L’Étoffe des songes se fonde sur une structure à quatre genres : la comédie de situation classique, la comédie satirique, l’absurde et le méta-théâtre. La comédie de situation correspond à la donnée de départ : un couple huppé demande à un couple populaire d’habiter chez lui quelque temps pour garder son chat. Le chat est un sphinx, symbole de l’énigme que L’Étoffe des songes se plaît à proposer au décodage du public. Pourtant, cet échange de couples demeure très classique et évoque nombre de pièces ou films connus. Les choses changent lorsqu’on arrive au deuxième genre auquel nous avons eu recours : la comédie satirique.
Cette dernière ne se fonde plus sur la situation mais sur la critique des valeurs des personnages. Car pour se fondre dans la personnalité de Charles et Anne-Sophie, Freddy et Cindy vont emprunter leurs habits, mais aussi leurs gestes, leurs goûts et leurs discours. Plus question de pastis : on boira désormais du whisky. On oubliera vite sa série télé policière bavaroise pour écouter avec recueillement une fugue de Bach. En voyant passer Freddy et Cindy d’un monde à l’autre, nous proposons de mettre en scène la façon dont une classe sociale justifie sa propre existence à travers une série de codes incluant langage corporel et verbal.
Mais la comédie satirique s’achève là où commence la farce : lorsque Charles et Anne-Sophie reviennent en Paul et Louise, les enfants de Charles et Anne-Sophie. La farce va alors faire se succéder différentes situations qui vont se détruire les unes les autres.
Cette succession de déguisements emmène la pièce vers le méta-théâtre, car quel est le sujet de L’Étoffe des songes, si ce n’est le théâtre, le pouvoir de l’image et l’image du pouvoir, l’être et le paraître ? Constituer une image c’est, en effet, prendre un potentiel ascendant sur ceux qui la contemplent, de même que prendre le pouvoir c’est en prendre d’abord les habits. C’est tout le sens de cette concurrence que se livrent successivement des personnages historiquement attestés comme Néron, Agrippine et Napoléon, également théâtralisés chez Racine ou Séverine, et un personnage mêlant l’extrême contemporain et la fantaisie : Barack Ohanna. C’est tout le sens, aussi, de ces personnages qui changent sans cesse de masques, passant du livreur postexpress au livreur de pizza, du directeur adjoint de collège au technicien de plateau, de la domestique à la geisha, de l’assistante médicale à l’espionne d’un improbable pays d’Asie, entraînant une sorte de quiproquo perpétuel auquel on peut finalement ramener la pièce. À ce point du texte, tout semble exploser : le quatrième mur, les personnages, les régimes de fiction et le décor. Tout n’est que jeu, à la manière de ce que Xavier Maurel et Daniel Mesguish inventaient en 1992 dans Le Boulevard du Boulevard, où les vieilles ficelles du théâtre classique étaient utilisées, parodiées, commentées, dépassées.
Comédie gigogne, comédie de la comédie, L’Étoffe des songes, qui prend son titre chez Shakespeare, amoureux des mises en abyme, n’a rien à dire car elle ne s’occupe guère de construire un discours critique. Elle met en place une série de jeux sur les différents niveaux de la représentation et ne peut s’achever qu’en chantant une ode au theatrum mundi, reprenant les mots de Carmilla, la vampire de notre comédie mordante Hôtel Dracula, comme si une pièce de Rivoire & Cartier ne pouvait s’achever que par une autre pièce de Rivoire & Cartier, comme si le théâtre ne renvoyait, in fine, qu’à lui-même : un miroir où se reflète non la réalité mais les chimères qui nous effraient ou nous amusent.
Nous avons repris la situation initiale de la pièce en la tirant vers la veine plus réaliste de la comédie noire, dans Coriaces.
L’Étoffe des songes été créée par le Thabou, Thomery, Seine-et-Marne, en 2018. En voici une image.
Une nouvelle production a été proposée par Du Bruit en Coulisses en 2024, à Salles, Gironde. En voici quelques aperçus.




