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Et si une simple action transformait votre existence à jamais ?
Accordez-nous moins de deux heures et demie de lecture et plongez votre public une comédie interactive unique qui joue avec la multiplicité des chemins possibles de l’existence (même si vous avez peu de moyens).
Avant de vous en dire plus, on a 3 questions rapides à vous poser :
🆘 Les pièces où les intrigues sont figées et sans surprises, vous en avez assez ?
🆘 Vous fuyez les histoires dont la construction est conventionnelle ?
🆘 Vous cherchez un texte qui engage le public et redéfinit l’art du théâtre ?
Si vous avez répondu oui à au moins deux questions, alors lisez vite ce qui suit !
Voici le résumé de La Part du Hasard :
Stéphane et Isolde mènent une vie tranquille dans le village de Glassac jusqu’à l’arrivée d’Oriane, une nouvelle locataire au passé énigmatique. Mais la vie quotidienne se transforme en une aventure imprévisible, où chaque choix, même anodin, ouvre des portes vers des scénarios tantôt hilarants, tantôt dramatiques. À chaque instant, le hasard influe sur le destin des personnages, offrant une expérience théâtrale interactive et inédite.
En accédant au texte intégral de La Part du Hasard, vous obtiendrez un fichier PDF de 139 pages pour un poids ultra-réduit de 879 Ko, téléchargeable sur votre ordinateur, votre tablette, votre téléphone, et imprimable sur n’importe quel support. La mise en page vous permettra de noter sur le texte toutes les indications et notes de régie que vous jugerez utiles.
Avec La Part du Hasard, vous découvrirez :
✅ Une pièce interactive : le public peut influencer l’intrigue, vivant ainsi une expérience unique à chaque représentation.
✅ Des personnages riches et nuancés, permettant à vos interprètes d’explorer toutes les nuances de l’humain.
✅ Des situations centrées sur les relations entre les personnages : ainsi, seuls quelques éléments sont nécessaires pour figurer les lieux, simplifiant la mise en scène.
✅ Une intrigue captivante : elle donne à voir 34 chemins possibles, et maintient de cette façon l’intérêt du public jusqu’au bout.
✅ Une réflexion universelle : une exploration ludique des impacts du destin et des décisions humaines, qui parlera à l’ensemble du public.
La pièce a été créée par le Thabou, Yvelines, 2016.
Intéressé(e) ? Téléchargez gratuitement le texte intégral de La Part du Hasard et laissez votre public plonger dans un labyrinthe de possibilités, où chaque décision façonne l’aventure !
Attention : déconseillé aux compagnies qui cherchent des pièces de facture classique.
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La Part du hasard s’inspire des travaux de L’Ouvroir de Littérature Potentielle, plus connu sous son acronyme OuLiPo, a fait de la contrainte littéraire l’élément central de son travail. Parmi les nombreuses contraintes expérimentées par les oulipiens, l’une a retenu notre attention : celle du graphe. L’idée est de faire épouser à un texte la forme d’un graphe mathématique. Ce graphe ressemble parfois à un branchage, ce qui a poussé l’OuLiPo à utiliser également les termes de « constellations », d’ « arbre » ou encore de « littérature arborescente ».
Les textes exemplifiant cette contrainte sont nombreux. En voici quelques-uns. Georges Pérec, dans L’Augmentation, présente un employé essayant d’obtenir une augmentation de salaire de la part de son chef de service. Cette donnée initiale donne lieu à plusieurs suites possibles, qui sont toutes présentées au lecteur. In fine, l’employé a gain de cause mais dilapide rapidement le fruit de son nouveau revenu. Tout est donc à recommencer. Dès années plus tard, Paul Fournel reprend la même construction pour son roman Chamboula, mais en complexifiant considérablement l’arbre narratif. Dans Un conte à votre façon, Raymond Queneau intègre le lecteur au dispositif puisqu’à chaque étape du récit, plusieurs suites sont proposées, et nous devons faire un choix. Cette proposition rejoint la tradition américaine du « livre dont vous êtes le héros » à l’intérieur duquel la lectrice dispose, en fin de chapitre, d’une ou plusieurs façons de poursuivre l’histoire.
Sur un plan spécifiquement théâtral deux oulipiens ont écrit L’arbre à théâtre. Comédie combinatoire, par François Le Lionnais, avec la collaboration de J.-P. Enard. L’intention initiale des auteurs était d’écrire une pièce de théâtre adossée à une structure « en arbre ». Cependant, ils se heurtent à une difficulté : « Les problèmes soulevés par une telle réalisation sont particulièrement nombreux et certains nous ont paru pratiquement insolubles. Une pièce en ‘arbre’ demanderait notamment un effort de mémoire presque surhumain aux comédiens ». Plusieurs années après la publication de ce texte, le dramaturge anglais non oulipien Alan Ayckbourn faisait mentir les auteurs. Il faisait représenter sa pièce Intimate exchanges, basée sur une structure en arbre complexe, avec seulement deux comédiens pour tous les rôles. La pièce fut créée à travers le monde et adaptée au cinéma par Alain Resnais sous les titres de Smoking et No Smoking. Bien qu’elle présente effectivement des difficultés, les erreurs relevées ont été peu nombreuses. Depuis, l’interactivité au théâtre a été beaucoup utilisée, sans toutefois aboutir à des textes vivant leur vie de textes de théâtre.
À partir de cette tradition littéraire, seulement esquissée, puisque l’objet de cette brève notice n’est pas d’en dresser un tableau exhaustif, nous nous sommes positionnés non en tant qu’auteurs, ce que nous ne sommes pas, mais en tant que fabricants de textes de théâtre, ce que nous sommes. Par conséquent, nous nous sommes bornés à sélectionner une large gamme de procédés éprouvés chez les auteurs que nous venons de mentionner, afin de réaliser des assemblages d’origines et de variétés pour vous offrir un produit de haute qualité, à consommer sur place où à emporter.
La pièce a été créée par le Thabou en 2017. En voici un aperçu :

Des questions ? Des remarques ?
Écrivez-nous : contact@rivoireetcartier.com
Texte intégral de La Part du hasard à lire ou à imprimer
Personnages
STEPHANE, maire adjoint de Glassac, chargé du petit patrimoine.
ISOLDE, sa femme.
JULIEN, leur voisin.
ORIANE, parisienne en vacances.
LA VOIX DU RÉCIT.
Les assistants de la voix du récit.
Prologue
LA VOIX DU RÉCIT. — Les hommes et les femmes ont un point commun : l’orgueil. Ce qu’ils aiment par-dessus tout ? Parler de leur habileté. Il leur est difficile d’admettre un fait pourtant évident : chaque réussite possède une part de hasard. Différentes méthodes ont été conçues pour sortir d’un labyrinthe. L’une d’elles, reconnue pour son efficacité, consiste à se déplacer dans le dédale en gardant constamment la main sur l’un des murs. L’un des murs, oui, mais lequel ? Le droit ? Ou bien le gauche ? Si le hasard vous sourit, vous ferez le bon choix et vous trouverez rapidement l’issue désirée. Sinon, vous risquez de déboucher, possible, dans une zone où rien ne vous attirait.
Notre histoire commence dans le sud-ouest de la France, au cœur du petit village de Glassac. Comme dans tous les petits villages du sud-ouest de la France, il y a une église, un vieux puits, une épicerie fine suédoise bio, et une mairie. Voici le maire adjoint de Glassac délégué au petit patrimoine : Stéphane Bordecarre. Sa femme : Isolde Bordecarre. Leur voisin : Julien Montigny. Et la nouvelle locataire des Bordecarre : Oriane Daguerre. Malgré son jeune âge, elle a déjà beaucoup d’expérience.
1. Un dîner de bienvenue
LA VOIX DU RÉCIT— C’est le milieu de l’été. Chez les Bordecarre, le dîner touche à sa fin.
Chez Stéphane et Isolde.
Isolde, Stéphane et Oriane sont à table.
ISOLDE. — N’hésitez pas à vous resservir.
ORIANE. — Avec plaisir.
ISOLDE. — Finalement, vous ne connaissez pas du tout la région ?
ORIANE. — Sur le site, il y a une option « Une destination au hasard ». J’ai cliqué et je suis tombée sur vous.
STEPHANE. — Vous êtes bien tombée.
ISOLDE. — Vous avez trouvé facilement ?
ORIANE. — Mon GPS aime les chemins compliqués. Mais j’ai demandé. Seulement… ça va vous sembler bête… surtout de la part d’une parisienne… personne n’a d’accent.
STEPHANE. — Vous vous attendiez à débarquer dans La Femme du boulanger ou Manon des sources ?
ISOLDE. — Rome n’est plus dans Rome. Si je vous disais le nombre d’anciens parisiens venus s’établir ici, vous seriez surprise. Tenez : Stéphane et moi.
ORIANE. — Qu’est-ce qui vous a décidés à partir ?
ISOLDE. — Envie d’une autre vie. Et puis Stéphane souhaitait faire évoluer son entreprise dans un marché moins saturé. Et comme une partie de sa famille est originaire d’ici…
ORIANE. — Dans quoi travaillez-vous ?
STEPHANE. — Vous n’allez pas rire ?
ORIANE. — Il n’y a pas de sot métier.
STEPHANE. — Je fabrique des sanisettes auto nettoyantes.
ORIANE. — Des quoi ?
STEPHANE. — Des sanisettes. Des toilettes publiques, si vous préférez.
ISOLDE. — « Bordecarre systems ». « Béton, fibre de verre, fonderie, aluminium, inox : nous utilisons les matériaux les plus résistants et les plus nobles au service de votre ville. Pour vous, nos designers concevront un mobilier urbain unique, parfaitement intégré dans l’espace spécifique de votre agglomération. Bordecarre systems, un écrin pour vos besoins. »
ORIANE. — C’est drôle…
STEPHANE. — Vous vous moquez.
ORIANE. — Pas du tout, pardon… Simplement, j’aurais pas cru.
ISOLDE. — Vous n’auriez pas cru ?
ORIANE. — Je voyais pas Stéphane là-dedans…
STEPHANE. — Je m’occupe aussi du patrimoine du village. Notre église tombe en ruine. Quel dommage…
ISOLDE. — Et moi ? Vous me voyez dans quoi ?
ORIANE. — Attendez, laissez-moi deviner… Vous êtes médecin.
STEPHANE. — Ça aurait pu.
ISOLDE. — J’ai fait une première année. Mais à la biochimie, je préférais l’Histoire des Arts.
STEPHANE. — Isolde tient une galerie.
ORIANE. — Ici ?
ISOLDE. — Non, à Rodez.
STEPHANE. — Elle s’y consacre totalement. Tout pour la galerie ! Alors, il faut bien que quelqu’un mette les mains dans le cambouis…
ISOLDE. — C’est comme ça que tu l’as perdue ?
STEPHANE. — Hein ?
ISOLDE. — Trois mois que monsieur ne retrouve plus son alliance. C’est en mettant les mains dans le cambouis qu’elle a disparu ?
ORIANE. — Moi, ce que je perds toujours, c’est mon casque.
ISOLDE. — Je l’ai mis sur la console. Et le grand sac aussi.
STÉPHANE. — Ses épées.
ISOLDE. — Vous pratiquez l’escrime ?
ORIANE. — Il faut bien. Je ne suis qu’une faible femme.
STÉPHANE. — Vous auriez pu vous entrainer dans cette pièce, il y a sept cents ans.
ISOLDE. — C’était la salle d’armes. La maison est une ancienne forteresse.
STÉPHANE. — Un château des templiers.
ISOLDE. — Vous dormirez bien. Ce n’est pas mes lapins qui vous dérangeront. Les murs sont épais. On est bien protégé de l’extérieur.
STÉPHANE. — La nuit, c’est très calme.
ORIANE. — Pourtant j’ai entendu comme une sorte de battement… un claquement…
ISOLDE. — Le volet de Julien.
ORIANE. — Julien ? Julien… vous voulez dire… Julien ?
ISOLDE. — Oui. Il s’appelle Julien. Un voisin, un ami.
ORIANE. — Julien…
STÉPHANE. — Ça fait des semaines… Je lui ai proposé de venir le réparer. Mais il laisse filer… ça… et le reste…
ISOLDE. — Et vous ? Vous êtes dans quoi ?
ORIANE. — Un métier difficile à avouer.
STÉPHANE. — Ne me dites pas que vous travaillez aux impôts ?!
ORIANE. — Je suis dans les ressources humaines.
STÉPHANE. — J’aurais pas cru.
ORIANE. — Vous m’imaginiez dans quoi ?
STÉPHANE. — Je ne sais pas. Quelque chose de plus… de plus artistique…
ORIANE. — Travailler avec l’humain, c’est de l’art.
STÉPHANE. — Une entreprise doit parfois faire des choix. C’est à vous que revient la mission de les expliquer.
ISOLDE, tendant un paquet. — Si vous aimez les choix à faire, ça devrait vous plaire.
STÉPHANE. — Tu as eu le temps de trouver quelque chose ? Tu es parfaite.
ISOLDE. — Merci chéri.
STÉPHANE. — De rien amour.
ORIANE, ouvrant le paquet. — Vraiment… il ne fallait pas…
ISOLDE. — C’est une tradition.
ORIANE, lisant. — « Un livre dont vous êtes le héros. Le maître du labyrinthe. » Wouah !
ISOLDE. — Vous connaissez ce genre de livre ?
ORIANE. — Oui, mais je n’en ai jamais lu.
ISOLDE. — À chaque chapitre, vous avez deux possibilités. Mettons, soit vous attendez que le monstrueux serpent délivre le trésor de son étreinte, soit vous n’attendez pas et vous le pourfendez de votre dague.
ORIANE. — C’est le lecteur qui choisit pour le héros ?
ISOLDE. — Parfois. Parfois le choix est fait par un lancer de dé, une pièce tirée à pile ou face, une carte à jouer ou d’autres jeux de hasard.
ORIANE. — Un mélange de talent et de chance.
ISOLDE. — Et de destin. N’oubliez pas que tout a été programmé à l’avance par un auteur. Ou deux.
ORIANE. — J’ai hâte d’entrer dans le labyrinthe.
ISOLDE. — Vous y êtes peut-être déjà.
ORIANE. — Merci Isolde. (Admirative 🙂 Quant au dîner…
STÉPHANE. — Isolde est un vrai cordon bleu.
ISOLDE. — Merci chéri.
STÉPHANE. — De rien amour.
ORIANE. — Merci aussi pour le dîner, Isolde.
ISOLDE. — Ça vous a plu ?
ORIANE. — Beaucoup. Mais c’était pas dans le contrat.
STEPHANE. — Ça nous fait plaisir.
ISOLDE. — On fait pas ça pour l’argent. L’important, c’est que vous passiez un séjour agréable.
ORIANE. — C’est bien parti.
STEPHANE. — Et ça va continuer. Pour le dessert, Isolde a fait une tarte Tatin.
ORIANE. — Incroyable !
ISOLDE. — Vous aimez ?
ORIANE. — J’adore !
ISOLDE. — J’ai de la chance ! Vous savez comment la recette a été inventée ?
ORIANE. — Non, j’avoue que…
ISOLDE. — Une erreur ! Les sœurs Tatin tenaient une auberge et un jour, pendant le coup de feu, une d’entre elles enfourne une tarte aux pommes en oubliant de mettre la pâte au fond du moule. Elle s’aperçoit de sa méprise et elle rajoute la pâte sur le dessus. Succès immédiat. (Isolde se lève.)
STEPHANE. — Non, laisse, j’y vais. (Isolde se rassoit.) Isolde et moi sommes de grands consommateurs d’infusion. Je vous en prépare une ?
ORIANE. — Avec plaisir. Ce que vous voudrez.
STEPHANE. — Un sucre ?
ORIANE. — Deux.
STEPHANE. — Très bien.
ISOLDE. — Merci, chéri.
STEPHANE. — De rien, amour.
Stéphane sort.
ORIANE. — Vous êtes très unis.
ISOLDE. — Merci.
ORIANE. — Je suis sincère.
ISOLDE. — Ça n’a pas toujours été facile.
ORIANE. — Ah ?
ISOLDE. — En quinze ans, un couple connaît des hauts et des bas. Mais on s’en est pas mal sortis. Et je suis fière d’y être pour quelque chose.
ORIANE. — Vous pouvez. (Elle lève son verre.) Alors, à vous.
ISOLDE, levant son verre à son tour. — Moi Oriane, je bois à vous.
Le téléphone de Stéphane sonne. Isolde regarde l’appel et décroche.
ISOLDE. — Oui ? (Un temps.) Non. (Un temps.) Il est occupé. Je suis sa femme. Je peux prendre un message ? (Un temps.) Allô ? (Un temps.) Allô ? (Un autre temps. Elle pose le téléphone.)
Stéphane revient avec la tarte et les infusions.
STÉPHANE. — Tarte Tatin de madame Isabelle Bordecarre.
ORIANE. — Isabelle ?
ISOLDE. — Il m’appelle comme ça quand il veut m’embêter.
STÉPHANE. — C’est son vrai prénom.
ORIANE. — Vous ne l’aimez pas ?
ISOLDE. — Oh… je le trouve plutôt… alors j’ai choisi Isolde. Isolde, c’est quand même un peu plus…
ORIANE. — J’aime bien Isolde.
STEPHANE. — On trinque ?
ISOLDE. — Déjà fait.
STÉPHANE. — Tant pis. Ou plutôt tant mieux. Les infusions sont encore trop chaudes. (Levant son verre 🙂 Au séjour d’Oriane. Qu’il soit plaisant. (À Oriane 🙂 Il n’y a personne après vous. Si vous voulez rester un jour de plus ou deux…
ORIANE. — Pourquoi pas ? On verra… Oh ! Attendez… j’ai quelque chose pour vous.
Oriane sort.
STÉPHANE. — Elle est charmante.
ISOLDE. — J’ai vu.
STÉPHANE. — N’est-ce pas ?
ISOLDE. — J’ai vu que tu la trouvais charmante.
STÉPHANE. — Moi ? Tu vas pas encore…
ISOLDE. — Tu devais bien rentrer en début d’après-midi ?
STÉPHANE. — Euh… oui ! Mais en fait bon… c’est-à-dire, finalement… j’ai calé un cours de guitare.
ISOLDE. — Encore ? C’est la deuxième fois cette semaine.
STÉPHANE. — Euh… oui ! Mais en fait bon… c’est-à-dire, finalement… il avait un créneau aujourd’hui.
ISOLDE. — Il avait un créneau aujourd’hui.
STÉPHANE. — Il avait un créneau aujourd’hui, le prof.
ISOLDE. — Ton prof, il avait un créneau aujourd’hui ?
STEPHANE. — Mon prof, oui, mon prof il avait un créneau aujourd’hui.
ISOLDE. — Alors pourquoi t’as pas pris ta guitare ? Elle est restée sur le canapé toute la journée.
STÉPHANE. — Euh… oui ! Mais en fait bon… c’est-à-dire, finalement… on a fait du solfège. On a juste… on a juste fait de la lecture de notes.
ISOLDE. — Avec ton prof de guitare ?
STÉPHANE. — Bah oui. Avec le prof de guitare.
ISOLDE. — Pourquoi tu dis « le » prof de guitare ?
STEPHANE. — Tu veux que je dise comment ?
ISOLDE. — « La ». « La » prof de guitare. Ton prof de guitare, c’est une femme ?
STEPHANE. — Quoi ? Pas du tout.
ISOLDE. — Si, c’est une femme, je le sais.
STEPHANE. — Qui c’est qui t’as raconté ça ? C’est Mme Zambeault, comme toujours ? Celle-là, elle peut pas s’empêcher… Puisque je te dis…
ISOLDE. — Tout à l’heure, ton portable a sonné. L’écran indiquait : « Prof de guitare ». J’ai décroché, une voix de femme a répondu. Elle était surprise. Elle a demandé à te parler. J’ai répondu que j’étais ta femme. Je l’ai entendue respirer en silence quelques secondes et elle a raccroché.
STEPHANE. — C’était peut-être sa femme.
ISOLDE. — Hein ?
STEPHANE. — Oui, la femme de mon prof de guitare.
ISOLDE. — Tu vas arrêter de me prendre pour une conne, oui ?
STEPHANE. — Bon… d’accord, je… oui. Mon prof de guitare… c’est… c’est une femme.
ISOLDE. — Mais pourquoi tu me l’as pas dit ? Il y a trois mois, monsieur veut subitement prendre des cours de guitare, il trouve une prof, et il me fait croire que c’est un homme. Tout est normal !
STEPHANE. — C’était pour pas que tu…
ISOLDE. — Pour pas que je quoi ?
STEPHANE. — Bah pour pas que t’imagines que…
ISOLDE. — Que je m’imagine quoi ? Que tu pourrais être tenté ? Que, seul à seule avec une femme, tu pourrais être tenté ? Tenté de faire autre chose que de la guitare ? (Un temps.) C’est drôle, mais… maintenant que j’y pense… Trois mois que t’as commencé tes cours et… je t’ai pas entendu jouer une seule fois.
STEPHANE. — Je suis très pudique.
ISOLDE. — Stéphane…
STEPHANE. — Quoi ?
ISOLDE. — T’as quelque chose à me raconter ?
STEPHANE. — Moi ? Non. Rien de…
ISOLDE. — Réfléchis bien. T’as rien à me raconter ?
STEPHANE. — Si… peut-être…
ISOLDE. — Raconte.
STEPHANE. — Tu veux vraiment que je ?…
ISOLDE. — Oui, vas-y. Oh puis non, tais-toi. Si, dis-moi. Non, ne parle pas. Bon, tant pis, explique ! Silence. Allez, avoue ! Arrête.
STEPHANE. — Isolde… Je vais y arriver. Je vais changer. Il me faut encore un peu de temps pour…
ISOLDE. — Je sais, je sais. J’ai eu un petit moment de… (Elle se cache les yeux une seconde ou deux, puis se reprend. Dans les phrases qui suivent, Stéphane prononce à chaque fois la dernière syllabe.) Mais on sera les plus forts. Notre couple est solide. C’est vrai que… on en a traversé, des tempêtes. Et on est toujours là, tous les deux, ensemble. Qu’importe si ça a tangué. On a su résister.
STEPHANE. — On a résisté à tant de tornades…
ISOLDE. — Ah ça !… On a résisté à Sandra… on a résisté à Mélina, on a résisté à Marie… on a résisté à Anne, on a résisté à Aurélie, on a résisté à Stéphanette, on a résisté à Sofya, on a résisté à Sylvie, on a résisté à Ingeborg, on a résisté à Karima, on a résisté à…
STEPHANE. — Oui… oui… ça va, Isolde, ça suffit… mais assez, merde…
Oriane rentre avec un paquet.
ORIANE. — Le papier avait été déchiré pendant le voyage… Tout va bien ?
STEPHANE. — Oui… oui…
ISOLDE. — Évidemment ! Dans un couple aussi uni que le nôtre, pourquoi tout n’irait-il pas pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ?
ORIANE. — Tenez, c’est pour vous.
STEPHANE. — Merci. On ne s’y attendait pas. Il est rare que nos locataires nous offrent… (Ouvrant le paquet.) Ah ! Mozart… Une des passions d’Isolde.
ORIANE. — Cosi fan tutte. Une fable sur l’amour et la fidélité. Je me dis que j’ai bien choisi quand je vous vois si accordés.
ISOLDE. — Vous voulez dire si comblés. Et en effet comment ne pas l’être ? Stéphane a fait des écarts mais c’est fini. N’est-ce pas chéri ? Hein ? Tirer un coup à la sauvette entre deux portes, c’est bon pour les petits queutards minables ?
STEPHANE. — Euh… oui, oui… bien entendu… Mais… dites-moi, organe euh… Oriane, vous êtes plutôt monuments ou plutôt promenades toute nue euh… dans la nature ?
ORIANE. — Il me semble qu’ici on peut allier les deux.
ISOLDE. — Vous aimez voyager seule ? Si je suis indiscrète…
ORIANE. — Voyager seule, c’est un bon moyen de faire des rencontres.
ISOLDE. — Seule pour mieux nouer des contacts ?
ORIANE. — En quelque sorte.
ISOLDE. — Maintenant que j’y pense, tu sais avec qui elle pourrait s’entendre ? Julien.
ORIANE. — Julien ?…
STEPHANE. — Le volet cassé.
ORIANE. — Ah ?…
ISOLDE. — Un garçon charmant, sensible, tout à fait votre style.
ORIANE. — Je vous fais confiance.
ISOLDE. — Stéphane ?
STEPHANE. — Absolument ! Absolument ! Absolument ! Absolument !
ISOLDE. — C’est un garçon charmant mais en ce moment, il traverse une mauvaise passe… Longue période de chômage, sa femme l’a quitté… C’est une lumière éteinte qui ne demande qu’à briller à nouveau. Il a juste besoin d’une étincelle.
STEPHANE. — Ma femme est poète.
ISOLDE. — Stéphane, t’es d’accord ?
STEPHANE. — Mais oui ! Mais oui ! Mais oui ! Mais oui !
ISOLDE. — On vous fera rencontrer Julien. Il vous plaira. Buvons nos infusions avant qu’elles soient froides. Tu as sucré la mienne ?
STEPHANE. — Ben non. Ton régime.
ISOLDE. — Je sais… mais j’ai très envie d’un sucre.
Intermède
LA VOIX DU RÉCIT. — Ou bien Isolde va chercher du sucre dans la cuisine, ou bien Isolde ne va pas chercher du sucre dans la cuisine.
Un assistant de la voix du récit apparaît parmi les spectateurs.
LA VOIX DU RÉCIT. — Laissons faire le hasard et jouons cela aux dés. Soit la somme des dés sera paire et Isolde ira chercher du sucre dans la cuisine, soit la somme des dés sera impaire et Isolde n’ira pas chercher du sucre dans la cuisine.
L’assistant fait jouer un spectateur/une spectatrice. Puis l’assistant annonce le score : « La somme des dés est égale à … »
Si la somme des dés est paire la voix du récit dit :
LA VOIX DU RÉCIT. — La somme des dés est paire. Isolde va chercher du sucre dans la cuisine.
Allez au 2. (p.25)
Si la somme des dés est impaire la voix du récit dit :
LA VOIX DU RÉCIT. — La somme des dés est impaire. Isolde ne va pas chercher du sucre dans la cuisine.
2. Une infusion sucrée
ISOLDE. — Oh et puis zut ! (Elle se lève.)
STEPHANE. — Tu vas où ?
ISOLDE. — Chercher un sucre.
STEPHANE. — C’est pas raisonnable.
ISOLDE. — Ce soir, je cède à la tentation.
Isolde sort. On entend une sonnerie de portable.
STEPHANE. — Le téléphone d’Isolde. Ça va ? Tu t’amuses bien ?
ORIANE. — Assez. Elle se doute de quelque chose ?
STEPHANE. — Non, non. Je peux savoir ce que tu fous ici ?
ORIANE. — Je prends des vacances.
STEPHANE. — Et t’as choisi de les passer chez moi ?
ORIANE. — T’as une belle maison.
STEPHANE. — Ah, ah, ah. Très drôle. Comment t’as remis la main sur moi ?
ORIANE. — J’ai choisi une destination au hasard.
STEPHANE. — Tu m’emmerdes avec ton hasard. Une fille comme toi laisse rien au hasard. Comment tu m’as retrouvé ?
ORIANE. — Nafi.
STEPHANE. — Celle-là, quelle salope…
ORIANE. — Arrête de flipper. Je reste deux nuits et tu ne me reverras plus.
STEPHANE. — C’est marrant, j’arrive pas à te croire.
ORIANE. — Ici, on peut pas parler.
STEPHANE. — T’as pas changé.
ORIANE. — Toi, si. Ça fait longtemps que t’es pas venu.
STEPHANE. — Je monte de moins en moins à Paris.
Sur cette dernière phrase, Isolde a reparu. Se tenant en retrait, elle écoute.
STEPHANE. — À ton bureau, tous les mecs doivent être dingues de toi.
ORIANE. — Ils auraient tort.
STEPHANE. — Tu connais Rodez ?
ORIANE. — Vaguement.
STEPHANE. — Et si je te faisais visiter ?
ORIANE. — Pourquoi pas ?
STEPHANE. — J’annule une réunion, et je te retrouve à quatorze heures, devant la cathédrale.
ORIANE. — D’accord.
ISOLDE. — J’ai été obligée d’en chercher à la cave. (Elle sucre son infusion.) Et voilà. Je suis une pécheresse. (Elle touille.) Vous êtes bien silencieux tous les deux. Alors ? Qu’est-ce que vous faites demain ?
ORIANE. — Demain ?
ISOLDE. — Oui, demain ? Qu’est-ce que vous faites ?
ORIANE. — Oh… je ne sais pas… peut-être Rodez.
ISOLDE. — Excellent idée. Hein Stéphane ?
STÉPHANE. — Oui… oui, oui…
ISOLDE. — La cathédrale, le musée Soulages, et puis les petites rues piétonnes. Un vrai dédale. Tous les secrets de Rodez y sont enfermés. Cela dit je ne sais pas le temps qu’il fera. L’idéal, ça serait de vous trouver un guide. Ça vous dirait que je vous fasse visiter ?
ORIANE. — Euh… bah… je… je…
ISOLDE. — Ah non ! J’oubliais ! J’ai une flopée de rendez-vous demain. Mais quelle malchance !
ORIANE. — Dommage.
STÉPHANE. — Oh ! Flûte, alors !
ISOLDE. — Et toi, Stéphane, tu peux peut-être l’accompagner ?
STÉPHANE. — Moi ? Ah non.
ISOLDE. — Quoi ? T’as un cours de guitare ?
ORIANE. — Stéphane joue de la guitare ?
ISOLDE. — Avec tous les cours qu’il a pris, c’est un virtuose.
STÉPHANE. — Demain, j’ai ma délégation japonaise.
ISOLDE. — Je croyais que c’était la semaine prochaine ?
STÉPHANE. — Ben non, justement, ils ont avancé leur venue ! Alors, moi, demain, j’aurai pas une minette à moi/une minute à moi. À peine le temps de biffler/de bouffler/de bouffer. Venir à Rodez, c’est imbaisable/infaisable. En plus, pour les accueillir, avec le buffet, les petits fours, on a défoncé sans compter/dépensé sans compter. La rencontre avec cette défellation/cette délégation fait partie d’une stratégie à long sperme/à long terme. Et ça doit nous permettre de baiser/de baliser un vagin/un chemin clair pour le PDG chinois et son enculage le plus proche/son entourage le plus proche, afin de lui donner une perception foune de la bite/fine de la boîte.
ISOLDE. — Hélas, Oriane, la fatalité s’acharne contre vous. Vous entrerez donc seule en cité ruthénoise.
STÉPHANE. — Oriane, tu fumes/vous fumez ?
ORIANE. — Des blondes et parfois quelques bruns.
STÉPHANE. — Tu nous excuses ?
ISOLDE. — Bien sûr, chéri.
STÉPHANE. — Merci, amour.
Stéphane et Oriane sortent.
ISOLDE, prenant son téléphone et appelant. — Allô ? Tu m’as appelée ? Oui, on est avec notre nouvelle locataire. Ah ? Dommage, tu serais venu prendre le dessert avec nous. Dis-moi… T’es libre demain après-midi ? Ça te dirait qu’on prenne un verre à Rodez ? Comme ça… pour discuter. Ça fait longtemps qu’on n’a pas parlé, toi et moi. Très bien ! À demain, je t’embrasse. (Elle raccroche.) Après tout… combien de fois je me suis dit… il n’attend qu’un mot, qu’un encouragement de ma part pour… Et puis moi aussi j’ai le droit de prendre des cours de guitare !
Intermède
LA VOIX DU RÉCIT. — Ou bien le lendemain un temps superbe illumine Rodez ou bien le lendemain de violents orages éclatent sur la région.
Un assistant de la voix du récit apparaît parmi les spectateurs.
LA VOIX DU RÉCIT. — Laissons faire le hasard et jouons cela aux cartes. Soit la carte choisie sera rouge et le lendemain un temps superbe illuminera Rodez, soit la carte choisie sera noire et Ie lendemain de violents orages éclateront sur la région.
L’assistant fait jouer un spectateur/une spectatrice. Puis l’assistant annonce la couleur : « La carte choisie est de couleur … »
Si la carte choisie est rouge la voix du récit dit :
LA VOIX DU RÉCIT. — La carte choisie est rouge. Le lendemain un temps superbe illumine Rodez.
Allez au 4. (p.36)
Si la carte choisie est noire, la voix du récit dit :
LA VOIX DU RÉCIT. — La carte choisie est noire. Le lendemain de violents orages éclatent sur la région.
Allez au 5. (p.42)
3. Une infusion sans sucre
ISOLDE. — Bon, je vais pas faire un écart maintenant. Ça fait trois mois que je tiens. Ce soir je reste vertueuse. (Son portable sonne. Elle décroche.) Oui ? Eh bien entre. (Elle raccroche.) C’est Julien. Il arrive.
STÉPHANE. — Une question : vous fumez ?
ORIANE. — Si vous me le proposez.
STÉPHANE. — Tu nous excuses ?
ISOLDE. — Bien sûr, chéri.
STÉPHANE. — Merci, amour.
ORIANE. — Mais vous m’avez tellement parlé de Julien, que je suis bien curieuse de…
STÉPHANE, entrainant Oriane. — Ne vous inquiétez pas, vous aurez largement le temps de tomber sous son charme…
Stéphane entraine Oriane dehors, qui sort comme à regret.
ISOLDE. — « Un soir, au bord du fleuve noir, j’ai vu ma jeunesse s’enfuir dans un vol de feuilles mortes »…
Entre Julien.
JULIEN. — Tu déprimes ?
ISOLDE. — Tu étais là ?
JULIEN. — Tu fais un poème ?
ISOLDE. — Un peu des deux, peut-être.
JULIEN. — Ça ne va pas ?
ISOLDE. — Non, pas du tout. Il est temps de réparer ton volet.
JULIEN. — Vous allez me tarabuster longtemps avec ça ? Où est Stéphane ?
ISOLDE. — Sur la terrasse avec notre nouvelle locataire.
JULIEN. — Encore une parisienne ?
ISOLDE. — Jeune et jolie.
JULIEN. — Comme le magazine ? Et tu les laisses seuls ? Le lion est sans cesse à l’affût de la prochaine antilope.
ISOLDE. — Oublie les métaphores, tu sais pas faire. Ta journée ?
JULIEN. — J’ai revu Star Wars. A New Hope. Mon préféré.
ISOLDE. — Occupe-toi plutôt du réel. Je crois qu’elle te plairait.
JULIEN. — Je suis pas ton baby-sitter.
ISOLDE. — Arrête de jouer au vieil ermite. Et si tu l’emmenais à Rodez, demain ?
JULIEN. — Demain ? Quel temps il fait ?
ISOLDE. — J’en sais rien. Tu lui montres la cathédrale, Soulages, et après…
JULIEN. — Je rêve ou tu me mets une gamine entre les pattes ?
ISOLDE. — C’est pas une gamine, c’est une vraie femme.
JULIEN. — J’ai vraiment pas la tête à ça.
ISOLDE. — T’as la tête à quoi ?
JULIEN. — Si je devais sortir demain, si je devais aller à Rodez, j’aurais plutôt envie de passer un moment avec toi.
ISOLDE, surprise. — On était d’accord, on avait dit qu’on n’aurait plus ce genre de conversations.
JULIEN. — Quoi ? Deux amis peuvent pas prendre un verre dans un café ? C’est interdit par ta religion ?
ISOLDE. — Deux amis ?
JULIEN. — On n’est pas amis toi et moi ? T’es pas mon amie ?
ISOLDE. — Bien sûr que si.
JULIEN. — T’as bien le temps de prendre un café, demain ?
ISOLDE. — Oui.
JULIEN. — Parfait. À demain.
ISOLDE. — Tu restes pas ?
JULIEN. — J’ai ma réunion, tu sais bien.
ISOLDE. — Ah oui… Tes amis philatélistes…
JULIEN, hésitant, puis se lançant. — Toi, t’es comme une pâtissière qu’aurait raté son gâteau. Des années que tu rassembles patiemment tous les ingrédients, des années que tu le prépares, tu mets le gâteau au four, et quand tu le ressors, il est tout moche, il penche sur le côté, complètement cramé, avec de la fumée noire et des grosses cloques marron foncé. Alors forcément t’es dégoûtée, t’as peur, tu veux plus faire de gâteau. Mais je te le dis : avec moi faut plus avoir peur. Avec moi tu vas refaire des gâteaux, plein, et on va se régaler.
ISOLDE. — C’est quoi cette fable à deux balles ?
JULIEN. — À demain.
Julien sort.
ISOLDE. — Faut vraiment qu’il arrête les métaphores. Je crois qu’il est… (Soudain, elle prend conscience de quelque chose.) Oui. Mais oui ! C’est évident. Bon… finalement… c’est très bien que je le voie demain. Oriane peut se débrouiller toute seule. Et puis c’est très bien qu’il éprouve pour moi de de de … comme ça je pourrai le convaincre, le convaincre de redevenir raisonnable. C’est pour ça que j’ai accepté son rendez-vous. Uniquement pour ça. Pour avoir avec lui une discussion ferme. Mettre les points sur les i. Les barres sur les t. Dans un petit café… tranquilles… sans se presser… pendant une heure… ou deux… ça sera bien… qu’est-ce ça sera bien…
Oriane et Stéphane reviennent.
STÉPHANE. — Julien n’est pas là ?
ISOLDE. — Il est déjà reparti. La philatélie.
STÉPHANE. — Tu lui as parlé d’Oriane ?
ISOLDE. — Oui mais demain il n’est pas libre.
STÉPHANE. — Pas libre ? Il ne fout rien de ses journées.
ISOLDE. — Et toi ? Tu ne peux pas accompagner Oriane ?
ORIANE. — Ne vous dérangez pas, je peux très bien visiter la ville comme une grande.
STÉPHANE. — Moi, j’ai ma délégation japonaise.
ORIANE. — Dommage.
ISOLDE. — Oui, dommage.
STÉPHANE. — C’est vraiment dommage. Dommage, dommage, dommage.
Intermède
LA VOIX DU RÉCIT. — Ou bien le lendemain un temps superbe illumine Rodez ou bien le lendemain de violents orages éclatent sur la région.
Un assistant de la voix du récit apparaît parmi les spectateurs.
LA VOIX DU RÉCIT. — Laissons faire le hasard et jouons cela aux cartes. Soit la carte choisie sera rouge et le lendemain un temps superbe illuminera Rodez, soit la carte choisie sera noire et Ie lendemain de violents orages éclateront sur la région.
L’assistant fait jouer un spectateur/une spectatrice. Puis l’assistant annonce la couleur : « La carte choisie est de couleur … »
Si la carte choisie est rouge la voix du récit dit :
LA VOIX DU RÉCIT. — La carte choisie est rouge. Le lendemain un temps superbe illumine Rodez.
Allez au 4. (p.36)
Si la carte choisie est noire, la voix du récit dit :
LA VOIX DU RÉCIT. — La carte choisie est noire. Le lendemain de violents orages éclatent sur la région.
Allez au 5. (p.42)
4. Promenades en ville
Dans les petites rues piétonnes de Rodez.
Oriane a un paquet à la main, elle paraît, suivie de Stéphane.
ORIANE. — Tu viens, papa ?
STÉPHANE. — Il y a des Arabes, par ici.
ORIANE. — Quel méandre, ces petites rues.
STÉPHANE. — Tu marches vite…
ORIANE. — On peut t’acheter une canne, papa.
STÉPHANE. — Qu’est-ce qui te prends ?
ORIANE. — Merci pour la robe !
STÉPHANE. — Elle te plaît ?
ORIANE. — Ce qui m’a plu, c’est ta tête quand le vendeur a dit : « Très bon choix, monsieur ; cette couleur va très bien à votre fille. » (Elle rit.)
STÉPHANE, feint de rire. — Oui, c’était… c’était vraiment cocasse. Bien… Bon, je connais un petit hôtel à trois rues d’ici.
ORIANE. — Et alors ?
STÉPHANE. — Allons-y maintenant. On sera rentrés à temps pour dîner à Glassac.
ORIANE. — Ce serait pas raisonnable.
STÉPHANE. — Isolde n’y voit que du feu.
Isolde et Julien paraissent au coin d’une rue.
ORIANE. — C’est pas elle qui m’inquiète, c’est toi.
ISOLDE. — Mais c’est Stéphane !
ORIANE. — Déjà que t’arrives plus à suivre dans la rue, alors j’imagine en chambre.
ISOLDE. — Ne te retourne pas, il est avec elle.
JULIEN. — Qui ça, elle ?
ORIANE. — Attends, aide-moi. (Elle s’appuie sur l’épaule de Stéphane pour réajuster sa sandale.)
ISOLDE. — Ah les salauds !
STÉPHANE. — Allez, fais pas ta mijaurée. Je t’ai connue moins farouche.
ORIANE. — Je fais plus le troisième âge.
Oriane s’éloigne.
STÉPHANE. — Quelle petite conne.
Stéphane s’éloigne dans une autre direction.
ISOLDE. — Ne bouge pas ! Il passe près de nous. (Une fois Stéphane passé, elle s’effondre sur une chaise de café.)
JULIEN. — Qu’est-ce qu’il y a ?
ISOLDE. — C’était elle ! C’était notre nouvelle locataire ! J’en étais sûre ! Elle aussi, il se la fait ! Mais qu’est-ce que j’ai de moins qu’elle ? Qu’est-ce que j’ai de moins que toutes ses poules ? Je suis moche et vieille, c’est ça ?
JULIEN. — Pas du tout Isolde, tu es tout ce qu’un homme sensible peut…
ISOLDE. — Je vais te dire qui est ce type… Ce type n’est qu’une queue !
JULIEN, gêné. — Doucement, Isolde…
ISOLDE. — « Je vais changer, il me faut du temps. » Tu parles ! Il changera jamais…
JULIEN. — Calme-toi. J’ai rien vu, ils ne faisaient peut-être rien de mal.
ISOLDE. — Rien de mal ? Alors que Stéphane m’a affirmé hier qu’avec sa délégation japonaise il ne pouvait pas venir à Rodez ? Et qu’elle a gardé un silence complice ?
JULIEN. — Un imprévu…
ISOLDE. — Ils ont organisé leur rendez-vous, dans mon dos, et en me mentant avec le sourire. Les ordures…
JULIEN. — Oui… bien entendu, dans ces conditions…
ISOLDE. — Je ne sais pas comment j’aurais fait, sans toi. Tu es un ami, un vrai.
JULIEN. — Un vrai ? Alors lis-moi un de tes poèmes.
ISOLDE. — D’accord. La prochaine fois.
JULIEN. — Pourquoi pas là ?
ISOLDE. — Maintenant ?
JULIEN. — Je suis sûr que t’as ton petit carnet avec toi.
ISOLDE, après avoir fouillé dans son sac et sorti un petit carnet. — S’il y en a bien un qui peut comprendre ce que je fais, c’est toi. Tu me promets d’être franc ?
JULIEN. — Oui.
ISOLDE. — Ne sois pas indulgent. Dis-moi vraiment ce que tu en penses.
JULIEN. — Compris.
ISOLDE. — Je t’en voudrais, si tu n’étais pas sincère.
JULIEN. — Je serai sincère, allez, vas-y.
ISOLDE, feuilletant son carnet. — Attends… voilà. (Elle lit 🙂
« Un jour que je marchais dans un sentier étroit,
Dans le fond de mon sein je sentis comme un poids. »
JULIEN. — Continue.
ISOLDE, lisant. —
« Je crus d’abord souffrir d’une indigestion
Lorsque je fus saisie d’une prémonition. »
JULIEN. — Tu vas pas t’arrêter tout le temps ?
ISOLDE, lisant. —
« Dans une vieille enclume se dressait l’épée
Que Saint-Georges, dit-on, prit pour mieux terrasser
Le monstrueux dragon que peignent les légendes,
Et qu’encore aujourd’hui des esprits appréhendent.
Je tirai cet estoc de son piège glacé,
Sur mon cœur j’en portai la pointe congelée.
Je l’enfonçai si fort qu’elle me transperça
Et me couvrit de sang du haut jusques en bas.
À peine eus-je tiré de ma blessure ardente
Cette lame si rouge et de sang dégoûtante,
Que je plongeai ma main au fond de mes entrailles
Et fouillai mes boyaux, ô monstrueux travail !
Je sentis dans mon cœur quelque chose bouger
Mais je fus plus rapide et saisis le gibier.
Avec difficulté je le sortis de moi
L’exhibant devant tous, ô comble de l’effroi !
C’était un gros mollusque, une pieuvre immonde,
Infâme tarentule inconnue dans ce monde,
Tout au fond de mon âme elle avait fait son nid
Et j’avais réussi à l’expulser d’ici !
Mais en la contemplant soudain je m’aperçus
Que son visage était de mon esprit connu,
Oui ! C’était mon époux, celui-là qui me prit
Les plus belles années de ma très courte vie.
Secouée de sursauts, de spasmes et délires,
Nauséeuse et perdue je me mis à vomir.
Sur lui je dégorgeai plusieurs caillots carmin,
Grumeaux qu’on bat en neige aux festins transylvains.
C’est alors que crachant sur lui sans retenue
Je hurlai sans vergogne et toute honte bue :
Crève sale charogne, et crève et crève encore
Crève sale charogne, et crève et crève encore. »
JULIEN, révulsé, après un temps durant lequel il tente de masquer son dégoût. — Je crois… je crois que tu as besoin de changer d’air. D’ailleurs moi aussi. (Une idée germe.) Oh ! Isolde… Et si on partait quelques jours faire une randonnée sur le Causse ? On prend la tangente toi et moi, deux ou trois nuits, histoire de se laver les idées ! Qu’est-ce que t’en dis ?
ISOLDE. — Euh… je… je sais pas…
Intermède
LA VOIX DU RÉCIT. — Ou bien Isolde accepte de partir quelques jours en randonnée avec Julien ou bien Isolde n’accepte pas de partir quelques jours en randonnée avec Julien.
Un assistant de la voix du récit apparaît parmi les spectateurs.
LA VOIX DU RÉCIT. — Laissons faire le hasard et jouons cela à pile ou face. Pile et Isolde acceptera de partir quelques jours en randonnée avec Julien. Face et Isolde n’acceptera pas de partir quelques jours en randonnée avec Julien.
L’assistant fait jouer un spectateur/une spectatrice. Puis l’assistant annonce le résultat : « La pièce est tombée sur… »
Si la pièce est tombée sur pile, la voix du récit dit :
LA VOIX DU RÉCIT. — La pièce est tombée sur pile. Isolde accepte de partir quelques jours en randonnée avec Julien.
Allez au 6. (p.49)
Si la pièce est tombée sur face, la voix du récit dit :
LA VOIX DU RÉCIT. — La pièce est tombée sur face. Isolde n’accepte pas de partir quelques jours en randonnée avec Julien.
Allez au 7. (p.56)
5. Confessions dans un café
Dans un café du vieux Rodez. Jour de pluie.
Julien et Isolde sont assis à une petite table.
JULIEN. — S’il te plaît.
ISOLDE. — N’insiste pas.
JULIEN. — Pourquoi ?
ISOLDE. — Le monde.
JULIEN. — Ils nous écoutent pas.
ISOLDE. — Qu’est-ce que tu en sais ?
JULIEN. — Ça fait tellement longtemps que je veux les entendre.
ISOLDE. — Tu seras déçu.
JULIEN. — Cette déception me comblera.
ISOLDE. — Ce sont des petites choses que je note comme ça, en volant des moments, à la galerie, pendant la nuit, lors des après-midi silencieuses de Glassac… c’est sans prétention… j’essaie juste d’écrire ce que je ressens.
JULIEN. — Tu ne veux pas me faire partager ça ?
ISOLDE. — Pas ici, pas maintenant. D’ailleurs ce n’est pas pour ça que je suis là.
JULIEN. — Ah oui et pourquoi ?
ISOLDE. — Je suis là pour te parler.
JULIEN. — Une bonne idée, t’es sûre ?
ISOLDE. — Combien de temps encore tu vas rester dans cet état ?
JULIEN. — Mon état ? C’est quoi mon état ?
ISOLDE. — Ça te va, cette vie à la petite semaine ?
JULIEN. — Et toi ?
ISOLDE. — Quoi, moi ?
JULIEN. — Et toi, ta vie à la grande semaine, elle te convient ? Dans ta belle maison, avec ton beau mari et ton beau métier ? La galerie, la galerie, la galerie ! Tout pour la galerie ! Moi j’étais prêt à faire des nouveaux gâteaux avec toi.
ISOLDE. — Hein ?
JULIEN. — j’étais prêt à t’apporter plein de nouveaux ingrédients.
ISOLDE. — Attends, y a un truc que j’ai dû rater, là…
JULIEN. — Quand je vois ce qui sort de ton four, c’est loin de me mettre en appétit ! Tu sais que j’ai fait le séminaire ? J’ai arrêté au bout d’un an, mais parfois je regarde ma bible, et… (Il n’achève pas, se lève et se dirige vers la porte.)
ISOLDE. — Tu vas te faire tremper. Julien !
Il sort et passe devant le café où sont assis Stéphane et Oriane. Isolde reste attablée seule. Après un instant, elle sort un carnet dans lequel elle se met à écrire.
Dans le café où sont Oriane et Stéphane.
STÉPHANE. — Mais, c’est Julien ! Notre voisin ! Qui sort du café d’en face…
Oriane et Julien se regardent un instant. Puis Julien repart.
ORIANE, sous le choc. — Oh !
STÉPHANE. — Quoi ?
ORIANE. — Rien.
STÉPHANE. — Tu as appris une mauvaise nouvelle ?
ORIANE. — Non…
STÉPHANE. — Ben alors ? Qu’est-ce qui se passe ?
ORIANE. — Cette pluie…
STÉPHANE. — Une petite averse.
ORIANE. — Cette pluie, dans cette ville… C’est… comme dans mon souvenir…
STÉPHANE. — T’es déjà venue ? Mais tu nous avais dit…
ORIANE. — Un soir, au club, je discutais avec Nafi, elle parlait de toi, longtemps qu’il est pas venu, faut dire que venir de Rodez… Rodez ! Ce nom… du fond de mon passé, il m’était revenu. Je lui ai tout dit. J’ai demandé ton adresse. Elle m’a renseigné. Pas besoin de lui proposer du fric. Je pleurais tellement… Et pendant que je taillais la route, sur ma bécane, j’avais qu’une phrase en tête : « Te revoir. »
STÉPHANE. — Moi ?
ORIANE. — Mais non, pas toi ! Julien !
STÉPHANE. — Julien ? Tu connais Julien ?
ORIANE. — Et dire que c’est ton voisin ! Le destin… Je venais d’avoir mon bac. Mes parents avaient loué deux chambres au Mercure. J’avais pas voulu partir avec eux, mais j’avais pas pu éviter ça. Alors je faisais la gueule. Eux, ils faisaient toutes les visites, tous les monuments, toutes les promenades, et moi, j’allais boire des cocas au café des colonnes. Un été pourri. La même pluie qu’aujourd’hui. Tous les jours, à dix-sept heures, je voyais entrer un homme. Il venait boire un verre. Après, j’ai su que c’était du rhum. On se regardait, sans parler. Un jour, il est venu s’asseoir à ma table. Il s’est confié : son métier, sa femme, sa rage contre les inégalités, son envie de faire quelque chose de grand et moi aussi je lui ai tout dit, mon goût de la vitesse, de l’escrime, mon désir de quitter mes parents, ma haine de l’injustice, à l’époque je voulais devenir institutrice… alors, il est venu plusieurs fois par jour, me retrouver, voler des instants dès qu’il le pouvait, il s’asseyait, il me prenait la main et il me disait, « tu es celle que j’attendais », et ses yeux tremblaient. Alors il détournait son regard et trempait les lèvres dans son rhum. On s’est aimés tant qu’on a pu. Dans l’arrière-cuisine des colonnes, dans un coin du foirail, dans une cour dérobée, dans sa voiture, sur les berges de l’Aveyron…
STÉPHANE, gêné. — Ça va, ça va…
ORIANE. — Il me disait qu’il quitterait sa femme, qu’on partirait ensemble…
STÉPHANE. — Coup classique.
ORIANE. — Quoi ?
STÉPHANE. — Rien, rien…
ORIANE. — Alors ta gueule.
STÉPHANE. — Quoi ?
ORIANE. — J’ai dit ta gueule.
STÉPHANE. — Putain, comment elle me parle…
ORIANE. — Le dernier jour, il est venu aux colonnes, comme d’habitude. Il a sorti un petit bout de papier, je lui avais écrit mon adresse. Et en me regardant droit dans les yeux, il a dit : « jamais je t’écrirai, jamais je te téléphonerai, jamais je te reverrai. » Et alors, lentement, avec délectation, il a déchiré le papier en plusieurs morceaux, et il l’a envoyé valser à travers les colonnes. Les yeux gonflés de larmes, je comprenais pas ce qui se passait. Il a ajouté : « Tu sais pourquoi ? Parce que t’es qu’une petite bourg’ bourrée de fric. » Alors il s’est levé et la dernière chose que j’ai entendue, c’est : « Je te laisse régler mon rhum. T’as ton argent de poche. »
STÉPHANE. — Hum… bon… on va y aller ?
ORIANE. — Pardon ?
STÉPHANE. — Oui, le mieux, je pense, c’est de faire tes valises ce soir et demain tu seras…
ORIANE. — T’as écouté ce que je t’ai dit ?
STÉPHANE. — Bah… euh… oui…
ORIANE. — Je te raconte un souvenir pour lequel j’ai fait cinq cents kilomètres et toi tu me dis, la gueule enfarinée, « bon… on va y aller ? » Mais t’es qu’un connard !
STÉPHANE, chuchotant, énervé. — Écoute, Oriane, on s’est bien amusés au DSK, mais là, tu vois, on est chez moi, alors s’il te plaît, hein ? Si t’es venue foutre la merde dans ma vie, là je dis non, là je dis stop, là je dis hop hop hop tu fais tes valises et tu rentres à Paris.
ORIANE. — Mais tu te rends compte de ce qu’il m’a fait, ton ami Julien ?
STÉPHANE, indifférent. — Ouais, ouais, je sais, je sais…
ORIANE. — Je ne suis pas arrivée à oublier.
STÉPHANE, idem. — Dur, dur, dur…
ORIANE. — Après, quand je rencontrais quelqu’un, c’était compliqué de faire confiance, de…
STÉPHANE, idem. — Bien sûr, bien sûr, bien sûr…
ORIANE. — Mais merde ! Tu t’en fous ou quoi ?
STÉPHANE. — Parle moins fort. Tu t’es fait tirer par un mec qui t’as joué du violon ? Ma pauvre, tu seras pas la dernière…
ORIANE. — Je te demande une faveur, une seule. En mémoire de nos nuits au DSK.
STÉPHANE. — Accordée.
ORIANE. — Je vais te raconter ce qu’il a fait par la suite. Après, si tu me le demandes, je partirai.
Intermède
LA VOIX DU RÉCIT. — Ou bien Stéphane se laisse convaincre par le récit d’Oriane, ou bien Stéphane ne se laisse pas convaincre par le récit d’Oriane.
Un assistant de la voix du récit apparaît parmi les spectateurs.
LA VOIX DU RÉCIT. — Laissons faire le hasard et jouons cela à pile ou face. Pile et Stéphane se laissera convaincre par le récit d’Oriane. Face et Stéphane ne se laissera pas convaincre par le récit d’Oriane.
L’assistant fait jouer un spectateur/une spectatrice. Puis l’assistant annonce le résultat : « La pièce est tombée sur… »
Si la pièce est tombée sur pile, la voix du récit dit :
LA VOIX DU RÉCIT. — La pièce est tombée sur pile. Stéphane se laisse convaincre par le récit d’Oriane.
Allez au 8. (p.63)
Si la pièce est tombée sur face, la voix du récit dit :
LA VOIX DU RÉCIT. — La pièce est tombée sur face. Stéphane ne se laisse pas convaincre par le récit d’Oriane.
Allez au 11. (p.70)
6. Randonnée sur le Causse
Sur le Causse, par grand soleil.
Julien paraît.
JULIEN, son portable à la main. — Isolde ! C’est là ! Les chemins se séparent. Ça bifurque. (Il range son portable.)
ISOLDE, arrivant. — Aaah ! Enfin ! Mais ça fait combien de temps, hein ? Combien de temps qu’on la cherche, cette bifurcation ?
JULIEN. — Alors ? Vers l’ouest ? Ou vers l’est ?
ISOLDE. — Mais j’en sais rien, moi !
JULIEN. — Il faut choisir.
ISOLDE. — Mais comment tu veux que je sache, moi ?
JULIEN. — C’est pas compliqué : soit à droite, soit à gauche.
ISOLDE. — Mais si tu crois que ça me parle, moi !
JULIEN. — Là, c’est vers l’ouest. Enfin, je crois…
ISOLDE. — Mais sors ta boussole !
JULIEN. — Je l’ai plus.
ISOLDE. — Quoi ?
JULIEN. — Je l’ai laissée sur le rocher, je crois, quand on a fait une pause…
ISOLDE. — Oooh nooon ! Eh ben bravo ! Donne-moi la carte.
JULIEN. — Je… je l’ai plus non plus.
ISOLDE. — Quoi ??
JULIEN. — J’avais mis la boussole dessus, alors…
ISOLDE. — Ooooh noooon ! Eh ben bravo ! Mais comment on va faire ?
JULIEN. — C’est simple, le soleil est là, donc avec l’heure on peut calculer le… la… quelle heure il est ?
ISOLDE. — J’ai plus de montre !
JULIEN. — Ah oui, c’est vrai…
ISOLDE. — Ma Cartier, un cadeau de Stéphane ! Je m’en souviendrai de ce refuge ! Impossible de dormir, on entendait tout !
JULIEN. — On fait une randonnée, pas un séjour au Savoy de Méribel !
ISOLDE. — Et donc ?
JULIEN. — Et donc ?
ISOLDE. — Et donc on doit en chier, c’est ça ? Sinon, c’est pas une randonnée, c’est ça ? Mais en fait c’est ça qui vous plaît, à vous, les vrais mecs, hein ? Marcher sous le cagnard pendant des heures, coucher dans une toile de jute bercé par le hululement du touriste allemand en train de forniquer ?
JULIEN. — Jusqu’ici j’ai été patient, mais là tu dépasses les bornes. Ça fait un jour que tu te plains !
ISOLDE. — Ça fait un jour qu’on marche !
JULIEN. — On fait une ran-don-née !
ISOLDE. — Mais on est vraiment obligé de marcher tout le temps ?
JULIEN. — C’est quand même un peu le principe !
ISOLDE. — Oooooh nooooon ! c’est pas vrai…
JULIEN. — Je me suis trompé… sur toi, sur nous… je pensais que ces quelques jours te feraient du bien, nous feraient du bien… T’étais pas prête pour ça.
ISOLDE. — Toi t’es sportif, mais pas moi ! Je peux pas, comme ça, pendant trois jours…
JULIEN. — C’est pas une question de sport, c’est une question de mental. Tu voulais t’échapper de Glassac ? Même si tu la trouves misérable, est-ce que t’es capable de vivre autre chose que ta petite vie à toi ?
ISOLDE. — Pourtant j’ai cru qu’on… que tu, tu… que toi et moi on pourrait…
JULIEN. — On pourrait ?
ISOLDE. — Je me suis trompée aussi, peut-être.
JULIEN. — Où on va ?
Paraît Stéphane, très essoufflé.
STÉPHANE. — Ah vous voilà ! (Il reprend son souffle.) J’ai cru que je vous rattraperais jamais. (Il reprend son souffle.) Ah ! Les cochons !
ISOLDE. — Stéphane ?
JULIEN. — Comment tu nous as retrouvés ?
STÉPHANE, essoufflé. — Je vous ai suivis.
ISOLDE. — Depuis Glassac ?
STÉPHANE. — Bien sûr…
ISOLDE. — Mais alors, ça fait un jour que tu marches ?
STÉPHANE. — J’en peux plus… (Il se laisse tomber.)
ISOLDE. — Moi non plus, je suis morte… (Elle se laisse tomber.)
STÉPHANE. — Nom de dieu !… Pourquoi vous marchez à cette vitesse d’enfer ? …
ISOLDE. — C’est ce que je me tue à lui demander !
STÉPHANE, à Julien. — Tu voulais me semer, hein ? Tu sentais que j’étais sur vos talons… Le voisin obligeant… Espèce de salaud ! T’as pu me faire ça à moi, moi, que t’appelais ton « ami » ? Ma femme !
JULIEN. — Depuis hier tu te souviens que t’as une femme ? Il serait temps !
STÉPHANE. — Les sous-entendus, c’est la littérature des faibles. Explique-toi.
JULIEN. — Tu la trompes depuis des années !
STÉPHANE. — Comment oses-tu ?
JULIEN. — Joue pas les prix de vertu, c’est pas ton rôle.
STÉPHANE. — Joue pas les directeurs de casting, t’as pas le standing.
JULIEN. — T’imagines que tes histoires de fesses sont passées inaperçues ? Tout Glassac en ricane.
STÉPHANE. — Je n’aime qu’Isolde et elle le sait.
JULIEN. — Elle le sait tellement bien qu’elle est partie avec moi.
STÉPHANE. — Elle est partie avec toi parce qu’elle est au bout du rouleau.
JULIEN. — Elle est au bout du rouleau à cause de toi, le roi de la sanisette !
STÉPHANE. — Tu peux te foutre de moi. Moi au moins j’ai fait quelque chose, j’ai bâti une entreprise, et elle marche, ma boîte ! Les snobs dans ton genre, qu’est-ce qu’ils peuvent y comprendre ? Faire ses besoins, ah non, pas assez noble, hein ? Monsieur est un pur esprit, une intelligence désincarnée qui ne passe jamais aux toilettes. Pourtant, c’est un lieu essentiel. Le lieu où la matière vivante se sépare de la matière morte. Comprendre cela, bâtir des espaces pour perpétuer cet acte de foi en l’Homme, en sa capacité à chasser tout ce qui n’est pas utile à sa vie, c’est travailler pour un monde meilleur.
JULIEN. — Voilà ta préoccupation ? Comment évacuer la merde des autres ? En attendant, ta merde à toi, elle t’a intégralement recouvert les yeux.
STÉPHANE. — Là, on touche à un degré de poésie rarement atteint. (À Isolde 🙂 C’est pour entendre ce genre d’insanités que tu t’es barrée avec lui ?
JULIEN. — Tu es incapable de l’écouter, de la comprendre, de l’aimer.
STÉPHANE. — Au chômage depuis sept ans, quitté par ta femme, et tu veux m’expliquer comment réussir sa vie ? La seule chose dont t’es capable, c’est de l’entraîner dans ton naufrage, pauvre looser ! (À Isolde 🙂 C’est ce que tu veux ? Couler avec lui ? Mais de quoi vous allez vivre ? Qui va payer le loyer de la galerie ? Pas toi ! Ni lui !
JULIEN. — Le portefeuille ! Bonne idée. La seule chose qui vous unit encore, le fric.
STÉPHANE, à Isolde. — Tu sais que le médecin m’a dit… pas d’effort intense, mais je suis parti quand même… Je ne regrette pas d’être venu, non, au contraire, parce que je voulais te dire, te dire pardon. Pardon mon amour, pardon pour toutes ces années, j’ai été moche et con, je le sais, et pourtant tu vois, je suis encore là, malgré tout, malgré lui, malgré moi, malgré ce que j’ai fait. Je sais je t’ai déjà dit que j’allais changer, mais ce qui m’importe aujourd’hui, c’est juste… c’est juste… est-ce que tu acceptes mes excuses ?
Intermède
LA VOIX DU RÉCIT. — Ou bien Isolde accepte les excuses de Stéphane ou bien Isolde n’accepte pas les excuses de Stéphane.
Un assistant de la voix du récit apparaît parmi les spectateurs.
LA VOIX DU RÉCIT. — Laissons faire le hasard et jouons cela à la courte paille. Une paille courte et Isolde acceptera les excuses de Stéphane. Une paille longue et Isolde n’acceptera pas les excuses de Stéphane.
L’assistant fait jouer un spectateur/une spectatrice. Puis l’assistant annonce le résultat : « Paille courte./Paille longue. »
Si la paille est courte, la voix du récit dit :
LA VOIX DU RÉCIT. — La paille tirée est courte. Isolde accepte les excuses de Stéphane.
Allez au 14. (p. 78)
Si la paille est longue, la voix du récit dit :
LA VOIX DU RÉCIT. — La paille tirée est longue. Isolde n’accepte pas les excuses de Stéphane
Allez au 15. (p. 87)
7. Une femme en colère
Chez Stéphane et Isolde.
Julien et Stéphane sont à table, silencieux. Isolde arrive avec un plat.
ISOLDE. — J’ai fait un lapin à la moutarde. (Elle pose le plat brusquement.)
STÉPHANE. — Merci, amour. Grâce à toi, le dîner va encore être somptueux.
ISOLDE, entre ses dents. — Eh ben je te sers au moins à quelque chose.
STÉPHANE. — Hein ?
ISOLDE. — Rien.
STÉPHANE. — Dommage qu’Oriane n’ait pu être avec nous ce soir.
ISOLDE, persifleuse. — C’est rageant.
JULIEN. — Je… je vous sers ?
ISOLDE, acide. — Pas vraiment, non.
JULIEN. — Je veux dire, je vous sers du lapin ?
ISOLDE, d’une humeur massacrante. — C’est ça.
Julien sert Isolde et Stéphane dans un silence pesant.
STÉPHANE. — Je pourrais avoir le sel ?
ISOLDE. — T’as pas goûté.
STÉPHANE. — Non, c’est vrai mais…
ISOLDE. — Ça t’ennuierait de respecter un minimum mon travail ?
STÉPHANE. — Tu sais bien que j’ai l’habitude de…
ISOLDE. — J’ai passé trois heures à préparer ce lapin pour te faire plaisir. Alors la moindre des choses ce serait de goûter le plat avant de laisser tomber la salière dedans !
STÉPHANE. — Tu as raison, tu as raison… (Il goûte. Puis, hésitant 🙂 Quand même, je voudrais bien du sel.
ISOLDE, lui passant le sel brusquement. — Plus jamais je perdrai trois heures pour que monsieur…
STÉPHANE. — J’ai bien le droit de rajouter du sel ?
ISOLDE. — Continue, enfonce-toi.
JULIEN. — Moi, je rajoute pas de sel Isolde, je trouve ton lapin délicieux.
ISOLDE. — Merci. Y en a au moins un qui reconnaît mes efforts.
JULIEN. — T’as mis des oignons ?
ISOLDE. — Des échalotes. T’aimes pas ?
JULIEN. — J’adore, j’adore.
Chaque ingrédient est répété par Julien avec un petit « oui » ou un « c’est ça » ou un « voilà » indiquant qu’il les a reconnus. Isolde parle la bouche pleine et mastique avec rage. Julien parle aussi la bouche pleine et mastique avec force.
ISOLDE,— De l’ail, du laurier, du thym, un peu de vin blanc, une cuillère de crème fraiche, une carotte coupée en rondelles, évidemment de la moutarde, et puis moi, je rajoute un morceau de sucre.
JULIEN. — Excellent, excellent. (Stéphane se lève.)
ISOLDE. — Qu’est-ce qui se passe encore ?
STÉPHANE. — Je vais chercher la moutarde.
ISOLDE. — De la moutarde ? Tu vas chercher de la moutarde pour mettre sur mon lapin à la moutarde ? Tu le fais exprès ?
STÉPHANE. — Mais enfin Isolde, me parle pas comme ça, c’est juste que j’aimerais bien un peu de moutarde…
ISOLDE. — Stop ! Arrête, ça suffit, vas-y, va la chercher ta moutarde, allez, allez, allez…
Stéphane sort piteusement.
JULIEN. —Stéphane t’offre des fleurs, tu l’engueules, Stéphane te dit bonjour, tu l’engueules, Stéphane bouge un cil, tu l’engueules…
ISOLDE. — Avoue qu’il est exaspérant !
JULIEN. — Tu es devenue irascible.
ISOLDE. — Moi, irascible ? Ah !
JULIEN. — Je t’avais proposé une randonnée sur le Causse. Ça nous aurait fait le plus grand bien. Tu n’as pas voulu, et maintenant… Où il est ? Parti chercher la moutarde ? Tu parles. Il est assis, prostré quelque part, en se demandant comment recoller les morceaux.
ISOLDE. — Je le supporte plus ! J’ai vraiment cru qu’il pourrait changer. Regarde comment il s’est comporté avec cette petite pute !
JULIEN. — Et elle ? Comment elle réagit ?
ISOLDE. — Je l’ai pas revue depuis hier.
JULIEN. — Tu as décidé de rester ici, avec ton mari. Alors pardonne-lui. Sinon, à quoi bon ?
Julien sort.
ISOLDE, après un temps. — Je pourrai pas… je pourrai plus…
Entre Oriane.
ORIANE. — Hardi !
ISOLDE. — Tu oses !
ORIANE. — Quoi ?
ISOLDE. — Tu crois que je n’ai pas vu votre petit manège ?
ORIANE. — De quoi parlez-vous ?
ISOLDE. — Et en plus tu me prends pour une dinde ! Vous pensiez pouvoir faire vos cochonneries tranquillement derrière mon dos ? Cette cruche d’Isolde, elle se doutera de rien !
ORIANE. — Isolde, je ne sais pas ce que vous… mais je suis disposée à vous expliquer ce qui…
ISOLDE. — J’ai compris, merci ! Alors je t’accueille chez moi, je te fais partager ma maison et c’est comme ça que tu me remercies ? C’est immonde ! Je vais te dire ce que tu es : une marie-couche-toi-là ! Tu ne respectes rien, même pas le mariage des autres. Ça m’étonne pas, les filles comme toi, ça ne sait faire qu’une chose : détruire.
ORIANE. — Détruire ? Détruire quoi ? Ton mariage ? Pauvre folle. Ça fait longtemps qu’il est mort. Depuis quand Stéphane ne t’a pas dit qu’il t’aimait ?
Stéphane paraît.
ISOLDE, après un silence. — Il est peut-être temps de prendre un nouveau départ. J’emporte quelques affaires, et je vais m’installer dans le studio au-dessus de la galerie. Je sais qu’elle t’attire. Je vous ai vus à Rodez. Et je n’en peux plus.
STÉPHANE. — Quoi ? Mais… mais… (Désignant Oriane.) C’est elle qui ?…
Stéphane sort.
ISOLDE. — Au revoir, Oriane. Veuillez accepter mes excuses. Mes paroles ont dépassé toute mesure.
ORIANE. — Isolde, je pense qu’il y a un malentendu…
Stéphane paraît, le bras chargés.
STEPHANE, à Oriane. — Effectivement, il y a comme un malentendu. C’est pas Isolde qui va partir, c’est toi qui va te barre ! Inutile d’aller dans ta chambre, j’ai fait ta valise. (Il lance la valise ouverte, toutes les affaires d’Oriane se répandent.)
ORIANE. — Mais, mes affaires ! Ce mec est dingue… (Elle ramasse ses vêtements et les remet dans la valise.)
STEPHANE, lui jetant encore quelques vêtements. — Désolé, j’ai pas eu le temps de leur passer un coup de fer.
ORIANE. — Ça va, ça va ! Je pars ! Pas la peine de…
STEPHANE, lui jetant une brosse à dents, du dentifrice, etc. — N’oublie pas tes effets de toilette !
ORIANE, rassemblant tout tant bien que mal. — Sur internet, je vais vous laisser une de ces évaluations… « Couple de malades mentaux : la fille est paranoïaque et le gars est cyclothymique ! »
STEPHANE, poussant Oriane au-dehors. — Deux névroses qui se complètent parfaitement !
ORIANE. — Ne me touche pas ! Ne me touche pas !
Oriane disparaît.
STEPHANE. — Je me contrefous de cette fille, je me contrefous des autres. C’est toi qui m’importes.
ISOLDE. — J’ai besoin de réfléchir, de prendre du temps pour…
STEPHANE. — Je t’aime. Reste.
ISOLDE. — Je ne sais pas, je ne sais pas…
STEPHANE, se mettant à genoux. — Reste.
Intermède
LA VOIX DU RÉCIT. — Ou bien Isolde accepte de rester ou bien Isolde n’accepte pas de rester.
Un assistant de la voix du récit apparaît parmi les spectateurs.
LA VOIX DU RÉCIT. — Laissons faire le hasard et jouons cela à la courte paille. Une paille courte et Isolde acceptera de rester. Une paille longue et Isolde n’acceptera pas de rester.
L’assistant fait jouer un spectateur/une spectatrice. Puis l’assistant annonce le résultat : « Paille courte./Paille longue. »
Si la paille est courte, la voix du récit dit :
LA VOIX DU RÉCIT. — La paille tirée est courte. Isolde accepte de rester.
Allez au 14. (p. 78)
Si la paille est longue, la voix du récit dit :
LA VOIX DU RÉCIT. — La paille tirée est longue. Isolde n’accepte pas de rester.
Allez au 15. (p.87)
8. Un agent dormant
Chez Stéphane et Isolde.
Stéphane, Julien et Oriane.
STEPHANE, hors de lui. — Excuse-toi immédiatement !
JULIEN. — N’élève pas la voix comme ça.
STEPHANE, ne se calmant pas et mettant la veste de Julien par terre. — J’ai dit excuse-toi !
JULIEN. — Tu hurles, tu éructes, tu me parles d’il y a dix ans…
STEPHANE. — Ce dont je t’ai parlé, tu ne t’en souviens pas ? Salaud !
JULIEN. — Cesse de m’insulter ! Je ne sais pas ce qu’elle a pu te raconter…
STEPHANE. — Ose dire que c’est faux ! Ose dire que tu ne la connais pas, ose dire que tu ne lui as jamais fait mal gratuitement, pour le plaisir de la faire souffrir, ose dire que tu n’as pas crevé les pneus de la voiture de ses parents ! (Silence.) Ordure…
ORIANE. — Assez.
STEPHANE. — Ne t’en fais pas. Il va craquer.
ORIANE. — Tu ne comprends pas. Arrête.
STEPHANE. — Je le vois dans ses yeux, il est sur le point d’avouer…
ORIANE. — Tu vas trop loin. Ce n’est pas la peine de l’humilier.
STEPHANE. — Et lui, pour toi, il s’est gêné ?
ORIANE. — Va t’en.
STEPHANE. — Hein ?
ORIANE. — Sors d’ici.
STEPHANE. — Que je… tu veux que je parte ?
ORIANE. — Oui.
STEPHANE. — Eh ben merde alors… Tu me demandes de t’écouter, de t’aider, de… vous êtes aussi tarés l’un que l’autre !
Stéphane sort. Oriane et Julien restent seuls silencieusement. Julien met sa veste et sort. Entre Isolde.
ISOLDE. — Vous êtes seule ? On vous entend depuis l’autre côté de la rue. J’ai croisé Stéphane, il était comme fou. Il n’a rien voulu m’expliquer. Que se passe-t-il ?
ORIANE. — Un différend. (Silence.)
ISOLDE. — Et si on arrêtait les secrets ?
ORIANE. — Pourquoi ? C’est tout un art, les secrets. Certains sont des chefs-d’œuvre. Mon séjour prend fin maintenant. Je fais ma valise et je prends la route.
ISOLDE. — Paris ?
ORIANE. — Je vais aller au hasard.
ISOLDE. — Faisons-nous autre chose ?
ORIANE, lui tendant la main. — Adieu, Isolde.
ISOLDE. — Adieu ?
ORIANE. — Nous ne nous reverrons jamais.
ISOLDE. — Vous êtes jeune encore. Avec l’expérience, vous bannirez le mot jamais de votre vocabulaire. (Elle lui tend la main 🙂Au revoir.
Oriane sort. Isolde remarque alors une carte laissée par Julien lorsqu’il a mis sa veste.
ISOLDE, lisant la carte. — Oh non… non…
Julien rentre.
JULIEN. — Toi aussi tu vas me faire subir un interrogatoire ?
ISOLDE, tendant la carte. — J’en ai l’impression.
JULIEN. — Qu’est-ce que c’est ?
ISOLDE. — À toi de me le dire.
JULIEN. — Tu l’as entre les mains.
ISOLDE. — Je l’ai trouvée ici.
JULIEN. — C’est chez toi.
ISOLDE. — « Ice cream ». Ton nom de code ?
JULIEN. — Tu me prends pour un espion ?
ISOLDE. — Ice, glace, Glassac. Ça marche.
JULIEN. — Quelle perspicacité.
ISOLDE. — Alors, ça existe vraiment ? « Nique les bourg’s » ?
JULIEN. — Oui, ça existe.
ISOLDE. — Tu en fais partie ? Depuis longtemps ? Et vous avez réunion quand ? (Comprenant.) T’as jamais fait partie du club philatélie ? Mais… ces actions coup de poing, ces séquestrations de patron, ces mises à sac de sièges sociaux, ces incendies de voitures de cadres… tu en étais ?
JULIEN. — Non.
ISOLDE. — Pas ton genre ?
JULIEN. — Pas ma fonction.
ISOLDE. — C’est quoi ta fonction ?
JULIEN. — Agent dormant.
ISOLDE. — C’est une blague ?
JULIEN. — Je me fais oublier. Je me fonds dans le paysage. Et le moment venu, lorsque les ordres arriveront, j’attaquerai.
ISOLDE. — Et ta cible stratégique, c’est quoi ? La superette de Kerstin ?
JULIEN. — Les actes terroristes ne sont pas au cœur de l’action de Nique les bourg’s. Nous n’y venons qu’en dernier recours, lorsque le théâtre principal de notre combat est inoccupé. En effet, l’Histoire a démontré que ce type d’opérations ne fait que discréditer les groupes qui les commettaient. La Révolution ne pourra vaincre qu’en agissant dans l’intimité des êtres. Le coït. Tel est notre domaine. Comment niquer les bourg’s ? En les niquant. En les niquant concrètement, dans un lit, entre deux portes, sur une table de cuisine. Mais attention, pas de saloperie : en les niquant avec leur consentement libre et éclairé. C’est seulement en obtenant le consentement de la cible que la victoire peut être établie, lorsque le capitaliste accepte librement et sans contrainte de se faire baiser. Autrement dit c’est en niquant les bourg’s et seulement en les niquant qu’on pourra les niquer vraiment. Il y a dix ans, j’ai intégré la section de Rodez. Mon chef de section m’a mis à l’épreuve. Mon premier objectif : Oriane. Repérée car son père était un des membres de la direction de Rivoire et Carret, pâtes industrielles. Je l’ai niquée.
ISOLDE. — Non mais… attends je… tu peux, tu peux, tu peux… Tu me fais marcher ?
JULIEN. — Avec son consentement, libre et éclairé. Oriane est une prise révolutionnaire.
ISOLDE. — Je comprends mieux pourquoi tu voulais me choper !
JULIEN. — Oh Isolde…
ISOLDE. — Tu t’es dit, la p’tite bourg’, avec sa galerie, je la nique !
JULIEN. — Jamais, mais jamais…
ISOLDE. — Et t’attendais bien gentiment d’obtenir mon consentement libre et éclairé. Moi aussi je fais partie d’un groupe : « Nique les cons ». Le principe, c’est simple : quand je vois un con, je le nique. Mais attention, pas de saloperies, avec son consentement libre et éclairé. Pourquoi tu crois que je suis avec Stéphane ?
JULIEN. — Tu auras beau te moquer de…
ISOLDE. — Écoute bien ce que je vais te dire : soit tu romps avec ton comité de… soit tu ne me reverras plus jamais.
Intermède
LA VOIX DU RÉCIT. — Ou bien Julien déchire sa carte de Nique les bourg’s ou bien Julien ne déchire pas sa carte de Nique les bourg’s.
Un assistant de la voix du récit apparaît parmi les spectateurs.
LA VOIX DU RÉCIT. — Laissons faire le hasard et jouons cela à la courte paille. Une paille courte et Julien déchirera sa carte de Nique les bourg’s. Une paille longue et Julien ne déchirera pas sa carte de Nique les bourg’s.
L’assistant fait jouer un spectateur/une spectatrice. Puis l’assistant annonce le résultat : « Paille courte./Paille longue. »
Si la paille est courte, la voix du récit dit :
LA VOIX DU RÉCIT. — La paille tirée est courte. Julien déchire sa carte de Nique les bourg’s.
Allez au 9. (p. 69)
Si la paille est longue, la voix du récit dit :
LA VOIX DU RÉCIT. — La paille tirée est longue. Julien ne déchire pas sa carte de Nique les bourg’s.
Allez au 10. (p. 69)
9. Un agent dormant, première suite
Après un silence, Julien déchire sa carte.
ISOLDE. — J’étais sûre que tu te montrerais raisonnable. (Emportant la chaise.) Je crois que j’ai besoin de boire un verre, au frais, sur la terrasse. Quelque chose de fort. Tu en veux ?
JULIEN. — Non.
ISOLDE. — Comme tu voudras.
Julien contemple sa carte déchirée, il la range. Oriane entre. Ils se regardent sans bouger.
Poursuivez avec le 16. (p.95)
10. Un agent dormant, seconde suite
JULIEN. — Tu me demandes de renoncer à mon engagement politique ? De renier mon idéal ? Ce pour quoi je me bats depuis des années ? Pas question. (Il met sa carte dans sa poche.)
ISOLDE. — Nous n’avons plus rien à nous dire.
Excédé, Julien renverse une chaise et sort précipitamment.
Poursuivez avec le 17. (p.105)
11. Une prise révolutionnaire
Chez Stéphane et Isolde.
Stéphane et Oriane.
STEPHANE. — Assez !
ORIANE. — Non, j’arrêterai pas ! Toi aussi, t’es qu’un beau salaud !
STEPHANE. — Parle moins fort. Tu veux ameuter tout le village ou quoi ?
ORIANE. — Et pourquoi pas ? T’as peur que tout le monde sache que t’es un beau salaud ?
STEPHANE. — Boucle-la, je te dis ! Isolde est à l’étage. Tu vas la faire descendre.
ORIANE. — Tant mieux ! Elle, elle acceptera peut-être de m’aider !
STEPHANE. — Si tu la mets au courant, je te préviens, ça va très mal se passer.
ORIANE. — Là je te retrouve ! Ton côté sadique. Il te manque ta cravache et tes chaînes.
STEPHANE. — Tu vas la fermer, oui ? Plus d’allusions de ce genre ! Jamais !
ORIANE. — Tu sais faire que baiser ? Mais compatir ? Partager la peine de l’autre ?
STEPHANE. — Pour qui tu veux me faire passer ? J’aime pas le mélange des genres. On se voit au club, point. Là-bas, chacun sait pourquoi il vient. Personne ne connaît personne, ou on feint de ne pas savoir. Les choses sont claires, simples : on est venu pour consommer. Alors si chacun se met à se raconter ses amours de vacances… ! Nafi va m’entendre !… Maintenant, quand je viendrai, j’aurai peur de tomber sur toi !
ORIANE. — C’est ça qui te gêne ? Je vais gâcher tes sorties baise ?
STEPHANE. — Chut !
ORIANE. — Quoi ? ça te contrarierait que tout le monde apprenne que tu te fais de temps en temps des sorties baise ?!
STEPHANE. — Ça te fait jouir, hein ? Ce misérable pouvoir que t’as sur moi ?
ORIANE. — Je t’ai demandé une chose : m’aider à trouver Julien pour lui…
STEPHANE. — Julien est un voisin et un ami depuis quinze ans, on se rend des services, il est connu dans tout le village, alors je ne vais pas…
ORIANE. — Tu refuses de toucher à ton petit univers ? Ton petit monde à toi ? Avec ta petite maison dans ton petit village sur ta petite colline dans ton petit sud-ouest ? Mais moi, je vais tout faire péter, t’entends ? Boum ! On va la remuer, la merde !
STEPHANE. — T’es vraiment folle ! (Il l’empoigne.)
ORIANE. — Ne me touche pas !
STEPHANE. —Tu vas remonter sur ta moto en quatrième vitesse direction Paname !
ORIANE. — Lâche-moi !
Entre Isolde, Stéphane et Oriane se figent.
ISOLDE, trop heureuse d’avoir surpris ce moment. — Qu’est-ce qui vous arrive ?
STEPHANE, réprimant immédiatement sa colère. — C’est que… je l’ai trouvée en train d’ouvrir le courrier, alors…
ISOLDE. — Une erreur, sans doute.
ORIANE. — Une erreur.
ISOLDE. — Est-ce vraiment une raison pour mettre cette jeune femme dehors ?
ORIANE. — Est-ce vraiment une raison ?
STEPHANE. — Non, bien sûr, bien sûr…
ISOLDE. — En vociférant comme s’il y avait eu un meurtre !
ORIANE. — C’est un peu excessif.
STEPHANE. — C’est vrai… je suis surmené en ce moment…
ISOLDE. — Je sais, amour. Je suis sûre qu’Oriane ne t’en tiendra pas rigueur.
ORIANE. — Pas du tout.
ISOLDE. — Elle nous laissera une excellente évaluation sur internet.
ORIANE. — Excellente.
ISOLDE. — À condition que tu lui fasses des excuses.
STEPHANE. — Moi ?
ISOLDE. — Naturellement, pas moi. (Silence.) J’attends.
STEPHANE, à Oriane. — Pardon.
ISOLDE. — Je n’ai pas entendu.
STEPHANE. — Pardon.
ISOLDE. — J’apprécierai que tu fasses une phrase complète.
STEPHANE. — Oriane, veuillez accepter mes excuses.
ORIANE. — Avec joie.
ISOLDE. — Ça me fait plaisir que vous soyez de nouveau amis, tous les deux. J’étais juste venue chercher la veste de Julien. Un oubli. (Elle la prend.) Soyez sages.
Isolde sort.
STEPHANE. — Bon, écoute, Oriane, j’avoue que j’ai un peu perdu la… (Apercevant quelqu’un 🙂 C’est Julien ! (S’adressant à lui au-dehors 🙂 Non ! Isolde te l’apporte ! Oui ! Chez toi, oui ! (Pour lui 🙂 On a eu chaud ! (Oriane 🙂 Un peu plus et il venait ici !
ORIANE. — Les retrouvailles…
STEPHANE. — Oui, bah non ! Y aura pas de retrouvailles. En tout cas, pas ici ! Oriane, jure… jure-moi que tu ne feras pas d’éclat, que tu ne diras rien au sujet du DSK. Jure !
ORIANE. — Je jure.
STEPHANE. — Croix de bois ?
ORIANE. — Quoi ?
STEPHANE. — Croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en enfer ?
ORIANE. — Enfin, Stéphane, on a plus l’âge de ce genre de…
STEPHANE. — Répète : Croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en enfer.
ORIANE. — Croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en enfer.
STEPHANE. — Je sens que t’es sérieuse alors ça va. Je vais aller voir Julien, je vais essayer de… d’organiser quelque chose pour que, loin d’ici, très loin, vous puissiez… Mais je ne veux pas que vous vous rencontriez à Glassac. Hors de question. Trop explosif. Et toi, de ton côté, t’as juré, hein ?
Stéphane sort.
ORIANE, ramassant une carte tombée de la veste de Julien quand Isolde l’a prise, et lisant. — « Nique les bourg’s. Carte de membre actif. Agent dormant ‘Ice Cream’. Ne te bats pas contre les capitalistes. Nique-les, dans leur lit ou ailleurs. C’est en les niquant que tu les niqueras vraiment. Mais prends garde : ton but central doit être d’obtenir le consentement libre et éclairé de ta cible. Ta victoire ne sera établie que si le capitaliste accepte librement et sans contrainte de se faire baiser. » (Elle sourit tristement.) Alors j’étais la première, c’est ça ? Ta première. J’arrive pas à y croire… Papa et son Figaro, maman et son sac Hermès… on était repérables à trois kilomètres, n’est-ce pas ? Toi, t’as fait ton job. T’as obtenu mon consentement, libre et éclairé. Je suis une prise révolutionnaire ! Mais… maintenant que j’y pense… ça veut dire que jamais… même au moment où j’ai cru voir dans tes yeux comme une lueur de … même quand tu m’as dit « Tu es celle que j’attendais », même à ce moment-là t’as jamais ressenti, t’as jamais éprouvé ce que moi j’éprouvais ? J’étais qu’une cible, qu’un objectif ? Rien d’autre ? Pourtant je suis sûre, sûre de mes souvenirs, de nos rendez-vous aux colonnes, je me souviens de la chaleur de tes mains, de ta ferveur, de… Non. Arrière, Oriane. Ne te fais pas d’illusions. C’était une mission. Et il n’a fait qu’obéir aux ordres.
De rage, elle lance une chaise à terre. Elle reste immobile.
Intermède
LA VOIX DU RÉCIT. — Ou bien Stéphane a mis son portable sur silencieux ou bien Stéphane n’a pas mis son portable sur silencieux.
Un assistant de la voix du récit apparaît parmi les spectateurs.
LA VOIX DU RÉCIT. — Laissons faire le hasard et jouons cela à la courte paille. Une paille courte et Stéphane aura mis son portable sur silencieux. Une paille longue et Stéphane n’aura pas mis son portable sur silencieux.
L’assistant fait jouer un spectateur/une spectatrice. Puis l’assistant annonce le résultat : « Paille courte./Paille longue. »
Si la paille est courte, la voix du récit dit :
LA VOIX DU RÉCIT. — La paille tirée est courte. Stéphane a mis son portable sur silencieux.
Allez au 12. (p. 76)
Si la paille est longue, la voix du récit dit :
LA VOIX DU RÉCIT. — La paille tirée est longue. Stéphane n’a pas mis son portable sur silencieux.
Allez au 13. (p. 77)
12. Une prise révolutionnaire, première suite
Stéphane entre.
STEPHANE. — Tout va bien ? Tu es bizarre.
ORIANE. — C’est rien.
Dehors on entend la voix de Julien : « Stéphane ! L’autre jour, à Rodez, t’étais avec une fille. Je la connais ! »
STEPHANE, lui faisant barrage pour qu’il n’entre pas, s’adressant à lui depuis l’intérieur. — Elle ? Ça m’étonnerait. Ma parole, tu as bu ? Reviens quand tu auras dessaoulé !
Julien répond : « Marteau et faucille ! »
STEPHANE. — Qu’est-ce qu’il raconte ? Il n’a pas l’air dans son état normal.
Stéphane sort d’un côté tandis qu’Oriane sort de l’autre en même temps qu’Isolde entre.
ISOLDE. — Il se passe quelque chose.
Poursuivez avec le 17. (p.105)
13. Une prise révolutionnaire, seconde suite
Stéphane entre.
STEPHANE. — Tout va bien ? Tu es bizarre.
ORIANE. — C’est rien.
Le portable de Stéphane sonne. Il décroche.
STEPHANE. — Oui ? Un problème avec la livraison du Qatar ? Mais qu’est-ce qui se passe ?
Il sort et continue sa conversation à l’extérieur.
De l’autre côté, dehors, on entend la voix de Julien : « Stéphane ! L’autre jour, à Rodez, t’étais avec une fille. Je la connais. ».
Julien entre.
JULIEN, appelant. — Stéphane !… (Apercevant Oriane, il s’arrête net.)
Ils se regardent tous les deux, interdits.
Isolde entre, aperçoit Oriane et Julien, puis se fige à son tour.
Poursuivez avec le 16. (p. 95)
14. Un Coup de chaud
Chez Stéphane et Isolde.
Stéphane et Isolde.
STÉPHANE. — Ça va mieux, nous ?
ISOLDE. — C’était plutôt inespéré.
STÉPHANE. — Quand j’allais en voir d’autres, c’était toi que je cherchais.
ISOLDE. — Je ne souhaite qu’une chose : reprendre une vie normale.
STÉPHANE. — Oriane est partie. Demain, tout reprendra son cours.
ISOLDE, écoutant. — C’est elle !
STÉPHANE. — Elle ?
ISOLDE. — Je n’arrive pas à la regarder en face.
Isolde sort tandis qu’entre Oriane.
STÉPHANE. — Qu’est-ce que tu veux ?
ORIANE. — Je vous dérange, hein ? T’inquiète pas, ça sera pas long. De toute façon, on se voit bientôt.
STÉPHANE. — Je ne crois pas.
ORIANE. — Un problème ?
STÉPHANE. — Tout le contraire.
ORIANE. — Ne me fais pas le coup du « j’arrête quand je veux. »
STÉPHANE. — J’ai déjà arrêté.
ORIANE. — T’es trop accro.
STÉPHANE. — J’étais perdu.
ORIANE. — T’as vu de la lumière et t’es entré ?
STÉPHANE. — À peu près.
ORIANE. — Tu t’es dit : « Tiens, le DSK ! Le Discreet Sex Klub. Le club échangiste le plus hype de la capitale. Je suis perdu tout plein, et si j’y entrais ? »
STÉPHANE. — Tais-toi. Isolde est à côté. Je vois vraiment pas ce que tu vises en venant ici.
ORIANE, tendant une carte à Stéphane. — De la part de Nafi.
STÉPHANE, lisant. — « Reviens vite, Stéphane chéri, tu nous manques. Signé : ta Nafi. » C’est quoi ces conneries ?
ORIANE. — Y a eut une descente au cercle de jeu de l’Empire. Les flics en ont profité pour faire un crochet par le DSK.
STÉPHANE. — Blanchiment d’argent, proxénétisme ?
ORIANE. — The usual suspicions. La discrétion si prisée du DSK en a été sérieusement entamée. Depuis un mois, la fréquentation a beaucoup baissé. Alors Nafi rameute tous les fidèles.
STÉPHANE. — T’es pas venue à Rodez juste pour ça ?
Entre Isolde avec une enveloppe à la main.
ISOLDE. — Stéphane ! Un courrier pour toi. (À Oriane 🙂 Ah ! Vous êtes là… (Saisissant la carte.) Une carte ? (Lisant 🙂 Le « DSK ». Qu’est-ce que c’est ?
STÉPHANE. — C’est une… un… une sorte de… de cercle.
ISOLDE. — Un cercle de jeu ?
STÉPHANE. — Ah non ! Pas du tout… quelle horreur…
ISOLDE. — C’est professionnel ?
STÉPHANE. — Très. Très professionnel. Uniquement fréquenté par de grandes professionnelles/de grands professionnels.
ISOLE, lisant. — « Au DSK, nous sommes pour le libre-échange. » Tu deviens libéral ?
STÉPHANE. — Euh… ben… à vrai dire… je réfléchis…
ISOLDE. — C’est étrange… Toi qui me parlais de contrôle de l’immigration, t’es pour la dérégulation ?
STÉPHANE. — C’est un débat théorique qui mérite d’être posé…
ISOLDE, examinant la carte. — C’est à Paris ?
ORIANE. — Oui.
ISOLDE. — Vous vous êtes connus là-bas ?
ORIANE. — Oui.
ISOLDE. — Pourquoi vous me l’avez pas dit ? (Un temps, de plus en plus suspicieuse.) C’est quoi, ce putain de cercle ? (Lisant 🙂« The Discreet Sex Klub. Reviens vite, Stéphane chéri, tu nous manques. Signé : Ta Nafi. » Oh non… non… ça va encore plus loin que ce je… mais comment… comment as-tu pu me faire ça ? Et dire que j’ai cru qu’on pouvait recommencer, repartir de zéro…
STÉPHANE. — On peut encore ! Tout ça, je n’en veux plus !
ORIANE. — C’est ce que tu crois. C’est une addiction. Une addiction dure. Et t’es salement intoxiqué.
STÉPHANE. — Dis-lui, dis-lui depuis quand je suis pas venu !
ORIANE. — Qui a bu boira.
ISOLDE. — Et en plus t’essaies de faire passer ça pour… tu me prends vraiment pour une oie…
STÉPHANE. — C’est toi qui as supposé que…
ISOLDE. — Cette fois-ci, c’est terminé, définitivement. Tu ne me reverras plus. Espèce de…
Isolde sort.
STÉPHANE. — Ça y est ? T’as eu ce que tu voulais ?
ORIANE. — Arrête de te masquer la réalité. Toi et moi on est pareils. Deux grands brûlés de la vie.
STÉPHANE. — Moi j’ai fait quelque chose, mon entreprise ! J’ai apporté ma contribution. J’emploie cent quarante-huit personnes. J’ai la responsabilité de cent quarante-huit hommes et femmes, que je fais manger tous les jours, en innovant, en remportant des marchés, en travaillant à la sueur de mon front du matin au soir.
ORIANE. — Et moi, toute la journée, je me fais les ongles de pieds ?
STÉPHANE. — Toi, tu n’es qu’une minuscule salariée aux ressources inhumaines appliquant bien gentiment les directives venues d’en haut. Et on les connaît, les directives ! La barbarie en costume cravate !
ORIANE. — C’est pire que la lubricité en costume cravate ?
STÉPHANE. — Je comprends pas… je comprends pas … pourquoi tu fous la merde comme ça ? Qu’est-ce que tu fiches ici ?
ORIANE. — Si je te disais que c’est un vieil amour de vacances ?
STÉPHANE. — Et en plus, tu te fous de moi… La vérité, c’est que tu es incapable de construire un couple.
ORIANE. — Apparemment toi non plus.
STÉPHANE. — J’ai construit un couple, ne t’en déplaise. C’est peut-être pas parfait… mais c’est mieux que rien. Attention… attention Oriane… j’ai le bras long…
ORIANE. — Tu me menaces ?
STÉPHANE. — Je t’invite à la prudence.
ORIANE. — Qu’est-ce que tu t’imagines ? Que j’ai fait cinq cents kilomètres à moto pour toi ? Stéphane, le meilleur coup du monde ? Tu parles… tu connais ton surnom au DSK ? Le mini-bounty. À peine commencé, déjà fini !
STÉPHANE. — T’es vraiment irrécupérable ! Mais attends un peu… (Stéphane se trouble.) Attends… attends… Mais… mais qu’est-ce qui se passe ?…
ORIANE. — T’es bizarre…
STÉPHANE, tournant sur lui-même. — Tout devient noir…
ORIANE. — Tu sues.
STÉPHANE. — Je vois plus rien, putain !
ORIANE. — Je vais appeler…
STÉPHANE, respirant difficilement. — Aaah… aaah… J’ai chaud…
ORIANE, lui tendant un mouchoir. — Tiens.
STÉPHANE, s’essuyant fébrilement, haletant. — Va me chercher un verre d’eau…
ORIANE. — Oui.
STÉPHANE, se mettant à genoux et respirant de plus en plus difficilement. — J’étouffe !… J’étouffe ! ….
ORIANE. — Respire ! Respire !
STÉPHANE, s’essoufflant et se couchant. — Je vais crever… je crève !… Isolde ! … Isolde ! … Isolde !
Isolde entre.
ISOLDE. — Stéphane ?
ORIANE. — Il fait un malaise.
ISOLDE, plaçant la tête de Stéphane sur ses jambes. — Attends… comme ça… (Stéphane se calme progressivement, retrouve une respiration normale.)
ORIANE. — C’est vous qu’il a appelée. (À part 🙂 J’aurais peut-être dû leur poser la question. Il y avait combien de chances que ce soit lui ? C’est un prénom si courant, Julien.
Oriane sort.
ISOLDE, après un temps. — Ça va mieux ?
STEPHANE. — Oui. Merci.
ISOLDE. — Bon. (Elle se relève.)
STEPHANE. — Attends, j’ai la tête qui tourne.
ISOLDE. — N’essaie pas de m’attendrir. Ma résolution est prise.
STEPHANE. — Reste une minute. (Il se relève.)
ISOLDE, revenant à sa préoccupation. — Est-ce que c’est bien ? …
STEPHANE. — Ça va, ça va… Oui… c’est vrai… J’ai fréquenté le DSK pendant quelques temps…
ISOLDE. — Et elle ?
STEPHANE. — Oriane ? Une cliente du club, comme moi. Il n’y a rien entre nous.
ISOLDE. — S’il n’y a rien, pourquoi est-elle là ?
STEPHANE. — Mais je ne sais pas ! Va lui demander…
ISOLDE. — Je crois qu’elle est partie. Elle est venue chez nous comme ça ? Sans raison ?
STEPHANE. — Il y a une zone d’ombre… Je voulais pas te parler d’elle. Je voulais te parler de nous. Le DSK, c’est fini. Une addiction ? Peut-être. En tout cas je te donne ma parole d’honneur que… oh merde, j’oubliais, j’ai plus de parole d’honneur.
ISOLDE. — Tu l’as perdue quand ?
STEPHANE. — Quand je t’ai dit que j’allais à l’enterrement de Krystian.
ISOLDE. — T’es allé au DSK ?
STEPHANE. — Je suis allé au DSK. Bon… alors je te promettrai rien. Je vais arrêter de parler. Je vais agir. Demain, je démissionne de mon poste de Président-Directeur-Général de Bordecarre Systems. Les sanisettes, terminé. Bien entendu, je vais perdre une partie de mon salaire… mais… je garde la majorité des parts de la boîte. Les affaires marchent, on manquera de rien. Je pourrai t’épauler à la galerie, t’assister et puis… on pourra, enfin… si tu veux… apprendre un peu à… se redécouvrir ?
ISOLDE, après un temps. — Je ne sais pas si je pourrai de nouveau te faire confiance. (Ramassant l’enveloppe qu’elle lui avait apportée et lui tendant.) N’oublie pas ça.
STEPHANE. — Encore un courrier de l’hôpital. T’as pas remarqué que j’en recevais beaucoup, ces derniers temps ? J’ai un cancer. Le médecin m’a donné trois mois.
Intermède
LA VOIX DU RÉCIT. — La fin de l’histoire est proche. Comment la pièce se terminera-t-elle ? Nous vous proposons quatre dénouements différents. Lequel choisir ?
Un assistant de la voix du récit apparaît parmi les spectateurs.
LA VOIX DU RÉCIT. — Laissons faire le hasard et jouons cela à la roue.
L’assistant fait jouer un spectateur/une spectatrice. Puis l’assistant annonce le résultat : « dénouement A/B/C/D. »
Si la roue indique le dénouement A, la voix du récit dit :
LA VOIX DU RÉCIT. — Le hasard a choisi le dénouement A.
Allez au 18. (p.113)
Si la roue indique le dénouement B, la voix du récit dit :
LA VOIX DU RÉCIT. — Le hasard a choisi le dénouement B.
Allez au 19. (p.118)
Si la roue indique le dénouement C, la voix du récit dit :
LA VOIX DU RÉCIT. — Le hasard a choisi le dénouement C.
Allez au 20. (p.122)
Si la roue indique le dénouement D, la voix du récit dit :
LA VOIX DU RÉCIT. — Le hasard a choisi le dénouement D.
Allez au 21. (p.126)
15. Un ami intéressé
Chez Julien.
Julien et Isolde.
ISOLDE. — Que je reste avec lui ? Qu’est-ce qu’il s’imaginait ! Parlons de choses sérieuses. (Déployant une carte.) Alors, t’en penses quoi ?
JULIEN. — Quand on n’a jamais fait d’ascension, s’attaquer directement au Mont-Blanc, c’est peut-être un peu…
ISOLDE. — Évidemment, toi tu m’avais proposé une randonnée sur le Causse. Alors je comprends que le Mont-Blanc… Mais moi, tu comprends, j’ai besoin de me sentir vivre !
JULIEN. — On peut se sentir vivre à deux cents mètres d’altitude.
ISOLDE. — Avec ou sans toi, je la ferai, cette ascension !
Isolde sort.
JULIEN. — Je devrais peut-être l’appeler. Lui au moins, il pourrait peut-être la faire changer d’avis, c’est quand même son mari. Non… elle va se braquer…
Stéphane entre.
STEPHANE. — J’ai évité Isolde de justesse. Tu sais pourquoi elle a commandé des cartes des Alpes ?
JULIEN. — Écoute… Pas du tout !
STEPHANE. — Elle veut toujours pas me… ?
JULIEN. — Non, je crois pas.
STEPHANE, allusif. — Dis-moi la vérité. Elle et toi, vous … ?
JULIEN. — Mais non ! Je dors sur le canapé depuis une semaine. J’ai un début de sciatique.
STEPHANE, donnant un papier à Julien. — Je t’ai amené ton chèque.
JULIEN. — Cinq mille ? Mais… on avait dit trois mille.
STEPHANE. — Je sais mais… t’as fait bien plus que ce qu’on avait convenu. D’abord tu m’as avoué votre projet de départ sur le Causse. Ça, t’étais pas obligé. Et après, t’as été un indic de première classe.
JULIEN. — Je voulais pas que tu perdes…
STEPHANE. —Depuis que notre dernière locataire est partie et qu’Isolde habite chez toi, pas un jour sans que tu me donnes de ses nouvelles… (L’émotion le gagne.) T’es un véritable ami ! (Il le prend dans ses bras.) Il y a que toi qui m’aimes ici…
JULIEN. — Qu’est-ce que tu racontes ? …
Isolde entre.
ISOLDE. — Comme c’est touchant.
STEPHANE, se dégageant. — Navré Isolde… je ne voulais pas… je m’en vais…
ISOLDE. — S’il te plaît. (Prenant le chèque.) C’est quoi ? Un chèque ? Un chèque de cinq mille à l’ordre de Julien ?
STEPHANE. — Oui… c’est… une vieille dette que j’avais envers lui.
ISOLDE. — Une dette ? Tu avais une dette envers Julien, toi ?
STEPHANE. — Voilà. (Amorçant une sortie.) Bon… eh bien…
ISOLDE. — Quelle dette ?
STEPHANE. — Pour te dire la vérité… c’est une somme d’argent que Julien m’avait prêtée quand j’ai commencé avec la boîte…
ISOLDE. — Il est vrai que la fortune personnelle de Julien est mondialement connue.
JULIEN. — À l’époque, je jouais beaucoup aux jeux de hasard…
ISOLDE. — Tiens, il y a un petit mot au dos du chèque.
STEPHANE. — Et merde.
ISOLDE, lisant. — « Merci pour le Causse et tes infos. » (Silence.) Quelqu’un m’explique ?
STEPHANE. — C’est… c’est… tu vois… Julien et moi…
ISOLDE, comprenant. — Les enfoirés… Le Causse… notre idée de randonnée avec Julien… c’était un traquenard?
JULIEN. — Attends, Isolde… Quand je t’ai proposé de partir, je voulais vraiment…
ISOLDE. — Et tes infos ? C’est quoi, ces infos ?
JULIEN. — Eh bien… tu sais… Stéphane, je crois qu’on peut le dire… Stéphane était vraiment bouleversé à l’idée que tu puisses partir alors je l’ai simplement tenu au courant de la façon dont…
ISOLDE. — T’as joué bien gentiment ton sale rôle de mouchard ! Je me disais, aussi, c’est bizarre que Stéphane me suive à la trace comme ça ! Et depuis que je suis ici, je lui dis plus rien mais il est au courant de tout ! En fait, il avait une balance !
STEPHANE. — N’incrimine pas Julien. C’est moi qui lui ait proposé de…
ISOLDE. — Sors.
STEPHANE. — Mais Isolde, j’essaie juste de t’expliquer que…
ISOLDE. — J’ai dit tu sors.
STEPHANE, après un silence. — Bien.
Stéphane sort.
JULIEN. — Ne me juge pas.
ISOLDE. — Tu lui as dit ce projet de randonnée et après, heure par heure, tu lui as rapporté mes faits et gestes !
JULIEN. — Stéphane s’inquiétait vraiment.
ISOLDE. — Je te faisais confiance ! Je me croyais libre, j’étais fliquée. J’essayais de profiter de l’instant mais toi tu pensais qu’à ton fric.
JULIEN. — Ce fric, j’en avais besoin !
ISOLDE. — Je mesurais mal ta cupidité.
JULIEN. — Ma cupidité ? Mais… tu vois comment je vis ? Ça non ! Ton mari te paie une jolie maison, une jolie galerie, une jolie garde-robe, alors les histoires d’argent… très peu pour madame ! Toi, tout ce qui t’intéresse, c’est que je répare mon volet pour pouvoir dormir tranquille. Dormez braves gens ! Dormez tranquilles. Un ou deux chômeurs crèvent la gueule ouverte à côté de vous mais soyez rassurés, ils ne laisseront pas de trace sur la vitrine !
ISOLDE. — Tu m’as trahie.
JULIEN. — As-tu seulement conscience de ce que tu dis ? Tu ne parles que de toi. Tes sentiments, ta déception, ta colère… Mes explications ? Elles te passent au-dessus de la tête. Ma situation ? Elle te suggère des moqueries. Mes besoins d’argent ? Ils ne suscitent que ton indifférence. Tu n’es qu’une enfant gâtée égocentrique incapable d’empathie.
ISOLDE. — Comment peux-tu ? Comment… comment… comment… je… je… (Isolde vacille.)
JULIEN. — Qu’est-ce qui se passe ?
ISOLDE, mettant les mains à son cou. — Je sais pas… on dirait… j’ai la gorge sèche…
JULIEN. — Je vais te chercher de l’eau.
ISOLDE, portant ses mains à la tête. — Non… attends… attends… apporte-moi… j’ai mal au crâne…
JULIEN. — Assieds-toi. Tiens. (Il lui donne un verre, elle prend un cachet, boit.) Ça va mieux ?
ISOLDE, chancelante. — j’accusais le coup… mais je… je crois que tu as raison. Je vis dans une espèce de… de forteresse. J’ai rien vu. Ni que Stéphane… Ni que toi… Je ne te blâme pas. Je suis peut-être aveugle mais pas stupide. Je sais que ta situation est compliquée. La forteresse vient de tomber. Et je regarde autour de moi. Et je découvre plein de choses. Il y a une chose que j’ai pas encore découverte. Il y a une question à laquelle j’ai pas encore répondu : je suis qui ? Je sais pas. Je veux savoir. Et je saurai.
JULIEN. — Je ne sais pas qui tu es. Mais j’ai rarement rencontré quelqu’un d’aussi doué pour la vie. Quoi qu’il ait pu se passer, j’ai été heureux de partager quelques moments avec toi. Je regrette que cette histoire d’argent ait tout gâché. D’autant que cet argent, je m’en fiche. Et je te le prouve. (Il déchire le chèque en plusieurs morceaux.) Cette femme que tu es peut-être, cette femme que tu pourrais être, si tu veux, je pourrais l’accompagner, l’aider, tout doucement, à devenir ce qu’elle est déjà sans le savoir, ou bien à l’aider à s’inventer telle qu’elle ne fut jamais, et même à se réinventer chaque jour en une femme nouvelle, si telle est sa fantaisie. Alors je retrouverai, j’en suis sûr, ce sourire, pas le tien mais le mien, celui qui me montait aux lèvres dès que j’entendais ce mot, ton nom : Isolde.
Entre Stéphane.
STEPHANE. — Pardon de vous déranger. Isolde, je ne resterai pas longtemps, je te le promets. Je voulais juste… enfin… Isolde… réfléchis. Réfléchis bien… nous sommes mariés depuis douze ans, nous avons cette belle maison, une galerie que je t’offre avec plaisir…
ISOLDE. — Très élégant, cette façon de me rappeler que tu paies le loyer !
STEPHANE. — Ça fait partie des réalités à prendre en compte.
ISOLDE. — Justement. Je vais m’installer chez ta cousine à Villefranche.
STEPHANE ET JULIEN, ensemble. — Quoi ?
STEPHANE. — Ne fais pas ça. Reste encore chez Julien quelque temps.
ISOLDE. — Ton vieil ami. Tu sais ce qu’il me fait quand t’es pas dans nos pattes ? La cour.
JULIEN. — C’est faux.
ISOLDE. — C’est faux ? Il vient de me proposer de vivre avec lui.
JULIEN. — C’est faux.
STEPHANE. — T’oserais pas me faire ça ?
ISOLDE. — Un véritable agent double. Sourire par-devant, poignard par-derrière.
STEPHANE. — Reviens avec moi, Isolde.
ISOLDE. — Les quelques affaires que j’ai amenées ici me suffisent.
STEPHANE. — Bien. Mais sache encore ceci. Tu n’as pas pu remarquer, ces derniers temps, on a eu beaucoup de courrier de l’hôpital. À mon nom. Je… j’ai un cancer. Le docteur me donne encore trois mois.
Intermède
LA VOIX DU RÉCIT. — La fin de l’histoire est proche. Comment la pièce se terminera-t-elle ? Ce soir, nous vous proposons quatre dénouements différents. Lequel choisir ?
Un assistant de la voix du récit apparaît parmi les spectateurs.
LA VOIX DU RÉCIT. — Laissons faire le hasard et jouons cela à la roue.
L’assistant fait jouer un spectateur/une spectatrice. Puis l’assistant annonce le résultat : « dénouement A/B/C/D. »
Si la roue indique le dénouement A, la voix du récit dit :
LA VOIX DU RÉCIT. — Le hasard a choisi le dénouement A.
Allez au 18. (p.113)
Si la roue indique le dénouement B, la voix du récit dit :
LA VOIX DU RÉCIT. — Le hasard a choisi le dénouement B.
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Si la roue indique le dénouement C, la voix du récit dit :
LA VOIX DU RÉCIT. — Le hasard a choisi le dénouement C.
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LA VOIX DU RÉCIT. — Le hasard a choisi le dénouement D.
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16. Mars et Vénus
Oriane, Julien et Isolde.
ISOLDE, après un temps, devant le regard brûlant d’Oriane et Julien, un peu effrayée. — Eh bien… depuis le temps que je voulais vous faire rencontrer tous les deux… je vous laisse faire les présentations… c’est le mieux… je crois…
Isolde sort, troublée.
ORIANE. — Quel est mon nom ? (Silence.) J’attends. (Silence.) Mon nom.
JULIEN, après un temps. — Oriane.
ORIANE. — Ah ! On progresse. Tu te souviens au moins de ça.
JULIEN. — Je me souviens de tout.
ORIANE. — Tu n’es donc pas totalement lâche ?
JULIEN. — Tu as grandi. Tu es une vraie femme. Une belle femme.
ORIANE. — Tu espères quoi ? M’attendrir ?
JULIEN. — Tu en as besoin ?
ORIANE. — Je suis en colère.
JULIEN. — Depuis toutes ces années ?
ORIANE. — Sois-en fier. Ce n’est plus un sentiment, c’est une citadelle. Je l’ai construite, je la peaufine, je la fignole, je la décore. La plus belle colère qui ait jamais existé.
JULIEN. — Je comprends.
ORIANE. — Comme c’est simple. Tu me rends amoureuse, tu me quittes avec cruauté et jouissance, tu me laisses l’addition, tu crèves les pneus de la voiture de mes parents, des années après je te retrouve, je te dis ma colère, et toi tu me réponds « Je comprends. » Et tu t’imagines quoi ? Que tu vas t’en tirer comme ça ?
JULIEN. — Je me suis conduit comme un salaud.
ORIANE. — Je ne veux pas de tes excuses. Elles sont inutiles. Je veux que tu m’expliques. Que tu me dises exactement ce qui s’est passé.
JULIEN, après un temps. — C’est pas simple. (Silence.) Disons que… je devais faire ce que j’ai fait.
ORIANE. — Tu devais le faire ?
JULIEN. — Oui. Cela m’était… enfin… j’étais obligé.
ORIANE. — Par qui ?
JULIEN. — Je faisais partie d’un groupe. Une organisation semi clandestine d’obédience marxiste révolutionnaire.
ORIANE. — Marxiste révolutionnaire…
JULIEN. — Ce mouvement est encore très actif. Il possède des agents dormants dans toutes les sphères de la société, jusqu’au sommet de l’État. Il se nomme « Nique les bourg’s ».
ORIANE, un temps. — J’étais une de tes cibles ?
JULIEN. — La première. Tu étais la première. L’objectif du mouvement est d’anéantir la bourgeoisie en déstabilisant ses éléments. Cette visée se manifeste à court terme par des opérations dites « baise », en direction de ses représentants ou de ses représentantes. En les niquant avec leur consentement libre et éclairé. C’est ainsi et seulement ainsi que pourra advenir la Révolution, comme l’a établi notre congrès numéro soixante-neuf.
ORIANE. — Le combat révolutionnaire par le sexe.
JULIEN. — Bien résumé. On avait repéré tes parents. Ton père était cadre à la…
ORIANE. — Et si ça ne marche pas ? Si la bourgeoisie n’arrive pas à extinction par le truchement de la baise ?
JULIEN. — L’étape suivante sera le combat armé.
ORIANE. — Très bien. (Elle va prendre son grand sac et en sort deux épées.)
JULIEN. — Qu’est-ce que tu fais ?
ORIANE. — Je passe à l’étape suivante. (Elle lui lance une épée.)
JULIEN, rattrapant la lame. — Qu’est-ce que tu veux que je fasse avec ça ?
ORIANE. — Pas du tricot.
JULIEN. — Tu veux qu’on se batte ?
ORIANE. — Manifestement, en ce qui me concerne, ton opération baise n’a pas marché : je travaille au service du capital ! Ce sont donc les armes qui vont trancher. En garde !
Oriane livre alors un combat sans merci contre Julien, qui se défend comme il peut. Elle le désarme.
JULIEN. — Tu te défends bien.
ORIANE. — Toi aussi. (Elle lui renvoie son épée et réattaque immédiatement.)
Le combat se poursuit. Il est plus tendu. Elle le désarme et met sa propre lame contre la gorge de son adversaire.
ORIANE. — Si je voulais, je pourrais te faire très mal.
Elle baisse alors la pointe de son épée vers le sexe de son concurrent. Il la remonte du bout du doigt. Elle lui redonne une nouvelle fois son épée.
ORIANE. — On va s’amuser encore un peu.
Cette fois-ci le combat est violent et elle blesse Julien.
JULIEN, laissant tomber son épée. — Ah !
ORIANE. — Julien !
JULIEN, s’effondrant. — Je crois que t’as gagné…
ORIANE, après avoir pris sa main et l’avoir regardée. — Attends. (Elle se dirige vers son sac.)
JULIEN. — Tu sais comment on les appelle, les nanas comme toi, à Nique les bourg’s ? Les agents instructeurs. Ce sont eux qui entrainent les agents soldats au combat armé.
ORIANE, revenant avec une fiole, des compresses, soignant Julien. — La blessure n’est pas profonde.
JULIEN, la regardant différemment. — Pourtant, j’ai l’impression d’être vraiment touché.
ORIANE. — Il y en a eu beaucoup, après moi, des cibles ?
JULIEN. — Ma femme.
ORIANE. — Ça a marché sur elle ?
JULIEN. — Elle s’est barrée.
ORIANE. — C’est vraiment foireux, ton truc. Et quand tu t’es attaqué à moi, est-ce que… enfin… tu faisais ton devoir ? Uniquement ? Ou est-ce qu’à un moment tu as senti que… tu as ressenti…
JULIEN. — Je faisais mon devoir. Uniquement. En revanche, maintenant, quand je te regarde… (Il tente un rapprochement mais elle l’esquive.)
ORIANE. — Et le secret ? C’est une organisation secrète ?
JULIEN. — Elle a une vitrine officielle. On y affiche des discours radicaux. En arrière-boutique, on y apprend des méthodes peu avouables.
ORIANE. — Les avouer, comme tu viens de faire, c’est apprécié ?
JULIEN. — J’en ai plus rien à faire.
ORIANE. — Tiens ? La Révolution, terminée ?
JULIEN. — Plus sous cette forme. Je ne veux plus faire partie de l’organisation. Ce que je t’ai fait, si tu savais comme aujourd’hui…
ORIANE. — Ce que tu m’as fait était douloureux, certes, mais ce dommage collatéral n’est rien comparé au processus historique global qui doit mener à l’éclatement de la bourgeoisie et à la dictature du prolétariat.
JULIEN. — Tu parles comme…
ORIANE, se redressant et sortant une carte pareille à celle de Julien. — Je parle comme ce que je suis, un agent instructeur membre du bureau dictatorial de Nique les bourg’s. (Elle hurle 🙂 Garde-à-vous, mon camarade !
JULIEN, tétanisé, se redressant illico et se mettant au garde-à-vous. — Mes respects, mon camarade !
ORIANE. — Qu’est-ce que c’est que ce merdier, mon camarade ? Tu révèles toutes les arcanes de l’organisation à une inconnue et tu veux nous quitter sans un au revoir ? T’aurais pas viré réac ?
JULIEN. — Absolument pas, mon camarade !
ORIANE. — Alors justifie-toi, mon camarade !
JULIEN. —Eh bien voilà, mon camarade, tout cela vient du fait que ma première cible… ma première cible, mon camarade… c’était toi, mon camarade…
ORIANE. — Et alors ?
JULIEN. —Et alors… et alors… je crois que tu m’as un peu tourné la tête…
ORIANE. — Tactique d’investigation. Tu es tombé dedans comme un bleu. Ressaisis-toi ! N’oublie pas que tu dois mettre ta force productive au service de la Révolution en instaurant un rapport social de sexe favorable à la pénétration du capital par l’aiguillon du travailleur, lequel seul peut créer une brèche propice à la redistribution des richesses pour le prolétariat.
JULIEN. — Oui, mon camarade.
ORIANE. — Fais ton autocritique, mon camarade.
JULIEN. — Moi, camarade Montigny, j’ai failli à ma mission d’agent dormant. J’ai porté atteinte à mon engagement sans faille au service de notre ligue secrète, je me suis laissé amollir par un sentimentalisme bourgeois qui m’a conduit à mettre en danger l’organisation en brisant le silence qui est un de nos piliers.
ORIANE. — Ton autocritique est objective. En conséquence, je te déclare « tigre de papier ». (Elle l’a dit avec un accent chinois.)
JULIEN. — Tigre de papier ?
ORIANE. — Non : (Avec un accent chinois 🙂 Tigre de papier.
JULIEN. — Ah ! (Lui aussi avec un accent chinois 🙂 Tigre de papier ! Oh non, mon camarade, je t’en prie, pas « Tigre de papier ! »
ORIANE. — Tu connais le sort réservé aux tigres de papier ?
JULIEN. — Ils sont signalés au bureau dictatorial qui châtie de façon exemplaire ces traîtres à la cause.
ORIANE. — À présent, telle est ma mission. Faire remonter cette sanction disciplinaire en haut lieu.
JULIEN. — Très bien.
ORIANE. — Un agent instructeur membre du bureau dictatorial ne peut se permettre de déroger au règlement.
JULIEN. — Bien sûr.
ORIANE. — Si je le faisais, je serais moi-même passible d’un stage de rééducation politique.
JULIEN. — Eh oui.
ORIANE. — Ce serait terrible.
JULIEN. — Terrible.
ORIANE. — Prendre ce risque me mettrait en situation critique.
JULIEN. — Affirmatif.
ORIANE. — Pourtant je vais le prendre.
JULIEN. — Quoi ?
ORIANE. — Je ne te dénoncerai pas.
JULIEN. — Merci. (Ils se rapprochent.)
Entrent Isolde et Stéphane.
ISOLDE. — Manifestement, vous avez fait connaissance.
STEPHANE, voyant les épées au sol. — Vous vous êtes battus ?
JULIEN. — Elle m’a donné une bonne correction.
STEPHANE, inquiet, les regardant. — Et tout va bien ?
ORIANE. — Tout va très bien.
ISOLDE, à Julien. — Tu restes dîner avec nous ? C’est le dernier soir d’Oriane.
JULIEN. — Pourquoi pas ?
ISOLDE, à Oriane. — Il n’y a toujours personne après vous. Si vous voulez, vous pouvez rester deux ou trois jours de plus.
ORIANE. — C’est tentant. Je vais y réfléchir.
Intermède
LA VOIX DU RÉCIT. — La fin de l’histoire est proche. Comment la pièce se terminera-t-elle ? Soit Oriane reste quelques jours de plus soit Oriane ne reste pas quelques jours de plus.
Un assistant de la voix du récit apparaît parmi les spectateurs.
LA VOIX DU RÉCIT. — Laissons faire le hasard et jouons cela à la main aveugle. Si le A est tiré, Oriane restera quelques jours de plus. Si le B est tiré, Oriane ne restera pas quelques jours de plus.
L’assistant fait jouer un spectateur/une spectatrice. Puis l’assistant annonce le résultat : « dénouement A/B. »
Si le A est tiré, la voix du récit dit :
LA VOIX DU RÉCIT. — Le hasard a choisi le dénouement A. Oriane reste quelques jours de plus.
Allez au 22. (p.129)
Si le B est tiré, la voix du récit dit :
LA VOIX DU RÉCIT. — Le hasard a choisi le dénouement B. Oriane ne reste pas quelques jours de plus.
Allez au 23. (p. 132)
17. La dernière pierre
Stéphane entre comme un fou.
STEPHANE, apercevant Isolde. — Tiens, tu es là ? Je ne l’ai jamais vu comme ça !
ISOLDE. — Qui ?
STEPHANE. — Julien ! Il cherchait Oriane, apparemment…
ISOLDE. — Oriane… il la connaît, alors ?
STEPHANE. — Il s’est mis à hurler « Marteau et faucille ! »… Il ouvre un magasin de bricolage ?
ISOLDE. — On n’a jamais parlé de ses projets de reconversion…
STEPHANE. — Il s’est mis à courir… à courir… ça ne présageait rien de bon, alors je l’ai suivi. Je l’appelais : « Julien ! Julien ! Attends-moi ! » Mais lui, sans se retourner, il me criait : « Laisse-moi, sale bourgeois ! » Je ne comprenais rien, mais je sentais qu’il allait faire une connerie. Ça n’a pas raté. Il s’est dirigé chez Kerstin, et là, il a ramassé un gros caillou. J’ai mis ma main sur son bras mais il m’a repoussé en me disant : « Rien n’arrêtera la Révolution ! » Quand je me suis relevé, il était déjà entré dans la supérette. Il y avait Mme Zambeault et Puech. Julien a commencé à hurler sur Kerstin : « Sale capitaliste ! Des années que tu nous vends tes produits, à nous, tes amis, tu t’enrichis sur notre dos alors que nous on tire le diable par la queue, c’est immonde ! Et le partage, et la redistribution ? Ça te dit quelque chose, vieille carne ? » La pauvre vieille, elle était tellement surprise qu’elle s’est mise à pleurer. Alors, Julien a hurlé : « Je vais immédiatement procéder à une expropriation prolétarienne ! » Là-dessus, il a piqué une boîte de mini-bountys et il s’est barré à toute blinde. Tout le monde était scié : MmeZambeault s’est vautrée dans les cabécous et Puech a perdu son dentier dans les saucisses sèches. Julien et moi on s’est retrouvés face à face. On étaient tous les deux tous seuls dans la rue. Moi, j’en menais pas large, je peux te le dire, parce que Julien a levé sa caillasse en l’air et j’ai cru qu’il allait me fracasser le crâne. Heureusement, si je peux dire, il s’est retourné vers la supérette et il a lancé la pierre de toutes ses forces dans la vitrine en beuglant : « Vive la Révolution ! » tandis que la glace se brisait en mille morceaux dans un grand fracas. Alors il a ouvert son paquet de mini-bountys, il en a fourré deux ou trois dans sa bouche et il s’est envolé dans les prés en chantant l’Internationale, dont on ne comprenait pas un mot sur deux vu qu’il avait les dents pleines de noix de coco. Quelle histoire… mais quelle histoire… si t’y comprends quelque chose…
ISOLDE. — Je crois que j’ai compris.
STEPHANE. — Je t’écoute.
ISOLDE. — Je pense que Julien a voulu nous laisser un message.
STEPHANE. — Nous ? Qui, nous ?
ISOLDE. — Toi, moi, tous ceux du village. Mais particulièrement toi et moi.
STEPHANE. — Un message ? Il y a un message là-dedans ? Pour nous ? Explique-moi.
ISOLDE. — Cette vitrine, cette glace, c’est Glassac, c’est nos vies. Ce caillou, c’est la force de la détermination et de la colère. Cette force est violente, elle peut provoquer des dégâts. Pourtant, ce mal est peut-être nécessaire pour briser les apparences, faire éclater la vérité, faire tomber les masques.
STEPHANE. — La vérité ? C’est quoi la vérité ? Une pauvre vieille qui chiale, un vioque édenté et une mamie les fesses pleines de chèvre ?
ISOLDE. — Ce tableau cauchemardesque est un symbole, celui des fantômes que nous mettons au placard et que nous refusons de regarder en face. Alors, regardons-les en face.
STEPHANE. — Qu’est-ce que tu vois ?
ISOLDE. — Je vois un homme qui trompe sa femme. Et une femme qui fait semblant de ne rien voir depuis des années.
STEPHANE, après un long silence. — Et qu’est-ce que tu en penses ?
ISOLDE. — Je pense qu’il a perdu le sens de leur vie commune, qu’il ne lui a rien dit, qu’il a trouvé comme il a pu une manière de continuer avec elle, malgré tout. Je pense qu’elle avait tout préparé pour que le cadre autour d’elle soit parfait, qu’elle a fermé les yeux sur ce qui se tramait, de peur de voir une ombre au tableau. Je pense qu’il est lâche. Je pense qu’elle est orgueilleuse. Je pense qu’il n’est pas aisé de trouver des points communs entre une sanisette et une galerie d’art.
STEPHANE, après un long silence. — Tu penses que c’est fini ?
Entre Julien.
ISOLDE, après un silence. — T’as fini tes mini-bountys ?
JULIEN. — Ton mépris de classe ne m’atteint pas.
ISOLDE. — Si tu pouvais nous épargner ton jargon.
JULIEN. — Tu penses que tu peux te moquer des petits ?
STEPHANE. — Julien, je vais te demander de sortir.
JULIEN. — Pour qui tu te prends ? Pour mon maître ? Et moi je suis qui ? Ton valet ? Tu me congédies parce que je fais trop de bruit ?
STEPHANE. — Je te congédie parce que la violence dont tu as fait preuve tout à l’heure m’a glacé le sang.
JULIEN. — Et la tienne ?
STEPHANE. — La mienne ?
JULIEN. — La vôtre.
STEPHANE. — La nôtre ?
JULIEN. — Votre violence ? Tu la condamnes aussi ?
STEPHANE. — Nous ? Isolde et moi ? Nous, violents ?
JULIEN. — Je suis entré chez les Petits Poneys ou quoi ? C’est bien vous qui avez une grande maison, qui vivez bien mais qui, en plus, louez une chambre à des locataires de passage ?
ISOLDE. — Et alors ?
JULIEN. — Mais ça, c’est violent !
ISOLDE. — Violent ? Louer une chambre à quelqu’un, c’est violent ?
JULIEN. — Bien entendu !
STEPHANE. — Ce mec est totalement frappé…
JULIEN. — Mais c’est tellement à la mode… Alors pourquoi se priver ? Aujourd’hui, tout le monde loue quelque chose sur internet. On loue une chambre, on loue un canapé, on loue une place dans une voiture… Vous êtes tellement aliénés que vous ne vous rendez même plus compte de la gravité de votre acte ! C’est à cause de gens comme vous que la marchandisation est considérée comme la norme ! Vous pensiez que votre habitation était un poste de dépenses ? Vous pensiez que votre voiture représenterait une charge ? Erreur ! Votre habitation est un capital, votre voiture est un actif et si vous avez le sens des affaires, vous pouvez en tirer du profit ! Vive ce monde pourri où tout se vend, tout s’achète et où tout le monde trouve ça normal. Considérer son prochain comme un payeur, comme une pompe à fric qu’il faut presser jusqu’au denier centime, qu’il faut racketter au moindre mouvement, c’est pas violent ça ? Non, bien sûr que non, c’est juste normal ! Sales capitalistes !
STEPHANE, empoignant Julien. — Dégage.
JULIEN. — Ce n’est pas toi qui me mets dehors, c’est moi qui m’en vais. De mon propre chef.
Julien sort.
On entend depuis l’extérieur la voix de Julien : « Bande d’exploiteurs ! » Une pierre brise une vitre de la maison et vient s’écraser au sol.
STEPHANE. — Ah l’enfoiré ! Je vais prévenir les gendarmes.
ISOLDE. — Tu crois qu’il faut ?
STEPHANE. — On ne va pas laisser en liberté un fou dangereux pareil ? Tu pourras dormir cette nuit, le sachant tranquillement chez lui ? Juste en face ? Qui nous dit qu’il ne va pas revenir avec un flingue pour finir le travail ?
ISOLDE. — Une pierre là-bas, une pierre ici, tout est brisé. Séparons-nous.
STEPHANE. — Ta décision est prise ?
ISOLDE. — Oui. Je vais aller prendre quelques affaires, m’installer chez ton oncle de Cransac.
STEPHANE. — Si tu crois que…
ISOLDE. — Je te donne mes parts de Bordecarre systems.
STEPHANE. — Tu me les vends ?
ISOLDE. — Je te les donne.
STEPHANE. — Ça représente beaucoup d’argent.
ISOLDE. —Elles ne m’ont rien coûté, c’était ton argent.
STEPHANE. — Je ne comprends pas.
ISOLDE, souriant. — C’est parce que tu n’es qu’un sale bourgeois aliéné par le capitalisme.
STEPHANE. — Tes parts, je ne les prendrai pas.
STEPHANE. — Et les lapins ? Qui va les garder ?
ISOLDE. — Je propose une garde alternée.
Entre Oriane.
ORIANE. — J’ai entendu des cris.
ISOLDE. — Notre voisin ne va pas bien.
ORIANE. — Julien ? Il est chez lui ?
STEPHANE. — Je l’ai vu partir sur les collines. Je vous laisse, je vais à la gendarmerie.
Stéphane sort.
ORIANE. — À la gendarmerie, mais qu’est-ce que ?…
ISOLDE. — Un peu de surmenage… Il a tenu des propos incohérents sur la bourgeoisie, le capitalisme… je n’ai pas très bien compris.
ORIANE, songeuse. — Ah.
ISOLDE. — Ne vous faites pas de souci. Tout rentrera bientôt dans l’ordre. Mais au fait… qu’est-ce que vous faites là ? Vous ne deviez pas ? …
ORIANE. — J’ai réalisé que je n’avais pas vu l’église de Glassac. Un lieu tel que celui-là, abandonné… dommage. Elle est très jolie.
ISOLDE. — Vous avez bien fait de revenir sur vos pas.
ORIANE. — J’ai aimé la descente de croix, sur le bas-côté gauche.
ISOLDE. — C’est un peintre inconnu, mais très doué, baroque.
ORIANE, sortant un petit carnet. — J’ai pris quelques notes. (Elle le compulse et lit, tandis qu’Isolde continue sa réflexion 🙂
ORIANE ET ISOLDE. — « On croirait un Rubens. La robe rouge de la femme au centre contraste avec la pâleur de la peau du Christ. »
Un temps durant lequel elles sont amusées d’avoir prononcé exactement les mêmes paroles. Puis :
ISOLDE. — On croirait que vous avez lu dans mes pensées.
ORIANE. — On croirait que j’ai lu dans vos pensées.
ISOLDE. — Et maintenant ? Qu’allez-vous faire ?
ORIANE. — Je ne sais pas.
ISOLDE. — La chambre est toujours libre. Vous pouvez rester quelques jours.
ORIANE. — C’est tentant. Je vais réfléchir.
Intermède
LA VOIX DU RÉCIT. — La fin de l’histoire est proche. Comment la pièce se terminera-t-elle ? Soit Oriane reste quelques jours, soit Oriane ne reste pas quelques jours.
Un assistant de la voix du récit apparaît parmi les spectateurs.
LA VOIX DU RÉCIT. — Laissons faire le hasard et jouons cela à la main aveugle. Si le A est tiré, Oriane restera quelques jours. Si le B est tiré, Oriane ne restera pas quelques jours.
L’assistant fait jouer un spectateur/une spectatrice. Puis l’assistant annonce le résultat : « dénouement A/B »
Si le A est tiré, la voix du récit dit :
LA VOIX DU RÉCIT. — Le hasard a choisi le dénouement A. Oriane reste quelques jours.
Allez au 24. (p. 134)
Si le B est tiré, la voix du récit dit :
LA VOIX DU RÉCIT. — Le hasard a choisi le dénouement B. Oriane ne reste pas quelques jours.
Allez au 23. (p. 132)
18. Un enterrement
Le cimetière de Glassac.
Isolde, seule, se recueille. Oriane paraît.
ORIANE. — Toutes mes condoléances, Isolde.
ISOLDE. — Oriane ? Vous ? Vous ici ? Mais qu’est-ce que…
ORIANE. — J’ai vu le faire-part dans Le Monde.
ISOLDE. — Et vous avez fait toute cette route pour…
ORIANE. — Je connais le chemin.
ISOLDE. — Merci… Merci ! (Embrassade.)
ORIANE. — Je suis partie dans des conditions un peu… Je voulais venir pour vous dire que… je n’oublierai pas mon séjour chez vous.
ISOLDE. — Pas un très bon souvenir, n’est-ce pas ?
ORIANE. — On sait plus pratiquer l’art raffiné de la nostalgie. Tous les souvenirs sont de bons souvenirs. Les moments pénibles procurent une tristesse d’une qualité rare.
ISOLDE. — J’ai su que vous aviez vite gravi les marches de la réussite.
ORIANE. — C’est vrai. Après mon départ de chez vous, je me suis plongée dans le travail. J’ai arrêté de sortir. Plus de nuits blanches… Je suis devenue directrice. Directrice des Ressources Humaines.
ISOLDE. — Bravo. Ça ne m’étonne pas de vous. Je vous ai tout de suite trouvée très humaine.
ORIANE. — Justement.
ISOLDE. — Justement ?
ORIANE. — L’aspect que je devais travailler.
ISOLDE. — Votre humanité ?
ORIANE. — Oui. Un directeur des ressources humaines est un troubadour chantant les louanges du glaive.
ISOLDE. — Ça me rappelle un poème que j’ai écrit il y a longtemps. Une histoire de glaive et de sang.
ORIANE. — Imaginaire bien masculin, symbole phallique autant que mortifère, Éros et Thanatos.
ISOLDE. — Vous avez changé.
ORIANE. — J’ai traversé les plans de sauvegarde de l’emploi comme des batailles perdues d’avance où l’impensable finit par advenir. Je ne dis plus jamais jamais.
ISOLDE. — Seriez-vous amère ?
ORIANE. — Il faut qu’on le croie. Mais je n’ai pas renoncé. Le poste que j’occupe est idéal pour que la… pour faire surgir un grand changement.
ISOLDE. — Un grand changement ?
ORIANE. — Assez parlé de moi. Et vous ? Vous tenez bon ?
ISOLDE. — C’est dur, même si on s’y attendait. Après votre départ, tout est allé très vite. Stéphane a beaucoup maigri, puis il ne pouvait plus se lever. Les traitements le fatiguaient énormément. Parfois, le cours des événements ne réserve pas de surprise.
Entre Julien.
JULIEN, mettant la main sur l’épaule d’Isolde. — Tu viens chérie ? Tout le monde t’attend.
ISOLDE. — Oriane, je vous présente Julien, mon compagnon. Julien, je te présente Oriane, une de nos locataires estivales. Vous vous connaissez ?
Julien et Oriane se foudroient du regard.
ORIANE, tendant la main. — Bonjour.
JULIEN, rendant mécaniquement la poignée de main. — Bonjour.
ISOLDE. — Vous devez être étonnée.
ORIANE. — Je l’avoue.
ISOLDE. — Lorsque la santé de Stéphane a commencé à décliner, Julien a été très présent. Il m’a beaucoup aidée. J’ai lâché la galerie, ce n’était plus possible, je devais m’occuper de Stéphane. Alors on a commencé à cultiver des légumes. Du bio. Aujourd’hui ça marche pas mal. On fait les marchés alentours. « Isolde et Julien ». Le nom de notre petit commerce. (Silence. Isolde regarde Oriane et Julien.) Tout va bien ?
ORIANE ET JULIEN. — Oui, oui…
JULIEN, mal à l’aise. — Et… vous faites quoi ici ?
ORIANE, mal à l’aise mais plus assurée que lui. — Je suis venue présenter mes condoléances.
JULIEN. — Ah… Vous aviez loué leur chambre ?…
ORIANE. — Il y a quelques années.
ISOLDE. — Cinq ou six ans.
JULIEN. — Et donc… vous êtes revenue ?…
ORIANE. — J’ai gardé de la région, en particulier de Rodez, des souvenirs très forts.
JULIEN. — De… de bons souvenirs ?
ISOLDE. — Il n’y a que de bons souvenirs.
ORIANE. — Des souvenirs qui marquent à jamais.
ISOLDE. — Attention : vous venez de dire jamais.
ORIANE. — En particulier le café des colonnes.
ISOLDE. — Un des plus vieux cafés de Rodez. Julien y avait ses habitudes.
ORIANE. — Tiens ? Quelle coïncidence…
JULIEN. — Quel hasard…
ISOLDE. — Si ça se trouve, vous vous êtes croisés.
ORIANE. — Peut-être…
JULIEN. — Va savoir…
ISOLDE. — Nous avons invité quelques amis autour d’un buffet. Vous vous joignez à nous ?
ORIANE. — Merci. Je vais rentrer.
ISOLDE. — Jamais sans votre moto, ni votre casque ?
JULIEN. — Ni ses épées !
ISOLDE. — Comment tu sais ça ?
JULIEN, après une hésitation. — Elle… elle a un visage qui semble tracé à la pointe d’une épée.
ISOLDE. — Merci d’être venue. Ça nous touche beaucoup. N’est-ce pas, Julien ?
JULIEN, son regard est intense. — Oui.
ORIANE, embrassant Isolde. — Au revoir Isolde. (Elle regarde Julien, reste un moment silencieuse. Elle lui tend la main.) Au revoir. (Poignée de main.) Bonne chance à vous deux.
ISOLDE. — Bonne chance à vous aussi.
Oriane s’en va.
ISOLDE. — Elle avait l’air émue.
JULIEN. — Elle était touchante. Tu viens ?
ISOLDE. — J’arrive.
Julien part à son tour.
Isolde dévoile une fleur, la gratifie d’un baiser et la dépose sur la tombe de Stéphane.
***
19. Un arbre de Noël
Dans le hall de Bordecarre systems.
Paraît Stéphane, déguisé en Père Noël.
STEPHANE. — Ho, ho, ho ! Bonsoir les petits enfants ! Désolé, je suis un peu en retard ! J’avais garé mon traîneau en double file à Bournazel, alors j’ai eu une contravention ! Ensuite, mes rennes ont voulu s’arrêter à Rignac, chez Zouzou, pour boire un coup de blanc ! Et à la fin, j’ai dû faire une halte à Nuces pour changer ma couche confiance ! Et pour ça je suis rentré ? Je suis rentré ? Je suis rentré dans une sanisette Bordecarre systems ! Quelle aventure pour arriver ici, mais quelle aventure… Enfin, rassurez-vous, les petits enfants, tous les cadeaux sont là ! Alors, dites-moi un petit peu, les petits enfants, est-ce que vous avez été sages ? (Les enfants répondent « oui ».) Vous savez qu’avec l’âge, je deviens un peu sourd. Je n’ai rien entendu. Est-ce que vous avez été sages, les petits enfants ? (Les enfants, plus fort encore, répondent « ouiii ».) Attendez une minute… (Il trifouille son oreille.) Ah ! Voilà ! Mon sonotone était mal réglé ! Alors, les petits enfants, est-ce que vous avez été sages ? (Les enfants, à s’en égosiller, répondent « ouiiiiii ».) Ah ! C’est très bien. Alors, si vous avez été sages, vous avez mérité beaucoup de cadeaux ! (Cris, applaudissements.) Et maintenant, attention : le sapin va s’illuminer ! Avec de l’électricité venue directement de la centrale nucléaire du Groenland. Et après on se lamente sur la fonte des glaces… Vous comptez avec moi les petits enfants ? Cinq, quatre, trois, deux, un ! (Musique, applaudissements.) Joyeux Noël à tous ! (Hystérie collective. Stéphane enlève son chapeau et sa barbe.) Il fait chaud là-dedans…
Paraît Isolde.
ISOLDE. — Très beau discours.
STÉPHANE. — C’est la tradition, tu sais bien. Mes employés m’en voudraient si je ne le faisais pas.
ISOLDE. — T’aurais tort de t’en priver. Tu adores ça.
STEPHANE. — Qu’est-ce que tu fais là ?
ISOLDE. — Un client à voir.
STEPHANE. — On m’a dit ce que tu faisais… attends…
ISOLDE. — De l’encadrement.
STEPHANE. — Ah oui… À Bordeaux ?
ISOLDE. — C’est ça.
STEPHANE. — Ça marche ?
ISOLDE. — Comme-ci, comme ça.
STEPHANE. — En ce moment, c’est dur pour tout le monde.
ISOLDE. — Pas pour vous, on dirait.
STEPHANE. — Avant qu’on arrive à supprimer les besoins naturels, on a encore de beaux jours devant nous.
Paraît Julien.
JULIEN, ayant un geste tendre envers Stéphane. — Bravo, mon chéri.
STEPHANE. — Regarde qui est là.
JULIEN. — Oh ! Isolde ! Mais… c’est Noël !
ISOLDE. — Bonjour Julien. Et félicitations ! J’ai appris pour vous deux…
JULIEN. — Merci ! On a été le premier mariage homosexuel de Glassac. On en est très fiers.
ISOLDE. — Et bien vous n’avez pas perdu de temps… Et tes parents, comment ils prennent ça ?
STEPHANE. — Ils sont très vieille France.
JULIEN. — Ils s’y feront. En tout cas, ils sont très gentils. (À Stéphane 🙂 Je vais chercher tes affaires dans mon bureau.
STEPHANE. — Merci mon chéri.
ISOLDE. — Ton bureau ?
JULIEN. — Ben oui.
STEPHANE. — Tu dois pas être au courant. J’ai fait embaucher Julien peu après ton départ. Très vite, ses supérieurs m’en ont dit beaucoup de bien. Il a gravi les échelons, sans aucun favoritisme, je m’empresse de le dire. C’est aujourd’hui notre directeur du design. On s’entend bien. À condition de ne pas parler politique ! Lui, avec son égalitarisme…
JULIEN. — Il est moins réactionnaire qu’il veut le dire ! Depuis mon arrivée, il y a eu plus d’avancées sociales chez Bordecarre systems que depuis dix ans ! Je sens qu’ici je peux… j’ai l’opportunité de faire bouger les choses.
STEPHANE. — Si les avancées sociales peuvent augmenter la productivité… Bref, on inaugure dans trois semaines un modèle qu’il a entièrement conçu, dédié aux chapelles et aux églises. « Aqua Benedicta. » Un combi confessionnal-bénitier-sanisette. Ça va nous ouvrir tout le marché catholique. Un coup de génie. Je t’enverrai un carton. L’évêque de Rodez baptisera l’appareil de sa sainte urine.
ISOLDE. — Je ne sais pas si je pourrai…
JULIEN. — Tu dormiras à la maison.
ISOLDE. — Ça m’étonnerait que j’aie le temps. Je vous laisse. Au revoir.
Isolde disparaît.
STEPHANE. — Elle avait pas l’air bien.
JULIEN. — Dire que si elle était pas partie, on se serait peut-être jamais mariés.
***
20. Un onze novembre
Devant le monument aux morts de Glassac.
Stéphane, lardé d’une écharpe tricolore, s’adresse à ses administrés.
STEPHANE. — Messieurs les anciens combattants, messieurs les porte-drapeaux, messieurs les présidents et responsables des associations glassacoises, mesdames et messieurs les musiciens, mesdames et messieurs les élus et les représentants des corps constitués, régionaux, départementaux et glassacois, mesdames, messieurs, chers concitoyens, célébrer le onze novembre, fêter l’armistice de dix-neuf cents dix-huit, c’est d’abord commémorer l’un des conflits les plus meurtriers au monde. Célébrer le onze novembre, c’est aussi célébrer le jour où la Paix est revenue parmi nous. Pourtant, n’oublions pas ceux qui sont venus égorger nos fils, nos filles et nos compagnes. N’oublions jamais ces Allemands, ces frisés, ces fridolins, ces fritz, ces chleuhs, ces choucroutards ! En effet, ils peuvent encore revenir, ces bouffeurs de saucisses ! Un jour peut-être, l’on entendra encore « Ein Volk, Ein Reich, Eine Moustache » ! Mais alors je suis sûr que vous serez nombreux, bande de petits salopards, à vouloir leur botter le cul nickel ! Aussi je vous y invite, n’hésitez pas à rejoindre la Garde glassacoise, ces civils qui, toutes les nuits, font des rondes dans notre beau village pour le protéger de tous les dangers qui nous menacent : non seulement la haine des austro-boches, mais maintenant le voile, bientôt imposé à nos femmes, la charia qui remplacera la Constitution et la barbarie comme code de conduite ! Aussi nous le proclamons plus que jamais, restons intransigeants pour nos valeurs : le travail, nos familles et notre patrie ! Vive Glassac, vive la République et vive la France !
Marseillaise et applaudissements très nourris.
Paraît Julien.
JULIEN. — Bonjour Stéphane. (Poignée de main.)
STEPHANE. — Bonjour Julien. Ça fait un bout de temps !
JULIEN. — Je n’étais pas revenu depuis plusieurs années.
STEPHANE. — Qu’est-ce que tu fais maintenant ?
JULIEN. — Je vis dans le Languedoc. Je travaille par-ci par-là, dans des exploitations agricoles, selon les besoins. Je change souvent de patron, j’ai ma liberté, mon indépendance. J’ai appris ton élection, bravo.
STEPHANE. — Tout est allé très vite. Puech ne voulait pas se représenter alors j’ai été sollicité pour monter une liste. Je l’ai appelée « Glassac d’abord ». Ça tout de suite marché du feu de Dieu ! Faut dire que depuis les attentats, les gens ont beaucoup réfléchi. Après l’élection, j’ai quitté mon poste de président-directeur général de Bordecarre systems, pour me consacrer pleinement à ma fonction. Je peux te dire que je ne suis pas souvent à la maison. Heureusement, d’ailleurs… Ma première mesure ? L’installation d’un système de vidéo-surveillance dans la cour de la maternelle. Les gamins se tiennent à carreau ! Maintenant, je prépare les législatives.
JULIEN. — J’ai entendu ton discours, c’est… (Il est mal à l’aise.) c’est musclé.
STEPHANE. — Je suis nationaliste, je ne m’en cache pas. Mais jusqu’ici, les nationalistes ont été beaucoup trop sociaux. Or, le national-socialisme, c’est de l’histoire ancienne. Moi, je prône un national-libéralisme.
JULIEN. — Ah… c’est… c’est spécial…
STEPHANE. — À première vue ça peut surprendre, mais quand on y réfléchit bien, ça coule de source. Le national-libéralisme c’est quoi ? On bloque la frontière avec l’Allemagne, on bloque la frontière avec l’Italie, l’Espagne, l’Afrique, on bloque toutes les frontières ! Et à l’intérieur du pays, on débloque l’énergie d’entreprendre. Mais alors, on débloque à pleins tubes.
JULIEN. — Petite remarque : le onze novembre c’est la guerre de 14, mais « Ein Volk, ein Reich, etc. » c’est la guerre de 39.
STEPHANE. — Si tu crois que les gens ont remarqué ! Ils n’écoutent pas les mots mais la musique des mots.
Paraît Isolde.
ISOLDE. — Alors là, bravo ! Non seulement tu fais un discours anti-allemand, mais en plus, tu donnes dans l’islamophobie !
STEPHANE. — Ah je t’en prie, pas encore ton numéro d’hystérique ! De toute façon tu comprends rien à la politique !
ISOLDE. — C’est honteux ! On devrait te confisquer ton écharpe de maire ! D’ailleurs moi je vais te la… Oh… Julien ! (Embrassade.) Qu’est-ce que tu fais ici ?
JULIEN. — Rien… je passais alors comme j’ai entendu…
ISOLDE. — Il faut absolument que tu voies notre dernier modèle ! Ah oui, c’est vrai que tu ne sais pas ! Je remplace Stéphane à la tête de la boîte.
STEPHANE. — Tu sais qu’elle est douée ? Elle vient d’inventer la sanisette littéraire ! Les plus belles pages de la poésie française sont imprimées sur le papier hygiénique.
ISOLDE. — Toi, je t’ai pas sonné ! (À Julien, à part 🙂 Julien, sauve-moi, je t’en prie, il est devenu complètement cinglé, j’en peux plus, dis-moi où t’es garé, je te rejoins et on…
JULIEN, effrayé. — Je m’en vais, je suis en retard. Au revoir, et bonne chance.
Julien disparaît.
ISOLDE, après un temps. — Il n’a pas changé.
STEPHANE. — Nous, si. On vieillit.
ISOLDE, après un temps. — Stéphane ? (Un temps.) Tu crois au destin ?
***
21. Une messe de minuit
Dans l’église de Glassac.
Julien, en tenue de prêtre.
JULIEN. — Frères et sœurs dans le Christ, que sommes-nous venus chercher en cette fête de Noël ? Qu’attendons-nous de la Nativité du Christ ? Qu’attendons-nous du Christ lui-même ? D’où vient notre joie aujourd’hui ? Les retrouvailles avec ceux qui nous sont chers ? L’attendrissement devant un nouveau-né ? Ou bien le rêve d’une paix partagée ? Pour comprendre la question avant que de savoir y répondre, il faut prendre conscience de l’étonnant projet de Dieu : l’Alliance. Alliance entre Celui qui est de tous les temps, de tous les lieux, qu’on ne peut représenter, et nous, qui ne passons que quelques années sur terre, exaltés mais limités par notre enveloppe charnelle périssable. De quelle façon la Toute-puissance de Dieu et la liberté des hommes peuvent-elles coexister ? Car si Dieu réalise son projet eh bien l’Homme n’est plus libre et si l’Homme est libre alors il peut faire échouer le projet de Dieu. Il peut pactiser avec le côté obscur de la force. Pourtant, en un avenir meilleur, je crois. La conduite à suivre, je veux vous dire. Si jamais des actes condamnables vous voyez, votre lame dégainez ! (Alors que monte une musique martiale, il sort un sabre laser.) Nous, les rebelles, contre l’Empire, jusqu’au bout nous nous battrons ! Et ensemble les valeurs de Justice et de Paix nous porterons ! Vaillants Padawans, que la force soit avec vous !
Paraissent Oriane et Stéphane, bras dessus bras dessous.
STEPHANE. — Bravo, Julien !
JULIEN, rectifiant. — Mon père.
ORIANE. — C’était extraordinaire, Julien, euh…
JULIEN, rectifiant. — Mon père.
STEPHANE. — Pourtant au début, quand tu as créé cette « Église des Jedis », j’avoue que je n’y croyais pas.
ORIANE. — Il y a de plus en plus de fidèles.
JULIEN. — On cherche perpétuellement du sens à sa vie. Avant, je voulais changer le monde, mais j’étais sur une pente… une mauvaise pente… Ici, j’ai le sentiment d’apporter que du positif aux gens.
STEPHANE. — Comment tu as eu le… la… l’illumination ?
JULIEN. — Un jour, je me promenais sur le Causse, et en voyant un chasseur de l’armée passer dans le ciel, j’ai pensé à Star Wars.Et je me suis dit : mais bien sûr ! Qu’est-ce que Star Wars, sinon une relecture de La Bible ? J’ai retapé l’église, et voilà ! Et vous ?
STEPHANE. — Tu ne connais pas ma femme ? Depuis qu’on est à Millau, on vient rarement à Glassac. Oriane est devenue la nouvelle directrice des ressources humaines de Bordecarre systems.
JULIEN, regardant Oriane. — On ne se serait pas déjà rencontrés ?
ORIANE, après avoir hésité. — Non.
JULIEN, leur montrant un livre. — Au fait, vous avez vu ça ? Le dernier livre d’Isolde.
STEPHANE. — Elle écrit ?
JULIEN. — Elle est devenue psychanalyste.
ORIANE. — C’est quoi le titre ?
JULIEN. — Le Talent, la chance et le destin. Vous m’excusez ?
Julien disparaît.
ORIANE, regardant l’heure. — On sera pile à l’heure chez Marie et Pierre.
STEPHANE. — Justement, je n’ai pas dit, mais tu iras sans moi. J’ai calé un cours de guitare.
ORIANE. — Un dimanche ?
STEPHANE. — Je sais, c’est pas pratique. Mais c’était le seul moment où le prof était disponible. Je t’ai expliqué, pour moi, comme c’est important, ces cours de guitare.
***
22. Une école en fête
L’école nouvelle de Glassac.
Oriane est en plein discours.
ORIANE. — Merci à tous. Notre école nouvelle croit aux pédagogies nouvelles, notre école nouvelle croit à l’instauration d’un nouveau rapport entre le maître et l’élève. Le maître ne doit plus être le détenteur autoproclamé et autoritaire du savoir. Il ne doit plus être devant l’élève mais à ses côtés, pour l’aider à construire lui-même ses propres connaissances, et ainsi, en faire un citoyen du monde moderne, solidaire et humaniste. Depuis l’ouverture de notre établissement, les inscriptions n’ont cessé d’augmenter. Et c’est pourquoi j’ai le grand plaisir de vous annoncer l’ouverture à la rentrée prochaine d’une classe supplémentaire, qui sera dirigée par monsieur Julien Montigny. Il travaille avec nous depuis trois ans comme assistant de vie scolaire. Il vient d’obtenir son master, et nous sommes heureux de l’accueillir dans l’équipe enseignante. (Un temps.) Alors ?
Un ours paraît et se dirige avec un grognement vers Oriane, qui a peur. L’ours enlève son masque : c’est Julien. Il rit.
JULIEN. — C’est mon déguisement pour le spectacle ! Les enfants vont adorer !
ORIANE. — T’as rien écouté ?
JULIEN. — Si. Très bien. Le passage sur le master… je ne sais pas si…
ORIANE. — Au contraire, ça rassure les parents et ça montre ton implication. Et puis, reprendre des études… je suis si fière de toi. (Ils s’étreignent.) On a bien fait. Bien fait de les quitter.
JULIEN. — Nos camarades ? Ils ne me manquent pas.
Paraît Isolde.
ISOLDE. — Oriane ? Julien ? Bonjour ! Quelle belle fête ! Et quelle réussite ! (Montrant le déguisement 🙂 Et ça ! Irrésistible !
ORIANE. — Isolde !
JULIEN. — Bonjour Isolde.
ISOLDE. — Vous avez tout plaqué l’un et l’autre pour monter ce projet, et votre succès est amplement mérité. Tout le monde en parle.
JULIEN ET ORIANE. — Merci !
ISOLDE. — Glassac, capitale de l’Éducation nouvelle !
ORIANE. — Vous êtes ici quelques jours ?
ISOLDE. — Juste le temps de prendre deux ou trois choses. L’acquéreur s’installe dans quinze jours. Vous savez, on ne peut pas rester longtemps éloignés de Toulouse. L’état de santé de Stéphane ne le permet pas.
JULIEN. — Il n’est pas venu ?
ISOLDE. — Si. Mais je l’ai laissé à l’ombre pour ne pas le retrouver rouge comme un homard ! Je vais le chercher.
Isolde disparaît.
JULIEN. — Elle a l’air en forme.
ORIANE. — Elle est belle.
Isolde reparaît, poussant un fauteuil roulant dans lequel Stéphane, immobile, est seulement agité de quelques mouvements nerveux répétitifs.
ISOLDE. — Chaud devant ! Attention, on arrive ! Et voilà ! C’est nous ! Dis bonjour, Stéphane ! Stéphane ? (À Oriane et Julien:)Cet AVC c’est une horreur. On ne sait jamais s’il dort ou s’il… En plus je crois qu’il a une perte d’audition… (Lui parlant très fort 🙂 Chéri ! Tu les reconnais, c’est Oriane et Julien !
Stéphane, incapable de parler, émet pourtant des sons rauques comme s’il voulait dire quelque chose.
ISOLDE, traduisant, comme si elle comprenait les borborygmes de Stéphane. — Il vous dit bonjour. (Borborygmes.) Il apprécie beaucoup la façon dont vous avez rénové la vieille école. (Borborygmes.) Il demande si vous n’avez pas besoin d’une sanisette. On se refait pas… c’était sa grande passion… (Borborygmes.) Par contre, il se demande si la grille… si la grille… si la grille quoi ? (Borborygmes.) Articule, je comprends rien. (Borborygmes.) Oui, je sais c’est dur, mais tu pourrais quand même faire un effort. (Borborygmes.) Oh ! Le mufle ! (À Julien et Isolde 🙂 Heureusement, vous n’avez pas compris. Son langage est toujours très fleuri. On va vous laisser, il commence à fatiguer. Bonne chance à vous ! Au revoir. (À Stéphane 🙂Allez pépère, on y va. (Borborygmes.)
Isolde disparaît.
ORIANE. — Dire que si je n’étais pas restée un jour de plus, on n’en sera pas là…
JULIEN. — Qui peut dire ce qui se serait passé, si tu n’étais pas restée un jour de plus ?
***
23. Un soir de Saint-Sylvestre
Devant la supérette de Kerstin.
Stéphane paraît, une bière à la main, ivre.
STEPHANE. — Mais t’inquiète… c’est la dernière, je te dis… merde !… j’ai quand même le droit de boire un petit coup… merde !… nom de dieu… Putain qu’il fait froid… (Il remonte le col de son manteau.)
Paraît Oriane.
ORIANE. — Bonjour monsieur, excusez-moi, auriez-vous du feu s’il vous plaît ?
STEPHANE. — Naaan, j’ai pas…
ORIANE. — Tant pis. (Sortant un papier.) Je peux me permettre de vous laisser un tract pour les départementales ?
STEPHANE. — Foutez-moi la paix avec vos conneries de merde de politique à la con…
ORIANE, pincée. — Vous pourriez être poli.
STEPHANE. — Poli, poli… c’est toi qui viens tapiner ! Un jour de réveillon…
ORIANE, le regardant. — Stéphane ? Tu ne me reconnais pas ? Oriane !
STEPHANE, la reconnaissant. — Oh lala… Oh lala… Mais qu’est que tu fais là ?
ORIANE. — Je suis en campagne, pour l’élection anticipée de janvier.
STEPHANE. — Tu… tu te présentes ?
ORIANE. — Pas moi. Notre candidat. Je suis venue le soutenir.
STEPHANE. — Ah ouais ?… et c’est quoi ton machin ?
ORIANE. — Le Front du peuple.
STEPHANE. — Ah non non non… beaucoup trop à gauche pour moi… Mais alors t’es plus dans les Dérerhache ? Dans les Drérerhache ? Dans les Drecherhachehache ? Oh merde !… Tu bosses plus dans ta boîte d’abrutis là ? …
ORIANE. — Je me suis engagée pleinement. Je suis députée européenne.
STEPHANE. — Ah ! Donc, tu bouffes avec notre fric ?
ORIANE. — Et toi ?
STEPHANE. — Aaaah… moi, c’est la très grande forme. Je pète le feu ! Isolde… elle s’est barrée aux USA… elle a vendu ses parts de la boîte aux salariés… et moi, comme je commençais à avoir des petits problèmes… ils m’ont viré, ces connards…
ORIANE, après une hésitation. — Et… Et Julien ?
STEPHANE. — Il s’est barré aussi… Mais… tu vas rigoler… une fois, à la télé… je crois bien que c’était lui… je pense que je l’ai vu sur des images… une manif contre le jet 27… le jet 7… le G8… en Allemagne…
ORIANE. — Bien, je te laisse. Je remonte en Auvergne, passer le réveillon chez des amis.
STEPHANE. — Parfait… parfait…
ORIANE, sortant une carte. — Si jamais tu as besoin de quoi que ce soit… appelle-moi.
STEPHANE, prenant la carte. — Merci.
Oriane disparaît. Stéphane déchire la carte d’Oriane et jette les morceaux.
STEPHANE. — Kerstin ! Tu m’en ramènes une autre ? Tu mets sur mon compte, comme d’hab… ah et puis… tu me rajoutes une bouteille de whisky pour ce soir… Hein ? Mais non, ça ira… y a une rediff de Benny Hill à la télé… (Un silence.) Mais quelle vie de merde… À un moment… j’ai dû faire une connerie… mais quoi ?
***
24. Un anniversaire
Une galerie d’art.
Isolde paraît sous les applaudissements.
ISOLDE. — Merci, merci… Merci à tous d’être venus. Votre présence ce soir nous touche beaucoup. Lorsque nous sommes arrivées, voici trois ans, nous étions pleines d’espoir. Nous avons trouvé ce lieu et nous avons tout de suite senti que nous pouvions en faire quelque chose, que nous pouvions en faire la galerie dont nous rêvions. Son nom s’est vite imposé à nous : Intersections. Intersections, car l’artiste est celui qui sait réunir, croiser, faire se rencontrer des éléments, des désirs, des sensations, des sentiments que la vie aurait tenus disjoints. Parce que qu’est-ce que l’existence, qu’est-ce que la création artistique, si ce n’est une déambulation sur un chemin qui présente à nos yeux une intersection entre plusieurs routes, et puis une autre, et encore une autre, tandis que nous prenons une voie pour délaisser les autres ? Pour Intersections notre projet était non seulement de promouvoir des artistes locaux, ancrés dans un territoire, mais aussi d’accueillir des artistes d’envergure nationale et internationale. C’est aujourd’hui chose faite, puisqu’il nous fait l’amitié de nous confier vingt-quatre de ses plus récentes et intéressantes créations, j’ai nommé Matthijs van den Dool. Merci Matthijs. (Applaudissements.) Cette galerie, vous le savez, est bicéphale. C’est un travail à deux, une intersection de deux personnes, deux sensibilités, deux réflexions. Elle a su développer notre activité au-delà de ce que j’aurais pu imaginer, je la remercie pour son engagement sans faille et je vais l’inviter à me rejoindre : Oriane.
Oriane paraît, sous les applaudissements, et se place à côté d’Isolde.
ISOLDE. — Voici trois ans, nous sommes arrivées dans cette belle ville de Toulouse avec des rêves plein la tête. Nous voulions écrire à deux une histoire, professionnelle et intime. Fêter les trois ans d’Intersections, c’est tout autant fêter notre rencontre, à Oriane et à moi. Cela aussi nous voulions le partager avec vous. C’est pourquoi je fais ma demande devant vous, avec vous : Oriane, veux-tu m’épouser ?
ORIANE, surprise et heureuse. — Oui !
Elles s’étreignent sous les applaudissements.
ISOLDE. — Que la fête commence !
Paraît Stéphane, il est médusé par tout ce qu’il vient de voir et d’entendre.
ISOLDE. — Tu étais là ?
STEPHANE. — De passage à Toulouse pour voir un client. Ça marche bien pour vous.
ISOLDE. — C’est incroyable !
STEPHANE. — Par contre, machin van den truc, je comprends rien. Cet écran de télé découpé en deux qui déverse de la sauce bolognaise sur un aigle empaillé…
ISOLDE. — Une critique virulente des mass-médias ! Tu as des nouvelles de Julien ?
STEPHANE. — Tu sais pas ? Il est en prison.
ISOLDE. — Non ?
STEPHANE. — Il avait renversé du goudron et des plumes sur le directeur du Crédit agricole de Decazeville.
ORIANE. — Isolde, La Dépêche du Midi…
ISOLDE, à Stéphane. — Tu m’excuses…
Isolde disparaît, entrainée par Oriane.
STEPHANE, seul. — Isolde ! … Isolde ! … On s’appelle ?
***
Épilogue
LA VOIX DU RÉCIT. — Ainsi se termine notre histoire, pour cette fois. Une autre fois, il se pourrait qu’elle ne se déroule pas exactement de la même façon. Cela dépendra de la part du hasard.
FIN
DE
LA PART DU HASARD
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