L’imparfait du subjectif

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Et si une simple visite réveillait des secrets que vous croyiez enfouis ?

Accordez-nous moins d’une heure de lecture et plongez votre public dans une comédie à deux personnages, à la fois percutante et pleine d’humour noir (même si vous avez peu de moyens).

Avant de vous en dire plus, on a 3 questions rapides à vous poser :

🆘 Vous en avez assez des pièces où les dialogues manquent de mordant et d’intensité ?
🆘 Vous fuyez les intrigues trop prévisibles où rien ne vous surprend plus ?
🆘 Vous ne supportez plus les personnages fades ?

Si vous avez répondu oui à au moins deux questions, alors lisez vite ce qui suit !

Voici le résumé de L’Imparfait du subjectif :
Louis, directeur d’une institution catholique, s’apprête à passer une soirée tranquille après une journée difficile. Mais l’arrivée inattendue d’Isa, une femme de son passé, bouleverse tous ses plans. Entre révélations et confrontations, les souvenirs ressurgissent, distordus par le temps et les émotions. Une vérité inattendue émerge dans ce duel captivant, où le rire et la tension s’entremêlent.

En accédant au texte intégral de L’Imparfait du subjectif, vous obtiendrez un fichier PDF de 48 pages pour un poids ultra-réduit de 521 Ko, téléchargeable sur votre ordinateur, votre tablette, votre téléphone, et imprimable sur n’importe quel support. La mise en page vous permettra de noter sur le texte toutes les indications et notes de régie que vous jugerez utiles.

Avec L’Imparfait du subjectif, vous découvrirez :

✅ Une pièce concise et puissante : un format idéal pour captiver votre public sans temps mort.
✅ Des rôles tout en démesure : un défi pour deux comédiens prêts à explorer les limites de leur art.
✅ Un décor minimaliste : un fauteuil, un guéridon, quelques verres, pour une mise en scène simple et efficace.
✅ Une intrigue riche en surprises : des dialogues incisifs qui tiennent le spectateur en haleine jusqu’à la dernière réplique.
✅ Un regard acerbe sur la mémoire et les relations humaines : cette pièce provoque une prise de conscience sur les aspects les plus noires de l’humanité

Attention : déconseillé aux Compagnies chatouilleuses sur la religion catholique.

La pièce a été créée par Les Débutants en novembre 2023.

Intéressé(e) ? Téléchargez gratuitement le texte intégral de L’Imparfait du subjectif et laissez votre public explorer les méandres du passé et de la mémoire dans cette comédie dramatique captivante.



Le défi d’écriture de L’Imparfait du subjectif était de construire une pièce d’une heure avec seulement deux personnages. Certes, l’exercice avait déjà été réalisé avec Collision. Mais il fallait en quelque sorte renouveler l’exploit. Dans une pièce avec sept ou huit personnages, le nombre de personnages en lui-même est un facteur d’action et de rythme. Facteur d’action d’abord : chacun·e peut être doté·e d’un désir et par conséquent engendrer une intrigue. Facteur de mouvement, ensuite : chacun·e, par le simple fait qu’il entre en scène ou s’éclipse en coulisse, amène de la vie. Dans une pièce à deux, il en va autrement. Les lignes de désir ont tendance à se restreindre et les entrées et sorties se limitent. Pour que l’action puisse se développer, on a donc utilisé la technique du secret. Chaque personnage porte ainsi en lui divers secrets, qui vont être progressivement dévoilés durant la pièce. L’écriture consiste donc à dissimuler des informations stratégiques et à les exposer au meilleur moment. Chaque révélation va peser sur l’action et la relancer dans une direction différente de celle où elle était engagée auparavant. 

La pièce a été créée par Les Débutants en novembre 2023. Pour plus d’information, lisez l’article de blog que nous avons consacré à cette production.

Texte intégral de L’Imparfait du subjectif à lire ou à imprimer

Le décor

Un fauteuil Voltaire. Juste à côté : un guéridon sur lequel sont posées bouteilles et verres.

Personnages

Louis.

Isa.

Louis, off. Chérie ! Chérie ? (Paraissant .) Chérie ? Chérie, je suis là ! Mais où elles sont ? (Téléphonant .) Allô chérie ? Vous êtes où ? Pourquoi tu chuchotes ? Ah c’est vrai ! j’avais complétement oublié… Au fait, Mong a repassé ma chemise blanche ? Et tu lui as dit qu’elle n’oublie pas de… Ah oui, pardon… c’est commencé depuis longtemps ? Trois quarts d’heure ? (Après une courte réflexion.) Le temps d’arriver, ce sera fini. Oui, je suis déjà rentré, le conseil de discipline n’a pas traîné. Le jeune homme a écopé d’une exclusion définitive. J’espère que ça lui mettra du plomb dans la tête. De toute façon, vis-à-vis des parents d’élèves, je ne pouvais pas faire autrement. Ça fait trois ans que j’essaie de redorer le blason de Sainte-Blandine, mais c’est pas encore gagné. Tu le sais très bien… c’est à Notre-Dame des Victoires que tout le monde veut inscrire ses mômes, pas chez nous. D’ailleurs Yves me tacle assez souvent sur le sujet avec des vannes du style : « J’ai encore dû refuser 15 inscriptions, alors je te les ai envoyées ». Tu sais comment on nous appelle, dans le diocèse ? La poubelle de Notre-Dame des Victoires… Je t’assure… C’est pour ça qu’il fallait que ce petit con soit viré. Excuse-moi pour le petit con, mais c’en est un. Je te raconterai… Hein ? C’est l’Ave Maria qui commence ? Je te laisse. Vous serez là d’ici une bonne heure ? Très bien. À tout à l’heure, ma chérie, Je t’embr… (Il s’interrompt.) Allô ? Allô ? (Dépité, il range son téléphone et s’agenouille, mains jointes. Au Ciel .) Merci, mon Dieu, pour ce conseil de discipline efficace. Merci également pour ce court moment de calme, après cette journée houleuse. (Revenant à lui .) Et maintenant, profitons un peu !… (Il s’assoit dans le fauteuil.) Ah… c’est bon… (Il débouche la bouteille de whisky.) C’est pas très raisonnable… (Au Ciel .) Mon Dieu, Vous en pensez quoi ? Oui, c’est juste, si l’alcool était si mauvais que ça, Jésus n’aurait pas changé six jarres d’eau en six jarres de vin ; je suis bien d’accord avec Vous. (Il se sert un verre de whisky. Au Ciel .) À la Bonne Vôtre. (Il s’apprête à boire lorsque son téléphone sonne. Regardant son écran, crispé .) Yves ? Qu’est-ce qu’il me veut, celui-là ? (Répondant, tout miel .) Yves ! Mais quelle bonne surprise ! Comment vas-tu, mon grand ? Pas du tout, c’est toujours un plaisir de t’avoir au téléphone… Je pensais justement à toi. Je me disais « ça fait trop longtemps que je n’ai pas eu des nouvelles de Yves » … (Perdant son sourire .) Quoi ? Comment ça, tu ouvres le Bachelor à la rentrée prochaine ? Putain, Yves, on s’était mis d’accord : on avait dit qu’on faisait le Bachelor à Sainte-Blandine, mais qu’on vous réservait la moitié des places. De toute façon, t’as jamais pu me blairer. Oh arrête ! Déjà, en terminale, tu adorais me mettre des bâtons dans les roues. Mais si… je m’en souviens très bien ! … (Désignant son cerveau .)C’est gravé là. Quoi ? Attends… Répète ? « Le passé, c’est la meilleure invention du présent » ? Je ne comprends pas. J’invente, peut-être ? Je réécris le passé, c’est ce que tu veux dire ? Ah, c’est censé me faire réfléchir… Et toi, est-ce tu as réfléchi ? Quoi, une opportunité ? Mais j’en n’ai rien à cirer, moi, de ton opportunité ! Oh, je te parle comme je te parle… Franchement, c’est ce que j’appelle un joli coup de pute. (Au Ciel .) Pardon, mon Dieu. (À Yves .) Tu l’emporteras pas au paradis… Ça te fait rire ? Alors écoute ça : tu sais que Magellan veut venir chez moi ? Si ! Il en peut plus de ton management de sous-cardinal. Il est prêt à faire une croix sur la prépa. Je le reçois en entretien jeudi. J’avais demandé à Élodie de lui… Élodie, mon assistante, je lui avais demandé de donner un rendez-vous à Magellan pour lui dire non poliment, mais finalement, plus j’y pense, et plus je me dis que je vais accepter sa candidature. Et tu sais ce qui va se passer ? Si Magellan vient chez moi, ta prépa se casse la gueule. Tu veux que je te mette les points sur les i ? En clair : tu ouvres ton Bachelor, je nique ta prépa. Ah j’ai pas le droit ? Révise ton Ancien Testament, ça s’appelle la loi du Talion, ducon. (Il raccroche. Au Ciel .) Pardon mon Dieu mais, ce que fait Yves, Vous avouerez que c’est pas très chrétien… (Soudain, se regard accroche l’accoudoir du fauteuil.) Regardez-moi ça… ça part comme un rien, ça… camelote…

Isa paraît.

Louis. Qui êtes-vous ? 

Isa. Une seconde…

Louis. Comment Une seconde ? C’est une propriété privée, ici.

Isa. Je sais…

Louis. Et vous vous en vantez ? Apprenez que vous êtes chez moi.

Isa. Je le sais aussi…

Louis. Décidément, vous savez tout ! Alors vous savez sans doute que vous êtes en train de commettre une effraction ?

Isa. Une effraction, tout de suite les grands mots…

Louis. Ce n’est pas de la grandiloquence, mais de l’exactitude.

Isa. C’est bien toi, il n’y a pas de doute…

Louis. Non mais dites donc ? Je ne vous permets pas de me tutoyer.

Isa. C’est pas vrai… Tu m’as pas reconnue ?

 Louis. Vous reconnaître ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

Isa. Allez, Louis…

Louis. Mais comment… comment connaissez-vous mon prénom ?

Isa. C’est moi, Isa.

Louis. Isa ? Désolé, mais je ne vois vraiment pas qui vous…

Isa. Isabelle. Isabelle Carouge. Terminale L.

Louis, avec sidération. Isa ? Non… c’est pas possible…

Isa. Et si…

Louis. Mais c’est fou !… Mais qu’est-ce qui s’est passé ?

Isa. Vingt ans.

Louis, la regardant et semblant comprendre. Ah mais c’est ça !

Isa, prête à s’offusquer. Quoi, c’est ça ?

Louis, essayant de se rattraper. Eh ben c’est ça… c’est ça que je t’ai pas reconnue tout de suite. Le temps que je… (Il fait le signe de fils qui se connectent.)

Isa, résignée. Bon allez, dis-le, j’ai changé.

Louis. Mais non…

Isa. Mais si…

Louis, avec autorité. Je te dis que non ! Oh !… Tu n’as pas changé, ce n’est pas le terme. Tu as carrément muté. Je te débarrasse ? (Il prend la veste d’Isa.)

Isa. En tout cas toi, tu n’as pas changé. Tu ne vieillis pas.

Louis. C’est ce que je me dis tous les jours. Et plus les jours passent, plus j’ai l’impression de ne pas vieillir. En fait, ce n’est pas moi qui vieillis, ce sont les autres qui rajeunissent. D’ailleurs, à chaque fois que je mets le journal télé, le gars ou la fille est encore plus jeune que la veille. Ils les prennent à quel âge, maintenant ? 14 ans ?

Isa. Je te retrouve… Tu me fais toujours autant marrer. Tu te souviens ? tu m’imitais Albin dans la grande scène de la biscotte. Je m’y croyais !

Louis, imitant Michel Serrault.  « Ah zut ! J’ai encore cassé ma biscotte ! »

Isa, entrant dans le jeu. C’est pas grave, Albin !

Louis, arrêtant de jouer, la regardant, gêné.  Mais non, Isa, c’est moi, Louis.

Isa, gênée également et changeant de sujet. Qu’est-ce que c’est bien rangé chez toi.

Louis.  Quand j’arrive le soir, la maison me dit : « range-moi, s’il te plaît, range-moi ! Mets les objets dans les tiroirs, les couverts dans les placards, les papiers dans les corbeilles, passe la paille de fer et la cireuse, fais-moi briller ! » (Regardant Isa qui le regarde bizarrement.) La maison ne me dit pas vraiment ça. C’est une image.

Isa, regardant autour d’elle. En tout cas, c’est impressionnant…

Louis. C’est vrai, tu aimes ?

Isa. Tu sais que j’adore les films d’horreur, donc là je suis comblée !…

Louis. Comment as-tu trouvé le chemin ?

Isa. Tu es dans l’annuaire. 

Louis, souriant jaune. Ah oui ! J’avais oublié…Quand on est dans l’annuaire, c’est ça qu’est bien, n’importe qui peut passer à l’improviste…

Isa. Tu es proprio ?

Louis. Oui. Enfin, ma femme.

Isa. Tu es marié ? 

Louis. Ce sont des choses qui arrivent.

Isa. Je la connais ?

Louis. Oui. 

Isa. Qui est-ce ?

Louis. Anne-Sophie.

Isa. Anne-Sophie ?

Louis. Anne-Sophie de Jonzac.

Isa. Anne-So ? Cette mijaurée qui faisait du polo ?

Louis. C’était du golf. Anne-Sophie vaut mieux que les moqueries dont on la gratifiait.

Isa. On était jeunes.

Louis. On était cons. 

Isa, approuvant. Ça… Mais tu es seul ?

Louis. Anne-So et les filles sont sorties.

Isa. Les filles ?

Louis. Nous avons deux filles. 

Isa. Deux ?

Louis. Des jumelles. Léonie et Hortense.

Isa. Des jumelles ? Ça a dû être quelque chose, l’accouchement… Pas trop dur ?

Louis. Si très. Très dur. Heureusement, Anne-Sophie a su me soutenir pour que je passe ce cap difficile en douceur. Je croyais que tu n’étais plus dans la région ? 

Isa. Je suis revenue il y a peu. Tu vois, je fais le tour des popotes. 

Louis. Je suis une popote ?

Isa. La dernière : j’ai gardé le meilleur pour la fin. L’autre jour, je suis passée chez Flo. Il n’avait pas l’air spécialement content de me voir.

Louis. Oh que je le comprends !

Isa. Merci pour moi !

Louis. Parfois, quand notre vie n’est pas reluisante, on n’a pas envie de l’exposer à quelqu’un qui revient du passé. C’est peut-être le cas de Flo.

Isa. Peut-être…

Louis. Faut dire que son café… comment il s’appelle, déjà ?

Isa. Euh… L’Improbable.

Louis. L’improbable, c’est ça… ça lui va bien… 

Isa. À Flo ?

Louis. Au café ! Quel bouge…

Isa. C’est un peu ce que je me suis dit, c’est vrai.

Louis. Et tu visites toujours tes popotes à cette heure-ci ?

Isa. J’ai pensé que tu devais être chez toi. Quand j’ai vu la lumière, je n’ai pas hésité. C’était ouvert.

Louis. Ouvert ?

Isa. Pas la porte principale, celle de la cuisine.

Louis. Mong !

Isa. Mong ?

Louis. Notre bo… notre employée de maison. À chaque fois, elle oublie de fermer la porte… (À part .) Elle va m’entendre, celle-là… (Haut .) Ça t’arrive souvent d’entrer chez les gens comme ça ?

Isa. J’avais très envie de te voir…

Louis. Je peux t’offrir quelque chose ?

Isa. Je ne veux pas m’imposer.

Louis, ironique. Non, bien sûr. C’est pour ça que tu rentres par-derrière quand la porte principale est fermée. C’est parce que tu ne veux pas t’imposer. Anne-So et les filles ne seront pas là avant une bonne heure : ça nous laisse un peu de temps.

Isa. Ça t’emmerderait qu’elle me trouve ici, hein ?

Louis. Tu la connais. Elle s’imaginerait tout de suite des choses…

Isa. Toujours aussi jalouse ? Ne t’inquiète pas, je serai partie avant son retour.

Louis. Je te sers une chartreuse ?

Isa. Tu as une bonne mémoire…

Louis. Assieds-toi.

Isa s’assied dans le fauteuil pendant que Louis sort un tabouret pliant de derrière le fauteuil. Puis il lui sert un verre.

Isa. Je peux prendre un tabouret aussi.

Louis, lui faisant un signe négatif. Anne-So se couche tôt. Moi, j’aime bouquiner. Pourquoi acheter deux fauteuils ?

Isa. Je reconnais là ton sens pratique.

Louis, lui tendant son verre, sans grand enthousiasme. Bon bah… À nos retrouvailles ?

Isa, tendant également son verre, l’œil pétillant. À nos retrouvailles !

Ils trinquent.

Louis. Qu’est-ce que tu deviens ?

Isa. Je bricole.

Louis. Tu habites Villiers ?

Isa. Oui. On va sûrement se croiser de temps en temps : c’est une petite ville.

Louis, se réjouissant faussement. Hin !

Isa, s’amusant. Génial, hein ? J’étais sûre que ça te ferait plaisir.

Louis, continuant à feindre – mal – la joie. Mais oui, quelle bonne nouvelle…

Isa. D’ailleurs si tu veux passer nous voir… Tu connais le chemin. 

Louis. Je connais ?

Isa. Je n’ai pas changé d’adresse. 

Louis. Aux Fougères ?

Isa. Oui.

Louis. Quelles nouvelles de ta mère ?

Isa. Toujours petite fonctionnaire des impôts. La retraite l’année prochaine.

Louis. Tu lui diras que je ne la félicite pas.

Isa. Pourquoi ?

Louis. On a beaucoup taxé ces derniers temps. Et qui trinque, encore une fois ? Les hauts revenus ! Ce n’est pas comme ça qu’on va leur donner envie d’investir…

Isa, sortant un papier. Justement, à ce sujet : tu gagnes plus de 40 000 par an ?

Louis. Moi ? Jamais de la vie ! Tu es folle ? Je suis simple chef d’établissement scolaire… qu’est-ce que tu t’imagines ?

Isa. Ah dommage… Parce que ceux qui gagnent plus de 40 000 par an vont avoir une réduction drastique de leur taxe foncière.

Louis, lui prenant le papier des mains. Donne-moi ça ! Bien sûr que je gagne plus de 40 000 par an… Tu remercieras ta mère.

Isa. J’habite chez elle.

Louis, surpris. Ah.

Isa. C’est temporaire. Le temps de trouver un local pour mon salon.

Louis. Ton salon ?

Isa. Je suis masseuse.

Louis, horrifié. Masseuse ?

Isa. Oui. (Allusive .) D’ailleurs si tu as besoin d’un moment de détente… Appelle-moi… (Elle lui laisse une carte.)

Louis, prenant la carte. Isa massage ? 

Isa, gentille. Je te ferai un prix.

Louis, rangeant la carte. Merci, j’y penserais… Tu as quelqu’un en ce moment ?

Isa. Personne. Mais je me suis fait une raison.

Louis, essayant d’être gentil. Chaque pot a son couvercle.

Isa.  Je suis comme une bagnole des années 1980. Vieille. Pas assez pour être une pièce de collection, mais suffisamment pour plus être cotée à l’argus. 

Louis, idem. C’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes.

Isa.  Sauf quand le pot est resté trop longtemps sur le feu.

Louis, idem. Il n’est métal si dur que le feu n’amollisse.

Isa. Ça va peut-être aller, les proverbes chinois ? (Regardant la maison.) Ça marche bien pour toi.

Louis, faussement modeste. On fait aller.

Isa, montrant la maison. On fait plus qu’aller.

Louis. Je suis directeur de Sainte-Blandine.

Isa. Je sais. T’as suivi le chemin de Yves. Lui aussi, il est directeur d’établissement catho, non ? Notre-Dame des Victoires, c’est ça ?

Louis, dont le visage se rembrunit. Oui…

Isa. C’est plus coté que Sainte-Blandine…

Louis, agacé. Bof, tu sais, c’est très surfait…

Isa. Tu dois en connaître, du beau monde. Hein ? Le président du conseil régional ? Le préfet ? Allez, fais-moi rêver !

Louis. Oh non, je n’aime pas du tout jouer à celui qui a des relations, juste pour épater la galerie. J’en parlais encore hier soir, en buvant un scotch avec le ministre.

Isa. Le ministre ? Le ministre de l’éducation ?

Louis, confidentiel. Changeons de sujet…

Isa. Toi, directeur de Sainte-Blandine… au début, je ne voulais pas y croire…

Louis, se crispant. Ah oui ?

Isa. Quand on y était, on disait assez de conneries sur les curés.

Louis, les mains jointes, au Ciel. Pardonnez-la, mon Dieu.

Isa. Je rêve ou tu viens de parler à Dieu ? Wouah… ça va plus loin que je pensais… Moi, Dieu, la Vierge, Jésus, (Elle prononce « Jésusse ».) j’ai jamais pu…

Louis, après un bref silence. Pardon ?

Isa. Je dis, j’ai jamais pu…

LouisT’as jamais pu quoi ?

Isa. Toutes ces bondieuseries.

Louis, voulant la faire répéter. Dieu, la Vierge et ? …

Isa. Et Jésusse.

Louis, après un nouveau silence. Jésusse ?

Isa. Ouais, Jésusse.

Louis, sans comprendre. Jésusse, euh… ?

Isa. Jésusse Christ !

Louis.  Ah Jésus ! Jésusse… (La corrigeant .) Jé-sus !

Isa. Oui oh, tu sais, hein, je suis pas pratiquante…

Louis. Il ne s’agit pas d’être pratiquante, il s’agit d’avoir un minimum de culture générale…

Isa. C’est bien une réflexion de catho, ça.

Louis. Écoute, si t’es venue pour me titiller sur la religion…

Isa. Mais non, c’est bon… Simplement, je suis surprise. Mets-toi à ma place : je parle bien au gars qui était élève de terminale à Sainte-Blandine et qui, en cours de caté, a dessiné une moustache à la Vierge Marie ?

Louis. Moi ? Jamais !

Isa. Je m’en souviens parfaitement.

Louis. Pas du tout.

Isa. Je te dis que si !

Louis. Et moi je te dis que non ! Je n’ai jamais dessiné des moustaches à la Vierge. J’ai mis du rouge à lèvres sur son nez…

Isa. Ah oui c’est vrai ! ça lui faisait une belle tronche de pochtronne !

Louis, les mains jointes, au Ciel. Marie, Sainte Mère de Dieu, Pardonnez-lui, elle ne sait pas ce qu’elle…

Isa. Quand je pense à Bardet, notre dirlo… 

Louis. C’était pas Bardet mais Barbey.

Isa. Oui, Barbey… ce que tu lui en as fait baver… (Le regardant, incrédule .) Toi ? Tu es devenu 100% catholique ? Et tu vas à la messe tous les dimanches ?

Louis. Oui.

Isa. Pas possible…

Louis.  La messe, on en fait toute une histoire, mais finalement, qu’est-ce que c’est ? Un moment pour être avec le Christ. Tu bois du vin, son sang et tu manges une hostie, son corps.

Isa.  C’est comme un apéro avec un pote. Sauf que là, tu bouffes ton pote.

Louis.  Ta mère n’est pas croyante du tout ?

Isa.  Pas du tout.

Louis.  Pourquoi elle t’avait inscrite à Sainte-Blandine ?

Isa.  Parce qu’elle pensait que c’était mieux que le public ! Mon père, par contre, était très pratiquant.

Louis. Ah oui ?

Isa.  Il priait beaucoup, surtout la nuit.

Louis. Tiens ?

Isa.  Saint-Julien, Saint-Estèphe, Saint-Émilion…

Louis. Moque-toi… 

Isa, n’en revenant pas.  Louis, à la messe, tous les dimanches…

Louis. Que veux-tu ? J’ai eu une illumination.

Isa, rigolarde. Toi ? Une illumination ? Quand ? En voyant le portefeuille du père d’Anne-Sophie ?

Louis, se levant. Je ne tolèrerai pas que tu remettes en cause ma foi. Et si la conversation continue sur ce ton, je me verrai dans l’obligation de…

Isa. T’en avais marre de Sainte-Blandine. Cet entre-soi, cet élitisme, ça te débèquetait… 

Louis. Tu exagères…

Isa. Oh non !

Louis. Oh si ! Mais c’est vrai que ça me pesait… Et puis… je me suis rendu compte par la suite que… je maîtrisais les codes. Les bons, je veux dire. Ceux qui font réussir. 

Isa. Les bons codes ?

Louis. Les bons codes, oui. La bonne façon de s’habiller, de parler, d’agir… (Se reprenant .) La bonne façon… (Trouvant ce qu’il veut dire .) La façon qui ouvre toutes les portes. Et ça, je le devais à Sainte-Blandine. Alors j’ai eu envie de rendre ce que j’avais reçu.

Isa. Et de le proposer à la jeunesse d’aujourd’hui contre rétribution.

Louis. Pourquoi pas ? Une clef pour accéder aux étages les plus élevés de l’ascenseur social, ça a de la valeur. Quand on vient de Sainte-Blandine, pour la suite, ça aide… 

Isa. Et ceux qui rentrent pas dans le moule, on les vire ?

Louis, inquiet. Je ne vois pas où tu veux en venir.

Isa, retenant les chiens. Ah tu vois pas où je veux en venir ?

Louis, de plus en plus inquiet. Non…

Isa. Je suis la mère de Raphaël.

Louis, après temps. Comment ? 

Isa. Vous venez bien d’exclure définitivement un élève en conseil de discipline ? 

Louis. Euh… oui…

Isa. Un élève qui se prénomme Raphaël ?

Louis. C’est exact…

Isa. Je suis sa mère. 

Louis. Qu’est-ce que tu racontes ?

Isa. La vérité.

Louis. Mais… mais je ne me souviens pas avoir eu connaissance de… ce n’est pas toi qui as inscrit Raphaël ?

Isa. C’est ma mère qui est venue avec lui. Elle y tenait. Mais Raphaël est mon fils. Raphaël Carouge, notre nom de famille.

Louis. Raphaël Carouge… Carouge comme toi ! Oh putain…

Isa. Comme tu dis…

Louis. Je comprends mieux pourquoi tu débarques à cette heure-ci…

Isa. L’heure idéale pour discuter de Raphaël.

Louis. Discuter de Raphaël ?

Isa. Je veux que tu reviennes sur ta décision.

Louis, n’en croyant pas ses oreilles. Mais… mais c’est impossible… question de principe…

Isa. Je n’ai pas pu être présente lors du conseil de discipline.

Louis. J’ai remarqué. D’ailleurs tout le conseil l’a remarqué. 

Isa. Désolée, mais je dois aller travailler tous les jours. Je ne vis pas encore de mes rentes, comme la plupart de tes parents d’élèves.

Louis. Toujours est-il que ça n’a pas été du meilleur effet.

Isa. Je terminais un client.

Louis, outré. Tu terminais un client ?

Isa. Un habitué. Il m’avait demandé la totale. Il était dix-huit heures et j’avais pas encore attaqué les finitions, alors…

Louis, au supplice. Épargne-moi les détails, s’il te plaît.

Isa. Résultat : je n’ai pas pu parler. Vous manquez d’éléments, vous ne connaissez pas le contexte. C’est très important le contexte, au-delà des faits. 

Louis. En l’occurrence, les faits parlent d’eux-mêmes.

Isa, minimisant. Oh lala… c’est pas si grave…

Louis. Pas si grave ? On ne doit pas avoir la même notion de la gravité.

Isa. Des bêtises d’ado…

Louis. Des bêtises d’ado ? Ton fils a insulté son professeur d’histoire naturelle, Mme Eberhardt. 

Isa. Raphaël a voulu faire une blague…

Louis. Une blague ? Et ce qu’il a fait après ? C’était une blague aussi ? Mettre la tête de Mme Eberhardt dans la cuvette des toilettes ? La prendre en photo et la faire tourner sur Snapchat en l’agrémentant d’un Eberhardt la pute, c’était encore une blague ? (Ironique .) Mais que c’est drôle, mon Dieu que c’est drôle ! Attends, je ris : ha ! ha ! ha !

Isa. On dirait que tout est la faute de Raphaël…

Louis. Parce que c’est pas sa faute ? Et c’est la faute de qui ? La nôtre, peut-être ? (À la manière d’une news télé .) « Il plonge la tête de sa prof dans une cuvette remplie de merde. Encore un évènement tragique qui démontre que dans les établissements scolaires, on manque cruellement de personnel de nettoyage. »

Isa. Louis, je fais appel à ta compréhension, à ta miséricorde… La miséricorde, c’est bien une valeur catholique, non ? (Louis ne répond rien.) Non ?

Louis. Bien entendu…

Isa. C’est même tout l’enseignement de Jésusse.

Louis. Jésus, pas Jésusse…

Isa. Tu le sais bien, il y a toujours des brebis égarées. 

Louis. T’as trouvé ça en regardant Le Jour du Seigneur ?

Isa. Alors, la miséricorde, ce n’est qu’un mot ? Un son vide de sens ?

Louis, voulant en finir. Tu prêches dans le désert.

Isa. Je prêche comme chaque mère devrait prêcher pour son fils. 

Louis. Définir les règles, sanctionner en cas de manquement, c’est la base de toute…

Isa. On est au XXIe siècle.

Louis. Encore heureux ! Encore heureux pour toi et surtout pour ton fils !  Sainte-Blandine a été fondée en 1643, par des jansénistes d’appellation d’origine contrôlée. Tu sais comment ils auraient traité ton fils ? « Mon père, voici Monsieur Raphaël Carouge. Eh oui… Encore Carouge, toujours Carouge !  Qu’a t-il fait cette fois-ci ? Il a plongé la tête de l’abbesse Eberhardt dans son pot de chambre. Comment pouvons-nous aider ce jeune homme à reprendre ses esprits ? Mais oui, mon père, très bonne idée. Alors, si je puis me permettre, partageons-nous les tâches : moi, je vais chercher la croix, vous le marteau et les clous. »

Isa. Ça ne t’est jamais venu à l’idée que ce qui ferait du bien à Sainte-Blandine ça serait un peu de… 

Louis. Un peu de ?

Isa. Un peu de souplesse.

Louis. Quand j’entends le mot « souplesse », j’ai envie d’aller chercher ma cravache.

Isa. Voilà ce qui nous sépare et ce qui nous séparera toujours. Je vois la discipline comme une punition alors que tu vois voit la punition comme une discipline. 

Louis. Dans un lycée catho, il y a une certaine exigence d’éthique.

Isa. Des quoi ?

Louis. D’éthique !

Isa, ironique. D’éthique ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Moi, tu sais, je ne connais pas : je suis pas catho. Par contre, toi, tu vas à la messe tous les dimanches ? alors tu sais. Le pardon, la générosité, l’accueil de l’autre, c’est ton rayon, non ?

Louis.  Tu as raison. Fais une pirouette. Ça te permet de ne pas répondre sur le fond.

Isa. D’accord, Raphaël a commis une erreur, mais en ce moment, ce n’est pas simple… à la maison, je veux dire, et dehors, aussi… Il traîne avec un type… Toni, il s’appelle… Il embarque toujours Raphaël dans des coups pourris… Le café de Flo, L’improbable, ils y sont toujours fourrés… à discuter avec les poivrots du coin…

Louis. Raphaël en a parlé à notre assistante sociale. Et nous avons pris le temps de peser le pour et le contre. Ce sont des éléments qui permettent d’expliquer la situation, mais pas de l’excuser. Si la décision du Conseil ne te convient pas, dépose une demande d’appel auprès de la direction diocésaine.

Isa. Mais qu’est-ce que je vais faire de lui?

Louis.  Je connais un bon internat.

Isa. Un internat ? Jamais !

Louis.  L’internat, on en retire toujours quelque chose : une certaine expérience de la vie en collectivité, de l’autonomie, de la masturbation…

Isa. C’est où, ton internat ?

Louis.  À Lausanne.

Isa. Trop loin ! À ton avis, qu’est-ce qu’il lui faut, à Raphaël ?

Louis.  Comme j’aime à dire, pour éduquer la jeunesse d’aujourd’hui, il n’y a que deux solutions : la morale – le lycée catho – ou la force – le lycée militaire.

Isa. Ce ne sera ni l’un ni l’autre : le militaire baise la morale de force et la morale du catho c’est je me force pour la baise, alors…

Louis.  J’ai le sentiment que cette discussion a quelque chose de… fini. (La congédiant .) Bonne fin de soirée.

Isa. Fini ? Sûrement pas !

Louis.  Ce n’est pas avec moi qu’il faut discuter, mais avec le père de ce jeune homme. S’il en a un, bien entendu… 

Isa. C’est ce que je fais. 

Louis.  Pardon ?

Isa. C’est ce que je fais. Tu me recommandais de discuter de tout ça avec le père de Raphaël ?

Louis.  Oui.

Isa. C’est ce que je suis en train de faire.

Louis, la dirigeant vers la sortie. Eh bien tant mieux. 

Isa. Non non, je pense que t’as bien saisi : c’est ce que suis en train de faire, là, maintenant.

Louis. Excuse-moi mais il est tard et je ne comprends rien de ce que tu racontes…

Isa. Je suis en train de discuter de Raphaël avec son père, en ce moment même. (Un temps. Louis ne semble toujours pas comprendre.) Parce que… le père de Raphaël… c’est toi.

Louis, après un temps, avec un rire forcé. Ha ! Ha ! Très drôle. (Lui montrant la sortie .) Et maintenant, si tu veux bien…

Isa. Raphaël est ton fils, comme le fils de Dieu est Jésusse !

Louis, articulant. Jé-sus ! C’est quand même pas compliqué à prononcer, merde !

Isa. Raphaël est ton fils.

Louis. Isa, tu sais très bien que c’est impossible.

Isa. Impossible ?

Louis. Il est impossible que Raphaël soit… (Il ne termine pas.)

Isa. Impossible ? Impossible que Raphaël soit ton fils ?

Louis. Comment veux-tu ?

Isa, un sourire aux lèvres. Comment je veux ? T’as la mémoire courte. Je vais te la rafraîchir. Tu te souviens de la soirée chez Flo ?

Louis, serrant les dents. De quoi tu parles ?

Isa. Tu sais très bien de quoi je parle. La soirée que Flo avait organisée dans la cabane de ses parents, au bord du lac, la veille des résultats du bac. 

Louis, se sentant menacé. Et alors ?

Isa. On avait beaucoup bu. Notre première vraie cuite. Ça te revient ?

Louis, voulant en finir. Oui ! Et après ?

Isa, prenant son temps. L’alcool, ça désinhibe. Ça a tendance à rapprocher les gens. C’est ce qui s’est passé pour toi et moi. Plus la soirée avançait, plus les verres se vidaient, et plus on devenait proche…

Louis, gêné. Hum… oui… peut-être…

Isa. Peut-être ? Et quand tu m’as pris la main pour aller faire un tour à la belle étoile, on n’était pas proche ?

Louis, prenant peur. Si, si, ne crie pas comme ça…

Isa. On est monté en haut de la colline. La cabane de Flo, en bas, elle nous paraissait toute petite.

Louis, souriant soudain. Oui, ça me revient…

Isa. Quand même ! On entendait la musique qui montait, assourdie… Et au-dessus de nous, splendide, la pleine lune.

Louis, nostalgique. Ah oui… c’était magnifique…

Isa. On était ivre, on était jeune, on était beau…

Louis. C’est vrai que j’étais pas mal…

Isa. Merci pour moi !

Louis. Toi aussi, t’étais bien…

Isa. Sûrement. Sûrement un petit peu quand même… parce qu’à un moment, sur la musique, on s’est rapprochés.

Louis. On s’est rapprochés ?

Isa. Tu ne t’en souviens pas ?

Louis. J’avoue… (Isa fait jouer un vieux slow.) Ah si !

Isa. Tu m’as prise dans tes bras.

Louis. Je t’ai ?… (Elle s’est exécutée.)

Isa. Et on a dansé.

Louis. Allons bon … 

Ils dansent.

Isa, au bout d’un temps, alors que Louis ne pose pas les mains sur elle. Je te sens très loin.

Louis, gêné. Loin ? Oh non. Non, non. J’essaye d’avoir un minimum de classe, mais si tu préfères la grosse cavalerie… 

Isa, au bout d’un temps, alors que Louis ne la tient qu’en s’agrippant à ses vêtements. J’ai comme l’impression que tu es tendu.

Louis. Moi, tendu ? Oui, c’est possible, avec la journée que j’ai eue.

Isa. Profite de l’instant. C’est tout de même inattendu. Il y a une heure, si on m’avait dit qu’on danserait ensemble, je n’y aurais pas cru.

Louis. Ah ça, moi non plus…

Louis, soudain inquiet et jetant des regards à droite et à gauche, entraîne progressivement Isa dans le coin où ils seront le moins visibles.

Isa. Où tu nous emmènes ?

Louis, faux-jeton. J’avais envie d’intimité.

Isa, pas convaincue. C’est plus de l’intimité, c’est du camouflage.

Louis. Les voisins vont nous voir.

Isa, le lâchant. Oh ! et après ? 

Louis. Excuse-moi, mais cette proximité, ça me…

Isa. T’as pas toujours dit ça, surtout cette nuit-là.

Louis. Surtout cette nuit-là ?

Isa, commençant à s’énerver. Ouais, surtout cette nuit-là. Bien au contraire !

Louis. Bien au contraire ?

Isa. Ouais, bien au contraire, parce qu’après avoir dansé collés-serrés, on s’est jeté dans les fourrés, et on a… (Elle s’arrête là.)

Louis, son sourire s’éteint lentement et laisse la place à une expression d’effroi. Oh non… (Question rhétorique .) Je n’ai pas compris ? (S’échauffant par degrés.) C’en est trop pour aujourd’hui !  … (Criant .) Mais dis-moi que ce n’est pas vrai ? (Un léger temps, mais toujours dans un cri.) On n’a quand même pas couché ensemble ?

Isa, affirmative. Jusqu’au petit matin.

Louis, s’effondrant. Oh… (Il vide son verre d’un trait.) Et après ?

Isa. Après, on a été voir les résultats du bac. Tu t’es inscrit à Assas, moi à Marne-la-Vallée. On s’est perdu de vue. J’ai accouché en avril. Je n’avais rien remarqué : déni de grossesse. J’ai dû arrêter mes études d’Histoire pour élever Raphaël. Mon oncle a accepté de me prendre dans sa boîte, à Avignon. J’ai essayé de m’en sortir. Raphaël n’était pas simple, déjà… Il a redoublé plusieurs classes…

Louis. Et vingt ans plus tard, tu te réveilles ? Tu te dis : «Tiens, au fait, et si je disais à Louis qu’il est le père de Raphaël ? »

Isa. Je ne le savais pas. Jusque très récemment…

Louis. Explique-toi.

Isa. Je n’y arrivais plus avec Raphaël. J’enchaînais histoires pourries sur histoires pourries…

Louis, ricanant. Comme c’est surprenant…

Isa. Ce n’est pas ce que tu crois…

Louis, ironique. Ben non…

Isa. J’avais besoin de chaleur…

Louis, toujours ironique. Je peux même te dire où…

Isa, blessée. Vous, les cathos, vous avez une bible à la place du cœur.

Louis. Vous, les athées, vous avez un open bar à la place du cul. 

Isa. Je ne te demande pas de me comprendre. Comment tu pourrais ? Tu n’as jamais vécu seul.

Louis. Je te l’accorde.

Isa. Avec Raphaël, avant que je revienne chez ma mère, c’était comme si je vivais seule. Le soir, il sortait avec ses copains, en me laissant complètement tomber. Je me retrouvais toute seule, tout le temps. C’est terrible, de vivre seule. Parce que le problème, quand tu vis seule, c’est que tu te parles à toi-même toute la journée et tu tournes en boucle sur tous les sujets. Du coup, t’as qu’une trouille, c’est de devenir un vieux disque rayé. Parce que le problème, quand tu vis seule, c’est que tu te parles à toi-même toute la journée et tu tournes en boucle sur tous les sujets. Du coup, t’as qu’une trouille, c’est de devenir un vieux disque rayé. Parce que le problème, quand tu vis seule, c’est que tu te parles à toi-même toute la journée et tu tournes en boucle sur tous les sujets. Du coup, t’as qu’une trouille, c’est de devenir un vieux disque rayé.

Louis, la regardant avec effroi. Ça doit être flippant.

Isa. Alors j’ai décidé de revenir chez ma mère. Elle m’a tout de suite dit : « On inscrit Raphaël à Sainte-Blandine ». Je lui ai dit : « tu es folle, on n’a pas de fric. » Elle m’a répondu : « Si, mes économies ». Et c’est elle qui s’est chargée de tout. Je savais qu’elle mettait un peu de côté tous les mois, mais j’ai quand même été surprise qu’elle arrive à payer l’inscription.

Louis. On l’a aidée.

Isa. C’est-à-dire ?

Louis. C’est Brahim, mon adjoint, qui reçoit les familles. Quand j’ai lu la fiche de Raphaël, j’ai vu qu’un tarif social lui avait été appliqué.

Isa. Un tarif social ?

Louis. C’est une pratique que j’ai mise en place à mon arrivée. J’ai donné pour consigne à Brahim de procéder à une réduction du tarif, s’il juge que la situation sociale de l’élève le requiert. On a fait une ristourne de 30% à ta mère.

Isa, cueillie. 30% ? Wouah… c’est… merci…

Louis. Ne me remercie pas : je n’ai rien fait. C’est Brahim qui a pensé que la situation de la mère le méritait.

Isa. Quand même… c’est grâce à toi, si cette mesure existe.

Louis. Je sais bien qu’on est des culs-bénis, d’affreux rétrogrades, d’horribles sectaires arc-boutés sur des principes moraux révolus, des bigots hypocrites et bien-pensants, n’empêche… notre mission est d’accueillir tout le monde, quel qu’il soit. 

Isa. Finalement, l’enseignement catho… c’est pas si pire…

Louis, désespéré. « En vérité, je vous le dis : nul n’est prophète en son pays », Luc, IV, 24.

Isa. Le résultat est là : Raphaël est entré à Sainte-Blandine. Et plus les semaines passaient… plus je me rendais compte qu’il entrait en conflit avec tous les profs. Tu l’as reçu une fois, deux fois, trois fois… Je ne pouvais jamais être là…

Louis, persifleur. Tes massages ont du succès. 

Isa. Je masse à domicile. Je fais beaucoup de route… Le choc, je l’ai eu en recevant le bulletin du premier trimestre de Raphaël. 

Louis. Tu m’étonnes : avertissement travail, avertissement conduite…

Isa. Bien sûr, ces appréciations étaient décevantes, mais ce n’est pas ça qui m’a causé un choc.

Louis. Qu’est-ce qui t’a choquée ?

Isa. Toi !

Louis. Moi ?

Isa. Enfin, ton nom écrit en majuscules, LOUIS BARNIER, surmontant ta fonction, Directeur de l’Institut Sainte-Blandine. J’en suis restée sans voix. Je me disais : « C’est Louis, c’est mon Louis, pas de doute… » Et tout m’est revenu d’un coup, cette nuit à la belle étoile, mon accouchement, et puis le regard de Raphaël, ses cheveux, son esprit… tout me criait : c’est Louis le père ! Je me suis effondrée. Et je me suis dit : je vais aller le voir, je vais tout lui expliquer.

Louis. Tout ça ne tient pas debout.

Isa. Tu ne me crois pas ?

Louis. Entre notre… enfin… la nuit à la belle étoile et ton accouchement, tu n’as connu aucun autre homme ? (Un temps : elle ne répond pas.) Réponds-moi.

Isa. Mais regarde-le ! Son visage, ses cheveux, son esprit : c’est tout toi !

Louis. Combien tu veux ?

Isa, sidérée par sa question, puis, ricanant. Ah putain… Vous, les mecs… vous êtes vraiment de belles ordures… Ça fait des milliers d’années que vous faites joujou avec nous. Vous croyez qu’on nous achète comme on achète le silence ? C’est fini, tout ça. Nous, les femmes, on se rebiffe. Alors, je serais vous : je mettrais mes burettes au chaud. 

Louis. Qu’est-ce que tu veux ?

Isa. Ce que je veux ? Tu réintègres Raphaël, tu le reconnais et tu contribues comme tu le dois à son éducation. Tu le prends quand ? Semaines paires ou impaires ?

Louis, se met à rire, d’abord doucement, puis de plus de plus en plus fort. Non mais tu rêves, ma pauvre fille !

Isa. Pour la pension, tu préfères quoi ? Un chèque ou un virement mensuel ?

Louis. Bon, allez, j’ai bien ri, mais maintenant…

Isa, pleurnichant. S’il te plaît, Louis, occupe-toi de Raphaël, occupe-toi de notre petit… notre petit Rafichou… Allez… s’il te plaît, Louis… Loulou… oh mon Loulou… (Hurlant .) Putain, tu vas t’en occuper où je te panne ?!

Louis, impavide. Sors. 

Isa. Ah ouais ? Je crois pas, moi.

Louis. Qu’est-ce que tu crois pas ?

Isa. Je crois pas que tu vas continuer sur ce ton, si je te montre ce que j’ai dans le frigo. (Elle sort une photo.)

Louis, regardant la photo, puis s’en rapprochant, intrigué, puis ouvrant grand les yeux, horrifié. Qu’est-ce que c’est que cette immondice ?

Isa. J’ai besoin de t’expliquer ?

Louis. C’est un montage… un montage grossier… je vais t’attaquer pour diffamation…

Isa. Bonne idée : on va bien s’amuser…

Louis. De toute façon, c’est flou, on ne voit rien…

Isa. Flou ? (Regardant la photo .) Je trouve pas, moi. On te reconnaît bien. Et surtout, on reconnaît bien ton blouson aux armes du lycée. Erreur, mec, erreur fatale… Quand tu vas à tes rendez-vous coquins du côté des gorges d’Apremont, évite de prendre les couleurs de Sainte-Blandine.

Louis. C’est une photo qui est… qui est sortie de son contexte.

Isa. Sortie de son contexte ? (Elle regarde de nouveau la photo.) T’es à poil sous un blouson dans les bras d’un minet ! Tu m’expliques le contexte ? (Après un temps.) Allez, te fatigue pas. C’était dans la nuit de jeudi à vendredi dernier, j’étais là.

Louis. Tu m’as suivi ?

Isa. À ton avis ? Bravo, M. le directeur. 

Louis. Très bien. Puisque tu m’as vu, ça ne sert à rien de nier. Dis-nous ton prix pour ne pas parler, on a l’habitude, et on sait être généreux. Je vais en parler à l’Abbé Paul.

Isa. L’abbé Paul ?

Louis. L’économat du diocèse. 

Isa. C’est pas cet abbé-là qu’il faut que tu contactes.

Louis, surpris. Ah non ?

Isa. Appelle plutôt l’abbé Résina, ce sera de circonstance. Et s’il est pas dispo, vu que tu me proposes un petit susucre, demande l’abbé Trave. (Reprenant la photo .) En plus, l’abbé Trave… il dénoterait pas dans le décor…

Louis. Oh ça va…

Isa. T’es devenu un beau tartuffe.

Louis. Eh bien oui ! Et j’assume ! Ça me permet d’avoir le beurre, l’argent du beurre, le cul de la crémière et la bénédiction du Pape.

Isa. En l’occurrence, j’ai pas tellement l’impression que ce soit le cul de la crémière qui t’intéresse…

Louis. C’est vrai, ce serait plutôt la queue du crémier.

Isa. Lamentable…

Louis. Tu n’aimes peut-être pas mon style de vie – de toute façon, toi, t’as pas de vie, donc tu peux pas avoir de style – mais je suis très bien comme ça. 

Isa.  Qu’est-ce qu’ils diraient, tes collègues ? Quelle tronche ils feraient, tes parents d’élèves, quelle gueule elle tirerait, Anne-So, s’ils apprenaient que tu vas te taper des mecs en forêt de Fontainebleau ? Ça ferait pas un peu tâche, pour un directeur d’Institut catholique ? Mets-toi à ma place… Je suis obligée de tout révéler… Question de principe !

Louis, les yeux exorbités. Mais t’es vraiment… vraiment… (Il se rapproche d’elle comme pour l’étrangler.)

Isa, reculant à mesure qu’il avance. Louis, calme-toi…

Louis, poursuivant son avancée, survolté. Que je me calme ? Alors que tu veux me baiser la gueule ? Que t’as une vraie vie de merde et tu veux profiter de la situation pour siphonner la mienne ? Que je reconnaisse ton chiard et que je t’offre de quoi péter dans la soie ? 

Isa, continuant à reculer. C’est pas très catholique, tout ça…

Louis, hors de lui, il l’agrippe. Assez !

Isa, se débattant et l’envoyant promener à terre. Gare à toi ! (Devant la surprise de Louis, qui est à terre.) Je fais de la boxe thaï, alors attention : si tu continues tes conneries, je te colle un pain et je me casse !

Louis, silencieux, se relevant, s’époussetant, la regardant, réfléchissant, puis se mettant doucement à sourire. Je me suis peut-être un peu emballé.

Isa. Un peu ? J’ai cru que t’allais me buter…

Louis. C’est le choc… mais… je crois que… je crois que tu as raison. (Un silence pendant lequel Isa le regarde.) Toi et Raphaël vous faites partie de ma vie. Il est juste que je vous fasse la place qui vous revient. Question de principe. C’est Dieu qui vous envoie.

Isa, après un silence. Eh ben… Je m’attendais pas à ce que ce soit aussi simple…

Louis. Nous, les cathos, faut jamais nous sous-estimer… Et puis tu sais, la famille, pour moi, c’est hyper-important. T’as qu’à voir : quand je pars le matin, je prends toujours mon crucifix, ma bible et mes couilles de taureau séchées. 

Isa, après un silence. Tes quoi ?

Louis. Mes couilles de taureau. C’est un porte-bonheur que mon grand-père m’avait offert. Il était toréador à Valence. Allez, je vais chercher des bulles pour fêter ça !

Il s’éclipse.

Isa, téléphonant. Allô, mon chéri ? Tu vas bien ? … Allez, arrête de pleurer… je sais, t’as la rage… T’es avec Toni ? Oh… je l’aime pas, celui-là, il te met toujours de sales idées dans la tête… Je sais… tu as envie de tout péter, mais ne fais pas de bêtises, tout va s’arranger, j’en suis sûre. (Bref silence.) Mais si, tu verras ! Moi ? Oh… je suis avec ton p… hum… je suis chez une copine… oui, en fait, elle voulait un massage et comme j’étais sur la route… Mais, euh… j’arrive… oui, d’ici dix minutes… oui, à tout de suite. (Elle raccroche.)

Louis revient avec deux coupes pétillantes.

Louis. Et voilà !

Isa, voyant les coupes. Tu nous gâtes !

Louis. Ce n’est pas tous les jours qu’on retrouve une famille. (Lui donnant une coupe.) À nous !

Isa, trinquant avec Louis. À nous !

Elle·il boit.

Isa. En plus, je suis sûre que tout le monde est content là-haut.

Louis. Là-haut ?

Isa. Dieu, la Vierge, Jésusse…

Louis, éclatant au quart de tour. Ah non ! ça commence à bien faire, maintenant, hein ! « Jésus », bordel ! Répète après moi : « Jé- ».

Isa. « Jé- ».

Louis. « -sus. »

Isa. « -sus. »

Louis. « Jésus. »

Isa. « Jésusse. »

Louis, désabusé. Bon alors moi je ne sais plus quoi faire… je ne sais plus…

Isa, hoquetant. Youp !… Faut pas que je sois trop pompette… si je veux rentrer chez moi…

Louis. Si tu n’arrives pas à retrouver ta voiture, tu passeras la nuit ici.

Isa. J’aime bien ton humour… Je suis garée juste en face de chez toi…

Louis. Devant la Seine ?

Isa. Oui, je sais, c’est interdit, mais j’avais pas le choix…

Louis. Oh il n’y a jamais personne… (À part .) En plus, comme ça, ce sera plus simple…

Isa. Comment ?

Louis, levant son verre. À Raphaël !

Isa, levant aussi son verre. À Raphaël !

Elle·il fait cul sec.

Louis. Au fait, pourquoi Raphaël ?

Isa. Pendant ma seule et unique année d’Histoire, j’ai découvert la Renaissance italienne et ça a été pour moi une ouverture vers… vers… (Elle se met à tituber.)

Louis. Isa ? (Il lui prend sa coupe.)

Isa, titubant de plus en plus. Je ne sais pas ce que j’ai…

Louis, paraissant étonné. Mais oui, c’est curieux…

Isa, tombant par terre, puis, regardant Louis. C’est toi, hein ? T’as mis quelque chose dans mon verre ?

Louis, d’un air très surpris. Moi ? Mais non !

Isa. Mais si, c’est bien ton style, pourriture ! Et moi qui me suis fait avoir comme une bleue, putain…

Louis, semblant vexé. Que tu imagines ça de moi… ça me fait beaucoup de peine…

Isa, dont les yeux se révulsent. Je sens que je suis en train de partir… Qu’est-ce que tu m’as mis ?

Louis, ricanant, à part. Qu’est-ce que je lui ai mis !…

Isa, s’affaissant. Louis… Louis… (Elle s’étale complètement. Un moment de silence. Puis on entend un ronflement.)

Louis, satisfait. Et voilà, neutralisé, le bestiau. (Son téléphone sonne.) Allô, chérie ? Mais oui, tout va très bien. Écoute, je passe une petite soirée tranquille, pépère… limite monotone… Comment ? Un ronflement ? Non, y a pas de ronflement… Peut-être un peu de friture sur la ligne, je ne sais pas… Le concert est terminé ? Elles ont fini par Le nom de Jésus ? Oh que ça me fait plaisir… Hein ? Non, ce qui me fait plaisir, c’est pas qu’elles aient fini par ça, ce qui me fait plaisir, c’est que tu prononces Jésus et pas Jésusse !… ça me fait un bien… mais un bien fou, tu peux pas savoir… (Isa, dans son sommeil, baille bruyamment.) Hein ? Non, c’est le chien du voisin. (Parlant à un chien imaginaire .) Couché Groquick ! Oui, j’ai bu, mais un ou deux verres, pas plus. Pourquoi tu me demandes ça ? Vous partez, là ? Donc vous serez à la maison d’ici un quart d’heure. Soyez prudentes, je vous embr… Allô ? Allô ? (Il raccroche.) Bon… (Regardant Isa au sol.) Je l’achève, je la descends à la cave, je la découpe en rondelles, je la marine, je la passe au four, je la gratine, je la… Qu’est-ce que je raconte ? Je mets les morceaux dans des sacs, je les disperse dans la ville, et je fous sa voiture à la Seine. Il va me falloir des très gros sacs, des sacs à gravats… Comment il disait, l’autre abruti ? Ah oui… « Le passé, c’est la plus belle invention du présent »… Et moi je dis que pour mieux le réinventer, le passé, il faut savoir le liquider ! (S’adressant au Ciel et s’agenouillant soudain.) Pardon, mon Dieu ! Comment ? (Bref silence.) Je sais. (Court silence.) Eh bah oui je sais bien. (Court silence.) Eh bah oui je sais bien. (Court silence.) Mais enfin, mon Dieu, Vous voyez bien que j’ai pas le choix !… (Silence.) Comment ? (Silence.) Oh non mon Dieu, s’il vous plaît… (Silence.) Je Vous en prie, la dernière fois, j’ai eu des rougeurs pendant une semaine… (Court silence.) Vous insistez ? (Résigné .) Bon… (Il se lève et prend une cravache qui était jusqu’alors cachée. Au Ciel .) Vous y tenez vraiment ? (La réponse semble affirmative.) C’est bien parce que c’est Vous… (Il s’agenouille de nouveau et se donne un coup de cravache sur le derrière.) Ah !… (Il y a tout de même pris du plaisir. Puis, réagissant à une demande.) Oh oui, oui, une seconde… On n’est pas des bœufs… (Il se donne un nouveau coup, mais plus fort.) Ah ! (Le plaisir a semblé croître. Puis, réagissant de nouveau .) Non, écoutez, là, c’est de la gourmandise ! Ma parole, c’est Votre péché mignon… (Puis, il se donne encore une série de coups de plus en plus rapides au cours desquels le plaisir prend le pas sur la douleur.) Ah non ! Ah non ! Ah non ! Ah non ! Ah oui ! Ah oui ! Ah oui ! Ah oui ! 

Isa, réveillée par le raffut. Qu’est-ce que tu fais ?

Louis, cachant la cravache. Je priais. 

Isa, se levant avec peine. Je vais chez les flics…

Louis. Tu n’es en état d’aller nulle part…

Isa. T’as voulu m’empoisonner, espèce de crevure !

Louis. Encore ?

Isa. Oui, encore ! Mais je vais tout balancer aux flics, et tu vas le cracher, le pognon ! (Son téléphone sonne.) Flo ? Qu’est-ce qui passe ? Je t’écoute… (Un silence bref.) Hein ? (Un silence plus long.) Raphaël ? (Silence.) Tu es sûr ? Absolument sûr ? (Silence.) Carrément ? Mais…  je croyais que…(Silence.) Ah… Mais à quel moment… à quel moment on a ? … (Autre silence.) Ah oui, c’est vrai !… Où tu es, là ? Bon… j’arrive… (Elle raccroche.) C’était Flo. C’est lui, le père de Raphaël. Il le soupçonnait, à force de le voir venir dans son café, jour après jour. Alors il a pris un verre que Raphaël avait utilisé et…il a fait un test ADN. La génétique a parlé. Raphaël est son fils.

Louis. Hein ?… Mais… mais il y a 10 minutes, tu étais prête à ruiner ma vie pour « notre » fils ?

Isa. Oui, bah, je me suis plantée ! Ça arrive, non ? Tu sais, moi, mes souvenirs… ils ont tendance à se transformer avec le temps…. Ils changent… selon les saisons… Je sais pas s’il y a un nom pour ça… pour ce genre de passé…

Louis, bouillant. L’imparfait.

Isa. L’imparfait ?

Louis, persifleur. L’imparfait du subjectif.

Isa, un peu péteuse. Oui, bon… disons que ça m’aurait bien arrangée que tu sois le père, mais enfin… 

Louis, n’en croyant pas ses oreilles. Ça l’aurait bien arrangée !  Ça l’aurait bien arrangée que je sois le père de son merdaillon !(Au Ciel .) Cette fois-ci, mon Dieu, je vais la buter ! Je l’ai pas butée tout à l’heure mais je vais la buter maintenant ! Non, n’essayez pas de me retenir…

Isa. Ni compte pas. Nous souhaitons que tu nous reçoives tous les trois. 

Louis, ne comprenant pas. Tous les trois ?

Isa. Raphaël, moi et son père.

Louis. Eh ben ça promet… (Son téléphone sonne.) Oui ? Élodie ? Qu’est-ce vous arrive ? Quoi ? Un incendie ? Mais comment ? Carouge ? Ah le sale gosse ! J’arrive ! (Il raccroche.)

Isa. Qu’est-ce qui se passe ?

Louis. C’est ton fils ! Encore ton fils ! Toujours ton fils ! Il a foutu le feu au bahut, ce petit con !

Isa. Impossible…

Louis. Je vais lui coller mon pied où je pense !

Isa. Je t’interdis !

Louis. J’en ai le droit ! J’ai quand même failli être son père. 

Il·Elle sort rapidement.

***

FIN 

de 

L’Imparfait du subjectif

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