Histoire du costume de théâtre
Le costume de théâtre, à travers les siècles, a été un reflet des évolutions artistiques, culturelles et sociales. Son histoire est riche et variée, marquée par des changements majeurs dans les formes et les fonctions qu’il remplit sur scène. Voici une exploration de son évolution à travers différentes époques : de l’Antiquité à l’âge d’or du théâtre français, en passant par le naturalisme et le Cartel.
L’Antiquité : les origines du costume théâtral
Dans le théâtre grec antique, les costumes jouaient un rôle crucial dans l’identification des personnages et la transmission des émotions. Les acteurs portaient des tuniques appelées “chitons” et utilisaient des masques pour indiquer leur statut, leur âge ou leur état d’âme.
Dans les tragédies d’Eschyle, les costumes étaient souvent somptueux, tandis que les comédies d’Aristophane utilisaient des éléments plus fantaisistes comme des costumes d’animaux.
Le théâtre romain, influencé par les Grecs, adoptait des costumes colorés pour distinguer les différentes classes sociales et les types de personnages. Par exemple, la toge pour les citoyens ou le pallium pour les esclaves.
Le Moyen-Âge : entre sacralité et tradition populaire
Au Moyen-Âge, le théâtre était largement lié à la religion, avec des représentations de mystères et de miracles. Les costumes servaient à distinguer les figures sacrées des personnages terrestres.
Dans les Mystères, des robes élégantes étaient réservées aux personnages divins, tandis que les démons portaient des costumes grotesques avec des masques effrayants.
Parallèlement, les farces populaires utilisaient des habits simples, souvent des vêtements quotidiens, pour créer une proximité avec le public.
Le théâtre élisabéthain : le faste et l’éloquence vestimentaire
Sous le règne d’Elisabeth Iᵉ, le théâtre élisabéthain connaît un âge d’or. Les costumes, souvent somptueux, reflètent la richesse de l’Angleterre de la Renaissance.
Dans les pièces de Shakespeare, comme Othello ou Le Roi Lear, les costumes servaient à indiquer le rang social des personnages. Les acteurs masculins jouant des rôles féminins portaient des robes aux détails complexes pour créer l’illusion.
Le théâtre français du XVIIe siècle : l’âge classique
Le XVIIe siècle marque l’âge d’or du théâtre français avec des dramaturges comme Molière, Racine et Corneille. Les costumes, bien que codifiés, restaient riches et fastueux pour souligner l’importance du statut social.
Dans Le Malade imaginaire, les costumes des médecins étaient souvent caricaturaux, tandis que les habits des nobles étaient somptueux, accentuant le contraste entre les classes sociales.
Le théâtre du XVIIIe siècle : l’influence de la Clairon
Au XVIIIe siècle, les costumes théâtraux évoluent vers un plus grand souci de véracité historique, sous l’influence de comédiennes comme la Clairon. Cette dernière révolutionne le jeu et le costume en adoptant des tenues fidèles à l’époque des personnages qu’elle incarne.
De son vrai nom Hyppolyte-Claire-Josèphe Leris de La Tude, la Clairon est une célèbre comédienne française du XVIIIe siècle. Née en 1723, elle s’est illustrée à la Comédie-Française où elle a incarné des rôles majeurs du répertoire classique, notamment dans les tragédies de Racine et Voltaire. La Clairon a marqué l’histoire du théâtre par son engagement en faveur d’un jeu plus réaliste et d’une grande rigueur dans la reconstitution historique des costumes, en rupture avec les pratiques plus stylisées de son époque. Elle fut également connue pour sa voix expressive et sa capacité à émouvoir profondément le public, contribuant à élever les standards de l’art dramatique en France.
Le théâtre romantique du XIXe siècle : entre rêve et réalisme
Le théâtre romantique du XIXe siècle a mis en avant l’idée de “couleur locale”, visant à immerger pleinement le spectateur dans un univers spécifique. Le costume jouait un rôle essentiel dans cette démarche en renforçant l’authenticité visuelle des pièces. Il ne s’agissait pas simplement de reconstituer des habits d’époque, mais d’évoquer l’atmosphère, les traditions et l’identité culturelle propres au cadre de l’intrigue.
Contribution du costume à la couleur locale
- Précision historique : Le théâtre romantique s’efforçait de reproduire fidèlement les costumes des périodes et lieux représentés. Par exemple, dans Hernani de Victor Hugo, les capes, les pourpoints et les épées évoquent l’Espagne du XVIe siècle, contribuant à situer clairement l’action.
- Symbolisme culturel : Les costumes intégraient des éléments distinctifs des cultures représentées, comme les coiffes, les motifs ou les tissus spécifiques, pour souligner l’authenticité. Dans La Reine Margot, les robes somptueuses des personnages féminins et les tenues militaires des hommes traduisent les tensions politiques de l’époque.
- Création d’atmosphères visuelles fortes : Les romantiques misaient sur des costumes qui appelaient à l’émotion et renforçaient l’imaginaire. Dans Ruy Blas, les contrastes entre les habits modestes du héros et les costumes opulents de la cour accentuent le conflit entre la pureté et la corruption.
Ainsi, le costume était un pilier central pour donner vie à l’univers romantique et transporter le spectateur dans un voyage visuel et sensoriel.
Le naturalisme d’André Antoine : la quête de l’authenticité
Avec André Antoine et le Théâtre Libre, le naturalisme introduit une nouvelle approche du costume, privilégiant l’exactitude et la fidélité au quotidien. Les personnages portent des vêtements réalistes, souvent issus de la vie de tous les jours.
Dans La Terre de Zola, les costumes représentent avec précision les habits des paysans, renforçant le côté documentaire de la mise en scène.
Le costume et le Cartel : Jouvet, Baty, Pitoëff, Dullin
Dans l’entre-deux-guerres, le Cartel des Quatre (Louis Jouvet, Charles Dullin, Georges Pitoëff et Gaston Baty) réinvente le théâtre en apportant une modernité esthétique. Les costumes deviennent des outils au service d’une vision scénique épurée ou stylisée.
Louis Jouvet, dans ses mises en scène de Giraudoux comme La guerre de Troie n’aura pas lieu, utilise des costumes minimalistes et symboliques, mettant en avant la poésie du texte.
L’évolution du costume théâtral reflète les transformations du théâtre lui-même, oscillant entre représentation fidèle, expression symbolique et innovation esthétique. Chaque époque, à travers ses grands dramaturges et metteurs en scène, a apporté sa contribution unique à cet art essentiel de la scène.
Formes et fonctions du costume de théâtre
Le costume de théâtre est bien plus qu’un simple vêtement porté par l’acteur. Il est une composante essentielle de la mise en scène, contribuant à créer l’identité des personnages, à situer l’action et à transmettre des messages au spectateur. Cet article explore les différentes formes que peut prendre le costume théâtral ainsi que les fonctions qu’il remplit, en s’appuyant sur des exemples concrets tirés de pièces célèbres et de traditions théâtrales variées.
Les formes du costume de théâtre
1. Le costume historique
Le costume historique est conçu pour replacer le personnage dans une époque précise. Il permet de reconstituer fidèlement l’habillement d’une période donnée, contribuant ainsi à l’authenticité de la mise en scène.
- Dans Les Trois Mousquetaires, les costumes incluent des justaucorps richement ornés, des capes et des bottes à revers pour situer l’action dans la France du XVIIᵉ siècle.
- Roméo et Juliette, lorsqu’elle est jouée en costumes Renaissance, présente des robes à manches bouffantes et des pourpoints, illustrant la mode de l’Italie du XVIᵉ siècle.
2. Le costume contemporain
Les costumes contemporains reflètent des styles vestimentaires actuels ou récents. Ils aident à ancrer l’action dans une époque proche du spectateur.
- Dans Un Tramway nommé Désir, les vêtements simples et fonctionnels des personnages traduisent l’ambiance de la Nouvelle-Orléans des années 1940.
- Le Dieu du Carnage met en scène des personnages en tenue de ville moderne, reflétant leur statut social et leur époque.
3. Le costume symbolique
Le costume symbolique s’éloigne de la représentation réaliste pour adopter une dimension plus abstraite. Il vise à transmettre une idée ou une émotion.
- Dans La Tempête de Shakespeare, le personnage de Prospero peut porter un manteau orné de motifs célestes pour symboliser sa maîtrise de la magie et des éléments.
- Le théâtre de Bertolt Brecht, comme dans L’Opéra de quat’sous, utilise souvent des costumes simplifiés ou stylisés pour souligner le message politique sans distraction visuelle.
4. Le costume fantastique
Ce type de costume s’inscrit dans des univers imaginaires, souvent emprunts de magie ou de mythologie. Il permet une grande liberté de création.
- Dans Le Songe d’une nuit d’été, les fées portent souvent des costumes éthérés, avec des tissus légers et des détails floraux pour illustrer leur nature mystique.
- Les personnages du Roi Lion dans la comédie musicale arborent des costumes et des masques inspirés des animaux, créant un univers visuel saisissant.
Les fonctions du costume de théâtre
1. Identifier le personnage
Le costume aide à définir l’identité du personnage en révélant son statut social, sa profession, son âge ou encore sa personnalité.
- Dans Le Bourgeois gentilhomme de Molière, le personnage de Monsieur Jourdain porte des habits somptueux mais décalés, reflétant son désir d’ascension sociale.
- Hamlet utilise le noir pour symboliser le deuil et l’état d’âme du personnage principal.
2. Situer l’action
Le costume permet de situer l’action dans un contexte spatio-temporel précis, aidant le spectateur à comprendre l’époque et le lieu.
- Dans Cyrano de Bergerac, les costumes reflètent l’époque baroque avec des chapeaux à plume et des épées.
- Cabaret situe son action dans l’Allemagne des années 1930, avec des costumes évocateurs de la période de la République de Weimar.
3. Créer une esthétique visuelle
Le costume contribue à l’harmonie visuelle de la scène, en dialogue avec les décors et les éclairages.
- Dans Le Mariage de Figaro, les tons pastel des costumes s’accordent avec les décors rococo, créant une unité visuelle.
- Macbeth, mis en scène dans une ambiance sombre, utilise des costumes aux teintes éteintes pour renforcer le côté tragique et sinistre.
4. Traduire des émotions
Les costumes peuvent être un vecteur d’émotion, traduisant des états d’âme ou des tensions.
- Dans Antigone, la tenue dépouillée du personnage principal reflète sa détermination et sa solitude face à l’oppression.
- Les robes flamboyantes de La Traviata contrastent avec la fragilité émotionnelle de Violetta.
5. Soutenir l’illusion théâtrale
Le costume participe à la création de l’illusion théâtrale en transportant le spectateur dans un univers fictif.
- Dans La Belle et la Bête, les costumes extravagants des serviteurs enchantés renforcent l’aspect magique de l’histoire.
- Le théâtre nô japonais utilise des masques et des costumes codifiés pour plonger le spectateur dans un monde symbolique et intemporel.
6. Servir la vision du metteur en scène
Enfin, le costume est un outil au service de la vision artistique du metteur en scène, qui peut choisir de détourner les codes vestimentaires pour donner une lecture originale de l’œuvre.
- Dans une version moderne de Jules César de Shakespeare, les personnages peuvent être habillés en costumes militaires contemporains pour établir un parallèle avec des conflits modernes.
- La Cerisaie, mise en scène par Peter Brook, utilise des costumes minimalistes pour mettre l’accent sur l’émotion des personnages plutôt que sur le contexte historique.
Le costume de théâtre, dans toute sa richesse et sa diversité, joue un rôle fondamental dans la création artistique. Qu’il soit fidèle à une époque ou totalement abstrait, il dialogue avec le texte, les décors et les acteurs pour donner vie à l’imaginaire. Chaque costume, par ses formes et ses fonctions, participe à l’expérience unique qu’est le théâtre, transportant le spectateur dans des mondes variés et fascinants.
Dans son analyse approfondie, Roland Barthes propose une réflexion sur le costume de théâtre en établissant une “pathologie” ou une “morale”. Il ne s’agit pas d’évaluer les costumes sur des critères de beauté ou de véracité historique, mais plutôt sur leur capacité à remplir une fonction intellectuelle et à servir l’œuvre dramatique. Barthes emprunte à Brecht la notion de “gestus social”, qui désigne l’expression des tensions et conflits sociaux propres à la pièce. Pour Barthes, un costume efficace ne doit jamais distraire le spectateur du sens fondamental de l’œuvre.
Les “maladies” du costume de théâtre selon Barthes
Roland Barthes identifie trois grandes erreurs courantes dans la conception des costumes théâtraux, qu’il qualifie de “maladies”.
1. Le vérisme archéologique
Barthes critique l’obsession de la véracité historique qui conduit à un souci excessif du détail, au détriment de la vision d’ensemble. Les costumes trop fidèles à une époque peuvent distraire le spectateur de l’action principale en attirant l’attention sur des éléments insignifiants. Il donne l’exemple des spectacles d’opéra où l’essence du personnage est étouffée par une accumulation de détails historiques anecdotiques. En revanche, Barthes cite en exemple Le Prince de Hombourg de Gischia, où les costumes parviennent à exprimer une vision globale de la pièce tout en restant fidèles à l’essentiel.
2. L’esthétisme excessif
Il met en garde contre les costumes conçus uniquement pour leur beauté visuelle, sans lien avec le contenu de la pièce. Barthes critique les spectateurs qui applaudissent des costumes uniquement pour leur apparence, sans considérer leur pertinence dramaturgique. Les créations de Christian Bérard, par exemple, sont souvent admirées pour leur raffinement, mais selon Barthes, elles risquent de déconnecter les costumes de la fonction critique du théâtre.
3. La somptuosité superficielle
La troisième “maladie” concerne l’exagération du luxe, qui répond davantage à des attentes commerciales qu’à une nécessité artistique. Barthes dénonce les productions qui misent sur des costumes somptueux pour satisfaire un public en quête de spectacle visuel. Cette richesse ostentatoire, souvent trompeuse, dénature l’essence même du théâtre, le réduisant à une marchandise.
Les fonctions fondamentales du costume de théâtre
Barthes attribue deux fonctions principales aux costumes, qui doivent être conçus pour servir directement la signification de l’œuvre.
1. Le costume comme vecteur d’argument
Selon Barthes, un bon costume joue un rôle cognitif en transmettant des informations sur le personnage ou l’action. Il rappelle l’exemple du calife Haroun al-Rachid, qui portait une robe rouge pour signaler sa colère. De même, les théâtres antiques et médiévaux utilisaient des costumes codés pour représenter les états d’âme ou les statuts sociaux.
2. L’humanité du costume
Le costume doit respecter et sublimer la stature humaine de l’acteur. Barthes insiste sur l’importance d’une harmonie entre le costume, le décor et le visage de l’acteur. Il critique les anachronismes morphologiques, où des visages modernes contrastent avec des costumes historiques mal adaptés. L’accord entre le costume et le corps est essentiel pour garantir l’authenticité et l’impact émotionnel.
Vers une éthique du costume théâtral
Barthes conclut que le costume théâtral doit être une écriture matérielle, fonctionnelle et discrète. Il doit servir l’acte théâtral sans se faire remarquer par des éléments superflus. Cette éthique repose sur un équilibre rare : le costume doit être à la fois présent et transparent, suffisamment matériel pour signifier, mais sans encombrer la scène. Barthes met en avant l’exemple des costumes de Brecht, qui accentuent leur matérialité pour mieux servir les objectifs critiques et intellectuels du spectacle.
En somme, l’histoire et l’évolution des costumes montrent qu’ils ne sont pas de simples ornements. Ils constituent un outil essentiel pour renforcer la lecture et la compréhension des tensions sociales mises en scène, contribuant ainsi à l’expérience théâtrale dans son ensemble.
Cet article vous a plu ? Pour ne rater aucune publication, inscrivez-vous sur le site et abonnez-vous à notre Lettre de Nouvelles.