Introduction : Le Costume de Théâtre, Une Seconde Peau de l’Acteur
Le costume de théâtre est bien plus qu’un simple vêtement. Il constitue un élément essentiel de la mise en scène, permettant la métamorphose du comédien en personnage et participant pleinement à l’univers visuel de la pièce. Du masque grec aux créations avant-gardistes contemporaines, le costume théâtral s’inscrit dans une histoire riche et fascinante.
Dans cet article, nous allons explorer l’origine, les fonctions et les évolutions du costume de théâtre, en mettant en lumière son rôle central dans la construction de l’illusion dramatique.
1. Définition et Origine Historique du Costume de Théâtre
Le Costume, Entre Habitude et Artifice
Le mot « costume » apparaît en 1641, dérivé de « coutume » (du latin consuetudo, habitude). Si ce terme est d’abord utilisé dans la peinture, notamment par Poussin et Le Brun, il s’impose rapidement dans le monde théâtral. Le costume n’est pas qu’un vêtement : il englobe les masques, perruques, maquillages et accessoires qui transforment l’acteur en personnage.
Des Origines Rituelles au Théâtre Grec

Les premières traces de costumes remontent aux rituels de fertilité mésopotamiens, où masques et peaux d’animaux symbolisaient les forces naturelles. Avec le théâtre grec antique, le costume devient codifié et fonctionnel. Les acteurs portaient des tuniques longues et des masques aux traits amplifiés, facilitant l’identification des personnages depuis les gradins.
- Tragédie : costumes riches et colorés, cothurnes surélevés, masques expressifs.
- Comédie : tenues grotesques avec bedaine et attributs exagérés.
- Drame satyrique : costumes animaliers et phalliques liés aux cultes dionysiaques.
Ces costumes servaient plusieurs fonctions : ils rendaient visible la gestuelle de l’acteur à distance, facilitaient l’identification sociale et émotionnelle des personnages et participaient à la dimension rituelle de la représentation. Le choix des couleurs était également codifié : le pourpre indiquait la royauté, tandis que les teintes sombres étaient réservées aux personnages tragiques.
Le Théâtre Romain : Règles et Codification

Les Romains adoptent et adaptent les pratiques grecques. Chaque genre dramatique est identifié par son costume :
- Palliata : comédie en costume grec.
- Togata : comédie à sujet romain.
- Praetexta : drame historique.
La couleur et la coupe des vêtements permettent d’identifier rapidement le rang et la fonction des personnages. Par exemple, les jeunes gens portaient des tuniques éclatantes, les vieillards des toges blanches, et les courtisanes des robes safran. Les masques continuent d’être utilisés, mais les costumes deviennent plus réalistes, notamment dans la comédie nouvelle où les stéréotypes sociaux étaient marqués.
Le théâtre romain se distingue aussi par un goût prononcé pour le grotesque et la satire. Les acteurs comiques portent des perruques rousses, symbolisant la ruse, et des chaussures spéciales selon leur rôle : les cothurnes pour les héros tragiques, les socques pour les personnages comiques. Cette codification stricte contribue à clarifier l’intrigue auprès d’un public souvent bruyant et impatient.
2. Le Moyen Âge et la Symbolique Religieuse
Avec le déclin du théâtre antique, le costume conserve une fonction rituelle dans les mystères et les miracles chrétiens. Les acteurs incarnent les figures bibliques avec des habits somptueux financés par les paroisses. Lucifer, par exemple, est vêtu de noir et rouge, symbolisant la tentation et le danger.
La société médiévale se passionne pour les masques et les déguisements lors des fêtes profanes (soties, charivaris). Ces événements influencent les spectacles populaires et favorisent l’émergence d’un théâtre où la caricature et l’exagération vestimentaire sont courantes.
3. La Renaissance : L’Âge d’Or de la Représentation Vestimentaire
L’Italie et la Commedia dell’Arte

La Renaissance marque un tournant. L’Italie, avec la commedia dell’arte, standardise les costumes :
- Arlequin : losanges multicolores.
- Pantalon : robe noire et masque au nez crochu.
- Colombine : tenue séduisante et coiffe élégante. Ces costumes deviennent des archétypes reconnaissables dans toute l’Europe.
Le Théâtre Élisabéthain : Le Luxe Comme Signature
En Angleterre, les théâtres de Shakespeare investissent des sommes considérables dans les costumes, souvent offerts par des mécènes. Les étoffes sont précieuses, et les habits historiques sont largement utilisés même pour des pièces contemporaines. Trois costumes de théâtre équivalaient au prix d’un cottage.
Le théâtre élisabéthain se distingue par sa démesure et sa recherche de magnificence. Les acteurs portent des vêtements de soie brodée, des bijoux et des coiffes élaborées. Le public, amateur de faste, attendait des costumes spectaculaires qui compensaient parfois la sobriété du décor. Le choix des tissus et des motifs participe pleinement à la caractérisation des personnages : le velours pour les nobles, la toile grossière pour les paysans.
4. Le XVIIe Siècle et le Théâtre Classique Français
Sous Louis XIV, le théâtre classique français impose des règles vestimentaires strictes. Le costume doit refléter la condition sociale et morale du personnage. Molière habille ses bourgeois en tenues exagérément luxueuses pour souligner leur vanité, ce qui est un des aspects du comique moliéresque, comme on l’explique dans cet article. Le jeu de face, propre à ce théâtre de texte, relègue néanmoins l’innovation vestimentaire au second plan.
L’Apport de Mlle Clairon : Une Révolution Esthétique

Mlle Clairon, grande tragédienne du XVIIIe siècle, révolutionne l’approche du costume. Constatant l’incohérence des tenues utilisées sur scène, elle milite pour des costumes historiquement et socialement justes.
Dans ses Réflexions sur l’art dramatique, elle explique : « Le costume ajoute beaucoup à l’illusion du spectateur, et le comédien en prend plus aisément le ton du rôle. » Elle consulte des historiens, fait fabriquer des tenues respectant l’époque des pièces et abandonne les paniers et perruques trop modernes pour les tragédies antiques. Son travail inspire des générations de costumiers et participe à la montée en puissance du réalisme théâtral.
Son apport va au-delà de l’apparence : elle comprend que le costume influence directement le jeu du comédien. Un corset rigide impose une posture droite et solennelle, idéale pour les rôles de reines ou de nobles. Inversement, une tunique souple et ample favorise un jeu naturel et décontracté, adapté aux personnages de soubrettes ou de valets.
5. Le XIXe Siècle : Du Réalisme à l’Avant-Garde
Le XIXe siècle est marqué par une volonté d’authenticité. Le théâtre naturaliste exige des costumes correspondant à la réalité historique et sociale des personnages. Antoine, au Théâtre-Libre, fait acheter des vêtements directement chez des pêcheurs pour La Bonne Espérance. Stanislavski, en Russie, pousse encore plus loin cette démarche, réclamant des tissus usés et des costumes d’époque pour ancrer les personnages dans une réalité palpable.
Le Réalisme et la Recherche d’Authenticité
Antoine prône un réalisme extrême, jusqu’à exiger que les vêtements soient usés aux bons endroits, comme la manche droite pour un employé de bureau. Stanislavski, quant à lui, considère que le costume doit aider l’acteur à incarner son personnage en influençant sa posture, sa gestuelle et même sa voix.
Le Symbolisme et l’Expressionnisme

En réaction au réalisme, des courants comme le symbolisme et l’expressionnisme explorent des costumes abstraits et stylisés. Les Ballets russes de Diaghilev confient leurs créations à des artistes comme Picasso ou Sonia Delaunay, qui jouent sur les formes et les matières. Le costume devient un élément plastique, éloigné de la logique narrative, et acquiert une autonomie visuelle forte.
6. Le XXe Siècle : Innovation et Liberté Créative

Le XXe siècle est marqué par une explosion de styles et d’expérimentations. Brecht utilise des costumes distanciés pour rappeler au spectateur qu’il assiste à une fiction. Le costume devient parfois décor à part entière, comme dans les mises en scène d’Ariane Mnouchkine.
Cette période voit émerger une véritable révolution dans la manière d’envisager le costume de théâtre. Le réalisme cède la place à des approches symboliques, abstraites et parfois provocantes. Bertolt Brecht, avec son théâtre épique, utilise les costumes pour instaurer un effet de distanciation (Verfremdungseffekt). Les personnages portent des vêtements anachroniques ou stylisés, rendant impossible toute immersion émotionnelle complète et poussant ainsi à la réflexion critique. Parallèlement, Ariane Mnouchkine et son Théâtre du Soleil explorent des influences venues d’Asie et d’Afrique, intégrant des costumes luxuriants et expressifs qui deviennent à la fois éléments narratifs et décor vivant. Cette approche syncrétique et interculturelle transforme la scène en une fresque où les costumes participent activement à la dynamique visuelle et sémantique de l’œuvre.
Les Matériaux Modernes
Les costumiers intègrent de nouveaux matériaux : plastique, métal, LED. Le costume de théâtre cesse d’être un simple accessoire pour devenir un élément dramaturgique à part entière.
La mise en scène contemporaine joue sur les contrastes et les anachronismes. Ainsi, un costume de gladiateur peut être fabriqué en matériaux synthétiques fluorescents, brouillant les repères temporels et stimulant l’imaginaire du spectateur. Cette approche souligne la fonction symbolique du costume, qui dépasse largement son rôle de représentation réaliste.
7. Les “maladies” du costume de théâtre selon Barthes

Roland Barthes, dans un article célèbre, identifie trois grandes erreurs courantes dans la conception des costumes théâtraux, qu’il qualifie de “maladies” :
1. Le vérisme archéologique
Barthes critique l’obsession de la véracité historique qui conduit à un souci excessif du détail, au détriment de la vision d’ensemble. Les costumes trop fidèles à une époque peuvent distraire le spectateur de l’action principale en attirant l’attention sur des éléments insignifiants. Il donne l’exemple des spectacles d’opéra où l’essence du personnage est étouffée par une accumulation de détails historiques anecdotiques. En revanche, Barthes cite en exemple Le Prince de Hombourg de Gischia, où les costumes parviennent à exprimer une vision globale de la pièce tout en restant fidèles à l’essentiel.
2. L’esthétisme excessif
Il met en garde contre les costumes conçus uniquement pour leur beauté visuelle, sans lien avec le contenu de la pièce. Barthes critique les spectateurs qui applaudissent des costumes uniquement pour leur apparence, sans considérer leur pertinence dramaturgique. Les créations de Christian Bérard, par exemple, sont souvent admirées pour leur raffinement, mais selon Barthes, elles risquent de déconnecter les costumes de la fonction critique du théâtre.
3. La somptuosité superficielle
La troisième “maladie” concerne l’exagération du luxe, qui répond davantage à des attentes commerciales qu’à une nécessité artistique. Barthes dénonce les productions qui misent sur des costumes somptueux pour satisfaire un public en quête de spectacle visuel. Cette richesse ostentatoire, souvent trompeuse, dénature l’essence même du théâtre, le réduisant à une marchandise.
Les fonctions fondamentales du costume de théâtre
Barthes attribue deux fonctions principales aux costumes, qui doivent être conçus pour servir directement la signification de l’œuvre.
1. Le costume comme vecteur d’argument
Selon Barthes, un bon costume joue un rôle cognitif en transmettant des informations sur le personnage ou l’action. Il rappelle l’exemple du calife Haroun al-Rachid, qui portait une robe rouge pour signaler sa colère. De même, les théâtres antiques et médiévaux utilisaient des costumes codés pour représenter les états d’âme ou les statuts sociaux.
2. L’humanité du costume
Le costume doit respecter et sublimer la stature humaine de l’acteur. Barthes insiste sur l’importance d’une harmonie entre le costume, le décor et le visage de l’acteur. Il critique les anachronismes morphologiques, où des visages modernes contrastent avec des costumes historiques mal adaptés. L’accord entre le costume et le corps est essentiel pour garantir l’authenticité et l’impact émotionnel.
Vers une éthique du costume théâtral
Barthes conclut que le costume théâtral doit être une écriture matérielle, fonctionnelle et discrète. Il doit servir l’acte théâtral sans se faire remarquer par des éléments superflus. Cette éthique repose sur un équilibre rare : le costume doit être à la fois présent et transparent, suffisamment matériel pour signifier, mais sans encombrer la scène. Barthes met en avant l’exemple des costumes de Brecht, qui accentuent leur matérialité pour mieux servir les objectifs critiques et intellectuels du spectacle.
En somme, l’histoire et l’évolution des costumes montrent qu’ils ne sont pas de simples ornements. Ils constituent un outil essentiel pour renforcer la lecture et la compréhension des tensions sociales mises en scène, contribuant ainsi à l’expérience théâtrale dans son ensemble.
8. Fonctions et Enjeux du Costume de Théâtre
Grâce à Barthes, on peut dire in fine que le costume scénique remplit plusieurs fonctions essentielles qui dépassent la simple notion d’habillage. Il est un outil narratif à part entière, au service du texte, de la mise en scène et de la compréhension de l’histoire par le spectateur. Voici les principales fonctions qu’il assume :
- Identification : Le costume permet d’identifier immédiatement un personnage en indiquant son âge, son rang social, sa profession ou son appartenance à un groupe. Par exemple, une couronne et une cape brodée suggèrent un personnage royal, tandis qu’un tablier usé évoque un artisan ou un domestique.
- Symbolisation : Le costume traduit visuellement des idées et des concepts abstraits. Les couleurs, les motifs et les accessoires sont choisis en fonction de leur charge symbolique. Ainsi, le blanc évoque souvent la pureté ou l’innocence, le rouge la passion ou la révolte, et le noir la mort ou le mystère. Cette fonction symbolique s’observe notamment dans les pièces de théâtre allégoriques et dans les productions contemporaines qui jouent sur la résonance psychologique des couleurs et des formes.
- Dynamisation du jeu : Le costume influence directement la posture et la gestuelle de l’acteur. Un vêtement rigide, comme une armure ou un corset, contraint les mouvements et impose une démarche solennelle ou raide. À l’inverse, une tunique ample et légère favorise des gestes amples et déliés. Cette interaction entre le costume et le corps est particulièrement exploitée dans le théâtre physique et les performances de danse-théâtre.
- Participation à la mise en scène : Le costume contribue à l’unité visuelle de la pièce en s’intégrant dans la composition scénique globale. Il dialogue avec les décors, les éclairages et les accessoires pour créer des atmosphères cohérentes et renforcer la lisibilité de la narration. Dans certains spectacles, les costumes deviennent des éléments de décor à part entière, comme les robes démesurées utilisées par Robert Wilson pour figurer des paysages émotionnels.
Ces différentes fonctions se combinent et interagissent, rendant le costume de théâtre indispensable à la construction du sens et à l’expérience esthétique du spectateur.
Le Costume Comme Narrateur Silencieux
Le costume « parle » au spectateur avant même que le personnage ne s’exprime. Il traduit les tensions sociales, les mutations historiques et les états d’âme des protagonistes. Son rôle est de guider l’interprétation de l’action, en orientant subtilement la perception émotionnelle et narrative du public.
8. Le Costume Aujourd’hui : Entre Tradition et Modernité
Les créations contemporaines jonglent entre fidélité historique et audaces esthétiques. Le costume est pensé en lien avec la lumière, le décor et le texte, dans la cohérence d’une mise en scène, notion à laquelle on a consacré un article.
Défis et Perspectives
Les costumiers d’aujourd’hui doivent composer avec :
- Les attentes des metteurs en scène : réalisme ou abstraction.
- L’évolution des matériaux : tissus technologiques et textiles recyclés.
- Les exigences du public : attentes de cohérence et d’innovation.
Conclusion : Le Costume, Miroir Vivant de l’Imaginaire Théâtral
Le costume de théâtre demeure un vecteur essentiel de l’illusion scénique. De ses origines rituelles à ses formes contemporaines, il témoigne de l’évolution des pratiques et des mentalités artistiques.
Sur scène, la « deuxième peau » de l’acteur transcende la simple apparence. Elle devient un langage, un support de narration et une clé de lecture pour le spectateur.
Sources
R. Barthes, “Les Maladies du costume de théâtre.
F. Chevalier, “Costume”, Dictionnaire Encyclopédique du Théâtre, Bordas.
P. Pavis, “Costume”, Dictionnaire du Théâtre, Dunod.
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