La Vie de bureau 5F/2H



Pourront-ils-elles sauver leur entreprise ?

Accordez-nous moins d’1h30 de lecture et découvrez comment faire entrer votre public dans une entreprise où l’on se chamaille au moins autant qu’on s’aime bien (même si plusieurs de vos interprètes débutent).

On a 3 questions rapides à vous poser : 

🆘 Est-ce que vous avez assez de tomber sans cesse sur des textes qui ne correspondent jamais à votre répartition femmes/hommes ?

🆘 Est-ce que vous n’en pouvez plus de ces pièces où les scènes tirent en longueur ?

🆘 Est-ce que vous faites partie de ces personnes qui détestent les comédies ne parlant pas du monde d’aujourd’hui ?

Si vous avez répondu oui à au moins deux questions, alors lisez vite ce qui suit !

Résumé de La Vie de bureau. Dans la filiale « United Smokes » de Villiers-Saint-Marc, spécialistes en fumigènes, on s’aime, on se déteste, on se fait des blagues. On bosse aussi, quelquefois. La fermeture annoncée du site mettra le petit groupe en émoi. 

En accédant au texte intégral de La Vie de Bureau, vous obtiendrez un fichier pdf de 76 à 96 pages pour un poids ultra-réduit entre 475 ko et 584 ko. Le fichier est donc très facilement téléchargeable sur votre téléphone, votre ordinateur, votre tablette et imprimable à volonté. La mise en page vous permettra de noter sur le texte toutes les indications et notes de régie que vous jugerez utiles.

Avec « La Vie de Bureau » vous découvrirez :

✅ une comédie faisant avancer de front 4 intrigues, relançant sans cesse l’intérêt du public

✅ une histoire d’amour très vaudevillesque, proposant au public un type d’humour qu’il a toujours plaisir à retrouver

✅ des personnages attachants, donnant aux interprètes l’opportunité de gagner la sympathie du public

✅ une pièce aux très nombreuses distributions possibles, s’ajustant avec plasticité aux effectifs de votre compagnie

✅ une comédie sur le thème de l’entreprise, qui proposera à votre public un regard sur le monde d’aujourd’hui tout en le distrayant

La pièce a été créée par la troupe Cadohifaden en février 2020 à Botz-en-Mauges. 

Bonne nouvelle : la lecture, le téléchargement et l’impression de La Vie de Bureau sont totalement gratuits !

Intéressé-e ? Attention, cependant : cette pièce est fortement déconseillée aux personnes qui n’aiment pas le monde du travail.



La pièce a été créée le 22 février 2020, à Botz-en-Mauges, par la troupe Cadohifaden. La version retenue était une version à 9 personnages.

La Vie de Bureau de Rivoire & Cartier
L’affiche du spectacle
La Troupe avec le metteur en scène.

Au fait, saviez-vous que l’humour en entreprise rendait plus performant ? Mais attention aux abus. Voici un lien vers un article qui fait une synthèse intéressante de ces questions dans Welcome in the Jungle.

Texte intégral de La Vie de Bureau version 17 personnages à lire ou à imprimer

Personnages

Jocelynedirectrice générale de la filiale de United Smokes à Villiers-Saint-Marc, pleine d’empathie.

Bernarddirecteur adjoint de la filiale de United Smokes à Villiers-Saint-Marc, blagueur.

Ysée ou Arsènesupervision des filiales de United Smokes, très pro.

Fredréceptionniste, peu diplomate.

Jean-Louis ou Valériereprésentant-e commercial-e volontiers paillard-e.

Evacommerciale piquante.

Tomcommercial sentimental.

Lauraservice après-vente, discrète.

Olivierdélégué de la commune de Villiers-Saint-Marc, guindé.

Brad ou Emmasupervision des filiales de United Smokes, très techno.

Bret ou Emmy supervision des filiales de United Smokes, très mode.

Baba, agent d’entretien taciturne.

Sachaservice de la paietoujours le souci de bien faire.

Danycomptable, décontracté-e.

Louassistant-e aux ressources humaines, espérant monter en grade. 

Silmanutentionnaire, beaucoup de créativité. 

Chrismanutentionnaire, beaucoup de logique.

NOTE

  1. Les interventions de Sacha, Dany, Lou, Sil et Chris sont autonomes et peuvent être coupées sans gêner le bon déroulement de la pièce. 
  2. Plusieurs rôles peuvent être joués par un-e même acteur/actrice.
  3. Les rôles de Ysée/Arsène, Jean-Louis/Valérie, Brad/Emma, Bret/Emmy, Baba, Sacha, Dany, Lou, Sil et Chris peuvent indifféremment être joués par des hommes ou des femmes.

Le décor

Un open spaceLes bureaux de Tom, Eva et Laura. Ordinateurs, bouteilles d’eau, paperasse. Une réception. Un panneau « United Smokes inc. » Un distributeur d’eau. Une porte donnant sur le bureau de Bernard. Une ouverture vers d’autres bureaux. Une ouverture vers l’extérieur.

Tableau 1.

L’espace est vide et plongé dans la pénombre. Une porte s’ouvre et une silhouette paraît. C’est Fred. Elle appuie sur un interrupteur et la lumière s’allume. Elle enlève son manteau, pose une pile d’enveloppes sur la réception et va s’asseoir derrière. Elle examine les différentes enveloppes quand le téléphone sonne.  

Freddécrochant, prenant un ton aimable. — United Smokes Villiers-Saint-Marc, bonjour ! (Un temps.) Non, il n’y a personne. (Un autre temps.) Non, je ne sais pas. (Un autre temps, perdant son sourire.) Je vous dis que je ne sais pas. 

Eva entre.

Evatonitruante. — Hello Fred !

Fred, à Eva, sèche. — Je suis au téléphone !

Evaà part. — Hou ! De bonne humeur, on dirait… (Elle s’installe à son bureau.)

Fred, au téléphone, sortant de ses gonds. — Puisque je vous dis que j’en n’ai aucune idée ! Je suis pas médium ! Oh ! (Raccrochant subitement.)

Evaà part. — Eh ben après ça, on s’étonne que la clientèle soit en baisse…

Fred, un soupçon germe dans son esprit. — Qu’est-ce que tu dis ?

Evahaut. — Rien ! Je disais… « Il me semble que la température est en baisse… » Non ?

Fred. — Je sais pas… (Montrant son front.) Y a pas marqué « Station météo ».

Evaà part, ironique. — Je confirme, c’est glacial…

Entre Laura, rasant les murs.

Fredregardant passer Laura et lui lançant, comme un reproche à quelqu’un d’impoli. — Bonjour !

Laurasursautant. — Ah ! Bonjour Fred… Je n’avais pas vu que tu étais là…

Fredhaussant les épaules alors que Laura va à son bureau comme si elle voulait entrer dans un trou de souris. — Où tu veux que je sois ?

Evaaimable. — Salut Laura !

Laurasursautant de nouveau. — Ah ! Euh… Salut Éva…

Evaironique. — Excuse-moi de te réveiller…

Laura, balbutiant. — Tu ne me réveilles pas, simplement j’étais… je…

Evapoursuivant sa blague. — T’inquiète, rendors-toi !

Entrent Sacha et Dany.

Sachaterminant une conversation. — Et depuis, tout le monde s’entend hyper bien ! (À Fred, Eva et Laura ) Bonjour, estimées collègues ! 

Sacha et Dany se dirigent vers un autre espace et disparaissent tandis que le téléphone sonne.

Fred, répondant au téléphone, aimable. — United Smokes Villiers-Saint-Marc bonjour ! (Un temps.) Quoi ?

Entre Lou, parlant au téléphone. Il fait un signe à Fred qui ne répond pas.

Lou, au téléphone. — Il ne pouvait pas faire ça, c’était contraire à toutes les règles morales…

Lou se dirige vers un autre espace et disparaît.

Fred, toujours au téléphone. — Pardon ? J’ai pas compris… (Après un temps.) Non, ce n’est pas la Boucherie Léonard ! (Un temps.) Mais non, monsieur, vous ne pouvez pas me commander un steak haché ! Ici, vous êtes chez United Smokes Villiers-Saint-Marc, spécialistes des fumigènes, feux à mains et feux d’artifices, alors pensez bien qu’un jarret… Quoi ? Un jambon fumé ? (Comprenant soudain.) Oh !… Bernard, c’est bon, je vous ai reconnu… (Un temps.) Mais arrêtez, Bernard, je sais que c’est vous… (Un temps.) Hein ? (La mine désespérée.) Ouais, ouais… c’était très drôle… (Un temps.) Non, j’ai vu personne. (Un autre temps.) Jocelyne non plus. (Un temps court.) Oui, à tout de suite ! (Elle raccroche.)

Entre Tom, un peu gêné.

Fred, voyant Tom, soudain radoucie. — Salut Tom ! 

Tom, battant en retraite face à Fred. — Oui… salut…

Fred, souriante, alors que Tom s’éloigne de la réception. — Je vais pas te manger, tu sais… 

Eva, gentille, à Tom. — Hello !

Tom, mal à l’aise. — Hello !… 

Eva. — Alors, c’était bien, ta soirée ?

Tom, bredouillant. — Oui, oh… Je suis resté devant la télé, finalement…

Eva, moqueuse. — T’aurais mieux fait de venir boire un verre avec moi, comme je te l’avais proposé…

Tom, apercevant Laura, gêné. — Salut…

Laura, gênée. — Salut…

Entre Jocelyne.

Jocelyne, joyeuse. — Bonjour les chéris ! Regardez ce que je vous ai amené… (Elle brandit un sac.) Des croissants !

Tout le monde se précipite vers elle, en disant « Merci Jocelyne ». Soudain, Eva prend le croissant que Fred avait saisi.

Fred. — Oh ! C’était le mien !

Eva, mutine, riant. — Ha ha ha ! Tous les coups sont permis !

Jocelyne, gentiment grondeuse. — Allons, ne vous disputez pas ! Il y en aura pour tout le monde ! Nous sommes une grande famille, après tout…

Entrent Sil et Chris.

Sil, s’adressant à Chris. — Et là, je lui dis : « mon pote, moi, j’ai une idée par minute ! » T’aurais vu sa tronche… (Soudain, tout le monde s’arrête de parler et les regarde.) Quoi ? On vient boire un verre d’eau ? On n’a pas le droit ?

Jocelyne, souriante. — Mais si, bien sûr !

Chris. — C’est pas parce qu’on bosse à l’entrepôt…

Jocelyne, souriante. — Nos amis de l’entrepôt sont aussi nos amis ! Bon… (Son sourire s’efface peu à peu.) Vous êtes souvent couverts de sueur, vous crachez toutes les deux minutes, vous faites des fautes d’orthographe à l’oral… (Retrouvant son sourire.) Mais vous faites quand même partie de la grande famille United Smokes Villiers-Saint-Marc ! Prenez donc un croissant.  

Fred, à Jocelyne, tandis que Sil et Chris, dépité-e-s, prennent un croissant et s’en vont et que les autres regagnent peu à peu leurs bureaux et se mettent à travailler. — Vous avez eu un appel.

Jocelyne. — Les peintres ?

Fred. — Non !

Jocelyne. — Oh ! Mais quand est-ce qu’ils vont finir ? En attendant, je suis toujours sans bureau…

Fred. — C’était Bernard.

Jocelyne. — Un problème ?

Fred. — Il demandait si votre rendez-vous était là.

Jocelyne. — Mon rendez-vous ?

Fred. — Le vôtre et le sien, aussi.

Jocelyne. — Ah oui ! On attend quelqu’un de la supervision des filiales…

Fred. — Un problème ?

Jocelyne. — Non, visite de routine…

Entre Bernard, avec éclat. 

Bernard, mimant une guitare. — Rock’n roll !

Jocelyne, riant. — Quand on parle du loup !

Bernard, d’humeur rieuse. — Eh ! Salut Fred !

Fred, n’entrant pas dans son jeu. — Bonjour, Bernard…

Bernard, transformant sa voix. — « Allô, la boucherie Léonard ? »

Fred, levant les yeux au ciel. — Très drôle…

Jocelyne. — Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

Fred. — Laissez tomber, Jocelyne…

Bernard, la voix toujours transformée. — « Je voudrais un steak haché de deux cents cinquante grammes, s’il vous plaît » !

Fred, le regard noir, contrefaisant un rire. — Ah ah ah…

Jocelyne. — Quelqu’un m’explique ?

Bernard, se retenant de rire.  Dis-donc, Fred, tu trouves pas qu’il fait un peu (Il mime un frisson.) « fred » ce matin… (Fred ne sait que répondre. Bernard sort un papier qu’il tend à Fred.) Tiens, Fred, voilà mes notes de « fred »… (Fred prend le papier sans même esquisser un sourire.) Donne ça à Sacha. (À Jocelyne.) Ah ! Voilà ma cheffe préférée…

Jocelyne, aimable. — Bonjour Bernard… Prends un croissant.

Bernard, prenant un croissant de bon cœur. — Ah ! génial ! C’est pour ça que j’adore bosser ici… (La bouche pleine, rectifiant le tir.) Enfin… mis à part le fait qu’on vend les meilleurs fumigènes du monde… (Sortant une boîte et la posant sur la réception.)

Fred. — Posez pas des trucs sur ma réception !

Bernard. — Ce n’est pas un « truc » ! C’est un prototype que le siège vient de nous envoyer. Fumax. Un fumigène d’intérieur très efficace, paraît-il. 

Jocelyne, préoccupée. — Tu te souviens que c’est aujourd’hui qu’on a rendez-vous avec la supervision des filiales ?

Bernard, toujours de bonne humeur. — Et comment ! Je me suis fait une alerte sur mon agenda : « Attention, rendez-vous avec les raseurs de première ». Christine arrive à quelle heure ?

Jocelyne. — C’est pas Christine. C’est un nouveau ou une nouvelle, je sais plus…

Bernard. — Pourquoi c’est pas Christine qui vient ?

Jocelyne. — On pourra aller dans ton bureau ? Les peintres n’ont toujours pas fini dans le mien…

Bernard. — No problemo. Je vous accueille avec plaisir dans ma tanière !

Entre Ysée ou Arsène. Une allure stricte, un attaché-case de prix.

Ysée/Arsène, à Fred. — Bonjour. J’ai rendez-vous avec Mme Muflot.

Jocelyne, allant à Ysée ou Arsène. — Bonjour, enchantée, je suis Jocelyne Muflot, directrice générale de notre filiale de Villiers-Saint-Marc.

Ysée/Arsène, lui serrant la main. — Bonjour. 

Jocelyne. — Je vous présente Bernard Triquard, notre directeur adjoint.

Bernard, serrant la main d’Ysée ou Arsène. — Bonjour ! Et bravo !

Ysée ou Arsène. — Bravo ?

Bernard, se retenant de rire. — Votre GPS a trouvé Villiers-Saint-Marc sur ses cartes, ce qui n’est pas donné à tout le monde ! (Il rit franchement.)

Ysée ou Arsène, comprenant la blague. — Ah… oh… Euh… Enchanté-e, Ysée/Arsène de Bayeux, je viens de prendre en responsabilité la supervision des filiales locales. 

Bernard, rieur. — Nous, pauvres tâcherons d’une minuscule filiale de province, nous sommes très honorés de recevoir la visite d’un-e grand-e ponte du siège national…

Jocelyne, à Ysée/Arsène. — Vous désirez un croissant ?

Ysée ou Arsène. — Non merci, j’ai avalé une galette d’épeautre et d’avoine bio en arrivant. 

Bernard, incrédule, l’esprit joueur. — D’avoine ? Vous étiez cheval dans une autre vie ? (Ysée/Arsène ne comprend pas la blague.)

Jocelyne, à Ysée/Arsène. — On va aller dans le bureau de Bernard, parce que le mien est en travaux.

Bernard, allant à une porte. — Venez, c’est par ici. (Il ouvre la porte.) Je vous en prie. (Jocelyne fait signe à Ysée/Arsène d’entrer.)

Ysée ou Arsène, mettant un pied dans le bureau de Bernard et s’arrêtant net. — Pouh !

Bernard. — Qu’est-ce qui se passe ?

Ysée ou Arsène, sans achever sa phrase. — Je ne sais pas, il y a quelque chose qui… 

Jocelyne, voulant entrer à son tour mais ressortant immédiatement. — Ouf ! Oui, c’est vrai, Bernard, ça sent très fort…

Bernard. — Hein ? (Il entre dans son bureau. Off ) Wouah ! Mais qu’est-ce qui coince comme ça… 

Jocelyne. — Bernard, ferme cette porte…

Bernard, off. — On dirait un animal mort… une fois, mon oncle, qui est chasseur, avait oublié un faisan dans son coffre et… ça sentait un peu comme ça…

Fred, se bouchant le nez. — Dites, si vous pouviez fermer la porte parce que ça commence à sentir d’ici…

Bernard, off. — Mais d’où peut venir cette odeur nauséabonde… (Reniflant ) Peut-être le cadavre d’une souris en décomposition…

Jocelyne, se bouchant le nez elle aussi. — Fred a raison Bernard, on va fermer la porte et appeler l’entretien !

Bernard, sortant, reniflant. — Ou un rat… (Reniflant encore ) Ou une musaraigne… oui… c’est ça… une musaraigne blessée, maculée de sang, baignant dans son jus…

Jocelyne, à Fred. — Appelle Baba. 

Bernard, poursuivant sa description macabre, comme hypnotisé et incommodé par la vision qu’il évoque. — Une musaraigne dont les chairs pourries sont dévorées par de gros vers blancs, gras et luisants…

Fred. — La porte !

Jocelyne. — Ferme cette porte, Bernard, c’est insoutenable !

Bernard, allant précipitamment derrière la réception alors que Jocelyne ferme la porte. —  Excusez-moi ! (Il se penche, disparaît derrière la réception et vomit.)

Fred. — Ah ! Bernard !…

Bernard, se redressant, livide. —  Excuse-moi, Fred…

Fred. — C’est bon, ça va aller…

Bernard, chancelant. — Désolé, mais c’est cette odeur, je… (Il se penche et vomit de nouveau.)

Fred, dont la tête tourne. — Oh non ! (Dans le combiné ) Allô Baba ? Faut que tu montes. Il y a un problème chez Bernard.

Bernard, se redressant et dégageant de la réception, un sac poubelle bien rempli à la main. — Navré, Fred, je…

Bernard sort avec le sac.

Fred, au téléphone, s’énervant. — Eh ben comme ça, ça te fera bosser un peu, feignasse !

Jocelyne, tentant de faire bonne figure face à Ysée/Arsène. — Bien alors… récapitulons… On ne peut aller ni chez Bernard ni chez moi… (Elle réfléchit un instant.) On n’a qu’à aller en salle de conférence !

Eva. — Non, il y a Lou qui fait sa formation…

Jocelyne. — Ah… Bon… Eh bien… (À Ysée/Arsène ) On va rester ici, tout simplement… Je vais chercher des chaises…

Ysée/Arsène. — Euh… Vous voulez dire que euh… le rendez-vous va se faire ici ?

Jocelyne, à Ysée/Arsène. — Ça vous pose un problème ?

Ysée/Arsène. — Eh bien… c’est que… j’ai différentes informations confidentielles à vous communiquer alors je ne sais pas si… (Elle/Il a désigné Eva, Laura et Tom qui, toujours assis à leurs bureaux, ont dressé l’oreille sur les derniers mots.)

Jocelyne, à Ysée/Arsène. — Vous savez, ici, on est une grande famille ! (Devant l’air peu convaincu d’Ysée/Arsène.) Bien… (Aux autres ) S’il vous plaît, votre attention ! Aujourd’hui, en raison de nos très bons chiffres du mois dernier… je vous autorise à tous aller prendre un café !

Fred. — Quoi ?

Tom. — Hein ?

Jocelyne. — Allez !

Tom, Laura, Eva et Fred sortent de mauvaise grâce alors que Jocelyne fait asseoir Ysée/Arsène et que Bernard revient.

Jocelyne. — Ça va aller Bernard ?

Bernard. — Oui, oui, c’est… c’est passé… Je me demande vraiment ce qu’il y a dans mon…

Jocelyne, craignant que Bernard ne soit de nouveau indisposé. — N’en parlons plus !

Bernard. — Oui, tu as raison, je crois que c’est le mieux…

Jocelyne. — Va prendre l’air 5 minutes.

Bernard. — Non, non… c’est bon… je suis d’attaque… (À Ysée/Arsène.) Nous sommes pendus à vos lèvres…

Ysée/Arsène, après un moment d’appréhension. — Euh… bon… alors…

Bernard, la/le coupant. — Comment va Christine ? 

Ysée/Arsène. — Pardon ?

Jocelyne, gentiment grondeuse. — Bernard !

Bernard. — Ben quoi ? Je demande des nouvelles de Christine…

Ysée/Arsène. — Christine va très bien…

Bernard. — Tant mieux…

Ysée/Arsène. — Bien… donc, si je suis ici aujourd’hui…

Bernard, la/le coupant. — Vous lui direz bonjour de notre part.

Ysée/Arsène. — Quoi ? Euh… oui, oui…

Jocelyne, faisant les gros yeux. — Bernard !

Bernard. — C’est vrai, elle est sympa, Christine…

Jocelyne, à Ysée/Arsène et avec intention en direction de Bernard. — Nous vous écoutons.

Bernard. — Pourquoi c’est pas elle qu’est venue, d’ailleurs ?

Ysée/Arsène. — Christine est passée à la prospective…

Jocelyne, en colère. — Bernard, maintenant ça suffit ! (À Ysée/Arsène.) Excusez-nous… Allez-y.

Ysée/Arsène. — Oui… merci… Voilà… ce n’est pas simple… (Elle/il sort des papiers de son attaché-case.) Le siège national a repris vos chiffres depuis deux ans et… vous êtes en-dessous des autres filiales. Très en-dessous… (Silence glacial.)

Jocelyne, surprise. — Ah bon ? Faites voir ? (Prenant le papier.) Je ne comprends pas… Bernard ? (Elle lui passe la feuille.)

Bernard, la feuille sous le nez. — Oui, en effet, c’est étonnant parce que ça ne ressemble pas du tout à mes chiffres… Vous avez dû faire une erreur…

Ysée/Arsène, manipulant d’autres papiers et les passant à Jocelyne. — Euh… non…  j’ai repris tous les chiffres et… regardez… ça correspond bien à toutes vos déclarations depuis deux ans…

Jocelyne, compulsant les papiers. — Tu t’es peut-être trompé, Bernard…

Bernard. — Impossible !

Jocelyne. — Alors comment expliquer ces chiffres ?

Bernard. — Dany a dû faire des fautes de frappe pendant les télétransmissions mensuelles et… 

Ysée/Arsène, faisant passer d’autres papiers. — Eh bien… euh… non, regardez… les télé-données mensuelles de votre comptabilité recoupent bien vos chiffres et notre graphique de synthèse, alors…

Bernard. — En ce cas, je ne vois qu’une seule solution : vous vous êtes plantés dans vos calculs.

Ysée/Arsène, n’en croyant pas ses oreilles. — Je vous demande pardon ?

Jocelynebas. — Bernard !

Bernardpaternel, à Ysée/Arsène. — Une erreur de multiplication, ça arrive à tout le monde…

Ysée/Arsène, piqué-e. — Je suis titulaire d’un Master de comptabilité et…

Bernard, rieur. — « Bla bla bla »…

Ysée/Arsène, fulminant. — Je suis également diplômé-e en Hautes Études commerciales et…

Bernard, la/le coupant. — 12,73 X 85,48. 

Ysée/Arsène, déstabilisé-e. — Mais… mais…

Jocelynebas. — Enfin, Bernard !

Bernard, rigolard et avec un air de défi, à Ysée/Arsène. — Puisque t’es une tête en compta, vas-y, je t’écoute : 12,73 X 85,48, ça fait combien ?

Ysée/Arsène, se levant et remettant un autre papier à Jocelyne. — Bien ! Voici un extrait du relevé de décisions de la dernière réunion de direction du siège national. Il y apparaît que nous vous demandons de remonter significativement vos chiffres de vente d’ici cinq mois. Si dans cinq mois, vos chiffres ne sont pas parvenus à un niveau optimal, la filiale de Villiers-Saint-Marc sera fermée. 

Jocelyneaprès un long silence, regardant alternativement le papier et Ysée/Arsène. — Quoi ?

Bernard— Fermée ?

Jocelyneperdue. — Mais… que deviendront nos employés ?

Ysée/Arsène— Une petite partie se verra proposer une mutation à la filiale de Bulot-les-Deux-Clochers. Quant aux autres, ils seront licenciés.

Bernard— Bulot-les-Deux-Clochers ?… C’est au moins à… à 300 kilomètres !…

Jocelynepaniquant. — Licenciés ?

Ysée/Arsène— La balle est dans votre camp. 

Bernard— Ça doit être une erreur, je vais appeler le siège et…

Ysée/Arsène— Appelez le siège, si vous voulez. United Smokes est en pleine expansion. Comme vous le savez, nous venons de racheter les briquets Fire Power. Alors suivez mon conseil :  employez votre énergie à sauver la filiale de Villiers-Saint-Marc, pas à chercher d’où vient l’erreur, parce que l’erreur, c’est le bas niveau de vos ventes. (Silence durant lequel Jocelyne et Bernard sont comme sonnés.) Je sais que c’est dur à entendre. Cela dit, il y a une mesure qui redonnerait un coup de fouet immédiat à la filiale.

Jocelyneavec espoir. — Laquelle ?

Ysée/Arsène— Licenciez quelqu’un.

Jocelynen’en croyant pas ses oreilles. — Hein ?

Ysée/Arsène— De cette façon, vous améliorez sur le champ le résultat de votre exercice et vous envoyez un signal fort aux autres : chez United Smokes, pas de tire-au-flanc ! Vous savez, parfois, il faut savoir sacrifier un poste pour en sauver quinze autres.

Sur cette sentence qui a claqué comme un coup de carabine, Ysée/Arsène sort laissant Jocelyne et Bernard désemparés alors que rentrent Fred, Tom, Éva, Laura et Sacha.

Jocelynebas, à Bernard. — Pas un mot aux autres !

Eva— Votre rendez-vous est parti ?

Bernard. — Oui ! Oui…

Tom— Tout va bien ?

Jocelyne. — Très bien, oui ! (Elle éclate en sanglots.)

Bernard, riant, pour donner le change. — C’est rien !…

Jocelyne sort accompagnée de Bernard, tandis que Fred, Éva, Laura et Tom rejoignent leurs postes.

Sacha, alors que Tom se rassoit. — Alors, comment tu vas faire ?

Tom. — Je ne sais pas ! La dernière fois que je suis allé voir Bernard pour lui demander une augmentation, il a pris un accent et il a tendu sa main vers moi en disant : « S’il tou plaît, moussieur, por manger, s’il tou plaît… »

Sacha. — Stratégie de fuite classique…

Tom. — Quoi ?

Sacha. — Je viens de finir un bouquin sur la résolution de conflits.

Tom. — En quoi ça me concerne ?

Sacha. — Bernard et toi vous êtes en conflit.

Tom. — Pas du tout, on s’entend très bien !

Sacha. — Ça n’a rien à voir avec l’entente. Tu veux une augmentation, il ne veut pas te l’accorder : vous êtes en conflit.

Tom. — Bien, alors comment faire ?

Sacha. — Il y a cinq manières pour résoudre un conflit.

Tom. — Je t’écoute.

Sacha. — La première est « l’évitement ».

Tom. — Comment ça marche ?

Sacha. — Je te montre. Tu fais Bernard et moi je joue ton rôle. (Il fait quelques pas de côté et revient, jouant Tom.) Bernard, je souhaiterais être augmenté. 

Tom, jouant Bernard. — Pas question. 

Sacha. — OK, aucun problème. (Il se retourne et s’en va.)

Tom, après un silence. — Et ? … C’est tout ?

Sacha. — C’est tout ! D’une simplicité enfantine…

Tom. — C’est peut-être simple, mais c’est pas très efficace, comme méthode…

Sacha. — Ça a le mérite de vous préserver tous les deux.

Tom, ironique. — Ça… (Redevenant sérieux) Tu n’aurais pas quelque chose de plus… plus punchy ?

Sacha. — Si tu veux du punchy, il faut utiliser la méthode de la compétition. Juge par toi-même. (Prenant le rôle de Tom)Bernard, je voudrais être augmenté.

Tom, jouant Bernard. — Tu peux toujours rêver !…

Sacha. — Ah oui… je peux toujours rêver ? Tu te souviens quand t’étais bourré comme un coin pendant la soirée de fin d’année de la boîte ? J’ai plusieurs photos de toi en train de dégobiller sur tes escarpins vernis. Alors soit tu me donnes cette putain d’augmentation, soit je balance tous les fichiers au siège. Ok, tocard ?

Tom, après un petit silence. — Un peu brutal, peut-être…

Sacha, se justifiant. — Tu voulais du punchy…

Tom. — Tu n’aurais pas un truc qui mélange punchy et douceur ?

Sacha. — Si, la méthode du compromis. (Prenant le rôle de Tom.) Bernard, je voudrais une augmentation.

Tom, jouant Bernard. — Non, Tom, je te le répète, c’est pas le moment pour une augmentation.

Sacha. — Très bien. En ce cas donnez-moi une prime et on n’en parle plus. 

Tom, après un petit silence. — Une prime ? 

Sacha, redevenant Sacha. — Une prime. Un compromis entre vos deux positions.

Tom. — Mouais… ça ne répond que très partiellement à mon problème…

Sacha. — En tout cas, c’est mieux que rien ! Sinon, un truc qui peut surprendre l’adversaire, c’est la méthode de la conciliation. 

Tom. — La « conciliation » ? J’aime bien, ça. C’est comment ?

Sacha. — Très facile. (Prenant le rôle de Tom.) Bernard, j’aimerais une augmentation. 

Tom, jouant Bernard. — Tom, c’est pas la peine de revenir dans mon bureau toutes les cinq minutes, tu n’auras pas d’augmentation.

Sacha. — Compris, Bernard. J’ai bien vu qu’en ce moment on avait des petits problèmes de budget alors, voilà ce que je vous propose. Ça vous ennuie de m’augmenter ? 

Tom. — Oh que oui !

Sacha. — Très bien. En ce cas, vous n’avez qu’à me diminuer.

Tom. — Hein ?

Sacha. — Oui, rétrogradez-moi et passez-moi à 90% de mon salaire actuel. Allez, bonne journée ! Et ne me remerciez, pas, c’est cadeau.

Tom, après un court temps. — Ah… oui alors là… C’est sûr que ça va le surprendre…

Sacha. — Je te l’avais dit !

Tom. — Ça va le surprendre mais moi, ça va me mettre dans le rouge !

Sacha. — Bon, alors, il reste la méthode coopérative. 

Tom. — Comment ça marche ?

Sacha. — Il s’agit de discuter pour dégager une solution créative. (Prenant le rôle de Tom.) Bernard, je voudrais une augmentation.

Tom, jouant Bernard. — Non, Tom, impossible.

Sacha. — Pourquoi non ?

Tom. — Le budget est trop serré.

Sacha. — Ah. Donc, si le budget était moins serré, vous pourriez m’augmenter ?

Tom. — C’est ça.

Sacha, après un petit temps de réflexion. — Virez Fred. 

Tom. — Quoi ?

Sacha. — Virez Fred ! (Les yeux au ciel ) Quelqu’un à la réception, mais ça sert à rien ! À la place, vous mettez un standard automatisé qui dirige les appels, « Pour commander des fumigènes, tapez 3 », ça économise un salaire, et vous pouvez m’augmenter !

Fred, qui a entendu les derniers mots. — Qu’est-ce qu’il raconte sur moi, lui ?

Tom, à Fred. — Rien ! Rien ! (À Sacha ) Là, on est allés un peu loin dans la créativité ! 

Sacha. — Tu trouves ? Bon, écoute, en tout cas tu as des pistes. Ça peut t’aider !

Tom, souriant. — Oui Sacha ! Merci beaucoup pour tes conseils ! 

Sacha sort.

Tom, quittant son sourire et affichant un visage désespéré. — Je crois que ça va beaucoup m’aider… 

Tom retourne s’assoir. 

Fred, répondant au téléphone. — United Smokes Villiers-Saint-Marc bonjour ! (Regardant dans la pièce.) Hum… attendez, je vais voir. 

Fred sort tandis qu’entrent Lou et Dany. Lou a un porte-documents à la main.

Lou. — Et c’est comme ça que le siège m’a demandé de monter cette formation !

Dany. — Intéressant. 

Lou. — Ça n’a pas été trop compliqué. Ils m’ont envoyé le livret de formateur et je n’ai eu qu’à le suivre pas à pas…

Dany. — Et qui est inscrit ?

Lou, consultant son porte-documents. — Attends, laisse-moi regarder… euh… personne.

Dany. — Personne ?

Lou. — Personne ! 

Dany. — Alors toi, tu as préparé ta formation, demandé la salle de conférence, amené ton matériel, et tout ça pour rien ?

Lou. — Je ne sais pas si l’info est bien passée…

Dany, à la cantonade. — Eh ! Qui veut aller à la super formation de Lou ? (À Lou ) C’est sur quoi, déjà ?

Lou. — L’éthique professionnelle.

Dany, jouant l’enthousiasme. — L’éthique professionnelle ! Ça va pulser ! (Flottement général.) Tom ?

Tom. — Ah non, désolé, j’ai des tas de trucs en retard, là…

Dany, alors qu’Éva se lève et sort. — Eva ? euh… hum… (Se dirigeant vers Laura.) Laura ? (Laura sursaute et lève sur Dany un regard apeuré.) Non, rien…

Lou. — Pourquoi tu viendrais pas, toi ?

Dany. — Moi ?

Lou. — Tu as sûrement des choses à apprendre, côté éthique professionnelle…

Dany, blaguant. — Non mais dis donc ! Je suis très éthique, moi…

Lou. — Tu parles…

Dany. — Mettrais-tu en doute mes qualités morales ? 

Lou. — Éthique et morale sont deux choses différentes.

Dany. — Ah oui ?

Lou. — Exemple : une petite mamie a dans son jardin une troupe de lapins qui mangent les carottes de son potager. Elle t’appelle pour acheter un fumigène susceptible de vider le terrier de ces rongeurs, et ainsi les chasser de chez elle. Le fumigène qu’elle a repéré coûte 25,95 €. Mais en réalité un simple feu d’herbes suffirait largement pour régler son problème et qui plus est, ça ne lui coûterait rien. Que fais-tu ?

Dany. — Facile !

Lou. — Je t’écoute.

Dany. — Je ne lui vends rien et je lui conseille de faire un feu d’herbes devant le terrier.

Lou. — Erreur !

Dany. — Ah bon ? 

Lou. — Si cette petite mamie t’a appelé, c’est qu’elle a besoin d’aide. En lui expliquant qu’elle doit régler elle-même son problème, non seulement tu la culpabilises en faisant porter toute la responsabilité sur ses seules épaules, mais en plus tu l’invites à faire un effort trop intense pour son âge. Conclusion : elle rentrera chez elle déprimée, massacrera ses plates-bandes en y arrachant de l’herbe, et fera une attaque cardiaque en poussant sa brouette jusqu’au terrier ! 

Dany. — Ah oui… c’est vrai… j’y avais pas pensé…

Lou. — Tout cela ne serait jamais arrivé si elle avait seulement posé un fumigène United Smokes devant le terrier détesté et simplement appuyé sur un bouton.

Dany. — Bien vu…

Lou. — Autre situation : alors que tu es en train de vendre un feu de Bengale qu’un client veut pour sa femme, ce dernier fond en larmes et t’explique que sa femme est en réalité morte voici trois mois dans le cambriolage de leur maison qui a dégénéré. Que faire ?

Dany. — Bah… J’abandonne la vente et je lui propose de boire un café.

Lou. — Erreur !

Dany. — Encore ?

Lou. — Eh oui ! En parlant avec cet homme de la mort de sa femme, tu vas raviver sa douleur et le pousser à bout. Lorsqu’il raccrochera le téléphone, il reverra sa femme mourir dans d’atroces souffrances et en plus, il n’aura même pas la perspective d’égayer un peu son intérieur avec un feu de Bengale, tout en rendant hommage à son épouse défunte. Bref, s’il ne va pas se tirer une balle, on aura de la chance.

Dany. — Wouah ! Effectivement, je n’avais pas mesuré toutes les conséquences… 

Lou. — Rien de tout cela ne serait arrivé s’il avait acheté un feu de Bengale United Smokes.

Dany. — Sans doute… (Une idée lui traverse la tête.) Au fait : un copain à moi s’est trouvé dans une situation éthiquement intéressante. Il n’a pas su comment réagir.

Lou. — Raconte-moi ça !

Dany, avec malice. — Eh bien voilà : imagine que tu montes une formation sur l’éthique professionnelle. Tu es en train d’expliquer le contenu de la formation à un ou une collègue, mais cette personne te répond que ta formation, d’ailleurs commanditée par le siège, est en réalité un prétexte pour supprimer toute éthique professionnelle en poussant les commerciaux à faire preuve d’inhumanité, et ce dans l’objectif de faire un max de ventes. Que ferais-tu ?

Lou, après un moment de réflexion. — Ce que je ferais ?

Dany. — Oui.

Lou. — Eh bien je proposerais à ce ou cette collègue de venir à ma formation pour en avoir le cœur net !

Dany, avec admiration. — Bien joué !

Lou. — Bon, on y va ?

Dany. — Où ?

Lou. — Ben… à ma formation !

Dany, désabusé-e. — OK…

Lou sort en entraînant Dany qui traîne un peu la patte.

Tom regarde autour de lui, se lève, paraît ne pas savoir où aller et finit par se diriger près de Laura, que ce déplacement rend mal à l’aise.

Tom. — Ça va ?

Laura. — Euh… oui…

Tom, s’asseyant près de Laura. — On dirait pas…

Laura. — C’est juste que… j’ai plein de dossiers à mettre à jour, alors…

Tom, mettant la main sur Laura. — Ah… ça me rassure parce que…

Laura, se dégageant. — Qu’est-ce que tu fais ?

Tom. — Il n’y a personne.

Laura. — Quelqu’un peut venir !

Tom. — Oui, c’est vrai, tu as raison… (Il sort une boîte et la donne à Laura.)

Laura. — Qu’est-ce que c’est ?

Tom. — Je l’ai vue ce matin, en arrivant. Je n’ai pas pu résister…

Laura, ouvrant la boîte et en sortant une rose. — Oh !… Tom !… Elle est très jolie.

Tom. — Comme toi, mon amour…

Laura, le prenant dans ses bras. — C’est vraiment une attention délicate !

Tom. — Je t’aime…

Laura. — Moi aussi je t’aime… (Se dégageant soudain de Tom.) On avait dit que personne ne serait au courant !

Tom. — Mais personne n’est au courant !

Laura, montrant la rose. — Je suis vraiment très touchée, mais en me l’offrant ici… on dirait vraiment que tu veux que ça se sache !

Tom. — Pas du tout ! J’ai eu un coup de cœur, alors j’ai…

Laura. — Tu te rends bien compte que si on sait pour nous, la situation va devenir difficile ?

Tom. — Oui, oui…

Laura. — Toi et moi, on travaille très bien ensemble, mais si les autres savent qu’on est en couple, le regard des collègues va changer…

Tom. — J’en ai conscience, oui…

Laura. — Si l’un de nous prend des décisions qui sont favorables à l’autre, les collègues vont s’imaginer qu’on le fait à cause de nos sentiments et non parce que c’est bon pour la boîte…

Tom. — Peut-être…

Laura. — Mais c’est sûr ! Et ce sera un enfer…

Tom, déprimé. — Tu dois avoir raison…

Fred et Éva rentrent. Laura se débarrasse précipitamment de la rose offerte par Tom.

Éva. — Je ne sais pas, je le trouve un peu bizarre en ce moment…

Fred. — Mets les pieds dans le plat !

Éva. — Pourquoi pas ?…

Fred regagne la réception alors qu’Éva regagne son bureau.

Éva, à Tom. — Tu es très élégant aujourd’hui… (Gêne de Tom et de Laura.)

Tom. — Euh… merci…

Éva. — Hier soir, tu n’étais pas libre, mais ce soir, tu pourrais peut-être aller prendre un verre avec moi ? (Tom et Laura se montrent mal à l’aise.)

Tom. — Euh… oui, oui… pourquoi pas… (Laura fulmine silencieusement.)

Éva. — Enfin !

Tom, rencontrant soudain le regard noir de Laura. — En fait non !

Éva. — Non ?

Tom. — Non, c’est pas possible, ce soir j’ai un… un truc…

Éva, incrédule mais amusée. — Tiens ? Qu’est-ce que c’est ?

Tom. — Oh une…une soirée…

Éva, alléchée à l’idée d’en savoir un peu plus sur Tom. — Ah ! Avec qui ?

Tom. — Euh… un… un plombier… (Cette réponse fait tiquer Laura.)

Éva, ayant peur de mal comprendre. — Pardon ?

Tom. — J’ai une fuite dans… la cuisine alors… le… le plombier vient ce soir…

Éva, toujours incrédule. — Ah… Dommage ! Au moins, tu viendras demain, pour mon pot d’anniversaire ?

Tom. — Oui, peut-être… Tu m’excuses, il faut que je…

Tom se dirige vers la réception et commence à discuter avec Fred.

Éva, à Laura, sans être entendue de Tom et Fred. — Il est trop craquant…

Laura, ayant peur de comprendre. — Quoi ?

Éva. — Tom ! Il est trop chou !… (Laura répond à cette affirmation avec un petit rire.) Tu trouves pas ?

Laura, balbutiant. — Hein ?… Euh… (Jouant celle qui n’est pas intéressée ) Offh… Moui…

Éva. — Oh si ! Il est quand même mignon ! Non ?

Laura, ne trouvant pas ses mots. — Bah… disons que… faut aimer ce genre…

Éva. — Regarde-le… Il est carrément beau mec !

Laura, tentant de donner le change. — J’ai vu mieux…

Éva. — Mieux ? Pas dans la boîte en tout cas ! En plus, il a un joli petit cul ! Ça, tu peux pas dire !

Laura, gênée. — Éva !

Éva. — D’ailleurs, il en joue complètement en mettant des pantalons bien slims comme il faut…

Laura, très gênée. — Éva, arrête !

Éva. — Je suis sûre que c’est un très bon coup au lit…

Ulcérée, Laura se lève, se dirige avec résolution vers Tom, le renverse en arrière, l’embrasse avec passion, le remet d’aplomb, revient s’assoir à son bureau, ressort la rose dont elle s’était débarrassée et la met en évidence. Tout le monde est médusé par cette action.

Fred. — Wouah… (Le téléphone sonne, Fred décroche.) United Smokes Villiers-Saint-Marc, bonjour ? Euh… Je crois qu’elle est en conférence… mais je vous passe son poste.

Jocelyne et Bernard rentrent alors que Tom revient à son bureau.

Jocelyne, qui a repris du poil de la bête. — Ce n’est pas en lançant un concours pour la meilleure pub qu’on va remonter nos chiffres ! 

Bernard. — Ça peut booster la créativité de tout le monde et faire réfléchir à ce qu’on apprécie chez United Smokes.

Fred. — Jocelyne, quelqu’un de la commune de Villiers a appelé ! Euh… je n’ai pas retenu son nom…

Jocelyne. — Olivier de Sainte-Anigreuse !

Fred. — Ah oui, je crois que c’est ça !

 Jocelyne, à Bernard. — Olivier de Sainte-Anigreuse ! C’est lui ! On doit remporter cette vente, on n’a pas le choix ! Autrement, on est foutus !

Fred, inquiète. — Foutus ?

Jocelyne, s’apercevant de sa bévue. — Enfin… foutus… foutus… c’est une façon de parler…

Fred, rassurée. — Je lui ai dit que vous étiez en conférence.

Jocelyne, soudain émue. — Parfait Fred… tu fais vraiment bien ton boulot…

Fred, surprise. — Merci…

Jocelyne, au bord des larmes. — Profites-en tant que tu en as un…

Fred. — Quoi ?

Bernard, se voulant rassurant. — Rien, rien… (Bas) Jocelyne !

Jocelyne, se reprenant. — Oui, oui !… (Prenant Bernard à part.) Bon, alors… Bernard… tout repose sur cette vente, tu en es conscient ?

Bernard. — Oh que oui…

Jocelyne. — Si on décroche le marché du feu d’artifice de Villiers-Saint-Marc, nos problèmes sont résolus. Mais si le marché nous échappe, on ferme !

Bernard, ayant peur que les autres entendent. — Chut !…

Jocelyne. — L’enjeu est énorme ! Il doit arriver d’un instant à l’autre. Souviens-toi de son nom : Olivier de Sainte-Anigreuse. Je te laisse t’en occuper… (Elle s’en va.)

Bernard. — Moi ?… (Voulant rattraper Jocelyne.) Mais… Mais… si je rate cette vente… la boîte va mettre la clef sous la porte à cause de moi ? … ça va être… ça va être… Oh j’aime mieux pas y penser ! (Il se dirige vers Tom.) Tom, j’ai un service à te demander. Ces derniers temps, les ventes n’ont pas été extraordinaires…

Tom, les yeux pleins d’étoiles. — C’est vrai que ça a été vraiment… très… dur…

Bernard. — Je te le fais pas dire…Or, ce matin, on attend un gros client potentiel…

Tom, distrait. — Ah oui ?

Bernard. — Un représentant de la commune, pour le feu d’artifice. Si on pouvait faire cette vente, ça nous sortirait de notre mer… (Se reprenant.) ça sera un vrai plus…

Tom, l’esprit ailleurs. — Ça nous donnerait un petit coup de fouet…

Bernard, désespéré par l’inattention de Tom. — Voilà, c’est ça… Alors… tu veux bien le recevoir, dis ?

Tom, rejeté en arrière dans son fauteuil, rêveur. — Le coup de fouet ?

Bernard, agacé. — Non, le client !

Tom, regardant Laura d’un œil énamouré. — Je peux pas, je suis overbooké, là.

Bernard, tentant de cacher son énervement. — Ah… bon… (Ironique ) Merci Tom…

Tom, dévorant Laura des yeux, ce qui procure à cette dernière un plaisir certain. — Pourquoi vous ne vous en occupez pas, si c’est une grosse vente ?

Bernard, balbutiant. — Mais parce que je dois faire… j’ai un… je ne peux pas ! (Alors que Tom se lève.) Où tu vas ?

Tom. — Faut absolument que j’aille boire un café. (À Laura) Tu en veux un, mon amour ?

Laura. — Oui, merci mon chéri.

Tom sort.

Bernard, à Laura et Éva. — Dites donc, les filles… (Laura et Éva le regardent avec des yeux noirs.) Non, rien… (Bernard déambule sans trop savoir où aller et échoue à la réception. Soudain, Laura se lève et s’éclipse à son tour.)

Fred. — Vous saviez qu’ils étaient ensemble ?

Bernard. — Qui ?

Fred. — Tom et Laura.

Bernard. — Ils sont ensemble ?

Fred. — Oui !

Bernard. — Oh ! T’as vraiment l’œil, toi…

Fred, sans modestie. — Je suis au taquet !

Bernard, regardant, Fred, une idée lui vient. — Mais oui ! … Pourquoi pas ? Fred, j’ai un service à te demander…

Fred, peu aimable. — Ah non Bernard ! C’est pas le moment…

Bernard. — Écoute-moi ! Un gros client doit venir d’une minute à l’autre et moi je… je… j’ai un truc hyper important à faire alors je ne peux pas le recevoir… Donc… tu… tu vas t’en charger… 

Fred. — Quoi ?

Bernard. — Inutile de te dire que c’est très important pour la boîte ! En ce moment, ça ne va pas très fort, comme tu t’en doutes, donc décrocher ce marché est pour nous capital !

Fred. — Mais je suis réceptionniste, je fais pas les ventes ! …

Bernard, énervé. — Et alors ? Tu ne vas pas me dire que tu veux rester réceptionniste toute ta vie ?

Fred. — Non, bien sûr…

Bernard, ne décolérant pas. — Tu ne vas pas prétendre que quand tu étais enfant, tu disais « Oh maman, comme j’aimerais devenir réceptionniste et répondre au téléphone toute la journée » !

Fred. — Évidemment non !

Bernard. — C’est moi ton boss, Fred !

Fred. — Non, c’est Jocelyne. Vous vous n’êtes que…

Bernard, la coupant. — Jocelyne n’est pas là, donc, en attendant, ton boss, c’est moi ! Et un boss doit toujours savoir stimuler ses employés ! Je pense à ton évolution de carrière, moi. Justement, je me disais que tu pouvais très bien passer à la vente. Alors… Eh bien c’est l’occasion de montrer ce que tu sais faire… et puis c’est pour le bien de la boîte !

Fred. — Bon, alors, si c’est pour le bien de la boîte…

Bernard. — N’oublie pas que la clef de la réussite, c’est : diplomatie, diplomatie, diplomatie…

Fred. — Ouais, ouais, je connais…

Bernard. — Bien. La personne qui doit venir s’appelle Olivier de Sainte-Anigreuse. Note-le. (Dictant) « Olivier de Sainte-Anigreuse. » Traite-le avec tous les égards possibles…

Fred, rude. — Pour qui vous me prenez, Bernard ? Je sais recevoir !

Bernard, peu convaincu. — Je n’en doute pas mais…

Fred. — Je sais être aimable… quand je veux !

Bernard, flattant pour faire avancer les choses. — Bien sûr, bien sûr… 

Fred. — Je lui vends quoi, ça ? (Désignant le Fumax posé sur la réception.)

Bernard— Mais non… ça, c’est un prototype, le Fumax. Il n’est pas encore à la vente. Mais quand il le sera, on le vendra 10 balles maximum. Non, avec Monsieur de Sainte-Anigreuse, c’est autre chose… (Montrant un dossier.) Voici le catalogue des feux d’artifices. Monsieur de Sainte-Anigreuse vient pour le feu d’artifice de Villiers.

Fred. — Ce truc ringard ?

Bernard. — Ah non, Fred ! Surtout pas ce genre de remarques !

Fred. — Qu’est-ce que j’ai dit ?

Bernard, soupirant. — Donc, tu lui montres tous nos produits et… attends… (Il pose le catalogue sur la réception.)

Fred, excédée. — Mettez pas ça là vous allez tout déranger !

Bernard, reprenant le catalogue. — Ah… pardon…

Fred, bougonne. — « Pardon, pardon »… Faut réfléchir avant !

Bernard. — Donc, tu lui montres tous nos produits mais il faut absolument que tu lui fourgues le pack à 4500. 

Fred, toujours bougonne. — Et c’est ces 4500 qui vont sauver la boîte ?

Bernard. — Ce sera plus que 4500. Parce que s’ils sont contents, ils feront appel à nous chaque année. En plus, le feu d’artifice de Villiers, toutes les communes du coin y assistent. Ça peut faire boule de neige ! En plus, ça montrera à tous ces nazes du siège qu’on peut se bouger les fesses !

Fred, lui prenant le catalogue des mains. — J’ai compris ! Restez pas là !

Bernard, la regardant, dubitatif sur sa potentielle performance. — Lis nos conditions générales de ventes, à la fin. Et tu n’oublies pas : diplomatie, diplomatie, diplo…

Fred, le coupant. — Vous vous répétez ! Pourtant, vous êtes pas si vieux que ça… (Le téléphone sonne. Décrochant.) United Smokes Villiers-Saint-Marc bonjour ! (Un temps.) Non, c’est pas ici. (Un temps.) J’en sais rien. (Un temps court, brutalement.)Mais j’en sais rien, je vous dis ! Je m’appelle pas « Le Bottin » ! (Elle raccroche avec rage.) Les gens sont pénibles…

Bernard, hésitant à partir. — Bonne chance !

Bernard s’éclipse finalement alors qu’entrent Sil et Chris qui se dirigent vers le distributeur d’eau.

Sil, une feuille de papier à la main. — Regarde, j’invente rien : « Grand concours de publicité. Sous forme de film, d’image ou de slogan, trouvez la publicité qui saura promouvoir United Smokes. » Ça vaut quand même le coup ! 1er prix : 1000 balles !

Chris, incrédule. — 1000 balles ?

Sil. — Tu vois que ça vaut le coup de se creuser les méninges !

Chris. — T’as des idées ?

Sil. — Tu me demandes si j’ai des idées ? Mais moi j’ai une idée par minute !

Chris. — Alors ?

Sil. — J’ai carburé et voilà à quoi j’ai pensé : un film. La pub commence par un type très chic genre costard-cravate, qui dit : « Chez United Smokes, pour nos feux d’artifices, nous sélectionnons les meilleurs feux au monde et pour cela, nous faisons toujours appel au meilleur fournisseur : Vulcain. » Et là, direction une espèce de grotte où un gus sapé style viking se plante face à la caméra : (Parlant très fort.) « Eh oui ! C’est moi, Vulcain, le maître des forges ! Je travaille avec United Smokes depuis des millénaires ! Et tout ça pour la qualité de mon feu ! Parce que mon feu, il dépote, il vous grille, il vous crame, il vous carbonise les entrailles jusqu’à la moelle et vous transforme en rôti, en cadavre, en macchabée, en charogne, en…

Chris, sans attendre la fin. — Sil, Sil… ça me paraît un peu… un peu agressif, ton truc…

Sil. — Tu trouves ?

Chris. — On a besoin de quelque chose de plus sympa, qui donne une bonne image de la boîte.

Sil. — À quoi tu penses ?

Chris. — Imagine : on est dans une brigade de police. Tout à coup, alors que le soleil se couche, on sonne devant la caserne. Les gars sont surpris, ils n’attendaient pas de visite. La porte s’ouvre et on découvre notre grenade lacrymogène Air Force, mais avec des jambes, des bras et une tête. Elle s’avance, souriante et elle dit (Très gentiment.) : « Bonjour commandant. Je suis la grenade lacrymogène Air Force que vous avez commandée hier après 22h. Du coup, je vous ai été livrée ce matin après 8h. Si vous commandez un nouveau lot avant 18h, alors… »

Sil. — Attends… euh…nous, on fait les livraisons avant 8h…

Chris. — C’est ce que j’ai dit…

Sil. — Non, t’as dit après 8h…

Chris. — Oui, bah c’est ça… le type, il attend sa lacrymo pour 8h, donc après 8h…

Sil. — Avant 8h…

Chris. — Après 8h…

Sil. — Avant 22h…

Chris. — Quoi 22h ?

Sil. — T’as dit qu’il fallait commander après 22h, mais pour recevoir la lacrymo le lendemain avant 8h (et pas après 8h,) il faut la commander la veille avant 22h (et pas après 22h), parce que si tu commandes la veille après 22h, tu recevras ta lacrymo le lendemain après 8h (et pas avant 8h).

Chris. — Attends… je suis plus là…

Sil. — Il est quelle heure ?

Chris, regardant sa montre. — Ben, environ…

Sil. — Mais non, dans ta pub, il est quelle heure ?

Chris. — Ben, je sais pas… 8h…

Sil. — Non, parce que tu parles de soleil qui se couche alors si on veut faire passer l’idée qu’en commandant après 22h, le commandant de police qui veut commander et recevoir après… euh… non, avant 22h la veille du lendemain où le commandant veut sa commande… non, mettons que le lendemain de la veille, après 8h… euh non… avant 8h… le commandant qui, la veille, a commandé sa lacrymo avant 22h… après 22h… mettons aux alentours de 22h…

Chris, sans attendre la fin. — Laisse tomber ! Je crois qu’il faut que je reprenne les conditions de livraison, parce que là, j’avoue que… (Geste faisant comprendre que tout se mélange dans sa tête.)

Sil. — C’est vrai que c’est peut-être un peu compliqué à expliquer comme ça aux gens dans une pub… Je crois qu’il faut quelque chose de plus entraînant…

Chris. — Entraînant ?

Sil. — Mais oui ! Quelque chose comme… (Sur l’air de « La Marche de Radetsky », par exemple, avec entrain)

Oui vous avez le droit de vous amuser

Oui vous avez le droit de manifester

De vous protéger

Vous illuminer

De vouloir du feu et des fumées

Nous avons mis au point pour vous par centaines

De l’encens, des pétards et des fumigènes

Des lacrymogènes

Bourrées d’hydrogène

Disponibles à la douzaine !

Chris, après un silence. — Je crois qu’il faut qu’on retourne bosser.

Sil. — T’as raison.

Sil et Chris sortent.

Fred, répondant au téléphone qui vient de sonner. — United Smokes Villiers-Saint-Marc, bonjour. (Un temps.) Non, madame, nous ne livrons plus de feux de cheminée à domicile. Tous nos feux de cheminée sont désormais à emporter et à monter soi-même. Merci, au revoir. (Elle raccroche.)

 Jocelyne entre avec Jean-Louis ou Valérie.

Jean-Louis/Valérie à Jocelyne. — Et là je lui dis : « nos machines à fumée sont ultra-performantes alors si on voit plus votre chanteuse quand elle arrive sur scène, soit vous lui filez des hormones de croissance, soit vous investissez dans les semelles compensées ! »

Bernard, arrivant sur ces entrefaites, à Jean-Louis/Valérie. — Salut ma caille ! (Ils se font la bise.)

Jocelyne, à Jean-Louis/Valérie. — Tu lui as pas dit ça ?

Jean-Louis/Valérie. — Un peu, mon neveu ! Moi, les clientes récalcitrantes, c’est comme ça que je les calme !

Jocelyne, redevenant sérieuse. — Il faut que je te dise un mot. 

Jean-Louis/Valérie. — Quand tu veux ma poule !

Jocelyne, grave. — Non mais… c’est sérieux…

Jean-Louis/Valérie. — La vache ! Qu’est-ce qui se passe ?

Jocelyne. — J’aimerais qu’on reste discrets…

Jean-Louis/Valérie. — No soucy ! (Prononcer « souçaille »). Nanar, on va dans ton burlingue ?

Bernard. — If you want… (Il se dirige vers son bureau.) Ah non !

Jean-Louis/Valérie. — Quoi ?

Bernard. — Depuis ce matin, ça schlingue, c’est une horreur !…

Jean-Louis/Valérie, souriant. — Pourquoi ? En ce moment t’as des problèmes de digestion ?

Bernard, souriant aussi. — Mais non, ah lala… Il doit y avoir un animal mort quelque part…

Jean-Louis/Valérie. — Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

Jocelyne. — L’entretien doit venir…

Bernard, regardant sa montre. — Il serait temps !

Jocelyne, baissant la voix, à Jean-Louis/Valérie. — Bien, donc… je t’en parle, mais que ça reste entre nous…

Jean-Louis/Valérie, alors que Fred a dressé l’oreille sur les derniers mots. — Compte sur moi. Je garderai le silence, même sous la torture ! Enfin, pas les chatouilles, parce que là, je promets rien…

Jocelyne. — Le siège est venu. Si on remonte pas nos chiffres, ils fermeront notre filiale.

Jean-Louis/Valérie, avec surprise. — Quoi ?

Fred, avec effroi. — Ils fermeront notre filiale ?

Bernard, l’œil perfide. — Fred, c’est pas beau d’écouter aux portes…

Fred. — Y a pas de portes, c’est un open space…

Bernard, avec sérieux. — Fred, cette conversation est hyper-sensible. Je compte donc sur ta discrétion.

Fred. — Vous pouvez me faire confiance, Bernard.

Bernard, à Bernard et Jocelyne. — Ces gens du siège : une belle brochette d’enfoirés !

Jean-Louis/Valérie, alors que Fred quitte la réception et se dirige vers Éva. — Qu’est-ce que tu veux, c’est la loi du marché !

Jocelyne. — Peut-être, mais il ne faut pas se résigner !

Bernard. — On n’a plus qu’une seule solution, remonter nos ventes.

Jocelyne, à Jean-Louis/Valérie. — C’est pour ça que je voulais t’en parler. Je sais que t’es hyper-opérationnel-le. Par contre, personne ne doit savoir, hormis nous trois.

Bernard. — Fred nous a entendus…

Jocelyne, rectifiant sa phrase. — Hormis nous quatre.

Eva, avec effroi, alors que Fred était en train de lui parler à l’oreille. — Ils fermeront notre filiale ?

Bernard, se voulant rassurant alors que Jocelyne devient inquiète. — Tout est sous contrôle… Je… je vais aller lui dire un mot.

Bernard veut aller vers Fred et Éva qui sont en train de s’éclipser avec une certaine panique. Son mouvement rencontre celui de Baba, qui entre.

Baba. — M. Triquard ! Justement, c’est vous qui avez un problème ?

Bernard. — Euh… oui… c’est dans mon bureau, si vous voulez bien…

Baba, ouvrant la porte du bureau de Bernard. — Oh ! Qu’est-ce que ça pue !

Bernardacquiesçant. — Ça !

Jocelyne, se bouchant le nez. — Ça n’a pas faibli depuis tout à l’heure !

Jean-Louis/Valérie, se bouchant le nez à son tour. — C’est vrai que c’est immonde…

Baba, l’air soupçonneux. — Qu’est-ce que vous avez encore fait pour que ça pue comme ça ?

Bernard. — Rien !

Baba, incrédule. — C’est ça…

Bernard. — Je vous assure…

Baba. — Ça vient d’où ?

Bernard. — J’en sais rien…

Baba. — Bon, bah y a pas trente-six solutions… (Baba se protège le nez et entre dans le bureau de Bernard. Immédiatement après en sort un fauteuil de bureau, puis, une plante verte, puis un téléphone filaire qui sont pris par Bernard.)

Bernardrécupérant ses effets personnels. — Baba, est-ce qu’on est vraiment obligé de…

Babaoff. — Je crois que j’ai trouvé d’où ça vient !

Bernard. — Alors ça vient d’où ?

Babaoff. — Le faux-plafond !

Bernard. — Hein ? Non, attendez Baba… (Soudain, valsent plusieurs petites culottes en dentelles.)

Jean-Louis/Valérie, ramassant les petites culottes et les montrant à Jocelyne, riant. — Eh bé… c’est qu’elle a du goût, la poulette…

Bernard, prenant les petites culottes. — C’est une amie qui me les avait laissées en dépôt… (Surgissent alors hors du bureau plusieurs numéros d’un magazine réservé à un public averti…)

Jean-Louis/Valérie, ramassant les numéros et les montrant à Jocelyne, riant. — Dis donc, Nanar, je vois que t’as de saines lectures !

Jocelyne, à la vue des numéros. — Bernard, je crois que ce serait bien de ne pas amener ça au bureau…

Bernard, balbutiant et récupérant les revues. — Ce n’est pas à moi, je les ai trouvées dans l’entrée, alors pour ne pas les laisser à la vue de tout le monde, je…

Baba, ressortant du bureau avec un fromage. — Eh voilà ! (Tout le monde recule en poussant un « Pouah ! » de dégoût, puis se bouche le nez.)

Bernard. — Mais qu’est-ce que c’est que… hein ? C’est quoi, ça ?

Jean-Louis/Valérie, le sourire aux lèvres. — Un munster affinage 6 mois ! Hein qu’il est beau, mon petit munster ?

Bernard. — Quoi ? C’est toi qui ?…

Jean-Louis/Valérie, se retenant de rire. — Hier soir, après ton départ, j’ai fait une apparition discrète et hop ! Dans le faux plafond !

Bernard, riant. — Tu sais que t’es quelqu’un ! (À Jocelyne) Hein ? C’est quelqu’un !

Jocelyne, ne riant pas et se bouchant toujours le nez, à Baba. — Bien, en attendant, Baba, si vous voulez bien mettre ça dehors, parce que…

Baba, regardant Jean-Louis/Valérie et Bernard d’un œil noir. — Du fromage dans un faux-plafond ! Si, môme, j’avais fait ça, j’aurais eu une bonne correction ! Mais bon… la correction, je sais pas si vous savez ce que c’est…

Baba sort alors que Jean-Louis/Valérie et Bernard montrent une gêne.

Jocelyne, à Bernard. — Déclenche l’évacuation d’urgence.

Bernard, rentrant dans son bureau avec culottes et revues. — T’as raison !

Jocelyne, à Jean-Louis/Valérie. — Très drôle, tes petites blagues, mais en tout cas, je peux te dire qu’au siège, ça ne leur ferait visiblement rien de rayer d’un trait de plume vingt-et-un emplois ! C’est pas la morale qui les étouffe !

Jean-Louis/Valérie, alors que Bernard rentre. — Si c’était la morale qui dictait la politique des entreprises, on serait au courant !

Bernard. — T’exagères ! On peut très bien diriger une entreprise et faire preuve de sens moral.

Jean-Louis/Valérie. — J’ai pas dit le contraire. Mais quand on dirige une boîte, mieux vaut faire du chiffre que de la morale !

Jocelyne. — Alors d’après toi, y a rien de mieux que le profit ?

Jean-Louis/Valérie. — Disons que… si on fait du chiffre, tout le monde s’y retrouve. Tu pourras pas me dire le contraire…

Bernard, acquiesçant. — Ça…

Jean-Louis/Valérie. — Les salariés, ça les motive ; les investisseurs, ça les rassure ; et les comptes bancaires de l’entreprise, ça les requinque !

Bernard. — N’empêche que pour investir, encore faut-il avoir les bonnes infos ! 

Jean-Louis/Valérie. — C’est pas faux !

Bernard. — Et là, on n’est pas tous égaux… Et puis le profit, le profit, le profit, on voit le résultat : licenciements massifs, pots de vins…

Jocelyne. — Un employé, c’est pas seulement le profit qui le pousse à bien bosser. Il y a la confiance, aussi. Le sentiment d’appartenir à quelque chose, d’être responsable de quelque chose. Même pour les investisseurs ! Bien sûr, ils veulent s’y retrouver. Beaucoup ont l’image de requins de la finance… trop le sont, c’est vrai. Mais certains, peu d’entre eux, peut-être, investissent aussi des capitaux pour prendre part à une entreprise, pour s’engager dans le développement d’un projet auquel ils croient.

Jean-Louis/Valérie, d’un ton pénétré et ironique. — Amen ! En attendant, faut qu’on remonte nos ventes, sinon on est morts ! 

Bernard. — On a déjà mis en place un concours de pub pour promouvoir la boîte…

Jean-Louis/Valérie. — On n’a qu’à aussi organiser un concours du meilleur employé !

Bernard. — Et puis ne pas oublier le paramètre humain ! Organiser une fête entre collègues, ça soude l’équipe et ça met du baume au cœur !

Jocelyne, enthousiaste. — On va y arriver, on est des winners ! (Ils se frappent dans les mains.)

Jocelyne et Jean-Louis/Valérie s’en vont alors que Fred revient.

Fred, apeurée. — Bernard, il faut que je vous parle. C’est vrai que la filiale va fermer ?

Bernard. — Hein ? Mais pas du tout, Fred ! Qu’est-ce que tu vas t’imaginer ?

Fred. — Bernard, arrêtez de me raconter des cracks !

Bernard, cherchant une parade. — Bon… d’accord Fred… Puisque tu as entendu la conversation… je ne vais pas chercher à t’embrouiller… Alors voilà… le siège a décidé de me tester…

Fred. — Vous ?

Bernard, inventant. — Enfin… moi et Jocelyne.

Fred. — Mais pourquoi ?…

Bernard, cherchant ses mots. — Eh bien figure-toi qu’ils trouvent qu’on se la coule un peu trop douce à leur goût…

Fred. — Et alors ?…

Bernard, ayant du mal à trouver une suite. — Et alors ? Et alors, ils veulent voir si on est toujours capable de booster nos équipes. Mais moi tu sais ce que je leur ai dit ? « Attention : si vous nous chauffez trop, point de vue chiffres de vente, on va éclater toutes les autres filiales ! »

Fred. — Vous leur avez pas dit ça ?

Bernard, s’enhardissant dans son rôle de caïd. — Oh que si ! D’ailleurs, s’ils proposent la fermeture de notre filiale, ça se passera pas comme ça !

Fred. — C’est-à-dire ?

Bernard, définitivement sérieux. — Il faudra qu’ils me passent sur le corps…

Fred, dépitée par ce qu’elle entend. — Mais Bernard… vous maîtrisez rien du tout ! Si le siège décide d’une fermeture, vous pourrez rien faire !…

Bernard, déstabilisé. — Détrompe-toi ! Au siège, mon avis compte énormément…

Fred, pas convaincue. — Tu parles !…

Bernard, paternaliste. — En tout cas, je veux que tu rassures tout le monde. Pour Jocelyne et moi, la boîte, c’est comme une grande famille et…

Fred. — Rassurer tout le monde, ça va être compliqué.

Bernard. — Comment ça ?

Fred. — Non, parce que là, on en parlait à l’espace détente, alors…

Bernard. — « On » ? Qui ça, « on » ? Je t’avais dit de pas en parler !

Fred. — J’en ai pas parlé ! Mais comme j’étais pas bien, ils m’ont demandé ce qui n’allait pas, alors…

Bernard. — Qui est au courant ?

Fred. — Ben, euh… Éva, Laura, Tom, Baba, Lou, Sacha, Sil, Chris…

Bernard. — Bref, tout le monde ! (Soudain, il regarde son téléphone.) Tiens, un message de Hervé, le directeur de la filiale de Bulot-les-Deux-Clochers. (Lisant) « Il paraît que vous allez fermer ? » Quoi ? Mais comment il sait, lui ?

Fred. — Ben, à vrai dire, depuis tout à l’heure, ça chauffe sur la messagerie interne de la boîte…

Bernard. — Quoi ? Vous avez utilisé la messagerie de la boîte pour parler de ? … Oh non…

Fred. — Mettez-vous un peu à notre place, Bernard ! On n’a aucune info, vous, vous avez l’air de planer complètement !…

Bernard. — Fred… il faut arrêter tout ça immédiatement…

Fred. — OK, je vais leur dire…

Fred s’éclipse.

Bernard, ouvrant la porte de son bureau, puis s’arrêtant. — Non… l’odeur est encore trop forte… (Il regarde autour de lui puis va s’assoir à l’un des bureaux.) Bien, alors… identifiant… mot de passe… (En même temps qu’il parle, il pianote sur son clavier.)Comment on fait, déjà ? Bon d’accord, là… c’est ma boîte de réception, mais en tant qu’administrateur, je dois pouvoir aussi… Ah… non… c’est pas ça…

Olivier paraît. Il reste où il est et ne bouge pas.

Bernardpianotant toujours. — Voyons, au stage, ils me l’avaient montré… « Accès admin »… voilà…

Olivier tousse mais Bernard ne le remarque pas.

Bernardpianotant toujours. — Et maintenant… le menu déroulant… Ah non… 

Olivierse décidant à prendre la parole. — Bonjour. Je vous demande pardon, mais j’ai rendez-vous…

Bernardsans attendre la fin, d’un ton sec. — Je suis occupé ! Alors, hein ? S’il vous plaît !

Olivierpeu vindicatif. — Oui… (Il déambule dans la pièce.)

Bernardles yeux toujours sur son écran. — Je ne comprends pas… ça devrait être là…

Olivierregardant l’écran. — Tiens ! La messagerie flypost !

Bernard. — Vous connaissez ?

Olivier. — On l’utilise aussi.

Bernard. — Ah ? Alors vous allez peut-être pouvoir m’aider ? Je cherche à lire les mails de mes employés.

Olivieravec surprise. — Vous voulez lire les mails de vos employés ?

Bernard, avec une gêne due à cette réaction. — Oui c’est… euh… (Il cherche une excuse acceptable.) Nous avons eu un problème de virus informatique alors je dois m’assurer que… vous comprenez ?

Olivieravec empathie. — Ces virus, quelle plaie !

Bernard, avec satisfaction. — N’est-ce pas ?

Olivierpianotant sur le clavier. — Si vous permettez… Voilà… ce menu… ce bouton-là… et… voilà !

Bernard. — Génial ! Merci !

Olivier. — Pas de quoi !

Bernard. — Bien… Alors… (Lisant) Oh lala… Ils ne parlent que de ça… (Lisant) Même elle ! J’aurais pas cru ça d’elle…

Olivier. — Excusez-moi… mais… vous lisez le contenu des mails ?

Bernard, sans regarder Olivier. — Je suis bien obligé pour… Tiens ! Demain, c’est l’anniversaire d’Éva !

Olivier. — Pardon… mais… les mails professionnels de vos employés sont soumis à une stricte confidentialité…

Bernard, les yeux toujours rivés sur l’écran. — Je sais, je sais… Ah ! Elle organise un pot… (Réfléchissant) Mais, je l’ai pas eu, moi, ce mail…

Olivier. — Navré d’insister, mais seule une situation exceptionnelle peut vous permettre de…

Bernard, agacé. — Je suis en train d’essayer de régler une situation exceptionnelle, alors, hein ? S’il vous plaît ! (Revenant à ses préoccupations) Mais pourquoi j’ai pas eu ce mail ? (Il se lève.)

Olivier, suivant Bernard. — Excusez-moi… excusez-moi… (Alors que Bernard sort ) J’ai rendez-vous avec Mme Muflot… (Désappointé et seul, Olivier s’accoude à la réception. Il se met à feuilleter un magasine qui y est posé. Soudain, le téléphone sonne. Olivier regarde autour de lui et, ne voyant personne, fait le tour de la réception et décroche.) Allô ? (Un temps.) Oui, oui vous êtes bien chez… Hum… (Lisant ) United Smokes Villiers-Saint-Marc… (Un temps.) Ah vous voulez parler à M. Triquard ? Euh… vous ne pourriez pas me le décrire ? (Un temps.) Non, mais sommairement… (Acquiesçant à ce qu’on lui dit.) Hinhin… Hinhin… (Prenant conscience qu’il vient de rencontrer Bernard.) Oh ! mais alors… mais alors j’étais…

Fred rentre. Elle s’aperçoit qu’Olivier est derrière la réception. Ulcérée, elle fonce sur lui.

Fred. — Allez-y ! Surtout ne vous gênez pas…

Olivier, se justifiant. — C’est parce que le téléphone a sonné… et comme il n’y avait personne, alors j’ai…

Fredsans attendre la fin. — Épargnez-moi votre blabla ! En tout cas vous perdez rien pour attendre ! (Elle s’empare du combiné, furibarde) Allô ? (Un temps, regardant autour d’elle) Non, il est en conférence ! (Elle raccroche rageusement. Puis, regardant Olivier.) À nous deux, la fouine !

Olivier. — La fouine ?

Fred, poussant Olivier hors de la réception. — Comment vous appelez une sale bête qui fourre son nez là où on ne lui a pas demandé ?

Olivier, reculant. — Mais enfin… j’essayais juste de…

Fred. — Pas la peine de déblatérer ! J’ai très bien vu ce que vous étiez en train de faire !

Olivier. — Je crois au contraire qu’il y a une méprise, alors si je peux vous…

Fred, haussant le ton. — Non vous pouvez pas ! Alors bouclez-la !

Olivier, haussant le ton à son tour. — Hein ? Non mais dites-donc ! On ne vous a pas appris la politesse ? 

Fred, ne désarmant pas. — La politesse ? (Avec un rire mauvais) Ha ! Manifestement, tu sais pas ce que c’est !

Olivier, se mettant à son tour en colère. — Mais de quel droit me tutoyez-vous ? J’aimerais un peu plus de respect !

Fred, du tac au tac. — Respect ? Mes fesses !

Olivier, choqué. — Oh ! C’est incroyable ! Mais où avez-vous été élevée !

Fred, pas impressionnée. — J’ai pas de leçons à recevoir, surtout de ta part !

Olivier, avec de plus en plus d’irritation. — Qu’est-ce que vous êtes en train d’insinuer, hein ? (Ce disant, plusieurs objets posés sur la réception sont heurtés et tombent à terre.)

Fred, sortant de ses gonds. — Oh ! Mais allez-y ! Allez-y carrément ! 

Olivier, ramassant ce qui est tombé. — Excusez-moi ! ça va ! Je l’ai pas fait exprès !

Fred, criant presque. — Saccagez mon poste de travail, tant que vous y êtes !

Olivier, criant presque, également. — Votre « poste de travail » ! Laissez-moi rire !

Fred, faisant le tour de la réception. — Quoi ? Ça te fait marrer ?

Olivier, battant en retraite. — Non, non…

Fred, prenant une bouteille d’eau. — Il te pose un problème, mon poste de travail ?

Olivier, prenant peur. — Mais non… mais non…

Fred, débouchant la bouteille et l’aspergeant copieusement. — Alors fous-moi le camp d’ici ! 

Olivier, trempé. — Oh !

Fred, avec agressivité. — Face de craie !

Olivier, s’essuyant. — Une minute, j’ai…

Fred, sans attendre la fin. — Face de chien !

Olivier, plus fort. — Attendez, je vous dis que j’ai…

Fred, sans l’écouter. — Face de rat !

Olivier, encore plus fort. — Mais puisque je vous dis que j’ai…

Fred, sans entendre. — Face de pet !

Olivier, hurlant. — Mais j’ai rendez-vous !

Fred, après un temps. — Ah oui ? (Silence.) Et avec qui ?

Olivier. — Mme Muflot. 

Fred, avec une crainte soudaine. — Mme ?… Mme Muflot ?

Olivier, avec satisfaction. — Oui.

Fred, retournant à la réception. — Et vous êtes ?

Olivier. — M. de Sainte-Anigreuse, commune de Villiers-Saint-Marc.

Fred, lisant le papier écrit sous la dictée de Bernard, avec effroi. — Olivier de Sainte-Anigreuse ?

Olivier, essorant ses vêtements, avec un air pincé. — Lui-même. 

Fred, avec une douceur soudaine. — M. de Sainte-Anigreuse… Nous vous attendions…

Olivier, avec sévérité. — Eh bien dites-donc, on aurait pas dit ! 

Fred, avec un ton sirupeux. — C’est un regrettable malentendu, je vous fais toutes mes excuses, mais en vous voyant ainsi derrière la réception, j’ai cru que… enfin que vous… (Il lui est impossible de finir.)

Olivier, montant sur ses grands chevaux. — Que quoi ? Allez-y ! Dites-le !

Fred, mal à l’aise. — Non, non, je…

Olivier, avec emphase. — Mais si, allez-y, ne vous gênez pas ! Vous aviez cru que j’étais en train de voler quelque chose ?

Fred, souhaitant éviter le conflit. — Oh lala…

Olivier, éclatant. — C’est honteux ! Sachez que chez les de Sainte-Anigreuse, c’est pas le genre de la maison !

Fred, avec soumission. — Je m’en doute…

Olivier, bouillant. — Vous n’en aviez pas l’air ! Je vais vous dire ce que vous êtes… Une tête de mule !

Fred, avec soumission. — Certainement…

Olivier, poursuivant. — Une tête de nœud !

Fred, avec soumission. — Complètement…

Olivier. — Une tête de gland !

Fred, la trouvant forte. — Oh… quand même…

Olivier. — Appelez-moi votre responsable !

Fred. — Euh… Mme Muflot n’est pas disponible…

Olivier. — Pardon ?

Fred. — Oui, c’est navrant, mais…

Olivier, n’en croyant pas ses oreilles. — Mme Muflot  me fixe un rendez-vous et elle ne daigne même pas honorer ses engagements ? (Ironique) Mes compliments ! (Avec sérieux) Quel mépris ! Nous comptions faire appel à vous pour notre feu d’artifice annuel, mais vous pouvez dire de ma part à Mme Muflot que nous ne ferons jamais affaire ensemble ! (Il se dirige vers la sortie.)

Fred. — M. de Sainte-Anigreuse, attendez !

Olivier, s’arrêtant et se retournant. — Quoi encore ?

Fred, avec amabilité. — Mme Muflot  n’est pas disponible, en effet, mais elle m’a demandé de vous recevoir.

Olivier, sans expression. — C’est une blague ?

Fred. — Pas du tout, si vous voulez bien me suivre…

Olivier, avec ironie. — On vous a déjà dit que vous saviez recevoir ?

Fred, sans saisir la moquerie. — Euh… non…

Olivier. — C’est normal ! (Il se dirige de nouveau vers la sortie.)

Fred, prenant peur. — Où allez-vous ?

Olivier. — Je m’en vais ! Et croyez que vous ne me reverrez plus !

Fred, avec agitation, rattrapant Olivier. — Non, je vous en prie !

Olivier. — Jamais !

Fred, s’agrippant à Olivier. — S’il vous plaît !

Olivier, se débattant. — Mais qu’est-ce que…

Fred, se mettant à pleurer. — Restez !

Olivier, sensible aux larmes de Fred. — Oh… Faut pas pleurer comme ça…

Fred, séchant ses larmes. — Vous voulez bien rester ?

Olivier, après un temps. — Bon… d’accord.

Fred, sautant de joie. — Oh merci, merci, merci ! Vous ne le regretterez pas. (Tâtant les vêtements d’Olivier.) Tout d’abord, nous allons vous mettre au sec !

***

Fin du Tableau I.

Tableau II.

Quelques instants plus tard. Fred, Laura et Éva font face à Bernard et Jocelyne.

Évainquiète. — Quelles garanties vous pouvez nous donner ?

Jocelynetentant de les rassurer. — La filiale ne fermera pas et tous vos emplois seront préservés !

Fredincrédule. — Comment c’est possible ?

Bernardaffichant sa détermination. — C’est possible parce que je vais taper du poing sur la table !

Laurapeu convaincue. — Si le siège veut nous liquider, il nous liquidera.

Jocelyne. — Ne sois pas aussi négative !

Éva. — Même avec toute la bonne volonté du monde, ça n’y changera rien…

Bernardavec un sourire se voulant mystérieux. — Détrompe-toi ! Je connais au siège plusieurs personnes sur qui j’ai conservé une certaine influence, si tu vois ce que je veux dire… D’ailleurs, je vais les contacter tout de suite…

Freddéfaitiste. — Bon bah on est foutus !…

Jocelynesouhaitant donner un coup de fouet à l’équipe. — Prenons ça comme un défi ! Ils veulent qu’on remonte nos chiffres, eh bien on va remonter nos chiffres ! (Elle regarde les autres qui ne paraissent pas enthousiasmées par sa proposition.)

Lauraréfléchissant. — C’est vrai que, ces derniers temps, on s’est un peu laissé vivre…

Jocelyne. — Peu importe le passé. Ce qui compte c’est l’avenir et le potentiel de l’équipe ! Et maintenant, au boulot ! (Bas, à Bernard, alors que Laura et Éva, déprimés, regagnent leurs bureaux) On en est où avec Sainte-Anigreuse ?

Bernardpris de court. — Hein ? Euh… c’est en cours…

Jocelyne. — Je compte sur toi, Bernard ! Cette vente est importante, décisive, capitale !

Bernard. — Oui, oui… je gère…

Jocelyne sort.

Bernardbas, à Fred. — On en est où avec Sainte-Anigreuse ?

Fred. — Il sèche. 

Bernard. — Quoi ?

Fredavec gêne. — Oui, quand il est arrivé… il était trempé…

Bernard. — Tu me le soignes ! Je compte sur toi, Fred ! Cette vente est importante, décisive, capitale ! 

Fred. — Oui, oui… je gère…

Fred sort alors que Bernard se dirige vers Laura et Éva.

Bernardavec malice. — Dites-donc, les jeunes ! Que diriez-vous d’organiser une fête !

Lauramorose. — Une quoi ?

Bernard. — Une fête !

Evaégalement maussade. — Vous trouvez qu’il y a de quoi faire la fête ?

Bernardà fond. — Justement ! Que diriez-vous d’une soirée appelée euh… les « Smokies » !

Lauramorne. — Les quoi ?

Bernardtoujours à fond. — Une super soirée au cours de laquelle on remettrait des prix ! Ces fameux « Smokies » !

Lauratoujours morne. — Quels prix ?

Bernardtoujours à fond, riant. — Je sais pas, moi ! … Prix du prénom le plus pourri, prix de la tenue la plus moche, prix de la tronche la plus minable, prix des…

Evaironique mais toujours morne. — Waouh ! super…

Bernardtentant de convaincre. — Allez ! Je suis sûr que ça peut être super marrant ! Et que ça peut aussi nous remonter le moral !

Evaironique mais toujours maussade. — Vous voulez nous remonter le moral en nous expliquant qu’on a un prénom ringard ?

Lauraacide, à son tour. — Ou une tête d’abruti ?

Bernarden colère. — Bon eh bien puisque personne ici n’a envie de faire quelque chose pour ressouder l’équipe, tant pis ! Mais il est hors de question que l’un ou l’une d’entre vous vienne pleurnicher dans mon bureau sous prétexte qu’il y a une ambiance de… de crotte !

Eva, souriant. — Oh Bernard, pas de danger que quelqu’un vienne dans votre bureau…

Bernard. — J’espère…

Eva, prêt à rire. — Ça pue trop… (Laura et Éva éclatent de rire.)

Sur ces entrefaites, Tom entre.

Bernard. — C’est ça… riez… riez… Mais rira bien qui rira le dernier ! Quand vous serez sur la grande place de Villiers en train de mendier, habillées en loques, ne comptez pas sur moi pour jeter une pièce dans votre gamelle pleine de rouille ! 

Sur ces paroles, il se dirige vers la porte de son bureau, l’ouvre, prend une grande respiration, entre et referme la porte sur lui.

Tom, ironique. — Quelle ambiance ! (À Laura) Tu vas nous chercher un café, mon amour ?

Laura, avec un petit sourire pincé. — Je pense que tu peux y aller toi-même, mon chéri. (Éva se montre surprise par cet échange.)

Tom, également surpris. — C’est pas très sympa, ça, mon amour…

Laura, avec un petit sourire. — C’est un prêté pour un rendu, mon chéri.

Tom, désarçonné. — Comment ça, mon amour ?

Laura. — Hier soir, quand je t’ai demandé si tu pouvais aller nous chercher un kilo de carottes à la supérette, tu m’as gentiment répondu : « Je pense que tu peux y aller toi-même, mon amour. » Tu ne t’en souviens pas, mon chéri ?

Tom, piqué. — Si, je m’en souviens très bien. Il se trouve que quand tu m’as demandé ça, j’étais en train de déboucher le lavabo qui, à cause de toi, était rempli de cheveux, mon amour. 

Laura, piquée. — Je te signale que je ne serais pas obligée de me coiffer au-dessus du lavabo si tu ne monopolisais pas la glace de la chambre un quart d’heure tous les matins pour vérifier que ta tenue est bien nickel, mon chéri !

Tom, le visage fermé. — Si je me mets devant la glace de la chambre pour m’habiller, c’est tout simplement parce que ton shampoing beurre d’oignon et crème d’orties empeste toute la salle de bain, mon amour !

Laura, la bouche crispée. — Il sent toujours meilleur que ton baume après-rasage à l’extrait de cacahuète et à la graisse de phoque, mon chéri !

Tom, s’énervant. — Tu n’as pas dû t’apercevoir que j’ai acheté ce baume depuis que tu m’as offert un rasoir Scalpex avec lequel je manque de me trancher la gorge tous les matins, mon amour !

Laura, s’énervant. — Il marche toujours mieux que ton vieux rasoir Pedalax qui transformait ta peau en champ de cratères, mon chéri !

Tom, se levant. — Ma peau, en champ de cratères ? Vraiment, je te remercie d’avoir consenti à sortir avec un type aussi difforme, mon amour !

Laura. — Tu racontes n’importe quoi, mon chéri !

Tom. — Tu n’as pas dit que j’étais difforme, mon amour ? Éva, je te prends à témoin !

Éva, feignant de ne pas avoir écouté la conversation depuis le début. — Pardon ?

Laura. — Bonne idée, mon chéri ! N’est-ce pas, Éva, que je n’ai pas dit ça ?

Éva. — Dit quoi ?

Laura. — Que Tom était difforme !

Éva. — Euh… je ne sais pas… je… j’étais en train de lire un truc alors je n’ai pas…

Laura. — Enfin Eva, tu étais présente !

Éva. — Oui, mais bon…

Tom. — Ne te laisse pas influencer !

Laura. — Dis-lui que j’ai raison !

Tom. — Dis-lui qu’elle a tort !

Laura. — Dis-lui qu’il me prend pour sa bonniche !

Tom. — Dis-lui qu’elle n’est vraiment pas sympa !

Laura. — Allez ? Éva !

Tom. — Éva, s’il te plaît !

Laura. — Éva !

Tom. — Éva !

Laura. — Éva !

Tom. — Éva !

Éva, criant. — Assez ! (Elle respire, haletante. Un silence, puis) Je crois que je préférais quand on savait pas que vous étiez ensemble !

Elle les plante là, les laissant médusés. Laura et Tom, glacés, se rasseyent à leurs bureaux alors que Fred arrive et que Bernard sort de son bureau. Il reprend alors son souffle comme quelqu’un qui était en apnée.

Bernard, haletant. — J’avais plus fait ça depuis mon dernier stage de plongée… (À Fred) Alors, de Sainte-Anigreuse ?

Fred. — Il est parti.

Bernard. — Hein ?

Fred. — Ben oui : il était sec. Et puis ça fait plus d’une heure qu’il était arrivé.

Bernard. — Mais alors… tu… tu… tu lui as rien vendu ?

Fred. — Ben non…

Bernard, désespéré. — Oh lala… Mais il faut lui fixer un nouveau rendez-vous.

Fred. — C’est ce que j’ai voulu faire, mais il avait pas accès à son agenda, alors…

Bernard, se laissant tomber sur une chaise. — Oh non ! c’est foutu… foutu…

Fred. — Ne soyez pas si défaitiste, Bernard, il a dit qu’il me rappellerait…

Bernard. — Tu parles, qu’il va te rappeler… 

Entre Jocelyne, très inquiète.

Jocelyne. — Tiens… ce sont les chiffres de vente depuis ce matin. (Elle donne la feuille à Bernard.) On est à 30% de moins qu’une journée lambda. 30% ! Alors que tout le monde sait qu’on doit remonter nos ventes ! C’est pas vrai…

Bernard, le moral dans les chaussettes. — Mais quelle équipe de mous… 

Fred. — Vous êtes drôle ! Il a fallu qu’on accuse le coup !

Jocelyne. — Finalement, le siège avait peut-être raison… 

Fred. — À quel sujet ?

Bernard. — C’est vrai, on devrait peut-être virer quelqu’un…

Fred. — Virer ? Ils vous ont demandé de virer…

Jocelyne, désignant Tom et Laura. — Regardez-moi ceux-là, on peut pas dire qu’ils sont à fond ! (Tom et Laura dressent l’oreille et se mettent subitement à s’activer.)

Fred. — Là, vous exagérez !

Bernard. — Ce sont des employés ! On ne devrait pas les voir gentiment assis à leur bureau, mais au téléphone, en train de s’occuper de nos produits ! (Soudain, Tom et Laura décrochent leurs téléphones et se mettent à parler.)

Tom. — Tom, de United Smokes Villiers-Saint-Marc, je vous appelle au sujet de votre contrat.

Laura. — Laura, de United Smokes Villiers-Saint-Marc, je vous rappelle au sujet de votre réclamation.

Jocelyne. — Et ils pensent faire illusion !

Fred. — Moi qui suis avec eux tout le temps, je peux vous dire que…

Bernard. — C’est eux qu’il faudrait virer ! (Tom et Laura, épouvantés, s’arrêtent de parler.)

Fred. — Ah non, je ne peux pas vous laisser…

Jocelyne, avec soupçon. — Elle est où, Eva ?

Fred. — Euh… je crois qu’elle a pris une pause…

Bernard, sarcastique. — Celle-là, toujours en pause ! Je te le virerais, moi !

Fred. — Éva ? Vous plaisantez, j’espère…

Jocelyne, regardant Fred. — À moins qu’on ne te supprime, toi.

Fred. — Moi ? Me « supprimer » ? Mais vous vous rendez compte de ce que…

Bernard, poursuivant le raisonnement. — On bascule le standard sur la centrale d’appels du siège. 

Fred, que cette perspective choque. — Oh !

Jocelyne. — On en ferait, des économies… 

Fred, criant presque. — Eh ben je vais vous dire : on n’en serait pas là si vous saviez diriger vos équipes !

***

Fin du Tableau 2.

TABLEAU 3

Plusieurs mois plus tard. Bernard est seul dans l’open space. Il est assis au bureau de Laura, devant son ordinateur.

Bernard, au téléphone. — Je sais, ça fait longtemps, mais l’odeur de munster, c’est tenace ! Ah, je te retiens… Hein ? Là, je suis en train de lire les mails de tout le monde. Ben… avec les rumeurs de fermeture qui se répandaient, il fallait que je contrôle si des fakes news n’étaient pas en train de… Oh mais attends… attends… Laura, Éva et Fred ont prévu d’aller au cinéma Paradiso ensemble ce soir… voir Capitain Marvel(Avec déception ) Et j’ai même pas été invité, purée… En plus, moi, j’adore Capitain Marvel… Ouais, t’as raison,  c’est vraiment pas cool…

Entrent Eva, Laura, et Fred.

Eva, à Fred. — Tu viens, ce soir ?

Fred. — Je sais pas, tu sais, en ce moment, je suis tellement…

Bernard. — Je te laisse, elles arrivent. (Il raccroche.)

Eva, insistant gentiment. — Allez ! ça te changera les idées !

Fred. — T’as peut-être raison…

Bernard, alors que Laura voit qu’il était assis à son bureau. — Je me suis permis de… Dans mon bureau, l’odeur est encore assez prononcée…

Laura. — Pas de problème, Bernard…

Laura et Éva s’asseyent à leurs postes tandis que Fred s’installe à la réception.

Evadonnant un papier à Bernard. — Voilà mes chiffres du mois, Bernard.  

Bernardregardant le papier. — Bravo, Eva, je suis impressionné !

Eva, modeste. — Je savais qu’il fallait remonter alors… j’ai tout donné !

Bernard. — Et ça a payé ! Bravo !

Eva, flattée. — Merci !

Bernardà Laura. — Je n’ai pas les chiffres de Tom.

Laura. — Pourquoi vous me demandez ça, à moi ?

Bernardà Laura. — Ben c’est parce que Tom et toi vous… enfin je… hum…

Moment de silence durant lequel Bernard reste là, en attendant que la conversation reprenne. Les autres le regardent avec surprise. Il reste immobile. Une certaine gêne s’installe.

Bernardpour dire quelque chose, à Fred. — Et sinon, de Sainte-Anigreuse ?

Fred. — Il est censé arriver dans pas longtemps…

Bernard. — Bien… bien… Alors… euh… tu mets le paquet, hein ?

Fred. — Vous êtes sûr que vous voulez pas vous en occuper ? Parce que moi, la vente…

Bernard. — Multiplier les interlocuteurs, c’est contre-productif. Et puis moi, en ce moment, j’ai pas une minute à moi…

Fredle regardant, incrédule. — Vraiment ?

Bernard, confirmant. — Vraiment !…

Nouveau moment de silence gêné durant lequel Bernard reste au milieu de tout le monde, tandis que les autres commencent à s’interroger sur sa présence.

Bernard, se décidant à parler. — Moi, j’irais bien au cinéma, ce soir… (Comme son intervention n’a suscité que des sourires gênés.) Hein ? Qu’est-ce que vous en pensez ?

Eva, polie. — Bonne idée, Bernard… ça vous videra la tête…

Bernard, cherchant la bonne stratégie pour se faire inviter. — Par contre, ce qui est sympa, au cinéma, c’est d’y aller à plusieurs… (Comme personne ne répond, il insiste.) Non ?

Laura, pour donner le change. — Oui, comme ça… on peut discuter du film après…

Bernard, comme un pêcheur prêt à ferrer sa proie. — Je ne sais pas ce qui se joue, en ce moment… (Alors que les autres font semblant de ne pas entendre.) Et vous, vous savez ?

Eva, pour dire quelque chose. — Ça dépend de ce que vous cherchez…

Bernard, trop heureux de cette remarque. — J’adore les super-héros !

Les autres, prenant conscience du danger qui les menace, affichent des signes de nervosité.

Bernard, remarquant qu’il est au bord de l’emporter. — Et vous, vous aimez les super-héros ?

Les autres répondent par des moues qui signifient « bof ».

Bernard, mettant en place son piège. — Oh mais si ! … Superman, Batman, Spiderman… Ils sont géniaux, ces types… sans parler de Catwoman ou Wonderwoman, bien sûr… Mais il y en a un qui vient de sortir, là… (Fred va dire le nom mais Éva lui fait signe de garder le silence. Cependant, Bernard a vu que Fred se retient de parler. Jouant celui dont la mémoire flanche) Oh !… comment s’appelle-t-il, déjà ? Euh… Capitain Mireille… non, c’est pas ça… Ah oui… Capitain Marcel ! 

Fred, souriant. — Pff !… mais non… Capitain Marvel.

Bernard, heureux car son piège fonctionne, tout en ne le laissant pas paraître et en faisant semblant de soutenir son idée première.— Marcel.

Fred. — Marvel.

Bernard, jouant l’obstination. — Marcel !

Fred. — Marvel !

Bernard. — Je te dis que c’est Capitain Marcel !

Fred. — Eh moi je vous dis que c’est Capitain Marvel !

Bernard. — Qu’est-ce que t’en sais ?

Fred. — On va le voir ce soir ! (Soudain, elle se rend compte de sa bévue.)

Bernard, poursuivant dans sa lancée. — Au cinéma Paradiso !

Eva, que cette dernière remarque rend suspicieuse. — Comment vous savez ça ?

Bernard, se rendant compte de son faux-pas. — Hein ?

Laura. — C’est vrai, ça ? Comment vous savez qu’on va au cinéma Paradiso ?

Bernard, essayant de s’en tirer. — Moi ? Oh… je disais ça comme ça…

Laura, comprenant soudain. — Oh ! Bernard, vous avez lu nos messages !

Fred. — Quoi ?

Bernard, peu à l’aise. — Attendez, ce n’est pas du tout ce que vous…

Fred. — Vous nous espionnez ?

Bernard, pataugeant. — Mais non, mais non…

Eva, choquée. — C’est du voyeurisme !

Bernard, essayant de minimiser. — Tout de suite les grands mots !

Fred. — Bernard, vous n’avez pas le droit !

Bernard, tentant de reprendre le dessus. — Un responsable peut, lorsque des questions de sécurité s’imposent, contrôler la messagerie professionnelle de…

Laura, s’échauffant. — De sécurité ? En quoi le fait qu’on aille au cinéma concerne la sécurité ?

Bernard, essayant de reprendre le contrôle de la situation. — Lorsqu’on a évoqué la possible fermeture de la filiale, des rumeurs ont circulé et il était de mon devoir de…

Eva, énervée.  C’était il y a six mois ! Je vais en parler à Jocelyne !

Laura. — Bonne idée. On va en parler à Jocelyne.

Bernard, battant en retraite.  Elle est en rendez-vous à l’extérieur… Bon… je vous laisse… (Cherchant une excuse) j’ai plein de trucs à…

Bernard sort.

Fred. — Quel culot !

Olivier entre.

Fred, soudain aimable. — Ah ! M. de Sainte-Anigreuse. Bonjour. Comment allez-vous ?

Olivier, également aimable. — Bien, je vous remercie…

Laura, bas, à Éva. — C’est lui, le gros client ?

Eva, bas. — Oui.

Fred. — Je vous en prie, asseyez-vous…

Olivier, s’asseyant. — Merci.

Laura, intriguée, bas, à Éva. — Fred fait de la vente, maintenant ?

Eva, bas. — J’en sais rien…

Fred. — Bien… euh… (Feuilletant le catalogue laissé par Bernard.) Alors j’aime autant vous le dire tout de suite, nos conditions générales de vente prévoient que vous pouvez payer en quatre fois.

Olivier, surpris par cette entrée en matière. — Euh… oui mais… hum… j’aimerais bien savoir d’abord pour quoi je pourrais payer…

Fred, croyant avancer un argument convaincant. — Mais pour vous, on peut vous le faire en cinq ou six, si vous préférez…

Olivier. — On verra, on verra…

Fred. — En dix fois, mais c’est mon dernier mot !

Olivier, agacé. — Je ne suis pas là pour acheter des modalités de paiement mais pour un produit, donc point de vue feux d’artifices…

Fred. — Oui, alors… regardez… ici… (Elle feuillette le catalogue et lui montre) J’ai un Jurrasik Pack qui permet de reproduire les plus grands dinosaures. Là : le Tyrannosaurus Rex ! (Imitant le dinosaure) Grrr !… Frissons assurés ! (Tournant une page.) Et celui-ci : le Spinosaurus AEgyptiacus ! Rhhâââ ! Tout le monde va tomber en syncope. (Tournant une autre page.) Mais attendez, vous n’avez pas encore vu le plus horrifique : le Giganotosaurus ! Le plus grand…

Olivier, sans attendre la fin. — Attendez, je crois qu’on s’est pas compris… nous cherchons un feu d’artifice familial. Pas un truc qui fasse faire des cauchemars à tout le monde… (Fred prend une mine défaite pendant que Laura et Éva étouffent un rire.)

Fred, d’un air pincé. — Non mais vous insinuez quoi ? Que je comprends pas ce que vous voulez ?

Olivier, du tac au tac. — Pour comprendre ce que je veux, il aurait peut-être fallu me demander !

Fred, d’un ton agressif. — Ben vous aviez qu’à le dire, aussi ! Vous êtes marrant… Bon, alors… le familial… (Elle feuillette de nouveau le catalogue.) Voilà. Le Pack Gold Max Ultimate ++. 19 minutes, 80 mètres, 3728 coups, 3 postes de tirs. Contient les effets suivants : Brocarts, Chrysanthemum, comètes, croisements, dragon’s eggs, fish, paniers, pistils, tourbillons, strobe et attention : Willow !

Olivier. — Dites donc… c’est pas mal… 

Fred, acquiesçant. — Hein ?

Olivier. — Combien ?

Fred. — 4500. 

Olivier, sonné par le prix, après un silence. — Ah quand même…

Fred. — Je sais… c’est un peu… mais on peut faire un effort…

Olivier, intéressé. — Ah oui ?

Fred. — Si vous voulez, je peux vous le faire à… (Elle réfléchit et, pensant lui faire une offre alléchante) 2000.

Olivier, n’en croyant pas ses oreilles. — Quoi ?

Fred, croyant que le prix annoncé est trop cher. — 1000.

Olivier, ne comprenant plus rien. — Pardon ?

Fred, paniquant. — 500 ?

Olivier, se levant.  Je vous remercie, mais je crois que je vais réfléchir…

Fred, se levant aussi, avec stress. — Vous n’allez pas partir comme ça ? 

Olivier Oh si !

Fred, montrant une boîte posée sur la réception. — Regardez, voici le Fumax, notre fumigène d’intérieur dernier cri.  

Olivier Je n’ai pas besoin de fumigène d’intérieur…

Fred, dans un accès de désespoir. — Je vous le fais à 5 balles !

Olivier Je m’en vais…

Fred. — Il marche très bien, regardez !… (Fred appuie sur la boîte. Aussitôt, une épaisse fumée se répand dans l’open space, provoquant la toux de tout le monde. Entre deux quintes de toux ) Je vous l’avais dit… Très efficace…

Olivier, au beau milieu d’un brouillard.  Où est la sortie… Ah ! (Il tombe.) Arrêtez ça !

Fred, appuyant sur la boîte. — Tout de suite… (La fumée continue d’inonder la pièce de plus belle.) Arrête-toi, sale machine ! Pourquoi ça marche pas ? (Allant à Olivier) Monsieur de Sainte-Anigreuse… (Tombant sur lui) Ah ! 

Olivier, sous le choc.  Oh !

Fred, l’aidant à se relever. — Venez… je vous raccompagne… 

Olivier, avançant à tâtons dans la fumée.  Non merci…

Fred, tâtonnant aussi. — J’insiste…

Ils sortent tant bien que mal. Laura paraît triste.

Évaà Laura. — Ça n’a pas l’air d’aller ? 

Laura. — C’est Tom… Je… je ne sais plus comment faire… On tient énormément l’un à l’autre mais… c’est pas si simple que ça de bosser avec l’homme qu’on aime… Quand on se dispute chez nous… on se dispute au boulot… et quand ça va mal au boulot, ça va mal à la maison ! … J’ai l’impression qu’on n’a plus d’espace pour s’aimer… (Cette confession la rend très émue.)

Évatouchée. — Peut-être que… Tom pourrait essayer de trouver un emploi ailleurs… Comme ça, vous auriez chacun votre univers professionnel et le soir vous seriez heureux de vous retrouver.

Laura, désappointée. — Je ne sais pas…

Alors que la fumée commence lentement à se dissiper, Sacha entre. 

Sacha, regardant la fumée avec surprise. — Qu’est-ce qui se passe ici ?

Eva, faisant du vent autour d’elle. — Le dernier prototype du siège…

Sacha, faisant du vent aussi. — Pas très au point, manifestement…

Eva, terminant de s’éventer. — Oh non…

Sacha. — Tu as vu, ils ont lancé un concours du meilleur employé. 

Eva. — Ça t’intéresse ?

Sacha. — Un joli trophée récompensant mon travail et trônant sur ma cheminée, ça me ferait plaisir…

Eva. — Tu as des idées pour ton discours ?

Sacha. — Mon discours ? Quel discours ?

Eva. — Si tu obtiens le prix, tu monteras sur le podium et tu auras à prononcer un discours.

Sacha. — Ah bon ? Je n’y avais pas pensé…

Eva. — Il vaudrait mieux t’y préparer…

Sacha. — C’est juste… mais… qu’est-ce que je vais y dire… ?

Eva. — Je ne sais pas… ça peut être l’occasion de faire partager ta vision de la boîte, ce que tu voudrais qu’elle devienne…

Sacha. — Oh oui ! Attends… (Prenant la pose comme au début d’un grand discours) « Ouvriers ! Commerciaux ! Patrons ! Face au pessimisme ambiant, nombreux sont ceux qui l’ont déjà décrété : no pasaran ! Le pessimisme ne passera pas ! Oui, les pessimistes nous entourent et veulent nous mettre le moral dans les chaussettes, mais ils ne passeront pas ! United Smokestoute entière s’apprête au combat ! »

Eva, peu convaincue. — Trop impératif…

Sacha. — Peut-être… Voyons… (Réfléchissant) Et quelque chose dans ce goût-là… « Mes amis, je sais que ces derniers temps, nous avons été comme dans le brouillard. (Geste pour refouler les derniers alizés de la fumée.) Mais je vous le dis, bien que nous ayons eu à faire face à des difficultés, I had a dream, je fais toujours ce rêve, un rêve profondément ancré dans l’idéal de United Smokes. Je rêve qu’un jour notre entreprise se lèvera et vivra pleinement la réalité de son crédo : toutes les fumées sont belles et méritent toutes de faire tousser la tête entière ! Raclez-vous les poumons aux couleurs de United Smokes !» 

Eva, peu convaincue. — Trop idéaliste…

Sacha. — C’est vrai… alors… on va redescendre sur terre… (Réfléchissant) Que dis-tu de ça ? « Mes amis, vous me demandez ma vision du futur pour la boîte ? Navré-e de vous le dire ainsi, mais je n’ai rien d’autre à vous offrir que du sang, de la peine, des larmes et de la sueur. Notre but ? Je peux vous répondre en un mot : la victoire sur nos concurrents. La victoire à tout prix, la victoire en dépit de la terreur. Notre politique ? Engager le combat sur terre, sur mer et dans les airs pour que triomphe United Smokes ! » 

Eva, peu convaincue. — Trop martial…

Sacha. — T’es jamais contente !

Eva, ayant une idée. — Oh je sais… (Imaginant une scène) Tu arrives, on te remet ton prix et toi, tu avances et tu dis « Je vous ai compris ! »

Sacha, après un silence dubitatif. — Je vais réfléchir !

Sacha sort alors que rentrent Fred et Olivier.

Fred, essayant de rassurer Olivier. — C’est juste un pneu crevé !…

Olivier. — Oui, mais j’ai rendez-vous à la commission culturelle !…

Fred. — Je peux vous déposer, si vous voulez ?

Olivier. — Vous feriez ça ?

Fred. — Bien sûr !

Olivier. — C’est très aimable à vous… En fait, j’y vais un peu à reculons parce que… Je devais arriver avec un contrat de feu d’artifice signé… Et comme j’ai rien signé du tout…

Fred. — Écoutez… parlons franchement… Qu’est-ce qui ne vous convient pas, dans ce que je vous ai proposé ?

Olivier. — Ce n’est pas tant ce que vous m’avez proposé que la façon dont…

Fred. — 4500, c’est trop ?

Olivier. — Un peu…

Fred. — Attendez… (Décrochant son téléphone et composant un numéro) Allô, Bernard ? Je suis avec M. de Sainte-Anigreuse. Pour le Pack Gold Max Ultimate ++, 4500 c’est un peu beaucoup. (Un temps.) OK. (Après avoir raccroché) J’ai eu mon boss au téléphone, on peut vous le faire à 4000.

Olivier, soulagé. — Ah ?

Fred. — Mais en contrepartie, vous apposez notre logo sur tout votre matériel de com’. 

Olivier, lui serrant la main. — Marché conclu !

Fred, avec joie. — J’étais sûre qu’on pouvait s’entendre ! (L’accompagnant jusqu’à la sortie) On va discuter de la date qui vous convient pour la livraison… Je vous fais envoyer un devis dès aujourd’hui…

Ils sortent alors qu’entrent Jocelyne, Bernard, Brett ou Emma et Brad ou Emmy, qui observent attentivement l’open space.

Jocelyne. — Personne ne m’a prévenue de votre arrivée !

Brett/Emma. — Le siège a pourtant envoyé un mail.

Brad/Emmy. — Nous ne nous sommes pas présentés. Brad ou Emmy Thomson.

Brett/Emma. — Brett ou Emma Blington.

Bernard. — Et si nous allions en salle de conférences ?

Brad/Emmy. — Inutile, ce sera rapide.

Brett/Emma. — Il y a 6 mois, le siège a effectué ici une inspection qui a révélé les failles de votre filiale.

Bernard, à part. — Les failles…

Brad/Emmy. — En effet, parmi toutes les filiales de United Smokes, vous étiez celle dont les chiffres étaient les plus mauvais. Depuis 6 mois, nous avons scruté à la loupe vos résultats.

Jocelyne. — Je peux vous dire que nos équipes se sont défoncées !

Brett/Emma, tendant le papier à Jocelyne.  Peut-être, mais les chiffres parlent d’eux-mêmes : c’est encore pire qu’il y a six mois.

Jocelyne, lisant le papier. — Mais… c’est impossible…

Bernard. — Vous avez dû vous planter !

Brad/Emmy. — M. Triquard, vous devriez renouveler vos arguments. Si j’en crois le rapport qui a été rédigé suite à l’inspection, il y a 6 mois ils étaient les mêmes.

Brett/Emma. — En outre, ce rapport vous classe comme un « sujet atteint de trouble affectif associé à un déni de réalité. »

Bernard. — Quoi ? Je veux le lire, ce rapport…

Jocelyne. — Ça veut dire quoi, tout ça ? Le siège ferme la filiale ?

Bernard, se plaçant face à Brad/Emmy et Brett/Emma. — Jamais ! Il faudra me passer sur le corps !

Brad/Emmy. — Calmez-vous, M. Triquard…

Bernard, ulcéré. — Que je me calme ?

Jocelyne, folle de rage. — Comment voulez-vous rester calme ?

Bernard. — Cette filiale, c’est notre famille ! Et moi, quand on attaque ma famille, j’attaque ! (En position de kung-fu) Allez… venez… on va se la faire à la loyale… Si vous remportez le combat… on ferme… mais si je gagne… on reste ouvert…

Brett/Emma. — M. Triquard, ne nous forcez pas à appeler la sécurité…

Bernard, tournant autour d’eux et faisant mine de leur donner des coups. — Mais c’est qu’ils ont peur… houhou… Allez ! (Il fait des passes rapides et manque de les toucher plusieurs fois.)

Brad/Emmy. — Arrêtez ça, M. Triquard… 

Brett/Emma. — Nous n’avons pas fini ce que nous avons à vous dire. (Intrigué, Bernard arrête ses passes.)

Brad/Emmy. — Comme nous vous l’avons dit… Vos chiffres sont plus mauvais qu’il y a 6 mois.

Brett/Emma. — Pourtant, une autre filiale a réussi l’exploit de devenir encore plus mauvaise que vous. Et croyez-moi : c’était pas gagné !

Jocelyne. — Quelle filiale ? 

Brad/Emmy. — Celle de Bulot-les-Deux-Clochers.

Bernard. — C’est eux qui vont fermer ?

Brett/Emma. — Oui.

Jocelyne. — Et nous on va rester ouverts ?

Brad/Emmy. — Oui.

Jocelyne et Bernard, sautant de joie. — Ouais ! (Chantant) We are the champions, my friends… We are the champions !…

Brett/Emma. — Je vous conseille cependant d’avoir la victoire plus modeste. 

Brad/Emmy. — En effet, remonter vos chiffres doit toujours être votre priorité.

Brett/Emma. — Mais nous avons une autre nouvelle à vous annoncer.

Brad/Emmy. — Comme vous le savez, United Smokes a racheté les briquets Fire Power

Brett/Emma. — Eh bien sachez que le comité de direction a choisi d’implanter un point de vente Fire Power dans le terrain vaquant jute en face. 

Brad/Emmy. — Le comité de direction souhaite que votre meilleur commercial en devienne le responsable. 

Bernard. — En ce cas, ce ne peut être qu’Éva, vu ses chiffres du mois !

Jocelyneà Eva. — Qu’en penses-tu ?

Éva. — Je ne sais pas… je suis flattée… Je peux réfléchir ?

Brett/Emma. — Nous allons vous laisser régler ça en interne. Transmettez-nous un nom dès que vous le pourrez. 

Jocelyne, à Eva. — Je te laisse réfléchir pendant que je raccompagne nos collègues. À mon retour, donne-moi ta décision. (Aux autres) Allons-y !

Brett/Emma, Brad/Emmy, Jocelyne et Bernard sortent alors que rentre Tom, un papier à la main.

Tom, à Éva. — T’as donné tes chiffres à Bernard ?

Éva. — Mes chiffres du mois ? Oui. Fais voir ? (Elle lit la feuille de Tom. Puis, avec admiration.) Mais… mais… Tom, mais c’est… dingue !

Tom, fier. — J’ai vraiment tout donné !

Éva. — Je te crois ! Tu as fait 40% de vente en plus par rapport à moi ! 

Jocelyne et Bernard reviennent.

Jocelyne. — Éva, as-tu réfléchi ?

Éva, déterminée. — Oui.

Bernard. — Alors ?

Éva. — Je refuse le poste.

Bernard. — Quoi ?

Jocelyne. — Mais enfin, Éva, c’est une belle opportunité !

Éva. — Je sais, mais c’est non !  

Bernard. — Mais qui on va mettre… (Voyant Tom.) Tom ! Tu n’as peut-être pas eu l’info, mais la filiale United Smokes de Villiers-Saint-Marc ne fermera pas !

Tom. — C’est vrai ?

Jocelyne. — On ouvre un point de vente de briquet Fire Power juste en face. 

Tom. — Fire Power et United Smokes ensemble ? On va tout faire péter ! (Il rit mais devant la mine inquiète des autres) Enfin… façon de parler…

Jocelyne. — On a besoin d’un responsable à la tête d’une équipe resserrée d’une demi-douzaine de personnes. Ça te tente ?

Tom, surpris et regardant Laura. — Je ne sais vraiment pas… (Alors que Laura lui fait signe d’accepter.) Oui !

Bernard. — Bravo Tom ! Champagne !

Laura, à Tom. — Je suis contente pour toi, mon chéri. La journée, nous serons à quelques mètres l’un de l’autre, mais chacun dans son domaine. Et le soir, on se retrouvera pour… pour l’essentiel !

Tom. — Tu as raison, mon amour ! (Baiser.)

Eva fait un pouce à Laura.

Laura, bas, à Eva. — Merci, Éva. 

Eva lui renvoie un signe de complicité.

Laura et Tom débouchent une bouteille de champagne et commencent à servir des flûtes.

Jocelyne. — Autre nouvelle : Bernard devient superviseur du site United Smokes-Fire Power. La place de directeur adjoint est donc vacante. Éva, tu ne pas dire deux fois non ?

Éva, surprise et heureuse de cette proposition. — Euh… non… au contraire, j’accepte ! Et je veillerai à ce que Bernard ne lise plus nos mails professionnels ! 

Bernard. — J’ai eu tort, je l’avoue. Donnez-moi un gage, celui que vous voudrez…

Éva. — Je propose : croissants et viennoiseries tous les jours pendant un mois ! 

Bernard. — D’accord !

Acclamation générale alors que Fred rentre.

Fred, surexcitée. — Je l’ai eu ! Le marché du feu d’artifice de Villiers-Saint-Marc ! Sainte-Anigreuse passe la commande !

Jocelyne. — Quoi, mais c’est toi qui ?…

Bernard. — Bravo, Fred ! (Alors que, attiré-e-s par l’acclamation générale, Sacha, Lou, Dany, Sil et Chris sont réapparu-e-s.) Je crois qu’il est nécessaire de le redire : United Smokes Villiers-Saint-Marc ne fermera pas !

Nouvelle acclamation générale encore plus forte que la première.

Bernard. — Et vous savez pourquoi ? Parce que vous êtes les meilleurs !

Acclamation encore plus sonore.

Jocelyne. — Fred, tes talents de commerciale sont maintenant avérés ! Que dirais-tu de quitter ta réception pour rejoindre notre équipe de vendeurs ?

Fred, aux anges. — J’accepte !

Acclamation.

Bernard. — Je crois que le moment est venu de faire un discours. United Smokes est né en 1864 dans une petite échoppe de Détroit…

Les autres. — Bernard !

Jocelyne. — Longue vie à United Smokes !

Tous. — Longue vie à United Smokes !

Jocelyne. — N’oubliez jamais : si nous avons réussi, c’est parce qu’il y avait plus naze que nous, d’accord, mais c’est aussi parce que nous avons fait preuve de solidarité et d’entraide. (Levant son verre) Santé !

Tous, le verre levé. — Santé !

***

FIN 

de 

La Vie de bureau

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