilité, quand on y réfléchit ? Notre boîte. Une agence comptable. Fondée par toi voici onze ans. Nous allions faire faillite. Mais Cupidor va nous permettre de refaire surface. Notre boîte ne sera plus un cabinet de comptabilité au bord de la ruine, mais une véritable entreprise d’informatique !

MARC-ANTOINE, se lève et sert la main à Henri. Merci, Henri, d’avoir pris le temps de…

HENRI, lui serrant la main. Tout le plaisir est pour moi, jeune homme. Je suis ton directeur comptable, après tout. Content qu’un vieux routier comme moi puisse te servir. Je suis claqué. (Il se laisse tomber dans le canapé.) Reste à trouver l’opportunité. Ce qui va lancer Cupidor. (Il sort un sachet. Il se sert un verre d’eau avec la carafe de la table basse et verse le contenu du sachet dedans.)

MARC-ANTOINE. Toujours tes poudres !

HENRI. Caféine, taurine, vitamines C, B1, B2, B3, B5… la  bonne formule pour être au top ! (Il avale son verre et déplie le journal.) T’es quel signe ?

MARC-ANTOINETu crois à l’horoscope de Vésinet-Info ?

HENRI, parcourant le journal. Comme-ci comme-ça… d’ailleurs je ne sais pas si on va continuer à faire de la pub chez eux. (Henri montre une page du journal où l’on voit Henri et Marc-Antoine souriants, sous le slogan : « Fleurignac Comptabilité, et vos comptes sont maîtrisés ! » Puis, il continue à feuilleter.) Vu le peu de lecteurs que ce canard… Oh ! McCarthy vient chez nous !

MARC-ANTOINEMcCarthy ?

HENRITu connais pas McCarthy ? (Lisant) « Joseph Junior McCarthy, président du Big Caribou Mutual Funds, l’un des plus grands fonds de pension canadiens, nous fera l’honneur d’une visite au mois de janvier prochain. Les chefs d’entreprises de la ville sont déjà sur le pied de guerre pour séduire cet important investisseur… » Marco, mais… la voilà, notre opportunité ! On ne peut pas laisser passer ça ! The Big Caribou Mutual Funds, c’est des milliers d’employés et surtout des milliards de dollars ! Les économies de presque tous les petits vieux canadiens… Si seulement on réussissait à convaincre McCarthy que Cupidor est l’application qu’il lui faut… s’il signait un contrat d’exploitation de ta licence… mais ça serait… ça serait… la fortune ! (Henri se met à rire, ce qui entraine le rire de Marc-Antoine. Puis, Henri coupe net son rire et range son ordinateur dans son attaché-case.) Il n’y a pas une minute à perdre, je prends contact avec lui immédiatement !

MARC-ANTOINEHenri, je ne sais pas ce que je ferais sans toi !

HENRINul n’est irremplaçable. (Il va partir mais se ravise.) Seulement attention : je vais demander au boy-scout qui sommeille en toi de rester endormi. 

MARC-ANTOINEComment ça ?

HENRIMcCarthy est connu pour aimer les petits cadeaux. 

MARC-ANTOINEQuoi ?

HENRISi on l’accueillait avec une valise de billets par exemple, je suis sûr que ça lui permettrait de trouver ton Cupidor d’une grande utilité.

MARC-ANTOINEC’est une blague ?

HENRIJe sais ce que tu penses, mais McCarthy est extrêmement courtisé et il faut mettre…

MARC-ANTOINEC’est contraire à tous mes principes !

HENRIOn va avoir en face de nous Joseph Junior McCarthy, pas Sœur Sourire !

MARC-ANTOINEC’est ça, ta stratégie ? Payer un type pour qu’il nous achète un produit ?

HENRIPense à l’avenir ! Cette petite somme fera pencher McCarthy pour Cupidor et nous permettra d’engranger par la suite des bénéfices conséquents !

MARC-ANTOINESi tu le dis. Mais tu vas utiliser notre caisse noire ? 

HENRIBien sûr. 

MARC-ANTOINE160 000 ?

HENRI160 000. 

MARC-ANTOINEAh. Parce que… en ce moment, je suis vraiment à sec. Et je comptais justement te demander de…

HENRIHors de question. Nous allons investir ces 160 000 et crois-moi, ils vont nous rapporter gros. Partenaire ? (Il tend la main à Marc-Antoine. Marc-Antoine la serre.)

MARC-ANTOINEPartenaire !

HENRIEt maintenant, à nous trois, McCarthy ! 

Ce disant, Henri se dirige vers la porte d’entrée, suivi de Marc-Antoine.

***

Tableau 2

Trois mois plus tard. Brouhaha dans le grand salon : il y a du monde. Aliénor descend l’escalier en robe du soir extrêmement élégante, mais sans chaussures. 

ALIENOR. Aldo ! C’est quand même incroyable ! Aldo !

ALDO, arrivant du grand salon, en tenue de cérémonie, à la main un plateau avec différents verres, s’adressant à quelqu’un, avec une grande distinction. Je reviens, madame la sous-préfète ! (À Aliénor) Madame m’appelle ?

ALIENOR. Je ne retrouve plus mes escarpins !

ALDO, retournant vers les portes du grand salon. Que Madame m’excuse… (Il ferme les deux portes. Le brouhaha s’éteint.)

ALIENOR. Les invités sont déjà là ?

ALDOUne trentaine, oui !

ALIENOR. Et l’extra ?

ALDOJe l’attends. 

ALIENOR. La neige, peut-être. 

ALDOIl est vrai que depuis ce matin, la tempête ne faiblit pas. 

ALIENOR. Retournez-y. Je vais me débrouiller. (Sonnerie de téléphone. Aliénor sort son appareil.)

ALDO, alors qu’il ouvre une porte du grand salon, très aimable, s’adressant à quelqu’un. Oui, madame la sous-préfète, il me reste un whisky ! (À part, avant de disparaître) Je rêve ou c’est son troisième ?

ALIENORlisant sur son téléphone. « Chère Aliénor, je brûle… Rencontrons-nous ce soir. Rudolph. » Ce soir ? Non… non… pas aujourd’hui… Aujourd’hui ? Mais au fait… Mais oui ! Le 18 ! Trois mois ! Je lui avais donné trois mois ! Trois mois pour voir si tout pouvait redevenir comme au premier jour. Trois mois pour voir si Marc-Antoine saurait retrouver le chemin de mon cœur, trois mois pour voir si notre couple pouvait encore… (Sonnette.) Ah ! Je ne peux pas ouvrir comme ça ! (Elle parle de ses pieds nus. Elle remonte vite les escaliers tandis que les portes du grand salon s’ouvrent et laissent paraître Aldo avec son plateau, suivi de Zaza.) 

ALDO. Puisque je vous dis que je n’ai plus de cognac ! Du whisky, oui ; du cognac, non !

ZAZA, éméchée. Eh ben je te crois pas, moi !

ALDO. D’ailleurs, si je peux me permettre, je pense que madame la sous-préfète a assez bu comme ça…

ZAZA. Non mais dis donc, toi ! J’ai demandé un cognac, j’aurai un cognac !

ALDO. Il n’y en a plus ! Sauf dans la réserve personnelle de monsieur. Je ne vais quand même pas… (Zaza sort un billet.) Enfin madame, il est tout à fait exclu que je… (Zaza sort un deuxième billet). Madame me met vraiment dans une situation gênante et… (Zaza sort un billet plus important. Aldo prend alors tous les billets.) Bien madame.

Tandis que Zaza retourne dans le grand salon, Aldo ouvre la porte d’entrée. Paraît Marcia, une très jeune fille, habillée d’une doudoune épaisse. En dessous, elle porte un survêtement à la mode et tient en bandoulière un sac de sport.

ALDO. Ma pauv’ choupette, tu t’es perdue dans le blizzard ?

MARCIA, pas choupette pour un sou. Monsieur et Madame Fleurignac ?

ALDO. Si c’est pour les pauvres, on a déjà donné la semaine dernière, alors désolé, Mistinguett, mais tu vas aller taper…

MARCIA. Je suis envoyée par Domestis. 

ALDO, après un temps. Tu es… vous êtes… vous êtes l’extra ?

MARCIA. Y a un problème ?

ALDO. Mais quel âge vous-avez-tu-as-tu-vous ?

MARCIA. Ben… Seize ans !… Et un mois !

ALDO, à part. Les jeunes sont de plus en plus jeunes ! (À Marcia) Vous avez votre tenue ?

MARCIA, montrant son sac. Ouaip !

ALDO. Je vous montre où vous pouvez vous changer. Passez devant. (Il lui indique le couloir. Marcia s’y enfonce. À part, avant de la suivre) Domestis… Non mais, ils m’ont pris pour le péri-scolaire ou quoi ?

Pendant qu’Aldo disparaît la porte d’entrée s’ouvre. Henri et Marc-Antoine apparaissent, emmitouflés dans de grands manteaux.

 MARC-ANTOINE. Je n’en reviens pas ! Il est là ! Il arrive ! (Il enlève son manteau. Il est en smoking.) 

HENRI. Tu m’as l’air bien nerveux ! (Il enlève son manteau à son tour. Il est également en smoking.)

MARC-ANTOINE. Il ne faut pas que ça rate, tu comprends ? Tout repose sur cette soirée ! J’ai encore reçu une relance d’huissier hier ! Si McCarthy ne signe pas le…

HENRI, pendant que Marc-Antoine va aux portes du grand salon, mettant la main dans une poche. Nous discutons avec lui depuis trois mois, il se montre très intéressé, il accepte notre invitation, alors je ne vois vraiment pas ce qui… 

MARC-ANTOINE, ayant entrebâillé les portes du grand salon, à part. Où est Aldo ? (À Henri) Il y a un monde fou ! (Il active la sonnette intérieure.)

HENRI, sortant un sachet de ses poches. Dix chefs d’entreprises, leurs conjoints, le maire, le député et même le sous-préfet… (Il ouvre le sachet.) Je voulais que l’arrivée de McCarthy ait un peu de … (Il verse le contenu de son sachet dans un verre sur la table. À part) Aujourd’hui, double dose ! Le breuvage du winner ! (À Marc-Antoine) Ne t’inquiète pas ! Tout est réglé comme sur du papier à musique. Dans deux heures au plus, McCarthy nous signe un contrat d’exploitation pour Cupidor !

ALIENOR, redescendant les escaliers avec des escarpins, alors que Henri la dévisage et que Marc-Antoine reste préoccupé par ce qui se passe dans le grand salon. Ah ! Mon chéri ! Tu ne devineras jamais… Depuis tout à l’heure je cherchais… (Tournant sur elle-même.) Tu as vu, j’ai choisi la robe que j’avais trouvée à… 

MARC-ANTOINE. Princesse, tes histoires de chiffon, c’est vraiment pas le moment !

ALIENOR. Je voulais quand même te dire que je suis inquiète. Tu m’as expliqué qu’Henri devait apporter 160 000 € ici et…

MARC-ANTOINE. McCarthy arrive ! T’es pas encore coiffée ?  File ! 

ALIENOR, à part. Très bien mon bonhomme. Tu as encore jusqu’à ce soir minuit pour me séduire. Sans quoi, bye-bye ! (Elle remonte.)

Sonnette.

HENRI. Le voilà !

Paraissent alors McCarthy et McArthur, tous deux portants des canadiennes et des toques de fourrure sur la tête. 

MCCARTHY, à Henri, accent québécois. Tu sais-tu qu’il fait frette dans ton pays ?

MCARTHUR, à Henri, pas une once d’accent. C’est exceptionnel, non ? Cette neige ?

HENRI, riant.  Ah ! On dirait que la météo française a décidé d’être un peu canadienne ! (Rires. Il serre la main à McCarthy.) M. McCarthy nous sommes très… très…  

MARC-ANTOINE.  Très… 

HENRI.  Très…

MARC-ANTOINE.  Très… 

HENRI.  Très…

MARC-ANTOINE.  Très-très… 

HENRI.  Très-très…

MARC-ANTOINE.  Vraiment très-très !

HENRI.  Absolument !

MARC-ANTOINE.  Exactement !

HENRI.  Complètement !

MARC-ANTOINE.  Totalement !

MCCARTHY, un peu surpris. Eh ben… Le plaisir, il est partagé ! 

MARC-ANTOINE, serrant lui aussi la main de McCarthy. M. McCarthy, c’est un honneur de vous recevoir chez moi !

MCCARTHY. Je te remercie pour l’invitation. Je vous présente mon assistante : Stella McArthur. (Marc-Antoine et Henri serrent la main à McArthur.)

MCARTHUR. Bonjour messieurs.  

Durant les répliques suivantes, Aldo a paru avec son plateau et une bouteille de cognac. Voyant Marc-Antoine, il dissimule la bouteille derrière la plante verte et débarrasse McCarthy. Ce dernier porte un smoking.

MARC-ANTOINE, à McArthur. C’est curieux, vous n’avez pas d’accent. 

MCARTHUR. Je suis originaire de Roquefort-la-Bédoule, petit village de Provence et je…

MARC-ANTOINE. C’est pour ça, personne n’a d’accent là-bas !

Aldo débarrasse McArthur. Elle porte un tailleur très habillé et strict. Aldo disparaît dans le couloir.

MCCARTHY. Dites-moi, on pourrait peut-être parler affaires ? Parce que votre Cupidor, je tripe au boutte dessus !

HENRI. Marc-Antoine va vous en faire la présentation détaillée. 

MARC-ANTOINE. Mais auparavant, nous vous convions à vous désaltérer. Nous avons invité les plus hautes personnalités du Vésinet qui, j’en suis sûr, seront ravies de vous rencontrer !

MCCARTHY. C’est vraiment une gentille attention…

HENRI. Vous n’êtes pas encore au bout de vos surprises ! Car nous vous avons réservé un petit cadeau…

MCCARTHY, ses yeux s’allument. Tiens ! Stella, tu entends-tu ? Un petit cadeau !… Bonne idée. J’adore les petits cadeaux. 

HENRI, faux jeton. Ah ? Je ne savais pas…

Aldo est revenu. Marc-Antoine lui fait un petit signe. Aldo se dirige vers les portes du grand salon et les ouvre.

ALDO, solennel. Mesdames, messieurs, M. Joseph Junior McCarthy, président du Big Caribou Mutual Funds.  

Applaudissements nourris dans le grand salon.

MARC-ANTOINE, à McCarthy. Après vous. 

McCarthy et McArthur entrent dans le grand salon. Henri les suit mais est arrêté par Marc-Antoine.

MARC-ANTOINE, confidentiel. Tout se déroule comme prévu. Mon planning a été respecté à la minute ! 

HENRI, enthousiaste. Notre fortune ! C’est le début de  notre fortune !

MARC-ANTOINE. Maintenant, tu vas chercher l’argent. T’as bien la clef du coffre ?

HENRI, tâtant une des poches. Oui !

MARC-ANTOINE, regardant sa montre. 18h30, tu reviens. On donne à McCarthy son petit cadeau. 18h35, je fais la présentation du Cupidor. 19h00, on monte dans mon bureau et je lui lis le contrat d’exploitation. 19h30, il signe le contrat et nous sommes riches ! Partenaire ? (Il tend la main à Henri. Poignée de main.)

HENRI. Partenaire ! 

Henri prend son manteau et sort.

MARC-ANTOINE, consultant sa montre. Et maintenant, je dispose du petit battement que j’avais prévu. J’ai juste le temps d’aller le chercher. (Il ouvre la porte d’entrée.) Brrr ! Quel froid ! Tant pis pour mon manteau ! (Il sort.)

Aldo, plateau à la main, entre par le couloir suivi de Marcia. Elle porte une robe noire avec un tablier et un bonnet blanc.

ALDO. Venez par ici ! (À part, regardant Marcia des pieds à la tête, peu convaincu.) Bon ! Après tout on ne reçoit pas la Reine d’Angleterre… (À Marcia) Donc vous avez vu, ce couloir mène à la cuisine, qui, elle-même, donne sur le grand salon. C’est très pratique, tout communique. 

MARCIAJe fais le service ?

ALDO. Tout à l’heure. D’abord vous allez en cuisine. Il y a 125 petits-fours à décongeler. 10 min à 180°C. Je les récupère au fur et à mesure. 

MARCIA, déçue. Ouaich. 

ALDO, outré, il lui fait rectifier. «  Bien monsieur » !

MARCIA, peu enthousiaste. Bien monsieur…  

ALDOFilez ! Sauvageonne ! (À part, tandis que Marcia disparaît par le couloir) Ça sait à peine parler et ça veut jouer les premiers rôles ! (Il récupère le cognac dissimulé derrière la plante verte et entre dans le grand salon.)

Le hall reste vide un court instant. Puis la porte d’entrée s’ouvre très lentement. Apparaît la tête de Bob. Il observe le lieu.

BOB, s’adressant à quelqu’un derrière la porte. Y a personne, Francky ! (Bob apparaît complètement. Il porte un vieux jean crasseux et un blouson qui tombe en loques.) Allez, radine. Fais pas ta mijaurée. 

Franck entre. C’est le sosie de Marc-Antoine. Il porte un long manteau plein de taches, avec une écharpe râpée et un survêtement douteux. 

FRANCKAlors c’est là ! (Il fait le tour de la pièce.) C’est là qu’il habite, ce con…

BOBArrête ! C’est quand même ton frère.

FRANCK, rectifiant. Demi-frère !… Mais j’ai comme l’impression qu’il est pas au courant, lui. 

BOBHein ? Je sais que vous êtes pas de la même mère, mais pas que…

FRANCKEh non. Il sait pas que j’existe. 

BOBMais alors… ton père… il t’a pas reconnu ?

FRANCKÇa l’aurait bien emmerdé, cette huile. M. le Professeur Fleurignac… connu dans le monde entier !… ça aurait vraiment fait tache si on avait appris qu’il batifolait hors mariage…

BOBMais si t’es pas reconnu… t’as droit à rien, pas un radis !

FRANCKT’inquiète ! J’en ai pas mal parlé avec le blanchisseur…

BOBAu pressing ?

FRANCKMais non ! Le taulard qu’était calé en droit et qui m’a filé des cours d’informatique… Il m’a dit que si je réussissais à prouver que j’étais bien le frère de l’autre… j’aurais droit à ma part d’héritage. 

BOBÇa, faut encore le prouver…

FRANCKJe le prouverai ! Je sais pas encore comment… mais je le prouverai ! En attendant, il faut le trouver et lui parler !

BOBOK. D’autant que, si j’ai bien compris, y a de l’oseille à se faire ?

FRANCK300 000. 

BOB300 000…  300 000 d’héritage ?

FRANCKEn tout. 150 000 pour moi. T’imagines ? Quand j’ai lu que le paternel avait laissé ça avant de casser sa pipe… alors… eh ben c’est là que je t’ai appelé pour me tirer des flûtes !

BOBEt j’ai répondu présent.

FRANCKC’est pour ça que les 150 000 qui me reviennent… Bob… quand je remettrai la main dessus… je t’en donnerai la moitié…

BOB75 000 ?

FRANCK75 000 !

BOBFranck ! Je suis fils unique… mais je peux te le dire… mon frère… c’est toi ! (Il le prend dans ses bras.)

Soudain on entend Zaza dans le grand salon : « Allez, baronne, trinquons ensemble à cette soirée ! Quoi ? Vous n’avez pas de verre ? ». Bob s’approche alors de la porte du grand salon et l’ouvre très délicatement.

BOBMerde ! C’est plein par ici… Et ils sont tous en costard ! Du beau monde, apparemment. (Il réfléchit.) Dis donc, Francky… Et si on profitait de l’occas’ pour se faire quatre ou cinq portefeuilles ? Je crois qu’on serait pas déçus du voyage. 

FRANCKBonne idée ! Avant de trouver mon frangin, faisons le plein de liquide !

BOB, désignant leurs vêtements. Oui mais on peut pas entrer comme ça ! Et toi ! Mais… cache-toi !

FRANCK, mettant une casquette et des lunettes noires. Oh ça va ! 

BOBT’as oublié ? Depuis ton évasion, avec ton portrait qui circule, t’es en train de devenir célèbre, ma poule… Si quelqu’un te reconnaît, toi et moi, on va se faire boucler ! Et bye-bye les 150 000 !

ALDO, arrivant du grand salon et s’adressant à quelqu’un avec son plateau. Oui, madame la baronne !

BOB, donnant un coup à Franck. Tourne-toi !

ALDO, vers le grand salon. Oui, nous avons des cerises à l’eau de vie ! (À part) Elles ont une de ces descentes, ces vieilles ! (Voyant Bob et Franck.) Messieurs, je suis navré, mais on a déjà donné ! Croyez-moi ! et bien au-delà de…

BOBNon, non, y a erreur, mec ! Dis voir, moi et mon pote on va à la petite sauterie, là. (Il a montré le grand salon.)

ALDO, dubitatif. Vous ? Puis-je me permettre de vous demander votre carton ? 

BOBOn l’a pas, justement… et en plus on a oublié nos costards et nos pompes. (Sortant un billet.) Tu vas pouvoir faire quelque chose ?

ALDOAh, messieurs, ça, c’est tout à fait impossible, je regrette…

BOB, sortant un deuxième billet. Réfléchis bien. 

ALDOVous n’y pensez pas ! Bon… vu vos tailles, il y aurait la garde-robe personnelle de monsieur, mais je ne peux tout de même pas…

BOB, ajoutant un billet plus important. T’es sûr ?

ALDO, prenant les billets. Bien monsieur. Je reviens tout de suite. (Aldo pose son plateau sur le guéridon et monte l’escalier.)

BOBEt voilà ! Dès qu’on a les costards, on passe à l’action. À quoi il ressemble, ton frangin ? 

FRANCKJ’en sais rien !

BOBAh oui c’est vrai ! En attendant, il faut faire le guet. On sait jamais avec ces flics. (Il va à la porte d’entrée, suivi de Franck.)Ah non ! Toi tu restes là. Pas le moment de te faire repérer !

FRANCKQu’est-ce que je vais faire, moi ?

BOBEt ta revue ? Hein ? Monsieur l’intello ! 

FRANCKC’est pas parce qu’on a été en cabane qu’on a arrêté de penser ! (Bob ouvre avec précaution la porte d’entrée, puis, après avoir observé dehors une seconde, il disparaît. Franck sort de sous son manteau une revue intitulée « Marx aujourd’hui ». Il s’assoit sur le canapé, pose la revue sur la table basse et l’ouvre. Lisant) « En résumé, la question n’est pas de savoir comment produire des richesses. Des richesses, il s’en produit à chaque seconde. » (Retirant ses lunettes, regardant le hall et le montrant) La preuve ! « Le problème est donc de mieux redistribuer les richesses. Autrement dit, ce qui doit faire l’objet de toute notre attention, c’est le partage du gâteau. » (Exalté, retirant sa casquette et se levant.) C’est ça ! 

Aliénor paraît alors dans les escaliers et voit Franck. Elle est maquillée.

ALIENORÇa y est ! Je suis prête ! (À part, désabusée) De toute façon, je sais très bien qu’il s’en fout…

FRANCK, posant sa revue sur la table basse, séduit. Merde, une gonzesse !  

ALIENOR, tournant sur elle-même. Comment tu me trouves ? (À part, blasée) Je sais même pas pourquoi je te demande… tu ne dois penser qu’à ton McCarthy…

FRANCK, interloqué. Comment je te trouve ?

ALIENOR, morne. C’est la question.   

FRANCKBen… plutôt canon ! 

ALIENOR, surprise. « Canon » ? Voilà un mot que je n’avais pas entendu depuis longtemps. Un vrai mot de collégien…

FRANCKQuoi, je parle mal ?

ALIENOR, attendrie, posant ses mains autour du cou de Franck. Au contraire. On devrait retrouver plus souvent cette fraîcheur, cette naïveté…

FRANCK, enlaçant Aliénor. Tu me plais, toi. 

ALIENOR, défaillant. Si on m’avait dit qu’un jour encore, j’entendrais ça, ici, et par ta bouche !  

FRANCK, plus suave. J’ai envie de toi !

ALIENOR, troublée.  Ah ! Mais… tu n’y penses pas… je crois que les convenances nous interdisent…

FRANCKLes convenances, qu’est-ce qu’on en a à battre des convenances ?

ALIENOR, emportée.  Cette façon de parler ! Ce ton de déménageur… (Ils s’embrassent. Puis Aliénor repousse Franck, qui cherche à prendre trop de privautés.) Assez ! C’est trop ! Je ne suis pas encore prête pour ce grand retour vers les premiers feux de la passion ! Pourtant… Quelle extase !

FRANCKAh ouais !…

ALIENOR, regardant Franck.  Mais pourquoi as-tu mis ce vieux manteau tout sale ?

FRANCKJe sais… je sais… mais c’est tout ce que j’ai trouvé, alors…

ALIENOR Et ton smoking ?

FRANCKIl arrive !

ALIENOR C’est pour ça qu’Aldo farfouille dans le dressing ! (Se remémorant l’image de Marc-Antoine en smoking.) Pourtant il me semblait bien… tout à l’heure… (Revenant à sa joie, à part) Quel bonheur, cette complicité revenue ! C’est peut-être le moment de lui dire… (À Franck) Je voulais te faire une confidence…

FRANCKLaquelle ?

ALIENOR Je ne suis pas tranquille. 

FRANCKQu’est-ce qui se passe ?

ALIENORBen… les 160 000…

FRANCKLes 160 000 ?

ALIENORLes 160 000 qu’Henri va amener…

FRANCK, ses yeux s’allument. Les 160 000 ?… 160 000 € ?

ALIENOR160 000 €, oui ! Pas 160 000 dinars !

FRANCK, faisant semblant de comprendre. Les 160 000 €, oui, bien sûr !

ALIENORC’est une grosse somme. Et l’amener ici, chez nous, c’est quand même dangereux…

FRANCK, à part. C’est la femme de mon frère… (Haut) T’inquiète pas ! 

ALIENOROui, je sais, tu m’as déjà dit que tu étais obligé de donner ce pot de vin à McCarthy pour remporter le marché…

FRANCK, à part. Elle me prend pour mon frère ou quoi ? 

ALIENORAs-tu pris assez de précautions ? Qui va veiller sur cet argent ?

FRANCKT’en fais pas, j’ai l’habitude. 

ALIENORComment ça, tu as l’habitude ?

FRANCKJ’ai l’habitude de prendre des précautions.

ALIENOR, à part.  Il n’a pas l’air de prendre ça très au sérieux. (Nouveau baiser, à Franck) Je compte sur toi pour l’argent. C’est une grosse somme. (Aliénor ouvre les portes du grand salon et disparaît.)

FRANCKAh tu peux compter sur moi ! Je sais pas ce que traficote mon frangin, mais en tout cas il s’emmerde pas ! 160 000 € ! Ma part du gâteau ! Et avec les intérêts en plus ! Même plus besoin de rencontrer ce con. Maintenant reste à trouver cet Henri. 

***

Lire la suite du texte dans la version complète


Poursuivez la lecture avec une autre pièce

Voir d’autres vaudevilles

Voir d’autres comédies


Cette pièce vous a plu ? Pour découvrir la prochaine en avant-première, inscrivez-vous sur le site et abonnez-vous à notre Lettre de Nouvelles.

Retour en haut