Monsieur de Barbe-Bleue : quelques informations

Monsieur de Barbe-Bleue est, vous l’aviez deviné, une réécriture. Nous relisions les contes de Perrault et ceux des frères Grimm lorsque nous sommes tombés en arrêt sur celui de « La barbe bleue ». Il nous a paru fascinant en cela qu’il met en scène la naissance du sentiment de culpabilité : l’interdiction. Interdire quelque chose à quelqu’un sous-tend un double postulat : cette personne a désiré un objet et ce désir doit être réprimé. C’est un désir à bannir. Cette situation culpabilisante, dans laquelle se place tout discours d’interdiction, fait écho à une tradition de la flagellation, physique ou morale, présente dans certaines pratiques qui se parent d’un masque de religiosité. Toute religion, en effet, quels que soient son substrat culturel, sa territorialisation, sa langue privilégiée, ses symboles, peut se faire instrumentaliser par un petit nombre cachant une volonté de toute-puissance sous les apprêts d’une rigueur morale. Ce phénomène, qui a connu ces derniers temps une importante recrudescence, s’est couplé avec le retour en force d’une misogynie volontiers théorisée et défendue par quelques-uns comme la condition à laquelle pourrait être restauré un ordre mondial équilibré.

Plutôt donc que de présenter ce conte comme un « récit éternel » reposant sur une pseudo universalité, disons franchement qu’il paraît coller à notre époque où un certain patriarcat donne de la voix, textes sacrés à l’appui. Cette proximité avec l’une des plus agressives maladies du siècle répond à la grande simplicité du conte, dont on sait qu’il puise ses racines dans différents faits-divers mis au jour par plusieurs érudits. Les éléments de merveilleux sont en effet réduits et l’on pourrait presque prendre connaissance de cette histoire en allumant la télévision calée sur une chaine info.

Nous n’avons pas cherché à « théâtraliser » le conte. Au contraire : nous avons développé la voix du récit. Elle nous a semblé d’autant plus importante dans ce conte-là, puisqu’elle renvoie à l’absence du père. Nous n’avons pas non plus cherché à « moderniser » ou à adapter l’univers de référence à nous-ne-savons-quelle-actualité. Au contraire : nous nous sommes glissés, autant que faire ce pouvait, dans le style classique de Perrault, prêtant une grande importance au rythme de la phrase, sans ignorer pourtant le temps de l’écriture, le nôtre. Parfois, pour le simple plaisir de la copie, nous n’avons pas hésité à reprendre mots pour mots certains passages de l’écrivain. Les connaisseurs les reconnaîtront sans peine. 

Nous espérons seulement avoir respecté le trait essentiel du conte : proposer dans une seule histoire plusieurs histoires qui diffèrent en fonction de l’âge, de l’attente et de la sensibilité du lecteur/spectateur.

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