Qui veut devenir maire ? ayant été un succès, la CTAM et Rivoire & Cartier décident de construire à nouveau un spectacle ensemble avec Le Partage du gâteau. Les auteurs reprennent et développent le dispositif de la pièce précédente. On y voyait une actrice incarnant plusieurs rôles, puisque son personnage se déguisait en un autre personnage. Les deux écrivains pensent à une pièce à sosies, donnant la possibilité à un acteur de faire feu de tout bois dans deux, trois voire quatre rôles différents.
Le sosie étant un thème très utilisé au théâtre comme au cinéma, Rivoire & Cartier commencent par recenser, lire et visionner tout ce qui peut s’y rapporter au printemps 2014. Voici la bibliographie non exhaustive de leurs lectures : Plaute, Amphitryon, Les Ménechmes ; Shakespeare, La Comédie des erreurs ; Molière, Amphitryon ; Goldoni, Les Jumeaux vénitiens ; Collalto, Les Trois jumeaux vénitiens ; Feydeau, La Puce à l’oreille ; Grédy et Barillet, Lily et Lily ; Cooney et Hilton adaptés par Jean Poiret, Trois partout (One for the pot). Du côté du cinéma, quelques titres : Ford, Toute la ville en parle (The Whole Town’s talking) ; Lachman (Laurel et Hardy), C’est donc ton frère (Our relations) ; Tchernia, La Gueule de l’autre.
Malgré ou peut-être à cause de toutes ces références, l’avancée du travail est laborieuse.
Antoine Rivoire : “Notre processus d’écriture est tel qu’il nous est impossible d’écrire une seule réplique si nous ne connaissons pas l’intrigue de notre pièce dans ses moindres détails et jusqu’à son dernier instant. C’est comme s’il nous fallait écrire une nouvelle avant de se dire : ‘bon, on sait ce qui se passe, mais qu’est-ce qu’ils se disent ?’ C’est pourquoi l’écriture du Partage a été si difficile. On savait qu’on voulait trois jumeaux, mais ça ne marchait pas…”
Jérôme Cartier : “Nos contraintes étaient grandes. Comme un seul acteur devait incarner les 3 jumeaux, cela signifiait qu’ils ne pouvaient jamais se rencontrer, et qu’entre l’entrée de l’un et la sortie de l’autre, il fallait un certain battement permettant à l’acteur de se changer.”
Antoine Rivoire : “Au bout d’un moment, ça a pris. Mais on a aussi voulu être très exigeants sur la dynamique de l’action. On voulait que le spectateur ait l’impression, quelque part dans le 2e acte, d’être embringué dans un bolide à 180 km/h, et qu’il se demande comment la voiture était montée à une telle vitesse.”
De fait, Le Partage du gâteau est un vaudeville. Cependant, il va plus loin que Ginette en ce qu’il est aussi une comédie de caractère : Marc-Antoine est le type même de l’homme moderne et pressé. MacCarthy incarne la puissance brutale de l’argent. Les quiproquos sont multiples et les entrées comme les sorties se succèdent à un rythme encore plus soutenu que dans leur première pièce. Pour exemple, le tableau 2 de l’acte I, d’une durée approximative de 50 mn, compte à lui seul plus de 30 scènes, ce qui est considérable. Cela donne à la pièce cet aspect de “tourbillon” unique. Les révélations et les retournements de situation sont nombreux.
Tout se passe comme si les auteurs avaient pris un plaisir sadique à mettre sans cesse des bâtons dans les roues à leurs personnages, et ce jusque dans les toutes dernières minutes. Comme dans le vaudeville, les objets voyagent, dansent et atteignent rarement leurs destinataires : la vodka de l’un est bue par l’autre, les vitamines du premier sont prises par le second, le somnifère visant le truand est avalé par le bourgeois, la revue du révolutionnaire est lue par le capitaliste, etc.
Comme dans le vaudeville originel, on chante. On chante beaucoup. Et plus la pièce avance, plus on chante, donnant à l’avancée de l’intrigue une fièvre proche des comédies musicales. Pêle-Mêle, le lecteur averti saura retrouver dans la pièce : Jean-Jacques Debout, Abba, Patrick Juvet, John Travolta, Sylvie Vartan, les 2B3. Il faudrait s’amuser à les compiler pour tracer l’identité musicale de la pièce.
“Concernant le style, étant donné l’aspect échevelé de l’action, on s’est imposé une grande sobriété” précisent les écrivains. “On s’est refusé les bons mots d’auteur et autres facilités. Il n’y en a pas, contrairement à Qui veut devenir maire ? qui est en pour ainsi dire truffé. Nous avons voulu que les dialogues expriment l’action, purement et simplement. Nos personnages n’ont pas le temps de faire les intelligents en disant des bons mots. Ils sont en prise avec le drame de leur vie, qui, à nous, nous apparaît le plus souvent grotesque. C’est de ce décalage que naît le rire.”
Le titre de la pièce, fixé à l’été 2014, est une allusion à l’économiste Bernard Maris. “C’est la question à laquelle ramène peu ou prou tout problème d’économie : qui prend quoi, dans le gâteau ? Qui tient le couteau ? Qui distribue les parts ? Qui se sert le premier ?”
Bernard Maris, “Antimanuel d’économie. 1. Les fourmis”, Bréal, 2003, p. 270. Ce dernier devait périr dans l’attentat contre Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015.
Les auteurs lui dédient cette pièce.
La pièce a donc été créée par la CTAM (alors le GAM) en 2015 à Moret-sur-Loing, Seine-et-Marne. Voici une photo de la production.
Une deuxième production a été mise sur pied en 2016 par la Compagnie de Théâtre Amateur de Plounéventer, Finistère.
