TÉLÉCHARGEZ GRATUITEMENT LE TEXTE DE LA PIÈCE EN PDF
Une galette, un petit pot de beurre et une dévoration sauvage
Accordez-nous moins de 20 minutes de lecture et découvrez comment plonger votre public dans l’univers effrayant du célèbre conte (même si plusieurs de vos interprètes débutent).
On a 3 questions rapides à vous poser :
🆘 Est-ce que vous avez assez de tomber sans cesse sur des textes qui ne correspondent jamais à votre répartition femmes/hommes ?
🆘 Est-ce que vous n’en pouvez plus de ces pièces qui tirent en longueur ?
🆘 Est-ce que vous faites partie de ces personnes qui trouvent souvent que les adaptations de contes sont nunuches ?
Si vous avez répondu oui à au moins deux questions, alors lisez vite ce qui suit !
L’histoire du Petit Chaperon rouge est déjà connue de tout le monde : une jeune fille va porter à sa grand-mère une galette et un petit pot de beurre. En chemin, elle rencontre le loup. Arrivera-t-elle à éviter le piège qu’il va lui tendre ?
En accédant au texte intégral du Petit Chaperon rouge, vous obtiendrez un fichier pdf de 20 pages pour un poids ultra-réduit de 189 ko. Le fichier est donc très facilement téléchargeable sur votre téléphone, votre ordinateur, votre tablette et imprimable à volonté.
Avec cette adaptation du Petit Chaperon rouge vous découvrirez :
✅ une pièce brève, ce qui permet de maintenir l’intérêt des spectateurs
✅ une adaptation qui n’appartient pas au « théâtre pour enfant » et révèle les problématiques profondes du conte
✅ une pièce centrée sur le thème de la dévoration, propre à donner le frisson au public
✅ un texte qui s’achève sur une véritable communion avec les spectateurs, leur donnant joie et apaisement
✅ une pièce avec de nombreuses distributions possibles, s’ajustant avec plasticité aux effectifs de votre compagnie
Bonne nouvelle : la lecture, le téléchargement et l’impression du Petit Chaperon Rouge sont totalement gratuits !
Intéressé-e ? Attention, cependant : cette pièce est fortement déconseillée aux personnes qui s’imaginent que le contes sont des histoires gentillettes pour les enfants !
TÉLÉCHARGEZ GRATUITEMENT LE TEXTE DE LA PIÈCE EN PDF
Le Petit chaperon rouge est sans doute l’un des contes les plus répandus. À vrai dire, le chaperon rouge en tant qu’accessoire est une pure invention de Perrault. Cependant, on trouve d’innombrables versions du conte aux quatre coins du monde. Tantôt le protagoniste en est une petite fille, tantôt un petit garçon. Tantôt l’animal menaçant est un félin, tantôt un oiseau. En France, c’est Perrault qui en a fourni la première version écrite. Les frères Grimm devaient aussi donner la leur.
Bruno Bettelheim, qui fit la psychanalyse de ce conte et de bien d’autres, ne décolérait pas contre Perrault. En effet, la version de l’écrivain français s’achève par la mort de la petite fille, dévorée par le loup. Au contraire, le commentateur louait la version des Grimm, dans laquelle des chasseurs ouvrent la panse du loup pour en tirer, vivantes, la petite fille et sa grand-mère. En réalité, les frères Grimm mêlaient au Petit Chaperon rouge un autre conte, celui des Sept chevreaux, qui se termine donc de cette heureuse façon. Pour Bettelheim, arrêter l’histoire au moment où la petite fille est engloutie était une méconnaissance de la fonction essentielle du conte : permettre à l’enfant de surmonter sa peur.
Perrault n’entrait pas dans ces considérations et a écrit un conte à double sens, comme en d’autres occasions. Il a en fait livré une petite fable qui tient de l’avertissement aux jeunes filles. Le contexte historique nous informant sur le recours fréquent aux mariages forcés permet d’éclairer la visée de l’écrivain. Cependant, sa sensibilité classique a porté Perrault à atténuer la dimension sexuelle de l’histoire, alors que la tradition orale s’en régalait avec gourmandise.
Que reste-t-il du conte aujourd’hui ? Nous avons souhaité mettre en valeur ce qui fait pour nous l’essence de cette vieille histoire : l’expérience de l’anéantissement. C’est cela, pour nous, que racontent les dévorations successives de la grand-mère, puis de la jeune fille. Chaque être vivant est appelé à croître puis à disparaître dans le néant. Ce n’est pas une morale théologiquement correcte, bien au contraire. Chaque être vivant prend pour la vie un aller simple, un aller sans retour qui le verra disparaître. En grandissant, chaque génération prend la place de la suivante tandis qu’une nouvelle cohorte apparaît alors même qu’une autre disparaît, dans un jeu de chaises musicales où chaque participant ne tourne pas en boucle, mais ne fait que passer. Dans la tradition orale, qui innerve aussi notre version, les personnages avaient d’ailleurs une façon bien crue de l’exprimer. Voilà pourquoi l’histoire racontée se termine chez nous par l’engloutissement de la jeune fille : pas de retour possible, pas de vaillant chasseur venant rétablir l’ordre des choses, mais au contraire, la disparition de la protagoniste, sans alternative.
Pourtant notre pièce ne s’arrête pas là. Nous lui avons adjoint un épilogue, comme une réponse à Bettelheim. Le chercheur avait fustigé le funeste dénouement de Perrault, arguant qu’il était producteur d’angoisse. S’il on s’en tient au texte, on ne peut qu’acquiescer. Mais c’est oublier que le conte est aussi un moment de partage entre un conteur et un auditeur. Lorsque l’adulte mime la petite fille dévorée, c’est sur l’auditeur qu’il le fait, chacun éprouvant alors le plaisir du contact, le plaisir de se sentir vivre juste après l’évocation de cette mort. Le conte permet bien à l’auditeur de surmonter l’angoisse de l’anéantissement, non parce qu’il se termine bien, mais parce que son énonciation renforce la sympathie et fait circuler l’énergie vitale dans le groupe. C’est tout le sens de notre épilogue, qui met à distance l’histoire narrée, donne la possibilité aux acteurs de prendre la parole en leur nom propre et fait participer le public dans une ambiance festive.
Nous devons à François Flahaut, philosophe et anthropologue, l’essentiel de notre réflexion, que le lecteur pourra retrouver dans La Pensée des contes. Notre travail peut se résumer par le souci de reverser sur la scène les éléments que le penseur a mis au jour dans le cadre de son travail théorique.
Notre version du Petit Chaperon rouge a été jouée de manière innombrable, la plupart du temps dans des ateliers ou des cours.
Texte intégral de la pièce à lire ou à imprimer
Personnages
La Voix qui raconte.
La Petite Fille.
La Mère.
La Grand-Mère.
Lupin.
La Jeune Fille.
Le Loup.
Lieux
La Maison de la mère – La Gare – La Forêt – La Maison de la grand-mère
La Voix qui raconte. — Il était une fois une petite fille qui habitait seule avec sa mère. La femme lui avait fait faire un chaperon rouge qui lui allait si bien, que partout on l’appelait Le Petit Chaperon rouge.
Souvent, entre elles, recommençait la même conversation. Les phrases étaient toujours semblables, et revenaient, identiques, dans le même ordre, comme si c’était à chaque fois la première fois.
La Petite fille. — Où est papa ?
La Mère. — Il est en voyage.
La Petite fille. — Il revient quand ?
La Mère. — Il a pris un aller simple.
La Voix qui raconte. — « Un aller simple. Qu’est-ce que ça veut dire ? » se disait dans sa tête la petite fille. C’était à chaque fois la même question silencieuse. Et puis, un jour, elle comprit. Sa mère et elle étaient parties rendre visite à la grand-mère de la petite fille, la mère de sa propre mère. Elles arrivèrent à la gare et allèrent au guichet.
La Mère, au guichet. — S’il vous plaît, je voudrais deux allers-retours.
La Voix qui raconte. — Juste après elles, un monsieur s’avança et dit à la guichetière : « Un aller simple. » La petite fille réagit aussitôt.
La Petite Fille. — Maman ! Le monsieur, il a fait comme papa ; il a pris un aller simple. Pourquoi nous, on prend pas un aller simple ?
La Mère. — Parce que nous, quand on sera allé voir grand-mère, on reviendra.
La Petite Fille. — Alors le monsieur, quand il aura fait son voyage, il ne reviendra pas ?
La Mère. — Non.
La Petite Fille. — Il sera parti pour toujours ?
La Mère. — Je ne sais pas. Mais peut-être aussi que chez lui, c’est là-bas. Peut-être qu’il n’est que de passage ici et qu’il rentre justement chez lui.
La Petite Fille. — Alors papa, il n’était que de passage ?
La Mère. — Oui.
La Petite Fille. — Il est parti pour toujours ?
La Mère. — Je crois.
La Petite Fille. — Il est rentré chez lui ?
La Mère. — Peut-être.
La Voix qui raconte. — Cette discussion laissa la petite fille songeuse. Elle y repensa souvent.
À chaque fois que la mère et la petite fille rendaient visite à la grand-mère de cette dernière, elles lui apportaient une galette et un petit pot de beurre. La grand-mère n’y touchait guère, mais cela lui faisait très plaisir que sa fille et sa petite-fille pensent à elle et ne l’oublient pas, au fond de son lit, dans sa maison perdue dans la forêt.
La Petite Fille. — Tu ne te lèves pas ?
La Grand-Mère. — Je suis un peu fatiguée.
La Petite Fille. — Tu ne manges pas ?
La Grand-Mère. — Je n’ai pas très faim.
La Grand-mère caresse doucement La Petite Fille.
La Voix qui raconte. — Quand elle fut en âge de lire, la petite fille demanda à sa mère des cartes de géographie. Elle les regardait méticuleusement, pendant de longs moments. Sa mère s’aperçut que la petite fille suivait de son index les lignes de train.
La Mère. — Qu’est-ce que tu fais ?
La Petite Fille. — J’essaie de trouver où habite papa.
La Voix qui raconte. — Peu à peu, la petite fille se mit à passer de plus en plus de temps avec ses cartes. Dès qu’elle rentrait, elle s’y précipitait. Alors, pour lui changer les idées, sa mère lui offrit un petit chat. La petite fille en fut ravie. Il fallut lui trouver un nom. On l’appela Lupin. La petite fille s’en occupait bien, veillait toujours à ce qu’il ait son lait, quelques morceaux de viande ou de poisson. La nuit, quand Lupin dormait, elle venait doucement poser sur lui une couverture. Elle était pour lui une vraie petite maman. Pourtant, souvent, le chat la griffait.
La Petite Fille paraît, le visage écorché.
La Mère. — Encore Lupin ?
La Petite Fille. — Oui.
La Mère. — Tu as mal ?
La Petite Fille. — Oui.
La Mère. — Tu lui as tiré la queue ?
La Petite Fille. — Moi ? Non ! Ça le blesserait. Je l’ai caressé.
La Mère. — Il ne voulait pas ?
La Petite Fille. — Si. Il ronronnait et frottait son museau contre ma main. Plus je le caressais, plus il ronronnait et plus se frottait contre moi. De plus en plus fort, de plus en plus fort, et alors, il est devenu fou, il m’a mordu et il m’a griffé très fort.
La Mère caresse doucement La Petite Fille.
La Voix qui raconte. — La petite fille se mit à grandir. Elle changea. Elle délaissa son petit chat et elle était moins souvent là. Quand sa mère rentrait, elle trouvait la maison vide. Le dîner refroidissait souvent, dans l’attente de son retour.
La Jeune Fille. — Bonsoir maman.
La Mère. — Où étais-tu ?
La Jeune Fille. — Je me promenais.
La Mère. — Avec qui ?
La Jeune Fille. — Des amis.
La Mère. — Il est tard.
La Jeune Fille. — Je ne suis plus une petite fille.
La Voix qui raconte. — Elle avait raison : c’était maintenant une jeune fille. Mais elle changea. Encore. Elle redevint plus présente, fit de plus de plus de choses dans la maison, épaula sa mère, qui lui apprit à faire des galettes. Bientôt, elle fut en âge de se marier. Sa mère lui montra comment coudre, afin qu’elle pût faire elle-même sa robe de mariage.
Et puis, un jour, sa mère fut renvoyée de son travail.
La Jeune Fille. — Que s’est-il passé ?
La Mère. — Ils m’ont dit juste une chose : « Vous êtes trop vieille. »
La Voix qui raconte. — La mère tomba malade. Elle restait alitée toute la journée, sous la surveillance de la jeune fille. Un jour, sa mère lui dit :
La Mère. — Ma belle, voilà bien longtemps que nous ne sommes pas allé voir ta grand-mère. Moi, je suis trop faible pour t’accompagner. Pas question de prendre le train, chaque sou est compté. Voilà ce que tu vas faire : cuis une galette, prends un petit pot de beurre et porte le tout à grand-mère. Tu iras à pied, en traversant la forêt. Ce ne sera pas long. Pas trop.
La Voix qui raconte. — La jeune fille suivit les indications de sa mère. Elle cuisit une galette, prit un petit pot de beurre et se mit en route. Lupin, se demandant où allait sa maîtresse, la suivait à distance. Elle entra dans la forêt. Plus elle marchait, plus le chemin devenait étroit et les arbres massifs. À un moment, elle arriva à la croisée de deux chemins. Sa mère lui avait expliqué la route, mais elle ne se souvenait plus lequel de ces deux chemins prendre. Au loin, passèrent deux chasseurs. Comme elle était lasse, elle s’assit quelques instants pour reprendre son souffle. Et c’est là qu’elle le vit pour la première fois : le loup.
La Jeune Fille. — Alors, tu existes vraiment ? Tu manges les enfants et les moutons ?
Le Loup. — Tu as peur ?
La Jeune Fille. — Non. Tu as l’air gentil. Et toi, tu as peur ?
Le Loup. — Un peu.
La Jeune Fille. — Approche. Je sais y faire avec les bêtes.
Le Loup s’approche et La Jeune Fille le caresse doucement.
La Jeune Fille. — Je sais pourquoi tu es là. Tu fuyais les deux chasseurs.
Le Loup. — On ne peut rien te cacher. Qu’est-ce que c’est ?
La Jeune Fille. — Une galette et un petit pot de beurre. Je les porte à ma grand-mère qui habite une maison au milieu de la forêt.
Le Loup. — Ah oui. Je connais cette maison.
La Jeune Fille. — Tu sais y aller ?
Le Loup. — Oui.
La Jeune Fille. — J’ai de la chance. Dis-moi comment faire.
Le Loup. — Tu vois ces deux chemins ? L’un se nomme le chemin des épingles, l’autre le chemin des aiguilles. Chacun mène à la maison de ta grand-mère. Faisons un jeu : allons-y tous les deux. Je prendrai le chemin des épingles, toi, le chemin des aiguilles. Nous verrons lequel de nous deux arrivera le premier.
La Voix qui raconte. — Le loup, lorsqu’il eût avancé un peu sur le chemin des épingles, se mit à courir de toute sa force. Il s’était réservé le chemin le plus court. La jeune fille, qui sans le savoir avait emprunté le chemin le plus long, fut bien vite séduite par la nature qui déployait autour d’elle ses plus beaux charmes.
De son côté, le loup ne mit pas longtemps à arriver devant la maison de la grand-mère.
Le Loup frappe à la porte de la maison de la Grand-Mère.
La Grand-Mère. — Qui est là ?
Le Loup. — C’est moi, grand-mère.
La Grand-Mère. — Qui ça, moi ?
Le Loup. — Ta petite-fille. Je t’apporte une galette et un petit pot de beurre.
La Grand-Mère. — Tire la bobinette et la chevillette cherra.
Le Loup entre dans la maison de la Grand-Mère.
Le Loup. — Où es-tu, grand-mère ?
La Grand-Mère. — Dans mon lit. (Voyant le loup) Mais qu’est-ce que…
Le Loup se jette sur la Grand-Mère et la dévore.
Le Voix qui raconte. — Cela faisait trois jours que le loup n’avait pas mangé. Il ne resta de la vieille que quelques bouts de viande avec un peu de sang et de tissu. Soudain, le loup eut une idée qui le fit rire aux éclats. Il prit les restes de la grand-mère et les disposa sur un plat du mieux qu’il le put. Quant au sang, il le versa dans une carafe à vin. Le reste de tissu, il le mit au feu et alla se coucher dans le lit de la grand-mère.
Malgré ses nombreux arrêts en chemin, la jeune fille avait continué sa route et elle arriva à son tour devant la maison de sa grand-mère.
La Jeune Fille frappe à la porte de la maison de la Grand-Mère.
Le Loup. — Qui est là ?
La Jeune Fille. — C’est moi, grand-mère.
Le Loup. — Qui ça, moi ?
La Jeune fille. — Ta petite-fille. Je t’apporte une galette et un petit pot de beurre.
Le Loup. — Tire la bobinette et la chevillette cherra.
La Jeune fille entre dans la maison de la Grand-Mère.
La Jeune fille. — Où es-tu, grand-mère ?
Le Loup. — Dans mon lit. Pose la galette et le petit pot de beurre sur la table. Tu es venue à pied ?
La Jeune fille. — Oui.
Le Loup. — Tu dois avoir faim. Assieds-toi et mange un morceau de viande.
La Jeune Fille s’assied et mange.
Le Loup. — C’est bon ?
La Jeune Fille. — Un peu sec.
Le Loup. — Prends du vin.
La Jeune Fille se sert du sang dans un verre et le boit.
Le Loup. — Est-il agréable ?
La Jeune Fille. — Il est… il est bizarre…
La Voix qui raconte. — Lupin, bien que craignant le loup, l’avait suivi et avait réussi à entrer dans la maison en même temps que lui. Il s’approcha de la jeune fille.
La Jeune Fille. — Lupin ? Mon chat ? Que fais-tu là ?
Lupin. — Salope, qui mange la chair et boit le sang de sa grand-mère.
La Jeune Fille. — Que se passe-t-il ? J’ai froid…
Le Loup. — Viens te réchauffer dans le lit de ta grand-mère.
La Jeune Fille. — Où puis-je mettre mon tablier ?
Le Loup. — Jette-le au feu, mon enfant, tu n’en as plus besoin.
La Jeune Fille. — Et ma robe ?
Le Loup. — Jette-la au feu, mon enfant, tu n’en as plus besoin.
La Jeune Fille. — Et mon jupon ?
Le Loup. — Jette-le au feu, mon enfant, tu n’en as plus besoin.
La Jeune Fille. — Et mes chausses ?
Le Loup. — Jette-les au feu, mon enfant, tu n’en as plus besoin.
La Jeune Fille. — Et mon corset ?
Le Loup. — Jette-le au feu, mon enfant, tu n’en as plus besoin. Rejoins-moi.
La Jeune Fille entre dans le lit de la Grand-Mère.
La Jeune Fille. — Grand-Mère, ce que t’es poilue…
Le Loup. — C’est pour mieux me réchauffer, petite.
La Jeune Fille. — Grand-Mère, ce que t’as de grands ongles…
Le Loup. — C’est pour mieux me gratter, petite.
La Jeune Fille. — Grand-Mère, ce que t’as de grandes épaules…
Le Loup. — C’est pour mieux porter mon fagot de bois, petite.
La Jeune Fille. — Grand-Mère, ce que t’as de grandes oreilles…
Le Loup. — C’est pour mieux entendre, petite.
La Jeune Fille. — Grand-Mère, ce que t’as de grands trous de nez…
Le Loup. — C’est pour mieux fumer mon tabac, petite.
La Jeune Fille. — Grand-Mère, ce que t’as de grands yeux…
Le Loup. — C’est pour mieux te voir, petite.
La Jeune Fille. — Grand-Mère, ce que t’as de grands bras…
Le Loup. — C’est pour mieux t’embrasser, petite.
La Jeune Fille. — Grand-Mère, ce que t’as de grandes dents…
Le Loup. — C’est pour mieux te manger !
Le Loup se jette sur la Jeune Fille et la dévore.
***
L’acteur qui jouait Le Loup revient et ôte son costume.
Le Loup, aux spectateurs. — Madame, mademoiselle, mon damoiseau, monsieur, je suis un peu déçu. Navré, vraiment navré de revenir vous voir ainsi mais… je sais que ce n’est pas la coutume, en principe les acteurs jouent et puis ils s’en vont mais je dois dire une chose, je mets tout mon art à jouer le loup, personnage difficile, pour lequel je suis allé vivre pendant trois mois en Croatie, afin de cerner au mieux la psychologie du personnage, j’ai observé les rituels de chasse de ce canidé, afin de les reproduire sur scène le plus fidèlement possible et il me faut avouer une chose, ce soir, oui, vous m’avez déçu. Quand je me jette sur ma partenaire afin de la dévorer, j’attends du public des hurlements de peur, or, que m’avez-vous donné ce soir ? À peine quelques petits cris de surprise étouffés. Donc, n’est-ce pas, par conséquent, nous allons donc par conséquent n’est-ce pas tout recommencer. Pas tout le conte, non, rassurez-vous, mais le moment de la mort du petit chaperon rouge. Et je veux, vous m’entendez ? Je veux que vous hurliez votre peur ! C’est compris ? (À sa partenaire) On la refait, plus sensuel. (Il remet son costume.)
La Jeune Fille. — Grand-Mère, ce que t’as de grandes dents…
Le Loup. — C’est pour mieux te manger !
Le Loup se jette sur la Jeune Fille et la dévore.
Le Loup, enlevant son costume, aux spectateurs. — Non mais vous avez pris des somnifères ? C’est comme ça que vous avez peur, vous ? Je veux vous entendre hurler ! C’est pas compliqué. (À sa partenaire) On la refait, plus apeuré. (Il remet son costume.)
La Jeune Fille. — Grand-Mère, ce que t’as de grandes dents…
Le Loup. — C’est pour mieux te manger !
Le Loup se jette sur la Jeune Fille et la dévore.
Le Loup, enlevant son costume, aux spectateurs. — Ah ! Ça commence à venir. En fait, vous êtes des timides, hein ? Lâchez-vous ! Profitez-en ! On est entre nous. Je veux des cris à en faire péter les vitres ! (À sa partenaire) On la refait, plus horrifique. (Il remet son costume.)
La Jeune Fille. — Grand-Mère, ce que t’as de grandes dents…
Le Loup. — C’est pour mieux te manger !
Le Loup se jette sur la Jeune Fille et la dévore.
Le Loup, enlevant son costume, aux spectateurs. — Là on y est ! Vous y êtes arrivés ! Vous êtes formidables ! Vraiment, je ne dis pas ça pour vous. Hier soir, si vous saviez les mous qu’on avait dans la salle, je peux vous dire…
Une Actrice, qui jouait le rôle de La Petite Fille ou de La Mère ou un autre rôle. — Tu vas arrêter de nous fatiguer ? Tu crois que c’est simple d’avoir peur ? Il n’y a pas que toi qui travailles ici. Avoir peur, c’est pas si facile !
Le Loup. — Ils sont venus voir Le Petit Chaperon rouge ! Si c’est pas pour avoir peur, je comprends plus rien…
Une Actrice. — Même quand on en a envie, c’est pas facile d’avoir peur. La peur, c’est… c’est quelque chose… La peur, c’est comme un animal féroce, on le regarde de loin, on veut l’apprivoiser, on le provoque et puis on recule… C’est toute une histoire, la peur… Toi, t’as pas de problème avec ça ?
Le Loup. — Je dis pas ça, je dis… si je vais voir Le Petit Chaperon rouge, c’est pour avoir peur. Alors si j’ai eu peur, je suis content. J’en ai eu pour mon argent.
Une Actrice. — T’es content ?
Le Loup. — Ouais.
Une Actrice. — T’es content d’avoir eu peur ?
Le Loup. — Parfaitement.
Une Actrice, aux spectateurs. — Madame, mademoiselle, mon damoiseau, monsieur, je vais avoir besoin de vous. On va donner une bonne leçon à cet empafé. Je vais vous demander de hurler, mais attention : pas hurler de peur, non. Hurler comme une bête sauvage, comme seule une bête sauvage peut le faire. À mon signal, je veux que vous lui fassiez la peur de sa vie. Un, deux, Trois !
Elle fait le signal. L’acteur qui joue Le Loup est apeuré.
Le Loup. — C’est bon… C’est bon… J’ai compris…
Une Actrice. — T’as eu peur ?
Le Loup. — Oui, oui…
Une Actrice. — C’est pas facile ?
Le Loup. — Faut pas non plus exagérer, hein…
Une Actrice. — Faut pas exagérer ? (Aux spectateurs) On recommence !
Le Loup. — Non, non, s’il te plaît…
Une Actrice, aux spectateurs. — À mon signal, je veux entendre une meute de bêtes sauvages assoiffées de sang prêtes à le dévorer ! Un, deux, trois !
Elle fait le signal. L’acteur qui joue Le Loup est choqué.
Le Loup. — Ça y est… ça y est… cette fois-ci…
Une Actrice. — T’as eu peur ?
Le Loup. — Très… très…
Une Actrice. — Pas assez. Tu devrais être collé au sol. (Aux spectateurs) On recommence !
Le Loup. — J’étais collé au sol. Simplement je me suis relevé et puis…
Une Actrice, aux spectateurs. — À mon signal, je veux entendre un déluge d’ogres et de démons prêts à l’anéantir ! Un, deux, trois !
Elle fait le signal. L’acteur qui joue Le loup se plaque au sol.
Le Loup. — Mais arrêtez maintenant, c’est de la torture !
Une Actrice, aux spectateurs. — Je crois qu’il a eu son compte. Madame, Mademoiselle, mon damoiseau, monsieur, notre spectacle touche à sa fin. Nous vous remercions de votre attention et puis, aussi, de votre collaboration. Continuez à aimer les contes. Continuez à aimer avoir peur. Continuez à aimer faire peur. Un peu, de temps en temps, comme ça. Pour de vrai ou pour de faux. Pour se souvenir de ce que ça fait. À l’intérieur d’une fiction. Et au théâtre. Acteurs et spectateurs. Pour qu’on puisse en rire, et pour qu’on puisse sentir que la peur, elle disparaît, elle s’efface parfois, si on prend le soin, ne serait-ce qu’un instant, d’être ensemble.
Elle a pris la main des autres acteurs venus la rejoindre pendant qu’elle parlait. La troupe salue.
FIN
DU
PETIT CHAPERON ROUGE
Des questions ? Des remarques ?
Écrivez-nous : contact@rivoireetcartier.com
Cette pièce vous a plu ? Pour découvrir la prochaine en avant-première, inscrivez-vous sur le site et abonnez-vous à notre Lettre de Nouvelles.