Écrire une comédie, ce n’est pas simplement enchaîner des vannes dans un dialogue. Cette dernière configuration se rapporterait au comique de mots, une des nuances du registre comique. Certes, ce dernier est très présent dans la comédie, mais on peut le trouver également dans d’autres genres. Ce n’est donc pas le comique qui est au cœur battant de la comédie, qui est un genre très pratiqué par Rivoire & Cartier. On a d’ailleurs fait le point sur notre propre production de comédies dans un article spécifique. Dans l’article que vous allez lire ici, vous découvrirez le fonctionnement de la comédie, son rapport au comique ainsi que des cadres pour vous lancer vous-même dans l’écriture d’une comédie pour le théâtre.
Comédie et comique
Les fondements émotionnels des genres théâtraux
Certains genres dramatiques se structurent autour d’une émotion humaine fondamentale. La tragédie, par exemple, repose sur la Crainte et la Pitié. Le public craint de voir le héros tomber dans les gouffres que le destin lui prépare. Une fois que le héros a buté sur ce qui a causé sa chute, la pitié se répand parmi les spectateurs et spectatrice. Aristote explique ce mécanisme dans sa Poétique. Le schéma se vérifie dans les tragédies de Sophocle, sur lesquelles il travailla. À l’inverse, la comédie repose sur un sentiment de joie ou de bonne humeur, comme on pourrait le supposer au départ. De manière contre-intuitive, le genre joue sur le sentiment de supériorité physique ou sociale. En se moquant des travers de l’humain, elle fait rire en exposant les décalages entre ce à quoi les personnages prétendent et réalité contre laquelle ils viennent se fracasser.
Le mécanisme du rire
`Le rire naît d’un écart perçu instantanément entre une version idéalisée et une réalité bien plus triviale — à condition, et c’est là encore une leçon d’Aristote, que la chute ne soit pas trop douloureuse pour le personnage. Glisser sur une peau de banane, c’est drôle. Se blesser gravement au point d’être entre la vie et la mort, beaucoup moins. Cette dynamique est au cœur de la mécanique comique. Le comique est d’ailleurs un registre auquel nous avons beaucoup recours, comme nous le disons dans cet article.
Henri Bergson identifie trois formes de dévalorisation qui déclenchent le rire, la réduction d’un personnage :
- à l’état d’animal : comportement corporel,
- à l’état d’enfant : réactions excessives,
- à l’état de machine : réactions mécaniques ou froides.
Ces formes sont en fait la manière dont inadéquation sociale ou émotionnelle des personnages se traduit de manière symbolique.
Une vision critique de l’humain en société
Contrairement aux récits fondateurs présents dans l’épopée, Illiade ou Odyssée, la comédie est une forme tardive, née d’une société davantage structurée. La comédie en dévoile les travers : failles mentales des êtres qui la constituent, comportements absurdes, inégalités. La science-fiction, partant d’une intervention scientifique, montre comment le collectif peut fonctionner harmonieusement et lutter contre ses travers. La comédie, au contraire, montre les dysfonctionnements du collectif.
La comédie repose en effet sur un tropisme obsessionnel — la poursuite démesurée d’un objectif — qui mène à des comportements ridicules. Par exemple, Monsieur Jourdain, dans Le Bourgeois gentilhomme, n’a de cesse que d’adopter les us et coutumes de la noblesse. Le héros comique se cache derrière des apparences pour réussir, mais son masque l’isole davantage. Le récit suit alors la chute de ces faux-semblants, lesquels, lorsqu’ils s’évaporent, mènent à une forme de réconciliation sociale. On d’ailleurs fait le point sur plusieurs formes de comiques chez Molière, dans un article que vous trouverez ici. Dans Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, les valets jouent aux maîtres et inversement, ce qui entraîne une belle confusion, jusqu’à ce que les masques tombent et que les véritables sentiments soient exprimés.
Le fond idéologique de la comédie est paradoxal : elle ridiculise l’excès tout en prônant, à travers l’humour, une forme de tolérance et d’acceptation des imperfections humaines.
Une philosophie du rire et de l’échec
La comédie en tant que genre propose une véritable philosophie du rire et de l’échec, qui réside dans une certaine vision du monde. Elle est à la fois critique et positive.
Vision critique :
- Les individus ignorent l’influence du collectif sur eux : Les Femmes savantes de Molière ignorent tout du mouvement précieux qui place le savoir au cœur de nouvelles préoccupations féminines d’une certaine élite, et qu’elles alourdissent par un jusqu’au-boutisme déraisonnable.
- Les rôles sociaux priment sur l’identité véritable : tout vaudeville est construit sur l’opposition entre une union amoureuse officielle et une union officieuse qui doit être tue pour préserver les apparences de la première.
- Les objectifs humains sont souvent absurdes : tout Le Chapeau de Paille d’Italie d’Eugène Labiche repose sur la recherche du simple objet cité dans le titre.
- L’action produit fréquemment l’inverse de ce qui est espéré : ainsi, Harpagon, le fameux avare de Molière, prévoit une déclaration d’amour pour charmer la jeune Marianne, qui est épouvantée en l’écoutant.
Vision positive :
- L’humain reste fondamentalement bon sous les masques : si les femmes se travestissent chez Shakespeare ou Marivaux, c’est pour mieux débusquer l’amour ou rétablir leurs droits.
- Le rire dédramatise tous les conflits.
- Remettre en question l’ordre établi est salutaire, car cela permet de dénoncer les abus du système, tels l’hypocrisie mondaine dans Le Misanthrope de Molière.
- La société se renouvelle malgré ses échecs : c’est une des significations du mariage heureux que l’on trouve au dénouement chez Molière.
À noter : En mettant à bas les illusions individuelles, la comédie ouvre la voie à une refondation du groupe sur des bases plus sincères.
Comparaisons avec d’autres genres
- Comédie et Drame : Là où le drame se cale sur la progressive lucidité du héros, ainsi qu’on le voit dans Maison de Poupée d’Ibsen, la comédie enchaîne des chutes brèves et humiliantes.
- Comédie et Horreur/Thriller : Les deux genres réduisent le personnage. Mais la comédie l’épargne, là où l’horreur le détruit. Le rire remplace la peur.
- Comédie et tragi-comédie : La tragi-comédie exalte la compétence du héros, comme dans Le Cid de Corneille ; la comédie met en scène l’incompétence avec un effet fédérateur.
- Comédie et Épopée : Du héros mythique tel qu’Achille ou Ulysse, pour aboutir au héros ironique, la comédie moderne s’ancre dans une tradition critique initiée par Don Quichotte.
- Comédie et Polar : Là où ce genres dépeint les dérèglements sociaux dans une vision parfois pessimiste, la comédie les tourne en ridicule pour mieux y survivre.
La structure de la dramaturgie comique
- Une situation initiale fondée sur l’isolement : personnage marginal ou maladroit
- Désir intense : poursuite obsessionnelle d’un but
- Masque social : simulation d’une version idéalisée de soi
- Enchaînement de chutes : chaque tentative échoue, dévoilant le décalage entre l’apparence et la réalité
- Effondrement : la façade ne tient plus
- Crise : confrontation brutale avec soi-même et les autres
- Réintégration et formation d’un nouveau collectif : le groupe se reforme, plus sincère
La comédie repose sur un double mouvement : elle s’attaque à ce que l’on croit et à la force avec laquelle on y croit.
Les archétypes comiques
L’écriture d’une comédie se fonde d’abord sur des personnages. Ces derniers peuvent se ramener à des archétypes très utilisés dans toute la tradition de la comédie.
Principe fondateur : l’écart comique
Chaque archétype comique se fonde sur une tension incluse dans un écart entre deux pôles : un point haut et un point bas.
- Le point haut : illusion de grandeur et de compétence
- Le point bas : la faiblesse réelle, naïveté, ridicule
Archétypes :
- Le Benêt : se croit irrésistible, est un désastre ambulant.
- Le Niais : optimiste mais sous-estimé.
- Le Raisonneur : arrogant, mais se trompe constamment.
- L’Hypocrite : joue le sincère, mais est creux.
- La Princesse : croit que tout lui est dû, découvre qu’elle est comme les autres.
- L’Aristocrate : poseur élitiste, démasqué dans des situations triviales.
- Le Rustre : transgresse les codes avec force et absurdité. C’est un personnage directement issu de la farce, genre dont nous avons parlé dans un article à part.
- L’Arnaqueur : manipulateur en quête de liberté.
- L’Ange voyageur : catalyseur de joie, sans besoin de transformation.
Tous ces personnages possèdent des besoins psychologiques (confiance, authenticité) et parfois des besoins moraux(cesser de manipuler, devenir altruiste).
La différence entre un besoin psychologique et un besoin moral est que ce dernier a un impact sur les autres membres de la communauté.
La comédie, loin d’être frivole, est une forme exigeante et lucide. Elle révèle nos contradictions avec humour, sans jamais désespérer de l’humain. C’est cette bienveillance ironique qui en fait un genre à part, toujours vivace.
Construire la structure d’une comédie
Une fois vos personnages créés, soit qu’ils correspondent exactement aux archétypes soit qu’ils s’en écartent, il va falloir bâtir la trame dramaturgique qui va constituer le squelette de votre comédie. Voici quelques points à ne pas négliger.
Déclencheur narratif et saute-mouton
L’élément perturbateur vient de l’extérieur et crée le désir du héros. Par exemple, Harpagon voit passer la jeune Marianne dans la rue et conçoit le désir de l’épouser. Pour structurer les 5 actes de sa comédie, Molière alterne scènes d’intrigue et moments comiques selon la technique du “saute-mouton” : une scène qui fait avancer cette intrigue amoureuse, un gag montrant l’avarice d’Harpagon, puis une autre scène, etc. Cela assure une dynamique croissante jusqu’au final.
Un désir conjugué à l’incompétence
Le héros comique poursuit un objectif simple — réussir ou séduire — avec une intensité disproportionnée. Cette obsession le précipite dans des catastrophes dont il est lui-même responsable. Plus son désir est grand, plus son incompétence est flagrante. Ainsi, Moulineaux, dans Tailleur pour Dames de Georges Feydeau, enchaîne mensonges sur mensonges pour couvrir ses frasques. Or ces mensonges vont progressivement se retourner contre lui et le forcer à avouer ce qu’il voulait cacher.
L’opposition à quatre coins
La comédie fonctionne comme une microsociété. Plutôt qu’un simple duel héros/opposant, on construit une opposition entre quatre personnages (ou plus), chacun représentant un type de réduction comique (animal, enfant, machine) et des valeurs contrastées. Cette diversité crée une richesse de situations et multiplie les sources de rire. Par exemple, dans Oscar de Claude Magnier, l’opposition se construit entre Barnier (enfant capricieux), sa fille (enfant également), sa femme (machine détachée) et le masseur (animal, ne jouant qu’avec son corps.)
La spirale du cauchemar
Chaque révélation ou rebondissement est une version toujours plus extrême d’un cauchemar comique correspondant spécifiquement au personnage. Le héros est confronté à ce qu’il redoute le plus, et cette montée en pression se termine souvent dans un chaos jubilatoire : Harpagon constate que son fils a fait des dépenses inconsidérées. Alceste, le Misanthrope de Molière, est amoureux de Célimène, qui se meut comme un poisson dans l’eau au milieu de mondanités que déteste Alceste. Dans La Cage aux Folles de Jean Poiret, Albin et Renato sont contraints de recevoir le représentant d’un parti politique favorable à l’ordre moral.
Le plan : stratagèmes et déguisements
Pour atteindre leur but, les personnages montent des stratagèmes souvent absurdes. Le déguisement (physique ou symbolique) devient une métaphore de leurs faux-semblants. Plus le costume est contraignant, plus il force le personnage à se confronter à sa propre faiblesse. C’est souvent l’occasion de la mise en place de quiproquos, outils comiques par excellence, auxquels nous avons consacré un article.
La prise de conscience de soi
Dans certaines comédies, le héros vit une révélation personnelle : il comprend que son objectif initial ne valait pas tous les mensonges accumulés. Il accepte sa vulnérabilité et retrouve sa place dans la communauté. C’est le cas d’Orgon, dans Le Tartuffe, qui comprend au dénouement qu’il a été abusé par un hypocrite et qui revient vers sa famille. D’autres comédies, plus subversives (comédie noire, satire) évitent cette étape, laquelle ne se trouve, pour rester chez Molière, ni dans L’Avare ni dans Le Misanthrope, dans lesquelles le héros est profondément isolé lors du dénouement : Harpagon reste seul avec sa cassette pleine d’or, tandis qu’Alceste se retire du monde dans un « désert ».
L’équilibre final : mariage ou communauté
La comédie se clôt souvent sur une union (mariage réel ou symbolique), signe d’un ordre rétabli. Mais certaines œuvres proposent une fin désabusée où rien ne change. La comédie noire, en particulier, joue sur cette ambiguïté.
Les sous-genres comiques : une diversité féconde
Comédie romantique
C’est une histoire d’amour racontée sur un mode comique, oscillant sans cesse entre légèreté et gravité. La Porte à côté de Roger-Lacan en est un parfait exemple. L’humour naît souvent de la difficulté des protagonistes à conjuguer désir et sincérité, jusqu’à une révélation qui transforme leur rapport à l’amour.
Comédie shakespearienne
Chez Shakespeare (Le Songe d’une nuit d’été, Beaucoup de bruit pour rien…), la comédie repose sur des malentendus, des déguisements – souvent de genre, on parle alors de travestissement – , la confusion entre jumeaux, les jeux de langage amoureux et des personnages qui jouent des rôles pour atteindre leurs fins. La mise en abyme ou théâtre dans le théâtre, souligne la dimension réflexive de cette comédie.
Vaudeville
On a traité de ce genre dans notre article sur Feydeau et celui sur le Théâtre de Boulevard. C’est le genre de la complication et de la vitesse, la farce met en scène de nombreux personnages courant tous après un même objet ou objectif, souvent dérisoire. Cela souligne l’absurdité des désirs humains. Le comique est dans l’intensité de la poursuite et la coordination millimétrée des actions. Exemples : Un chapeau de paille d’Italie d’Eugène Labiche, La Dame de chez Maxim de Georges Feydeau.
Comédie de l’ange voyageur
Un personnage parfait, souvent fantasque, arrive dans une communauté en crise, aide chacun à résoudre ses problèmes, puis disparaît. Mary Poppins reste l’exemple le plus iconique de cette structure. Cette figure d’ange répare le tissu social en provoquant une série de transformations individuelles. Le genre fusionne comédie, conte et parfois romance amoureuse.
Comédie noire
Genre subversif par excellence, elle montre des systèmes absurdes et destructeurs dans lesquels les personnages sont piégés. Personne n’apprend rien, et tout recommence. Exemples : The Gazebo, comédie britannique d’Alec Coppel et Myra Coppel. Un auteur comique à succès, qui est victime d’un maître-chanteur qui menace de dévoiler les origines familiales douteuses de sa femme, une actrice célèbre. Résolu à se débarrasser de lui, l’auteur prétexte l’écriture d’une pièce policière afin de recueillir les ingrédients du crime parfait auprès d’un ami avocat. Le rire est ici grinçant, né du constat que la logique obsessionnelle du personnage est folle et sans issue. De notre côté, nous avons également une comédie noire intitulée Coriaces, que nous présentons dans cet article.
Comédie satirique
La satire s’attaque aux croyances dominantes d’une société. Elle montre des personnages tentant de réussir dans un système absurde, jusqu’à en découvrir l’inanité. Parfois, le héros détruit le système, mais le plus souvent, tout continue comme avant. Exemple : Le Moche de Marius Von Mayenburg. Un ingénieur talentueux, spécialiste de composants techniques pour l’industrie automobile, découvre brutalement une vérité que nul n’avait osé lui dire : son apparence physique serait un obstacle au succès de son entreprise. Son supérieur, craignant un impact négatif sur l’image de la société, le déprogramme d’un congrès où il devait présenter ses innovations. Ce rejet inattendu bouleverse son existence. Convaincu que son visage est un frein à sa reconnaissance professionnelle, il choisit de recourir à la chirurgie esthétique pour modifier entièrement ses traits. Ce basculement vers une quête de conformité interroge le rapport entre image, reconnaissance sociale et identité profonde. La satire et l’ironie sont 2 registres que nous pratiquons beaucoup, nous nous en expliquons dans cet article.
La leçon de la comédie
La comédie affirme que le monde est absurde et dysfonctionnel, mais qu’on peut y survivre en riant. Elle révèle nos mensonges et nos contradictions, non pour nous condamner, mais pour nous inviter à vivre plus honnêtement — avec les autres et avec nous-mêmes.
Elle répond à la question universelle : comment grandir ?
En abandonnant les masques, en acceptant nos limites, et en riant de ce que nous sommes vraiment.
La sagesse comique
Tous ces sous-genres prolongent la même leçon : vivre ensemble exige une forme d’acceptation lucide de nos failles. La comédie, loin d’être un divertissement mineur, devient un art moral, un miroir qui nous invite à moins nous prendre au sérieux tout en continuant à chercher le bien.
Elle nous dit : n’essayez pas d’être parfait — soyez humains, et riez-en.
La comédie, en dernière analyse, est un art de vivre.
Sources
- ARISTOTE, La Poétique
- BERGSON, Henri, Le Rire
- TRUBY, John, The Anatomy of Genres
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