Notre Village

Textes jouables par 6



Et si un simple changement de nom devenait une affaire politique et sentimentale explosive ?

Accordez-nous moins d’une demi-heure de lecture et plongez votre public une comédie piquante et actuelle, taillée pour le monde d’aujourd’hui (même si vous avez peu de moyens).

Avant de vous en dire plus, on a 3 questions rapides à vous poser :

🆘 Vous en avez assez des pièces déconnectées du réel ?
🆘 Vous fuyez les comédies qui se contentent de divertir sans faire réfléchir ?
🆘 Vous n’en pouvez plus de ces pièces qui tirent en longueur ?

Si vous avez répondu oui à au moins deux questions, alors lisez vite ce qui suit !

Voici le résumé de Notre Village :
Dans une petite commune récemment fusionnée, les tensions entre habitants atteignent leur paroxysme lorsque la question du nom du village est mise sur la table. En pleine visio-conférence, Emmanuelle Saverne, médiatrice nommée par le Préfet, tente de rétablir l’ordre face à des personnalités hautes en couleur. Entre affrontements acerbes, rivalités historiques et quiproquos techniques, cette comédie dévoile avec brio les absurdités de nos conflits locaux et humains.

En accédant au texte intégral de Notre Village, vous obtiendrez un fichier PDF de 36 pages pour un poids ultra-réduit de 402 Ko, téléchargeable sur votre ordinateur, votre tablette, votre téléphone, et imprimable sur n’importe quel support. La mise en page vous permettra de noter sur le texte toutes les indications et notes de régie que vous jugerez utiles.

Avec Notre Village, vous découvrirez :

✅ Une comédie satirique qui présente au public des conflits de politique locale qu’il connaît bien.
✅ Des personnages variés et hauts en couleur : chaque interprète a l’occasion de marquer le public.
✅ Un décor minimaliste : une pièce conçue pour être jouée en visio ou en présentiel, simple à mettre en scène.
✅ Des rôles équilibrés, donnant à tout le groupe des partitions d’égales importances.
✅ Une fin inattendue et savoureuse : un dénouement qui renverse toutes les attentes et laisse le public hilare.

Intéressé(e) ? Téléchargez gratuitement le texte intégral de Notre Village et plongez votre public dans un huis clos captivant où le rires et surprises s’entremêlent.

Attention : cette pièce est déconseillée aux Compagnies qui refusent la représentation irrévérencieuse des pouvoirs locaux.



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Les pièces Notre Village et Une Belle affaire ont été écrites durant les périodes de confinement connues par la France suite à la pandémie de Covid-19. Les compagnies ne pouvaient plus jouer en présentiel. L’idée était de leur fournir des textes qu’elles pouvaient jouer en visio-conférence. Cela reste valable mais ces textes peuvent également être mis en scène lors de représentations ordinaires.

Texte intégral de Notre Village à lire ou à imprimer

Personnages

Emmanuelle Saverne.

Jean-Louis Châlon-Naquet.

Olivier Blettery.

Élisabeth de Cize.

Laurent Forgeard.

Nadège Forgeard.

Le décor

Les six personnages ont chacun un écran distinct. Emmanuelle Saverne et Nadège Forgeard sont connectées depuis leur lieu de travail. Les autres appellent depuis leur domicile.

Les écrans d’Emmanuelle Saverne, Jean-Louis Châlon-Naquet, Olivier Blettery et Laurent Forgeard sont allumés. Cependant celui d’Emmanuelle Saverne se contente d’afficher : « Emmanuelle Saverne ». Un long silence durant lequel les trois hommes visibles hésitent, se raclent la gorge, toussent, etc.

L. Forgeard. Je voudrais rajouter quelque chose à l’ordre du jour. 

J. L. Châlon-Naquet. Pas maintenant.

L. Forgeard. Quand, alors ? 

J.L. Châlon-Naquet. Quand la réunion aura commencé.

L. Forgeard. Elle n’a pas commencé ? 

J.L. Châlon-Naquet. Non. Mais il le faudrait, peut-être ?

E. Saverne. Un instant, je vous prie.

L. Forgeard. Qui parle ?

J.L. Châlon-Naquet. Bon, on commence.

O. Blettery. Élisabeth arrive. Mais Stéphane et Didier ne peuvent pas.

L. Forgeard. Je me demande ce que fait Nadège.

O. Blettery. Un dossier urgent.

L. Forgeard. Qu’est-ce que t’en sais ?

O. Blettery. … je suppose…

J.L. Châlon-Naquet. Je déclare ouvert ce conseil municipal extraordinaire.

E. Saverne. M. Châlon-Naquet, s’il vous plaît.

O. Blettery. Qui parle ?

E. Saverneapparaissant à l’image. Emmanuelle Saverne, médiatrice nommée par M. le Préfet. J’ai été mandatée pour présider cette réunion. Voilà Mme de Cize.

L’écran d’E. DE CIZE apparaît.

E. de Cizeapparaissant soudain, par ailleurs en conversation téléphonique. —Des yeux de braise et une voix de velours, je te dis ! Moi, il me… il me… (S’apercevant que la réunion a commencé, à voix basse .) Je suis obligée de te laisser. Bye. Et, tu n’oublies pas, hein ? Des macarons au citron. Non. Non, je te dis, au citron ! Voilà ! (Elle raccroche. Haut .) Excusez-moi, un impératif professionnel.

J.L. Châlon-Naquet. Seul le maire peut présider le conseil municipal.

E. Saverne. Ce n’est pas un conseil municipal. Juste une réunion. 

J.L. Châlon-Naquetcondescendant. Et comment s’appelle une réunion avec le maire, les adjoints et les conseillers municipaux ? Un conseil municipal ! On ne vous apprend pas ça, à Sciences-Po ?

E. Saverne. Mme Forgeard nous rejoint. 

L’écran de N. FORGEARD apparaît.

N. Forgeardapparaissant soudain. Vous me voyez ?

L. Forgeard. —Oui.

N. Forgeard. Vous me voyez, là ?

L. Forgeard. —Oui.

N. Forgeard. Vous m’entendez ?

L. Forgeard. —Oui.

N. Forgeard, plus fort. Est-ce que vous m’entendez ?

L. Forgeard O. Blettery et E. de Cize. —Oui !

L. Forgeard. —On t’entend, chérie !

N. Forgeard. Pourquoi personne me répond ? 

L. Forgeard, plus fort. —On t’entend !

N. Forgeard. Ils sont où ? Comment on fait pour ? … Ah… ça doit être ça…

L’écran de N. FORGEARD disparaît.

E. Saverne. Bien… Mme Forgeard nous rappelera certainement plus tard. 

O. Blettery. Ce logiciel de visio, il n’est pas très intuitif, mais des formations existent. Ainsi, tenez, moi, par exemple, j’ai fait un stage de trois jours et maintenant, je maîtrise.

E. Saverne, avec une pointe d’ironie. Nous en sommes ravis, M. Blettery. Nous allons poursuivre. M. Châlon-Naquet, je vous remercierais de me laisser faire mon travail. 

J.L. Châlon-Naquet, sec. Et moi je vous somme de me laisser accomplir ma fonction.

E. Saverne, le calme incarné. Je suis ici la seule habilitée à conduire cette réunion.

J.L. Châlon-Naquetbouillant. Vous n’avez aucune autorité. 

E. Saverne, administrative. Vous avez lu l’arrêté préfectoral. 

J.L. Châlon-Naquet, serrant les dents. Je m’en contrefous, de votre arrêté. 

E. Saverne, neutre. J’en prends bonne note. 

J.L. Châlon-Naquet. Qu’il vienne me voir, le Préfet, s’il a des couilles.

E. Saverne. M. le Préfet est à l’instant-même en réunion avec le secrétaire d’État à l’aménagement du territoire, le directeur régional de l’environnement et le général Audubon-Wilson de la…

J.L. Châlon-Naquetla coupant. Tout cela est une manœuvre de déstabilisation politique. Je suis maire de Sainte-Suzanne-Bouquetin-le-Bel, et je vais présider ce conseil municipal, point à la ligne.

E. Saverne. Vous n’allez rien présider du tout.

J.L. Châlon-Naquet. Qui m’en empêchera ?

E. Saverne. Moi. 

E. de Cize. C’est honteux ! M. Châlon-Naquet est notre maire ! Vous n’avez pas le droit de lui parler sur ce ton.

O. Blettery. Oh ! Je demande un vote. Votons pour élire un président de séance.

J.L. Châlon-Naquet. Je suis notaire ! Et je suis payé pour vous dire que tout ça, c’est illégal !

E. Saverne. Pour la clarté des débats, je vous demanderai, en qualité de présidente de séance, de ne pas parler les uns sur les autres.

J.L. Châlon-Naquethors de lui. Assez ! Vous n’êtes présidente de rien ! Vous n’avez été élue par personne ! 

E. Saverne. M. Châlon-Naquet, si vous perturbez la bonne tenue des débats, je serai obligée de vous sortir.

J.L. Châlon-Naquetaffichant un sourire méprisant. Me faire sortir de mon conseil municipal ? Et par cette gonzesse ? Nan mais, chérie, t’as fumé la moquette ou quoi ?

L’écran de J.L. CHÂLON-NAQUET disparaît.

E. de Cize. Qu’est-ce qui se passe ?

E. Saverne. J’ai sorti M. Châlon-Naquet.

O. Blettery. Sorti ?

E. Saverne. Mis en salle d’attente.

E. de Cize. Quelle salle d’attente ?

E. Saverne. J’ai suspendu sa connexion.

E. de Cize. Quoi ? Mais c’est odieux ! Vous n’avez pas le droit ! Jean-Louis est notre maire ! À Sainte-Suzanne, tout le monde est derrière lui !

L. Forgeard. Pas à Bouquetin-Le-Bel…

E. de Cize. —Ça, bien sûr…

E. Saverne. À présent, nous allons peut-être pouvoir…

E. de Cize, la coupant. J’exige que vous réintégriez immédiatement M. Châlon-Naquet.

E. Saverne. M. Châlon-Naquet a démontré sa volonté d’obstruction.

E. de Cize. Il a simplement souhaité faire appliquer la loi !

E. Saverne. Appliquer la loi ? C’est ce que je suis en train de faire. Bien, comme je vous le disais…

E. de Cize, la coupant. Blablabla ! Je refuse de vous écouter tant que M. Châlon-Naquet ne sera pas réintégré !

E. Saverne. Mme de Cize, votre qualité d’adjointe ne vous autorise pas à…

E. de Cize, la coupant. Blablabla ! Je n’entends rien !

E. Saverne. Mme de Cize, vous vous mettez dans une position difficilement…

E. de Cize, la coupant. Blablabla ! Quelqu’un parle ?

L’écran d’E. DE CIZE disparaît à son tour.

O. Blettery. Vous… vous l’avez sortie ?

L. Forgeard, souriant en coin. Bien joué…

E. Saverne. J’ai été mandatée par M. le Préfet pour mener cette réunion. Et je suis déterminée à atteindre cet objectif. Quelqu’un d’autre souhaite-t-il perturber les échanges ? (Bref silence.) Bien, dans ce cas, poursuivons. (Consultant ses papiers.)Voyons… euh… M. Forgeard ? 

L. Forgeard. Oui.

E. Saverne. C’est vous qui avez sollicité l’intervention préfectorale.

O. Blettery. —C’est toi ?

L. Forgeard. Moi et un collectif de citoyens.

E. Saverne. Vous avez indiqué que le maire ne vous laissait pas vous exprimer lors des conseils municipaux.

O. Blettery, bas. —Balance…

E. Saverne. Tendance autoritaire qui a été confirmée par plusieurs témoignages… et que j’ai pu moi-même constater à l’instant. Je vous donne donc la parole. 

L. Forgeard. Merci. Il y a cinq ans, Sainte-Suzanne et Bouquetin-le-Bel étaient deux villages distincts. Leurs conseils municipaux respectifs ont décidé la fusion des deux entités en un seul et même village. Sans aucune concertation avec la population, la commune nouvelle a été baptisée Sainte-Suzanne-Bouquetin-le-Bel.

E. Saverne. Tout cela est parfaitement connu de nos services.

L. Forgeard. Nous sommes plusieurs habitants historiques de Bouquetin-le-Bel à estimer que ce nom ne correspond pas à l’identité de notre territoire. Nous voulons le changer.

O. Blettery. Encore cette histoire…

E. Saverne. Vous voulez changer le nom du village ?

L. Forgeard. En effet. Nous voulons un nouveau nom pour notre village.

O. Blettery. Et vous proposez quoi ?

L. Forgeard. Bouquetin-le-Bel-Sainte-Suzanne.

O. Blettery, après un silence. C’est une blague ?

E. Saverne. Que je comprenne bien : vous voulez changer le nom de votre commune ?

L. Forgeard. C’est ça.

E. Saverne. Et remplacer Sainte-Suzanne-Bouquetin-le-Bel par Bouquetin-le-Bel-Sainte-Suzanne ?

L. Forgeard. Voilà.

O. Blettery. Tu plaisantes ?

L. Forgeard. J’ai l’air ?

O. Blettery. Tu fais partie du club théâtre…

E. Saverne. M. Hostein est connecté.

O. Blettery. Stéphane ? Mais je croyais que…

Un nouvel écran apparaît avec cette mention : « Stéphane Hostein ».

E. Saverne. M. Hostein, bonsoir. (UNE VOIX répond : « bonsoir »). Merci de nous rejoindre. (LA VOIX répond : « tout le plaisir est pour moi ».)

L’écran « Stéphane Hostein » laisse apparaître J.L. CHÂLON-NAQUET.

E. Saverne. M. Châlon-Naquet ?

J.L. Châlon-Naquetjubilant. Eh oui ! Vous ne vous débarrasserez pas de moi comme ça… Je connais toutes les subtilités de ce logiciel de visio…

E. Saverne. Cela est tout à fait contraire au référentiel des bonnes pratiques des échanges interpersonnels professionnels en distanciel…

J.L. Châlon-Naquet. Et si vous nous parliez en français ?

E. Saverne. Cela mérite une explication mais… euh… M. Guichemerre nous rejoint.

O. Bletteryexprimant un doute. Didier ? 

Un nouvel écran s’affiche avec cette mention : « Didier Guichemerre ».

E. Saverne. M. Guichemerre, bonsoir. (UNE VOIX répond : « bonsoir »). Merci de nous rejoindre. (LA VOIX répond : «veuillez m’excuser de mon retard ».)

L’écran « Didier Guichemerre » laisse apparaître E. de DE CIZE, affublée d’une perruque et d’une moustache postiche.

L. Forgeard. Qu’est-ce c’est que ce carnaval ?

E. Saverne, après un silence. M. Guichemerre ?

E. de Cize, prenant la voix la plus grave possible. Euh… oui… c’est bien moi… Didier Guichemerre…

E. Saverne. Hum… bon… Mme de Cize, on vous a reconnue…

E. de Cize, jouant toujours le jeu. Je ne comprends pas.

J.L. Châlon-Naquet. Élisabeth, pas la peine, on t’a démasquée…

E. DE CIZE se dévoile.

E. de Cize, enlevant perruque et postiche, piteuse. Désolée… c’était une idée de mon grand… (S’adressant à quelqu’un hors-champ.) Je t’avais dit que ça ne marcherait pas…

E. Saverne. M. Châlon-Naquet, Mme de Cize, je suis disposée à vous laisser participer à la réunion. 

J.L. Châlon-Naquetironique. Vous êtes trop bonne…

E. Saverne. À la condition expresse de vous engager à me laisser mener les débats, et à permettre à chacun de s’exprimer. (Silence.) Vous m’avez entendue ?

J.L. Châlon-Naquet. Oui, oui…

E. Saverne. Et ?

J.L. Châlon-Naquet. Et quoi ?

E. Saverne. Et vous vous y engagez ?

J.L. Châlon-Naquet, approuvant. Hin hin…

E. Saverne. Dites-le.

J.L. Châlon-Naquet. Pardon ?

E. Saverne. Dites « je m’y engage ».

J.L. Châlon-Naquet, éclatant. Ça va ! Vous n’êtes pas maîtresse d’école et je ne suis pas votre élève !

E. Saverne. En ce cas, je vous coupe.

J.L. Châlon-Naquet, immédiatement mâté. Je m’y engage.

E. Saverne. Mme de Cize ?

E. de Cize. Je m’y engage.

E. Saverne. Bien. Il semble que nous repartons sur de bonnes bases. Ah… Mme Forgeard nous rappelle.

L. Forgeard. Pas trop tôt !

L’écran de N. FORGEARD apparaît.

N. Forgeard, apparaissant. Ah ! Chéri ! Je suis contente de pouvoir te parler. Je n’ai pas pu prendre ton antidiahrréique. Ils n’en avaient plus, désolée. T’en as pas trop mis partout ?

L. Forgeard. Euh… chérie…

N. Forgeard. Mais Val m’a dit, le mieux, ça reste le riz. Alors fais-toi 100g de riz et blinde-toi. Avec ça, ta petite chiassounette devrait s’en aller, mon cœur…

L. Forgeard, gêné. Chérie, tout le monde t’entend !

N. Forgeard. Mais… je ne vois que toi…

L. Forgeard. Parce que je viens de parler !

N. Forgeard, se décomposant. Ah… alors tout le monde m’a… ?

E. Saverne. Bonsoir Mme Forgeard. Vous êtes connectée avec l’ensemble du groupe.

N. Forgeard. Bonsoir… Oh j’y comprends rien à cette appli de visio… Au boulot j’utilise DigitMeet alors… Mais… euh… comment je fais pour tous vous voir ? Ah ça y est, j’ai compris !

L’écran de N. FORGEARD disparaît de nouveau.

E. Saverne. Bien… je ne doute pas que Mme Forgeard ne se reconnecte un peu plus tard. M. Forgeard, voici plusieurs mois que vous souhaitez déposer une demande de changement de nom pour votre village.

J.L. Châlon-Naquet. Ne me dites pas qu’on va remettre sur le tapis ce délire abracadabrantesque ?

E. Saverne, avec une nuance de menace. M. Châlon-Naquet, je vous en prie. M. Forgeard, vous avez la parole.

L. Forgeard. Merci.

J.L. Châlon-Naquet, souriant en coin. Si t’as besoin de PQ, je peux t’en livrer, j’ai du stock.

L. Forgeard. Très drôle.

J.L. Châlon-Naquet. Je disais ça pour aider.

L. Forgeard, ironique. Bien sûr. (Sérieux .) Bon… La commune nouvelle, on sait pourquoi M. Châlon-Naquet a voulu la faire : la subvention.

J.L. Châlon-Naquet. C’est vrai. Je nous ai fait gagner de l’argent et j’en suis fier !

L. Forgeard. Un argent gagné aussitôt dépensé en études scientifiques fumeuses !

J.L. Châlon-Naquet. En trois ans, trois nouveaux cours d’eau sont apparus sur la commune. Tu voulais que je regarde ça sans rien faire ?

E. Saverne. Justement, à ce sujet, nous avons…

L. Forgeard, la coupant. Nous sommes beaucoup à vouloir changer le nom de la commune nouvelle. Pour nous, il est nécessaire de débaptiser le village de son nom de Sainte-Suzanne-Bouquetin-le-Bel, pour le rebaptiser Bouquetin-le-Bel-Sainte-Suzanne.

J.L. Châlon-Naquet, rigolard. Qu’est-ce que vous dites de ça, Saverne ? Ça, c’est un projet politique !

E. Saverne. Euh… très bien… nous vous écoutons, M. Forgeard.

L. Forgeard. Tout d’abord, à Bouquetin-le-Bel, nous sommes les plus nombreux. 

J.L. Châlon-Naquet, souriant. Là-dessus, je ne peux pas vous contredire…

E. de Cize. On le sait : vous, les Beaubouquetinois, vous vous reproduisez comme des lapins !

L. Forgeard. Vous voyez Mme Saverne, ça fait des années que les Suzannais nous méprisent. Ils se mettent en avant à nos dépens. Il faut que ça cesse. Parce que c’est nous, les Beaubouquetinois, qui faisons vivre le village, grâce à notre agriculture.

E. de Cize. Vous feriez bien de sortir de temps en temps de votre étable, ça vous éviterait de dire des inepties !

L. Forgeard. Nous, on trime, mais tous les équipements, les ruelles rénovées, les nouveaux éclairages, c’est pour qui ? Sainte-Suzanne ! Ça fait des années que les Beaubouquetinois se font baiser par les Suzannais. 

E. de Cize. Oh ! Surveillez votre langage ! Mais quel manque d’éducation !…

L. Forgeard. Le mépris, toujours le mépris ! Et légitimé par quoi ? Rien ! Parce que y a rien, à Sainte-Suzanne. 

O. Blettery. Rien ? Sainte-Suzanne a un patrimoine historique inestimable ! Ainsi, tenez, moi, par exemple, j’habite dans un manoir du XVIIIe et…

E. de Cize, le coupant. Vous osez dire rien ? Et notre couvent, placé sous le patronage de la Sainte ?

L. Forgeard. Votre couvent, ça fait longtemps qu’il est fermé !

E. de Cize. À qui la faute ? Aux Beaubouquetinois qui l’ont mis à sac en 1905 !

L. Forgeard. Mme Saverne, vous avez devant vous les Suzannais dans toute leur splendeur ! Que de la gueule ! Excusez-moi…

E. de Cize. Oh ! Tenir de tels propos au sujet d’un couvent qui a été un centre spirituel pendant plusieurs siècles !

L. Forgeard. Faites-moi rire ! Il m’en a parlé, mon arrière-grand-père, des bénédictines de Sainte-Suzanne… de belles catins !

E. de Cize. Oh ! 

J.L. Châlon-Naquet, outré. C’est un blasphème !

L. Forgeard, avec provocation, sur l’air d’ « Au Clair de la lune ». À Sainte-Suzanne, mon amie Perrine / J’ai vu de bell’s dames, des bénédictines / Ell’s sont charitables, mais aussi coquines / Ell’s aiment prier Dieu, et sucer des…

E. de Cize; le coupant. Assez ! 

J.L. Châlon-Naquet, furieux, sur l’air d’ « À la Claire Fontaine ». À Bouquetin-le-Bel / M’en allant promener / J’ai vu bouse si laide que mon nez s’est bouché / Il y a longtemps que tu pues / Tu ne vaux pas mieux qu’un…

E. Saverne, le coupant. M. Châlon-Naquet ! Maintenant que tout le monde a chanté, nous allons peut-être pouvoir revenir à un échange normal ? 

J.L. Châlon-Naquet. —C’est pas moi qui ai commencé…

E. Saverne. Je le sais. Quelle est la position de la majorité municipale concernant la demande de M. Forgeard ?

J.L. Châlon-Naquet. Notre position est claire : c’est de la foutaise !

L. Forgeard. Et pourquoi ?

J.L. Châlon-Naquet. D’abord, parce que « Bouquetin-le-Bel », c’est moche. 

L. Forgeard. Moche ?

E. de Cize. Non seulement c’est laid, mais c’est ridicule !

O. Blettery. Je suis désolé, Laurent, mais « Bouquetin-le-Bel » c’est pas vendeur. Les gens n’ont aucune envie d’habiter dans un village qui s’appellerait « Bouquetin-le-Bel ». « Sainte-Suzanne », par contre, ça fait tout de suite plus…

J.L. Châlon-Naquet. On a déjà été bien gentils en conservant « Bouquetin-le-Bel » dans le nom de la commune nouvelle. 

E. de Cize. On aurait dû le supprimer et ne garder que « Sainte-Suzanne », je l’ai toujours dit…

J.L. Châlon-Naquet, à L. Forgeard. Contrairement à ce que tu sembles dire, Sainte-Suzanne bénéficie d’un patrimoine culturel irremplaçable. Mais bon, manifestement, ça te passe au-dessus du sifflet.

O. Blettery. C’est vrai, vous, les Beaubouquetinois, l’art, c’est pas votre truc. Mais pour nous, les Suzannais, c’est très important ! Ainsi, tenez, moi, par exemple, j’ai chez moi un authentique Lautrec !

J.L. Châlon-Naquet. —Ah oui, Lautrec, je connais. C’est bien celui qui habitait à Toulouse ? Non, Laurent, regarde les choses en face. Le musée qu’Élisabeth a mis sur pied dans le couvent est un véritable atout. Réfléchis un peu. Qu’est-ce que c’est, Bouquetin-le-Bel ? Rien. Du crottin de chèvre. D’ailleurs, je vais vous dire, Saverne, pourquoi Forgeard veut changer le nom du village. Il joue au défenseur du peuple beaubouquetinois opprimé par les vilains Suzannais, mais il a des motivations beaucoup plus mercantiles. C’est marrant, Laurent, tu dis plus rien, là. Eh oui, son fromage de chèvre, celui qu’il fabrique, vous savez comment il s’appelle ? Je vous le donne en mille : le Bouquetin-le-Bel ! Alors c’est sûr qu’un changement de nom qui ferait revenir Bouquetin-le-Bel en place initiale, ça lui ferait de la pub gratuite, et tout ça sur le dos du contribuable. Alors, permets-moi de te le dire, Laurent : t’es vraiment un bel hypocrite, doublé d’un sale égoïste !

Un moment de silence. L. FORGEARD se cache les yeux. Une gêne, durant laquelle plus personne ne dit rien.

E. Saverne. M. Châlon-Naquet, vous est-il possible de vous exprimer sans pour autant invectiver vos interlocuteurs ?

J.L. Châlon-Naquet. Moi, j’invective ? Ce n’est pas moi qui ai parlé de bénédictines qui aiment sucer des…

E. Saverne, le coupant. Je vous en prie.

O. Blettery. Laurent, ça va ? (L. FORGEARD se cache toujours le visage et ne répond rien.)

E. de Cize. Écoutez, Laurent, on a tous un tout petit peu les nerfs à vifs, alors… vous connaissez la gouaille de Jean-Louis, il ne faut pas vous formaliser.

J.L. Châlon-Naquet. Laurent, désolé, je me suis emporté… mais si tu savais comme cette histoire de changement de nom me tape sur le système… on a d’autres chats à fouetter, non ? (L. FORGEARD ne répond toujours rien.) Non ?

E. Saverne. M. Forgeard, si vous le souhaitez, vous pouvez quitter la réunion et revenir plus tard.

L. Forgeard, s’essuyant les yeux. Non, non, c’est bon… Écoutez, je… je voulais pas vous l’annoncer comme ça, mais voilà… j’ai un cancer du pancréas. Généralisé.  On m’a donné trois mois. 

E. de Cize, après un silence. Quoi ?

L. Forgeard. On en a discuté avec Nadège, on voulait pas mettre les enfants au courant… 

J.L. Châlon-Naquet, après un silence. Laurent, je ne savais pas. (Cherchant ses mots .) On n’est pas du même bord, toi et moi. Pourtant, je sais que tout le village va se mobiliser pour toi. Si tu as besoin de quoi que ce soit, nous serons là.

E. de Cize. Bien entendu, Laurent. Dimanche, je prierai pour vous.

L. Forgeard. Merci, je… je suis très touché. Vous savez… ce changement de nom… c’est pas pour moi. C’est même pas pour les gens du village que je veux le faire. C’est pour ma famille… Les Forgeard sont beaubouquetinois depuis sept générations. De vrais montagnards. Oui, nous les Forgeard, on les aime les montagnes qui entourent notre village. On fait du fromage de chèvre de père en fils, modestement, parce que c’est tout ce qu’on sait faire. Alors je sais, un élevage de chèvres, c’est pas un couvent du XVsiècle. Mais je pense à mon père, je pense à mon grand-père et je me dis : chaque jour de leur vie – y avait pas de dimanche, y avait pas de vacances – ils se sont levés à quatre heures du matin pour aller pétrir les mamelles de leurs chèvres, faire gicler leur lait, et fabriquer un fromage qui était la fierté du village.

E. de Cize. C’est toujours le cas, Laurent, il est divin, votre fromage. 

L. Forgeard. Merci, Élisabeth. Venant d’une femme raffinée comme vous, je mesure la valeur d’un tel compliment. 

E. de Cize, émue. Il est sincère. 

L. Forgeard. C’est pour ça que je tenais tant à ce changement de nom. Si je partais en voyant Bouquetin-le-Bel reprendre la place qui lui est due, je me dirais que ma vie n’a peut-être pas servi à rien.

E. de Cize. En tout cas, tout ça me fait réfléchir. Pas toi, Jean-Louis ?

J.L. Châlon-Naquet. Si, si, bien sûr…

E Saverne. Dois-je comprendre que la majorité municipale évolue sur le sujet qui nous occupe ?

E. de Cize. Je crois que… il faut reconsidérer la demande de Laurent.

J.L. Châlon-Naquet. Oui, je suis d’accord.

E. de Cize. Tout le village mettra un point d’honneur à célébrer la mémoire de Laurent en rebaptisant notre village Bouquetin-le-Bel-Sainte-Suzanne.

J.L. Châlon-Naquet. Positivement !

L. Forgeard. Alors c’est vrai ? Vous acceptez ?

J.L. Châlon-Naquet. Bien sûr. Nous te le devons.

E. Saverne. Très bien. Je consigne vos déclarations. Je constate que la réunion a atteint son objectif. Dès lors, je vous propose d’y mettre un terme. Je vous remercie toutes et tous pour votre participation. Je dois avouer que je ne pensais pas que nous trouverions une solution si vite…

L. Forgeard. Je… je ne sais pas quoi dire…

O. Blettery, jubilant. C’est un putain de menteur !

J.L. Châlon-Naquet. Quoi ?

O. Blettery, riant. Il a pas du tout de cancer du pancréas !

E. de Cize. Qu’est-ce que tu racontes ?

O. Blettery. La vérité ! Il va très bien, cet enfoiré !

J.L. Châlon-Naquet. Il va très bien ?

O. Blettery. Oh oui, très bien ! Je viens de demander à Nadège : elle n’est au courant de rien !

L. Forgeard. J’en n’ai pas parlé à Nadège.

O. Blettery. Tu as dit que tu en avais discuté avec Nadège.

E. de Cize. Je m’en souviens.

JL. Châlon-Naquet. Laurent, tu nous as raconté des salades ?

L. Forgeard. Pas vraiment.

JL. Châlon-Naquet. Pas vraiment… T’as un cancer, oui ou non ?

L. Forgeard. Auto diagnostiqué !

JL. Châlon-Naquet. C’est pas vrai…

L. Forgeard. J’ai des problèmes de digestion, en ce moment…

O. Blettery. On a cru comprendre…

L. Forgeard. Alors je me suis dit que ça devait être le pancréas…

JL. Châlon-Naquet, s’échauffant par degrés. Dites-moi que je rêve ? Monsieur a la courante et s’imagine qu’il a un cancer ? Tu veux que je te dise, moi, pourquoi t’as la chiasse ? Parce que tu bouffes trop de ta saloperie de crottin !

E. de Cize. Laurent, je trouve ça vraiment déplacé. Nous mentir de cette façon… et tout ça pour un nom de village…

O. Blettery. Comme quoi, l’atelier théâtre t’a vraiment permis de développer tes dons…

JL. Châlon-Naquet. En arriver là, franchement, Laurent, ça me dépasse…

L. Forgeard. Non mais vous allez arrêter de me donner des leçons ? Qui, tout à l’heure, a tenté d’usurper l’identité de Stéphane et de Didier ?

JL. Châlon-Naquet. « Usurper », tout de suite les grands mots…

L. Forgeard. Ben voyons… Alors vous, vous pouvez usurper une identité, c’est pas grave ; mais moi, je me trompe un peu sur mon diagnostic, et là c’est grave !

E. de Cize. Ce n’était pas une erreur, c’était un mensonge !

O. Blettery. Nadège me confirme qu’il ne lui a parlé de rien.

L. Forgeard. Tu sais, Nadège, elle sait pas tout, loin de là !… Mais… euh… (Soudain soupçonneux.) Tu échanges des textos avec Nadège ?

O. Blettery. Hein ? Euh… ben oui…

L. Forgeard. Comment t’as eu son numéro ?

O. Blettery. Je sais plus…

L. Forgeard. Tu sais plus ? Tu récupères le numéro de ma femme, et tu sais plus comment tu te l’es procuré ?

O. Blettery. Elle a dû me le donner.

L. Forgeard. Nadège ? Elle t’a donné son numéro ?

O. Blettery. Voilà. 

L. Forgeard. À quelle occasion ?

O. Blettery. C’est quoi, cet interrogatoire ?

E. Saverne. Il me semble en effet que cette discussion est en train de dévier vers des questions…

L. Forgeard, la coupant. Permettez ! (À O. Blettery .) On ne se connaît pas, on ne se fréquente pas et ma femme te donne son numéro ?

O. Blettery. Oui bah… euh… j’ai pris rendez-vous avec elle… (Le téléphone d’O. Blettery sonne. Il regarde l’appelant, et raccroche.)

L. Forgeard. À la banque ? 

O. Blettery. Voilà ! Pour une demande de prêt et…

L. Forgeard, ironique. Et à la suite de ce rendez-vous, tout naturellement, ma femme t’a donné son numéro ! Bien sûr. Quoi de plus normal ? Moi, c’est pareil : depuis mon contrôle fiscal, le percepteur n’oublie jamais de me faire la bise quand il passe dans le coin !

O. Blettery. Laurent, je ne sais pas ce que tu imagines, mais entre ta femme et moi, c’est purement professionnel.

E. Saverne. Madame Forgeard nous rejoint. (Son téléphone sonne.)

O. Blettery, prenant peur. Bien, euh… je crois qu’on s’est tout dit. On coupe ?

E. Saverne. Monsieur le préfet ? (Elle se lève et disparaît de son écran.)

L’écran de N. FORGEARD apparaît.

N. Forgeard, apparaissant. Ah ! Olivier, mon chéri, qu’est-ce que c’est que cette histoire de cancer ?

O. Blettery. Nadège…

N. Forgeard. Laurent t’a dit qu’il avait un cancer ? N’y crois pas, c’est un piège ! Il doit se douter de quelque chose… 

O. Blettery. Non, Nadège…

N. Forgeard. Écoute : j’ai réservé les billets de train. Après-demain, on part à l’aube et ce péquenot ne pourra plus jamais nous retrouver !

O. Blettery. Nadège… tout le monde t’entend…

L. Forgeard. Hello, chérie…

N. Forgeard, épouvantée. Laurent ?

L. Forgeard. Et oui ! 

N. Forgeard. Tu… tu étais là ?

L. Forgeard. Tu vois ! (Après avoir laissé à N. Forgeard le temps de se décomposer.) Tu n’as pas l’air contente de me voir ?

N. Forgeard, perdue. Mais si !…

L. Forgeard. Tu pars en voyage ?

N. Forgeard. Moi ? Mais non !…

L. Forgeard. Tu parlais de billets de train ?

N. Forgeard. Moi ? J’ai parlé de ?… Ah oui ! Ah mais non… non c’est pas un voyage… c’est… c’est pour Olivier…

L. Forgeard. Mais tu disais « Ce péquenot ne pourra plus jamais nous retrouver ». C’était bien de moi dont tu parlais ?

N. Forgeard. Mais non… mais non… J’ai dû mal m’exprimer… 

L’écran de N. FORGEARD disparaît.

L. Forgeard. Quand je disais que ça faisait des années que les Beaubouquetinois se faisaient baiser par les Suzannais, je croyais pas si bien dire… (À O. Blettery.) Tu vas devoir t’expliquer, mec.

O. Blettery. Laurent, les choses sont simples…

L. Forgeard. Ouais, les choses sont très simples. J’entre chez toi, je tire un coup de chevrotine et l’affaire est close.

O. Blettery. Qu’est-ce que tu racontes ?

L. Forgeard. Je suis là dans une minute. (L. Forgeard se lève, un fusil à la main et disparaît.)

O. Blettery. Laurent ! Laurent ! (Son visage marque l’effroi. Puis, tentant de se rassurer.) Il veut me faire peur…

E. de Cize. Il faut peut-être prévenir la police ?

JL. Châlon-Naquet. Où est Saverne ? Pour nous emmerder, c’est toujours la première. Mais quand on a besoin d’elle, elle se barre !

O. Blettery. Vous saviez que Laurent avait un fusil ?

JL. Châlon-Naquet. C’est un bon chasseur, le Laurent. Je l’ai vu dégommer un lapin fin comme ça à trois cents mètres.

O. Blettery, très inquiet. Ah bon ?

JL. Châlon-Naquet. C’est de famille. Son père, Raymond, l’entraînait souvent quand il était petit.

O. Blettery, de plus en plus inquiet. Merde…

E. de Cize, se voulant détachée. Donc, vous avez quelque chose à vous reprocher ?

O. Blettery. De quoi tu parles ? 

E. de Cize, allusive. Tu le sais très bien… Nadège et toi…

O. Blettery. —Je ne vois pas ce que tu veux dire…

JL. Châlon-Naquet. Quand tu auras le canon de Laurent sous le nez, tu feras moins le malin…

O. Blettery, prenant peur. Vous allez pas le laisser me tirer comme une grive ?

Dans l’écran d’O. BLETERRY, on entend des coups portés sur une porte.

O. Blettery. Il est là…

Dans l’écran d’O. BLETERRY, on entend la voix de L. FORGEARD : « Ouvre ! Je sais que t’es là ! »

O. Blettery. Appelez les flics ! Appelez le préfet !

JL. Châlon-Naquet. C’est pas bien, ce que t’as fait, Olivier…

Dans l’écran d’O. BLETERRY, on entend la voix de L. FORGEARD : « Olivier, ouvre ! »

O. Blettery. Bon, d’accord, j’avoue, c’était une connerie !

E. de Cize. Le terme est faible.

Dans l’écran d’O. BLETERRY, on entend un grand fracas.

O. Blettery. Putain, il est entré !

O. BLETTERY se lève et disparaît de l’écran.

O. Blettery, off. Laurent, je suis désolé… on va rompre, tu sais…

Dans l’écran d’O. BLETERRY, L. FORGEARD apparaît avec son fusil.

L. Forgeard. Fallait y penser avant, charogne.

Dans l’écran d’O. BLETERRY, L. FORGEARD disparaît.

O. Blettery, off. Laurent, je t’en prie… Je t’en supplie, non… Non !

Dans l’écran d’O. BLETERRY, on entend un coup de fusil suivi d’un cri.

E. SAVERNE réapparaît dans son écran.

E. Saverne. Excusez-moi, (Montrant son téléphone .) le préfet. M. Forgeard et M. Blettery sont partis ? Ah… Mme Forgeard nous rejoint.

L’écran de N. FORGEARD apparaît.

N. Forgeard. J’ai une mauvaise connexion ! Euh… Où sont Olivier et Laurent ? (Silence.) Que se passe-t-il ?

E. Saverne. En effet, que se passe-t-il ?

L. FORGEARD, mauvais sourire aux lèvres, réapparaît avec son fusil dans l’écran d’O. BLETTERY.

N. Forgeard. Laurent ? Mais… t’es chez Olivier, là ? Tu as ton fusil ? 

L. Forgeard. Un chasseur ne se sépare jamais de son fusil.

L. FORGEARD disparaît de l’écran d’O. BLETTERY.

N. Forgeard. Qu’est-ce que ça veut dire ? Laurent, qu’est-ce que tu as fait ?

E. Saverne. Quelqu’un voudrait-il m’expliquer ce qui se passe ?

O. BLETTERY réapparaît dans son écran, en larmes.

N. Forgeard, rassurée. Olivier ! Tu as l’air tout chose…

O. Blettery, sous le choc. Il a tiré…

N. Forgeard. Laurent ? Quel salaud ! Tu n’es pas blessé, au moins ?

O. Blettery. —Non. Il a tiré sur mon Lautrec. La toile a littéralement explosé. C’est un massacre.

N. Forgeard. Ne t’inquiète pas, mon amour, on va partir d’ici tous les deux et…

O. Blettery. —Non. Je comptais sur la vente du Lautrec pour prendre un nouveau départ mais… force est de constater que je vais pourrir à Sainte-Suzanne-Bouquetin-le-Bel ou Bouquetin-le-Bel-Sainte-Suzanne ou ce que vous voudrez j’en n’ai plus rien à foutre.

JL. Châlon-Naquet. Oui, eh bien ce sera Sainte-Suzanne-Bouquetin-le-Bel.

E. Saverne. Non. 

JL. Châlon-Naquet. Pardon ?

E. Saverne. J’ai dit non.

JL. Châlon-Naquet. De quel droit vous immiscez-vous dans ce débat ? Vous n’avez pas voix au chapitre !

E. Saverne. Vous non plus.

JL. Châlon-Naquet. C’est trop fort !

L. FORGEARD réapparaît dans son écran avec son fusil et s’assoit.

N. Forgeard. Ah, mon chéri ! Je vais tout t’expliquer.

L. Forgeard. Passe prendre tes affaires. J’ai demandé à Maria de tout mettre devant la grille. 

N. Forgeard. Devant la grille ? Mais…

L. Forgeard. Ta gueule. Quant à vous, Saverne, prenez-en bonne note, notre village s’appellera désormais Bouquetin-le-Bel-Sainte-Suzanne.

E. Saverne. Non. Ni comme ça ni autrement. J’étais au téléphone avec le préfet. Votre village se trouve sur une zone géologiquement instable, menacée d’un glissement de terrain imminent. Autrement dit, Sainte-Suzanne et Bouquetin-le-Bel vont bientôt disparaître sous un éboulement. L’armée est en route et va procéder à l’évacuation immédiate de toute la commune.

JL. Châlon-Naquet. Mais… Qu’est-ce qu’on va devenir ?

E. Saverne. Dans un premier temps, vous serez tous hébergés en logement social à Vaulx-en-Velin.

E de Cize, horrifiée. Un HLM ?

E. Saverne. M. Châlon-Naquet, vous êtes convoqué à une réunion d’État-Major qui vous présentera la stratégie d’évacuation du village. Mesdames, Messieurs, je vous remercie de votre participation à cette réunion. Les échanges ont été fructueux, cependant la question « Quel nom donner au village ? » devient sans objet, étant donné que, selon nos prévisions, d’ici quelques jours, il n’y aura plus de village. Je vous prie de vouloir bien recevoir mes salutations administrativement distinguées.

Tous les écrans s’éteignent.

***

FIN 

DE

 Notre village

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