Dernière diligence pour Kansas City

Textes jouables par 8

ACCÉDEZ GRATUITEMENT AU TEXTE DE LA PIÈCE EN CLIQUANT SUR LE BOUTON CI-DESSOUS



Que feriez-vous si vous voyagiez avec une criminelle notoire ?

Accordez-nous moins d’une heure vingt de lecture et plongez votre public dans une comédie western explosive, pleine d’humour et de rebondissements (même si vous avez peu de moyens).

Avant de vous en dire plus, on a 3 questions rapides à vous poser :

🆘 Vous en avez assez de jouer uniquement des comédies et des vaudevilles ?
🆘 Vous fuyez les histoires dont les personnages ne sont que des fantoches ?
🆘 Vous refusez de monter un texte qui ne donne pas à réfléchir ?

Si vous avez répondu oui à au moins deux questions, alors lisez vite ce qui suit !

Voici le résumé de Dernière Diligence pour Kansas City :
Le shérif Jim Patch escorte Josie Whip Chapman, une truande aussi redoutée que charismatique, vers son bureau de Silent Valley. Mais une halte imprévue dans le saloon délabré de Scorpion Post bouleverse leurs plans. Des voyageurs au passé trouble, une tempête de neige et des secrets enfouis transforment ce périple en un affrontement explosif. Entre humour, tension dramatique et révélations, cette comédie western revisite avec brio les clichés du Far West.

En accédant au texte intégral de Dernière Diligence pour Kansas City, vous obtiendrez un fichier PDF de 85 pages pour un poids ultra-réduit de 581 Ko, téléchargeable sur votre ordinateur, votre tablette, votre téléphone, et imprimable sur n’importe quel support. La mise en page vous permettra de porter sur le texte toutes les indications et notes de régie que vous jugerez utiles.

Avec Dernière Diligence pour Kansas City, vous découvrirez :

✅ Un mélange parfait entre le suspense, la comédie et le western, qui surprendra le public.
✅ Des personnages variés et charismatiques qui fourniront à vos interprètes une matière riche à jouer.
✅ Un décor immersif mais simple : un saloon rustique qui évoque l’essence du Far West, facile à monter et à transporter.
✅ Une intrigue captivante : des tensions et des révélations qui tiendront le public en haleine jusqu’à la fin.
✅ Une représentation de la Conquête de l’Ouest qui donnera à réfléchir à votre public.

La pièce a été jouée ces dernières années par la Compagnie Côté Jardin, Île-et-Vilaine, 2024.

Intéressé(e) ? Téléchargez gratuitement le texte intégral de Dernière Diligence pour Kansas City et laissez votre public savourer une aventure où l’humour et le suspense se chevauchent à toute allure !

Attention : déconseillé aux compagnies qui ne veulent pas de huis clos.

Voir d’autres comédies pour 8 personnages



Dernière Diligence pour Kansas City reprend les apprêts du western : une hors-la-loi en cavale, un shérif sur la brèche, un Indien en transit, un capitaine de cavalerie, une conductrice de diligence, une chercheuse d’or. Pourtant, il s’agit d’un huis-clos. Presque tous les personnages sont présents en scène du début à la fin de la pièce. La température monte graduellement, comme dans une cocotte-minute et chaque personnage finit par livrer le secret qui le ronge. 

Toute l’action de la pièce passe par le dialogue et les révélations qui font basculer la situation. La pièce reste un divertissement mais reste également l’occasion d’aborder la conquête de l’ouest, ses riches heures et ses méfaits.

Texte intégral de Dernière diligence pour Kansas City à lire ou à imprimer

Personnages

Abigail.

Jim.

Josie.

Nana.

Lisa.

Taureau-Ailé.

Miller.

Rose.

Le décor

Décembre 1877, le Cactus Saloon de Scorpion Post. Comptoir poisseux, tables poussiéreuses, chaises douteuses : un bouge infâme.

Seule dans le saloon, Abigail se sert une tasse de café. Jim, Josie et Nana entrent en trombe. Nana traîne un sac de voyage.

Jimtrottant, menotté à Josie. Dépêchons !

Nana. À boire !

Josieballotée par l’allure de Jim. Oh Jim, enfin, doucement ! 

Jim. Navré Josie, il faut que j’aille aux… aux…

Josie, ironique. Et je vous accompagne ?

Nana, à Abigail. Une chopine bien fraîche !

Jim, à Josie. Pas de bêtises ?

Josie. Comment oserais-je ? Votre seul regard me donne des sueurs froides…

Jim libère Josie puis s’éclipse.

Abigail, à Nana. Plaît-il ?

Nana. Une chopine, j’ai dit ! 

Abigail. Vous faîtes erreur. 

Josieregardant autour d’elle, ravie. Je ne suis pas mécontente de faire une pause. Le faux confort de ces voyages en diligence, je me sens barbouillée.

Abigail, à Nana. Je suis une simple cliente.

Josie, avec une pointe de sarcasme. Un crachoir ? N’ayons pas peur des mots : ici on nage dans le luxe.

Nana, à Abigail. Il n’y a personne ? 

Abigail. Il y a du café.

Josiepoursuivant son observation et commençant à déchanter. Évidemment, c’est un peu rustique.

Nana, déçue. Nouveau monde, qu’ils disaient…

Josie, se reprenant. Les chevaux ont besoin de repos, prenons les choses de manière un peu plus…

Le regard de Josie croise celui d’Abigail. Josie, soufflée par cette rencontre, s’interrompt.

Josie, à part. Elle ? Ici ? 

Abigail, à part. Elle m’a reconnue.

Josie, à part. Il faut partir et vite. 

Abigail, à part. Elle paraît contrariée.

Josie, à part. Restons naturelle et décontractée. (Haut, à Nana .) Mon enfant, ne tirez pas cette mine de castor en cage.

Nana. Ma gorge est plus sèche que la vallée des rocs à midi.

Josie. Nous allons trouver comment assurer votre agrément.

Nana. Si vous n’étiez pas vêtue comme un pistolero, je vous aurais prise pour une comtesse de Louisiane.

Josie. Braquer des banques n’interdit pas d’avoir une once de savoir-vivre. Même recherchée par tous les shérifs de l’ouest, j’ai toujours tenu à youp ! (Elle est prise d’un hoquet.) J’ai chaque jour mis un youp ! un point d’honneur à rester dans les youp ! règles que suivent les femmes de la youp ! bonne société. Moi aussi, je crois que j’ai besoin de youp ! de boire un peu. (Elle se saisit du premier pot, le vide d’un trait, puis attend un peu.) Voilà, c’est passé. (Attendant encore.) Youp ! Et crotte…

Nana, criant. Hou !

Josie. Ah ! (Après quelques instants.) Ça a marché, vous m’avez guérie ! Si je ne bois pas à heures fixes, voilà le résultat… Sur ma table de nuit j’ai toujours un verre d’eau, La Sainte Bible, et mon Colt Baby Dragoon. Que disais-je ? Ah oui, le raffinement, chez moi, c’est une seconde nature. Un jour, ma tête venait d’être mise à prix, je tombe nez à nez avec un U.S. Marshall. En un éclair, je vois l’envie transformer son regard. Et je le comprends tellement : (Se désignant .) comment ne pas se sentir un peu gueux face à un tel élixir d’élégance, de classe et de distinction ? Ce malaise semblait tant le torturer, j’ai préféré l’abattre immédiatement. Quant à la cuisine, je l’aime élaborée, sophistiquée même. On a beau être une criminelle, on sait apprécier le raffinement. (Tapant sur le comptoir.) Et un steak-haricot, un !

Nana. Le bain sifflera trois fois.

Josie. Je vous demande pardon ? 

Nana. La phrase de mon père, quand il mangeait son steak-haricot avant de plonger dans sa baignoire.

Josies’impatientant. Et alors quoi ?

Abigail, à Josie. Navrée, madame, le tenancier est sorti. 

Josiecontrariée par cette adresse. Oh ! (Elle s’éloigne d’Abigail.)

Entre Lisa.

Lisaenlevant un grand manteau. Cette neige, je ne vois pas comment poursuivre. 

Jim, réapparaissant. Quand pourrons-nous repartir ?

Lisa. —Désolée Shérif, on est bloqués ici jusqu’à nouvel ordre. Ça tombe bien : les chevaux étaient épuisés. Heureusement, ces grands gaillards sont en train de casser la graine.

Nana. Et nous, on peut se dessécher comme le Grand Canyon ? 

Lisa. Madame, la compagnie ne fournit pas le manger, ni le boire. 

Nana. Alors vous mentez !

Lisa. Je mens ?

Nana. J’invente rien. (Lisant un papier .) « Diligences Bent Wargo and Co, voyagez tout confort de Sacramento à Kansas City ».

Lisa. C’est votre jour de chance : (Se présentant .) Lisa, la conductrice la plus douce de la compagnie, et la plus consciencieuse. Avec moi, vous avez voyagé tout confort, on peut le dire.

Nana. Tout confort ? Je me suis demandée si on était dans une diligence ou un boulier de bingo. 

Lisa. Vous avez à vous plaindre de ma conduite ? 

Nana. J’ai pas à m’en plaindre, j’ai à m’en indigner. Un cochon ferait mieux. 

Lisa. Répète un peu, pour voir ?

Nana. À ta place, ce serait une truie, elle soignerait mieux nos fesses !

Lisa. Je vais te crever, espèce de mijaurée !

Jim, revenu sur ces derniers mots et s’interposant. Allons, mesdames. (Il tangue un peu .) Ces disputes, j’ai le palpitant qui s’emballe… (Désignant Lisa .) Madame fait de son mieux, j’en suis sûr. Si nous voyagions seuls, nous serions à la merci de tous les dangers publics : Jesse James, Sweet Martha, Billy The Kid, brrr…

Josie. Et Josie Whip Chapman.

Jim. Plus maintenant, Josie.

Josie. Je faisais de l’esprit, Jim. Votre force inflexible m’a remise sur le droit chemin. Je vous suivrai sans mot dire dans votre bureau de Silent Valley, la bien nommée.

Nana. Et vous resterez enfermée là-bas ?

Jim, apeuré. Vous n’y pensez pas ? Les Fédéraux viendront l’emmèneront dès que possible. (Ce disant, il repasse les menottes à Josie.)

Josie. Est-ce vraiment nécessaire ?

Lisa. Josie Whip Chapman ?

Josie. Elle-même. 

Lisa. La truande la plus classe de l’ouest ?

Josie, flattée mais faussement modeste. Je ne connais pas tous mes surnoms.

Lisa. Il y a une récompense sur votre tête.

Josie, fière. 500 000 dollars.

Lisa, dont le regard s’allume. C’est une somme. 

Josie. Parlez-en à Jim.

Lisa. Ça pourrait faire des envieux.

Jim, paniquant à la vue de la mine gourmande de Lisa et s’éventant. Il fait chaud, non ?

Nana. Dis plutôt qu’il fait soif. 

Jim. Où est le tenancier ?

Lisa. C’est vrai ça, où est Big Peat ?

Nana. À boire, à boire, à boire !

Abigail. Il s’est absenté. (Se présentant .) Abigail Lawson, je suis la passagère qui vous rejoint ici.

Lisa. Billet, s’il vous plaît. 

Abigail, alors que Lisa examine son billet. Tout est en ordre, je l’espère. D’ici la semaine prochaine, vous êtes la dernière diligence pour Kansas City. 

Lisa, rendant son billet à Abigail. Yeap. Vous avez vu Big Peat ?

Abigail. Il a dû partir. Il m’a confié le saloon. On laisse l’argent des consommations sur le comptoir.

Jim. Il est peut-être allé chercher quelque chose chez un voisin ?

Lisa. Vous avez regardé Scorpion Post ? À part le Cactus Saloon, c’est rochers, glaces et neige. Un dernier passager doit monter ici. Avec lui, nous serons au complet : sept. 

Abigail, comptant rapidement les autres. Sept ?

Lisa. Un peau-rouge voyage aussi avec nous.

Abigail. Un peau-rouge ?

Lisa. Je ne voulais pas le prendre.

Nana. Chut, le voilà.

Entre Taureau-Ailé.

Jim, aux autres. C’est un Lakhota. Je parle un peu leur langue. (À Taureau-Ailé, avec force gestes .) Toi avoir froid ? Dehors brrr, dehors neige, dehors vent.

Taureau-Ailé. En effet shérif, j’eusse aimé plus de clémence de la part du ciel. Las, ce ne furent que bourrasques glacées et flocons cristallins, acérés comme sont les flèches de nos guerriers. Je souhaitais partager quelques pensées avec mes ancêtres, comme il se devait, au milieu des esprits qui habitent les rochers de ce pic mal aimé. Le ciel le veut, je visiterai mon ascendance auprès de vous.

Jim, accompagnant ses mots d’une gestuelle explicative. Moi comprendre toi, moi dire oui, moi dire pas de problème, toi pouvoir prier mais dans un coin là-bas en silence merci.

Taureau-Ailé s’agenouille dans un coin du saloon. Il déroule soigneusement un petit tapis qu’il dispose au sol. Puis il sort d’une bourse un splendide saphir qu’il dépose avec respect au milieu du tapis. Il se met alors à prononcer des paroles inintelligibles en accomplissant des gestes rituels, sous le regard ahuri des autres.

 Jim, effrayé. Ces croyances sont d’un pittoresque…

Josie. Vous êtes aussi convaincant qu’un abolitionniste essayant de se faire passer pour un sudiste. 

Nana. Vous venez de l’Est, madame Josie ?

Josie. Josie tout court. Je suis née à Boston. L’appel de l’Ouest a été plus fort. J’ai toujours aimé tracer ma route par moi-même, conquérir de nouveaux territoires. Mon petit côté Christophe Colomb ?

Lisa. Voilà ! Christophe Colomb ! Je cherchais qui vous me rappeliez, c’est lui. Mon institutrice nous avait montré une gravure qui le représentait.

Josie, flattée. Ah oui ? Laquelle ?

Lisa. Celle où on le voit pieds et poings liés après une castagne à Valladolid. (Déception de Josie.)

Abigail. Voilà ce qui nous perdra. 

Lisa. La castagne ?

Abigail. Cette bougeotte incessante.

Jim. C’est notre destin.

Abigail, sentencieuse. Notre destin est d’accomplir notre destinée. 

Josie, ironique. Jusqu’ici je comprends.

Abigail. Nous avons tous un rôle ici-bas.  

Josie. « Le monde entier est une scène et tous les Hommes ne sont que des acteurs ».

Jim. Dickens ?

Josie. Shakespeare. 

Abigail. On n’imagine pas un comédien changer de personnage au cours de la pièce parce que son rôle ne lui convient plus. Même chose dans la vie. 

Josie. « On n’est jamais mieux trompé sur terre que par soi-même ». 

Jim. Shakespeare ?

Josie. Dickens. 

Abigail. Mouvements incessants, déménagements, longs voyages, campements…

Nana. Vous en avez gros sur le cœur. 

Abigail, avec intention. On croit connaître les gens et un matin on se réveille seule, avec une lettre d’adieu.

Nana. On vous a quitté ?

Abigail. Ça oui ! Ma m… (Elle semble sortir d’un rêve et regarde les autres.) euh … mes employeurs. Je suis gouvernante. Ils sont partis s’installer sur la Côte Ouest. J’ai dû trouver de nouveaux patrons. Quelqu’un connaît-il Minneapolis ?

Nana. Il y a tant de choses à prendre, à l’Ouest. 

Abigail. Ça n’avance à rien d’aller toujours plus à l’Ouest. Ça recule.

Nana. Ça recule ?

Abigail. J’ai étudié la question sous l’angle géographique. Si je pousse sans cesse à l’ouest, la Terre est ronde, je finirai par arriver à l’est et revenir, in fine, à mon point de départ. (À Josie .) Qu’en pensez-vous madame ?

Josie, sèche. Madame, je vous saurais gré de ne pas m’adresser la parole.

Étonnement général après cette répartie. 

Jim, à Abigail. Veuillez excuser Josie. Les menottes la rendent nerveuses. 

Abigail. Ce n’est rien, Shérif. (Pincée, elle sort un mouchoir de son sac, duquel tombent plusieurs billets. Sans y prendre garde, elle tousse deux ou trois fois dans le mouchoir puis le range. Elle aperçoit alors les billets qui jonchent le sol. Elle les ramasse prestement, les fourre dans son sac et le ferme à double tour.)

Josie, à part. Ces bouts de papier vert. Ils peuvent faire le silence, comme ils peuvent faire les cris. (Soudain, elle se rend compte que Lisa est en train de fouiller dans une de ses propres poches. À Lisa .) Non mais dites donc ? Ne vous gênez pas !

Lisa, retirant sa main illico. Oh pardon !

Josie. Pardon ? Pardon ! Oh Jim, enlevez-moi ces menottes !

Jim. Vous serez raisonnable ? 

Josie. Comment faire autrement, face à une terreur telle que vous ? (Alors que Jim la détache, à Lisa .) Vous vous êtes trompée de poche ?

Lisa, approuvant. Voilà.

Josie. Pas à moi ! On ne vous paye pas assez, à la Bent Wargo and Co ?

Lisa. C’est une erreur, je vous fais toutes mes excuses.

Taureau-Ailé, qui a fini sa prière depuis quelque temps. Cette femme prend toujours les chemins sinueux. Elle est pareil au Pin Tordu, on en voit sur les sommets rocheux. Elle croît dans le désordre.

Josie, à Lisa. Syndiquez-vous et réclamez une augmentation.

Abigail, à Lisa. Ne vous syndiquez pas, vous serez renvoyée. 

Josie, à Lisa. Oui j’ai braqué une cinquantaine de banques, oui j’ai tué aussi, parfois, le moins possible. Mais les convenances, mais les bienséances, mais la courtoisie, mais la dignité, je ne les ai jamais oubliées. Quand j’ai fait sauter le caisson d’un représentant de la Loi, à chaque fois j’ai envoyé des fleurs à sa femme. 

Jim, s’épongeant le front. Merci pour elle.

Josie, à Lisa. Conductrice de diligence. Métier inhabituel, pour une femme.

Lisa. J’ai besoin d’aventure, de grands espaces. 

Josie. Des grands espaces, il n’y a que ça aux États-Unis d’Amérique.

Lisa. Pas partout. Pas à Trenton. Pas dans le foyer de mes parents. Une petite chambre de simples fonctionnaires de mairie.

Josie. Fonctionnaires ? Mon rêve ! Si seulement j’avais fait des études.

Lisa. Josie Whip Chapman se rêve en fonctionnaire ?

Josie, le regard plein d’étoiles. Recevoir son traitement à date fixe, ne plus courir après l’argent. La course à l’argent, vous ne savez pas ce que c’est.

Lisa. Moi c’est la course de chevaux.

Josie. Elle est plus noble. La course à l’argent, c’est une guerre. Plans, stockage de munitions, batailles, corps à corps, défense, retraite. La course à l’argent, au bout d’un temps, ça fatigue.

Lisa. C’est vrai. (Se rendant compte de son faux pas et rectifiant .) Enfin, j’imagine.

Josie. Une femme telle que vous, quoi qu’il en soit, ne peut se permettre d’être médiocre. Regardez-vous, vous êtes toute avachie ! De la tenue. (Elle fait ce qu’elle dit .) On se redresse, on marche, port altier, main sur la hanche, petits pas. (Après un virage, son dos se met en vrac.) Oh ! (À part .) Ces journées à cheval ont eu raison de moi. (Haut, avec un grand sourire .)Vous avec compris l’esprit ?

Lisa, le regard soudain happé par un détail. Oh !

Josie. Que se passe-t-il ?

Lisa, fixant la bouche de Josie. C’est une dent en or que vous avez là ?

Josie. Une petite folie. Je la dois à notre attaque de la mine de Bannack.

Nana. On va rester coincés longtemps dans ce trou ?

Lisa. La neige n’a pas l’air de vouloir s’arrêter.

Nana. Nouveau monde, qu’ils disaient… (Jetant un regard au groupe.) Tu parles d’une compagnie. (S’adressant à un interlocuteur invisible .) Bonsoir monsieur. Je me présente : Anna Drumond. Mais appelez-moi « Nana » !

Lisa, aux autres. Qu’est-ce qu’elle fait ?

Nana, s’adressant toujours à un personnage invisible. À qui ai-je l’honneur ? Le Comte de Villepreux ? diantre !

Lisa, aux autres. À qui parle-t-elle ?

Nana, idem. C’est certain, en effet, Scorpion Post ne ressemble guère au Mississippi.

Josie, aux autres. Vous connaissez le principe de l’ami imaginaire ?

Nana, idem. Mais avec grand plaisir, j’aime la valse.

Josie, aux autres. Certains enfants s’inventent un ami imaginaire pour peupler leur solitude. 

Nana, valsant avec son cavalier imaginaire. Oumpapa, oumpapa, oumpapa…

Josie, aux autres. Certains adultes aussi.

Nana, s’arrêtant au comptoir. Oh comte ! Arrêtons, je vous prie, j’ai la tête qui tourne. 

Taureau-Ailé. L’homme blanc, je l’ai remarqué, parle souvent aux absents au milieu des présents.

Nana, poursuivant son dialogue avec ce personnage invisible. Un verre de vin de Champagne ? Voilà une riche idée, comte : je meurs littéralement de soif. (Apercevant un pot .) Oh purée y a un pot encore plein ! (Elle le vide intégralement, avec force borborygmes.) Ça fait du bien par où que ça passe ! 

Abigail, observant Nana. Joli pendentif. 

Nana, comme sortant d’un rêve. Oh… merci.

Abigail. Et jolie bague. 

Nana. Ah… oui… vous êtes bien aimable.

Abigail. C’est de l’or ?

Cette question jette un froid. Nana a un temps d’arrêt, puis rit.

Abigail. Eh bien ?

Nana. Eh bien ?

Abigail. C’est de l’or ?

Nana. De ?

Abigail. De l’or.

Nana. Où ça ?

Abigail. Vos bijoux.

Nana. Mes… Ah ça ? De l’or ? (Elle rit.) Si seulement…

Abigail. Alors c’est quoi ?

Nana. Oh ça… Une imitation, sûrement.

Abigail. C’est très bien imité.

Lisa. Ah oui.

Josie. C’est vrai.

Nana, mal à l’aise. Oui, eh bien moi, je vais les retirer, ces bijoux. J’ai les doigts gonflés. 

Abigail. C’est peut-être plus prudent. Même faux, cela pourrait attiser la convoitise. On voit de telles choses, lors de ces voyages en diligence. C’est la première fois ?

Nana. En effet. 

Abigail. D’où venez-vous ?

Nana. Des Collines Noires…

Lisa, vivement intéressée par ce détail. Des Collines Noires ?

Abigail, avec intention. Le pays des chercheurs d’or.

Lisa. Certains y ont fait fortune. 

Abigail. Vous en étiez ?

Nana. De ?

Abigail. Des chercheurs d’or.

Nana, éludant. Dans les Collines Noires, tout le monde est un peu chercheur d’or.

Abigail, pressante. Et alors ?

Nana. Alors ?

Lisa, animée. Vous en avez trouvé ?

Nana, impressionnée par cette attention. J’y serais restée. Pourquoi prendre la diligence pour Kansas City ? 

Lisa. C’est vrai, pourquoi ? 

Nana. Je vais passer la Noël avec ma mère. Elle est à Fort Dakota. (Sortant un papier de son sac .) Du campement, je voyais toute la vallée devant moi. Je l’ai peinte pour ma mère. (Elle tend le papier à Josie qui, sans le vouloir, lui fait faire un quart de tour.)

Josie, regardant.Ma parole, vous avez un don, on s’y croirait, c’est absolument magnifique. (Voyant que la peinture est dans le mauvais sens, Nana la retourne.) Merci.

Nana. Vous aimez ?

Josiene voulant pas froisser Nana.Splendide.

Nana. Je vais faire votre portrait.

Josie.Vous me gênez.

Nana. Ça me fait plaisir.

Josie.Ici ? Dans ce saloon ? 

Nana. Ce sera vite fait. (Sur une feuille, Nana trace au fusain un grand cercle pour la tête de Josie, deux points entourés de deux cercles plus petits pour les yeux, quelques frisotis pour les cheveux, un trait pour le nez, un trait pour la bouche et hop-là terminé. Elle donne le dessin à Josie qui tente de faire bonne figure.)

Josie.C’est très ressemblant. 

Jim.C’est vous tout craché.

Lisa, se retenant de rire. C’est une blague ? Ma petite nièce de huit ans ferait mieux. 

Nana, piquée. Votre petite nièce ne devait peut-être pas gagner sa vie dans les Collines noires.

Lisa, riant. Si elle avait essayé de gagner sa vie en vendant ce genre de gribouillis elle serait morte depuis longtemps. 

Nana. Vous êtes toujours aussi blessante ?

Lisa. Avec les personnes qui se fichent de moi, toujours.

Nana. Moi ?

Lisa. Vous. 

Nana. Je ne comprends pas.

Lisa. Cette peinture, ce dessin : des trucs pour détourner notre attention. 

Nana. Je préfère ne pas répondre.

Lisa. Après tout peu m’importe : vous avez le droit d’être chercheuse d’or.

Nana. Je ne suis pas chercheuse d’or.

Lisa. —Et si vous arrêtiez de nous prendre pour des idiots ?

Nana. Je vous le répète : Je ne suis pas chercheuse d’or ! (Ce disant, elle fait un mouvement brusque et ouvre ma mégarde une bourse qui laisse échapper des pépites d’or.) Oh !

Lisa, se précipitant. Attendez, je vais vous aider.

Nana, apeurée. Non merci.

Josie, se précipitant à son tour. Vous n’allez pas tout ramasser toute seule.

Nana, s’énervant. Mais si.

Abigail, même jeu. On ira plus vite à plusieurs. 

Nana, criant. Oh non.

Lisa, ramassant ce qu’elle peut. Oh si.

Nana, sortant un pistolet. Maintenant tout le monde m’écoute : reculez !

Jim, à la vue du pistolet. Mais c’est un… c’est un… (Il s’évanouit.)

Josie, le secourant. Jim !

Nana. Je vous préviens : je me battrai jusqu’au bout pour ce que j’ai arraché à la rivière à la force de mes poignets. Je suis prête à donner l’assaut et me lancer dans la bataille. Je suis une armée à moi toute seule : général, canonnier, fantassin. Petit conseil : restez où vous êtes. (Continuant à tenir en joue les autres, elle ramasse ses pépites dans une atmosphère qui s’est considérablement épaissie. Ensuite, elle range son pistolet)

Josie, ayant ranimé Jim. Comment vous sentez vous ?

Jim. Elle a toujours son ?…

Josie. Elle l’a rangé. L’incident est clos. (À Nana .) Petit conseil d’actrice : c’est votre surjeu qui vous a perdu. La prochaine fois, soyez plus sobre. 

Nana. Vous croyez que je joue ?

Josie. Comme tout le monde. Observez ce qui vient de se passer. La vie dans l’Ouest est un spectacle : il faut bien apprendre son rôle et être crédible. Pourtant il y a une différence avec le théâtre, mon enfant, et vous venez de l’illustrer : si le public se met à siffler, on peut lui coller une balle.

Nana, s’échauffant par degrés. Je joue mal ? C’est ce que vous voulez dire ? Je joue mal ?

Entre Miller : manteau, canne et uniforme de cavalerie.

Miller. Salut la compagnie. Je cherche le cocher de la Bent Wargo & Co.

Lisa. C’est moi.

Miller, à part. Une femme ? Décidément, ce Nouveau Monde a besoin qu’on le mette au pas. (Haut, tendant un papier .)Capitaine Miller. Je vais jusqu’à Kansas City.

Lisa. Capitaine, nous sommes à l’arrêt jusqu’à nouvel ordre. 

Miller. Avec cette neige, je m’en serai douté. (Il jette un coup d’œil circulaire et s’arrête sur Taureau-Ailé. À Lisa .) Le peau-rouge est du voyage ?

Lisa. Oui, Capitaine.

Miller. À côté de vous ?

Lisa. Hélas. 

Miller. Où voudriez-vous le mettre ? Dans le compartiment ?

Lisa. Non, bien-sûr.

Miller. Vous avez été bien bonne de l’accepter.

Lisa. Un client est un client.

Jim, à Miller. Mes respects, Capitaine. Jim Patch : j’ai fait prisonnière Josie Whip Chapman et je l’emmène à mon bureau de Silent Valley.

Josie, faisant la révérence. Mes respects, Capitaine.

Miller. Vous n’avez pas de menottes ?

Josie. L’autorité du Shérif Patch est telle que toute contrainte physique est inutile.

Miller, à Jim. Bravo Shérif. Chapman est recherchée depuis longtemps. (À Josie .) Je ne pense pas me tromper : vous avez été élue 5e criminelle la plus élégante de l’Ouest.

Josie, offusquée. Feriez-vous cette réflexion à un homme ? Changeons de sujet. Je suis connue pour bien d’autres choses.

Miller. C’est vrai : niveau stratégie, il paraît que vous êtes une vraie brèle. Vous confirmez ?

Josie, opérant un virage à 180° degrés. Je suis très heureuse d’avoir été élue 5e criminelle la plus élégante de l’Ouest. Pour être la terreur des banques, je n’en suis pas moins femme.

Miller, à Nana. Bonjour madame.

Nana, sur la défensive. Assez.

Miller, n’ayant pas compris. Mes hommages.

Nana, élevant la voix. Arrêtez, c’est insupportable.

Miller, ironique. Au plaisir.

Nana, très nerveuse. Je vous préviens, je suis armée et je sais tirer. 

Miller, empoignant Nana. Petite madame, je vous prierai de respecter un officier de cavalerie. 

Nana, pleurnichant. Ne me faites pas de mal, je vous en prie, je vous en prie… (Se saisissant soudain de la canne de Miller et la levant sur lui .) Gardez vos distances ou je vous bats à mort !

Miller sort son pistolet et tire en l’air. Tout le monde est effrayé. Jim s’évanouit.

 Miller. Quelle mouche vous a piquée ? (Voyant Jim ramper .) Shérif, reprenez-vous.

Jim, émergeant des limbes. La fatigue… la traque de Chapman… elle m’a donné du fil à retordre. Je ne suis pas un lion comme vous, capitaine. (Aux autres .) Le capitaine est un héros de la bataille de Slim Buttes. 

Miller, montrant une médaille à son revers. J’y ai gagné la distinction que vous voyez. 

Lisa. Impressionnant. 

Taureau-Ailé. Cet homme recherche la lumière. Il me fait penser aux Sapins Géants, ils poussent dans mes forêts natales : comme eux il veut sans cesse aller plus haut. Au risque de rencontrer le tonnerre et de finir en poudre.

Abigail. Slim Buttes ? Un beau massacre de Sioux. Amercian Horse y périt.

Josie, acerbe. Belle victoire : la cavalerie était armée et deux fois plus nombreuse que les Sioux.

Miller. Nous voulions simplement les reconduire dans leur réserve. (Avec une certaine emphase .) Je m’en souviens avec grande précision. Nous arrivâmes dans les Collines Noires par le sud…

Taureau-Ailé, avec calme. Par le nord.

Miller. Laissez-moi parler : par le sud… par le sud du nord du Bighorn. Nous perdions espoir, quand le ciel nous envoya un signe et fit apparaître le soleil.

Taureau-Ailé. Il pleuvait à verse.

Miller, tentant de garder la face. Il fit apparaître le soleil, qui… qui… qui se cacha immédiatement sous d’épais nuages. Nous recherchâmes notre nourriture dans les bois, les fourrés…

Taureau-Ailé. Vous voliez des vivres dans les villes minières.

Miller, poursuivant comme si de rien n’était. Quand de sympathiques mineurs nous proposèrent du maïs grillé. 

Taureau-Ailé. Sous la contrainte de vos armes. 

Miller, rongeant son frein. J’aime pas trop les peaux-rouges, ni les fils de pute. 

Taureau-Ailé, conservant un calme minéral. Le train de ta méchanceté roule sur les rails de mon mépris.

Abigail, à part. Cet homme est la douceur incarnée. Sa voix est si suave, quand il parle, je me gifle intérieurement pour rester réveillée. 

Miller, à Taureau-Ailé. Voilà pourquoi on a gagné la guerre contre toi et tes semblables. Vous, les Sioux, vous êtes trop calmes. Tu ressembles à un vieux rocher sec et ennuyant. 

Taureau-Ailé. Le vieux rocher sec et ennuyant reste insensible aux postillons des petits crapauds huileux.

Miller. Voilà encore une autre raison de votre défaite : vos métaphores alambiquées. Dans la cavalerie, on est plus directs.

Taureau-Ailé. Ne fais pas passer votre brutalité pour de la clarté.

Jim, à Miller. C’est un Lakhota. Je parle un peu leur langue. (À Taureau-Ailé, avec de grands gestes .) Toi faire doucement. Toi parler bien au Capitaine Miller. Capitaine Miller, grand guerrier. Capitaine Miller très fort. Boum-boum, pan-pan.

Taureau-Ailé. Shérif, si vous voulez rendre vos fadaises crédibles, je vous recommande d’y adjoindre des verbes conjugués.  

Miller, observant Taureau-Ailé de pied en cap. Attends une minute. Mais oui… C’est bien toi. « Taille moyenne, cheveux noirs, veste et souliers de peau… »

Jim. Vous vous connaissez ? 

Miller. Un peu que je le connais. Tu te nommes Taureau-Ailé.

Jim, à Taureau-Ailé. Est-ce vrai, peau-rouge ?

Taureau-Ailé. C’est le nom que notre chef me donna, notre tribu venait de traverser une rizière.

Miller, dont l’œil s’allume. Sa tête a été mise à prix par la cavalerie. Pour meurtre. 

Cette nouvelle glace l’assistance.

Nana, avec une nuance de peur. C’est… c’est un criminel ? 

Miller. Oui madame. Ce Sioux a tué plusieurs de nos valeureux soldats, plusieurs de nos camarades. 

Nana. Il s’était bien gardé de nous le dire !

Miller, menaçant. Qu’il ne s’en vente pas devant moi.

Taureau-Ailé. Pour l’Homme Blanc, tous les peaux-rouges se ressemblent.

Nana. Que viens-tu faire parmi nous ?

Taureau-Ailé. Je suis bien connu du Bureau des Affaires Indiennes. (Montrant un papier .) J’ai ici un courrier me demandant de rejoindre mon cousin dans la Grande Réserve Sioux.

Jim, lisant le papier. Tout semble en règle.

Josie. Lui, un criminel ? Il paraît si paisible. 

Miller. Méfiez-vous de l’eau qui dort.

Josie. Ce calme, Taureau-Ailé, tu masques tes sentiments profonds ? 

Taureau-Ailé. —Si tu sais écouter la nature, le chant des oiseaux, le murmure de la rivière, le souffle de la brise, tu apprendras la grâce, la paix, le bien-être intérieur et tu seras prêt à massacrer la chair et les os de ceux qui veulent ta perte, avant de boire leur sang et d’accomplir la lente mastication de leurs chairs encore tièdes.

Josie, feignant la légèreté. C’est un calme avec quelques nuances de haine, tout de même.

Miller. Nous aurons gagné la guerre lorsque tous les individus dans son genre pendront au bout d’une corde.

Nana. La guerre ? Mais je croyais qu’elle était finie ?

Miller. Batailles, offensives, contre-offensives, retraites, les guerres ne finissent jamais, sauf si l’on veut croire à ce que racontent les livres d’Histoire.

Taureau-Ailé. —Une seule guerre ne finit jamais : celle que tu mènes contre toi-même. Tu es ton seul ennemi.

Miller. 50 000 dollars. Voilà ce que gagnera celui qui supprimera ce peau-rouge de la surface de la Terre. Ce n’est rien face à l’honneur de débarrasser le monde d’un ennemi de notre patrie.

Jim. Vous… vous n’allez pas le tuer ? Hein ?

Miller. J’ai encore un peu de savoir-vivre. Mais ne t’avise pas de sortir, peau-rouge. Tu signerais ton arrêt de mort.

Josie. Comme vous y allez, capitaine. 

Miller. Dois-je supposer que vous souhaitez me porter la contradiction ?

Josie, acide. On dit que les militaires ne savent pas réfléchir : on a tort. Vous lisez admirablement entre les lignes. 

Miller. Vous osez ? Vous ne respectez donc rien ? Pas même l’armée de notre beau pays ? 

Josie. Je respecte les êtres vivants.

Miller. Vous ? Josie Whip Chapman, la criminelle ?

Josie. Que voulez-vous ? Certains êtres vivants n’ont pas encore lu Adam Smith. Ils ignorent le principe de la libre-circulation des capitaux. Heureusement, les gens comme moi s’appliquent à les faire circuler, croyez-moi ! Sans cela, comment notre beau pays se développera-t-il ?

Miller, incrédule. Notre beau pays se développera grâce aux vermines qui attaquent nos banques ? 

Josie. Ça peut paraître surprenant, j’en conviens. Mais réfléchissez-y une seconde. Le riche propriétaire minier place tout son profit à la banque. Que fait l’argent gagné à la sueur du front des mineurs ? Il dort ! Il dort magnifiquement, il dort dans un coffre-fort jalousement gardé, mais il dort. Moi, après avoir attaqué une banque, je dépense ! Coiffeur, modiste, saloon, hôtel. Ce sont des bandits comme moi qui font marcher le commerce. 

Miller. Comment notre beau pays se développera-t-il, si les honnêtes citoyens se font voler les économies qu’ils déposent à la banque ? 

Josie. Vous parlez des économies que ponctionnent les banquiers à coup de taux usuraires ? 

Miller. Assez ! Vous n’êtes qu’une vieille ganache !

Josie. Oh ! Capitaine, je vous demande un peu de tenue, nous sommes entre gens bien élevés. (Son ventre gargouille.) J’ai une petite faim, je crois. Même si le débat nous oppose, sachons conserver notre distinction. (Son ventre gargouille. Bas, s’adressant à son estomac .) Veux-tu te taire, toi ? (Haut .) Bref, élevons le niveau du débat, je vous en prie. (Son ventre gargouille. Bas, s’adressant à son estomac .) Je pense avoir compris l’idée générale.

Lisa, tendant un pot à Josie. Buvez.

Josie. Merci.

Miller. Une hors-la-loi donnant des leçons de maintient à un capitaine de cavalerie… 

Lisa, maintenant le pot. Jusqu’au bout.

Josie, ne pouvant parler. Hum.

Miller. Il est temps de remettre les choses à leur place. 

Josie, rendant le pot à Lisa. Merci. Allons, capitaine, je suis sûre que vous finirez par entendre raison, je le vois à votre visage buriné, vous avez de l’expérience. 

Miller. J’ai des rides, dites-le. 

Josie. Je n’aurais pas osé. 

Miller. C’est ce que tout le monde croit voir. Des rides. Mais ce sont des aides mémoires. Celle-ci, le jour de mon mariage ; celle-là, la naissance de mon premier fils ; ici, mon accession au grade de capitaine : là, la bataille de Little Big Horn.

Josie, le regardant attentivement. Eh bien vous avez vraiment… vraiment beaucoup de mémoire…

Miller. Si nous étions au XXIe siècle, j’irais à Hollywood me faire injecter un peu de botox, mais que voulez-vous, il n’a pas encore été inventé. 

Josie. Si on m’avait dit qu’un soldat aurait un caractère de diva. 

Miller, mettant en joue Josie. Cette fois-ci c’en est trop, Chapman. 

Jim s’évanouit.

Miller. Je vais accomplir ta peine par anticipation. 

Josie. Hiha ! (Elle prend une étrange posture. Miller est saisi. Elle fait plusieurs passes agrémentées d’onomatopées diverses. Ces mouvements lui ont permis d’être en proximité directe de Miller, comme statufié. Josie saisit alors l’auriculaire de l’homme et le tord. Miller lâche son arme.) Naku Ina !

Miller. Sorcière !

Josie. Les hommes lancent ça à la tête des femmes qu’ils ne comprennent pas. 

Miller, sidéré. Comment as-tu fait ?

Josie. C’est une passe de Kushti.

Miller. De Kushti ?

Taureau-Ailé. L’art de la lutte, tel qu’on le pratique chez nous.

Miller, à Josie. Comment le connais-tu ?

Josie. Des amis me l’ont appris.

Miller, ramassant son arme. Des amis ? Tu as des amis peaux-rouges ? 

Josie. Tous ceux qui luttent contre l’oppression des puissants sont mes amis.

Miller, ricanant. « L’oppression des puissants. » Je suis puissant et je pratique l’oppression, je le parierais. 

Josie. Vous êtes moins borné que je ne le pensais. 

Miller. Nous ne sommes pas des puissants, nous sommes des libérateurs, des civilisateurs. 

Josie. Vous n’avez donc rien appris. 

Taureau-Ailé. L’Homme blanc n’aime pas apprendre. La preuve : quand l’Homme blanc construit une ville, le premier bâtiment à sortir du sol est le saloon. L’école, il s’en occupe à la fin, quand il s’en occupe. J’ai remarqué une des façons de parler de l’Homme blanc. On lui fait part d’une réflexion qui l’ennuie profondément, sur la beauté des forêts ou les indices d’une tempête à venir ? L’Homme blanc répond toujours la même chose : « C’est intéressant ». Pour obtenir les faveurs de l’Homme blanc, il faut lui dire ce qu’il sait déjà. Les vendeurs de bien-être au détail le savent bien. Voilà le genre de mixture qu’ils servent : « Sois optimiste et tu verras la vie du bon côté » ou « Éloigne-toi des personnes négatives, elles te feront du mal ». Alors le regard de l’Homme blanc s’éclaire et il dit : « C’est tellement vrai ! »

Josie. Je n’aurais pas dit mieux. Je sors quelques instants.

Jim, que l’on a remis de son évanouissement. Ne vous éloignez pas trop.

Josie. Shérif, vous me flanquez une telle frousse que je n’oserais pas. Même si l’idée m’en venait, la neige m’en empêcherait. J’ai besoin de prendre un peu d’air frais.

Josie sort.

Miller, à Jim, avec mépris. Faites-vous partie des Forces de l’Ordre ou des chevaliers servants de Josie Whip Chapman ? (À Taureau-Ailé .) Quant à toi, peau-rouge, maintenant que ta protectrice est sortie, on va pouvoir régler nos comptes. (Il met en joue Taureau-Ailé.)

Jim, titubant. Mais… vous aviez dit… votre savoir-vivre…

Jim s’évanouit.

Lisa, protégeant Taureau-Ailé. Capitaine, du sang-froid !

Miller. Écartez-vous, ou je vous bute. 

Lisa. Je me dois d’assurer la sécurité de tous mes clients.

Miller. Et assurer votre propre sécurité, ça vous intéresse ? 

Taureau-Ailé, fermant les yeux et accomplissant avec précision divers gestes. Chuwa Ja’yukumu, chuwa watá’kajiko pijwa’té. 

Miller. Arrête tes simagrées.

Taureau-Ailé. Kamachani wani nojo’chaka !

À cet instant, le bras armé de Miller est pris de mouvements que ne parvient pas à contrôler le soldat. Son bras paraît doté d’une vie propre et dirigée par Taureau-Ailé, qui poursuit ses incantations dans une langue inconnue des autres. Il semble jouer avec Miller comme d’une marionnette, le faisant aller, venir, danser dans tout le saloon, avant de le plaquer au sol et de lui faire jeter son arme.

Miller. Tu es un vrai démon !

Josie réapparaît.

Josie, à la vue de Miller. Je sors cinq minutes et voilà le résultat. Vous n’êtes pas raisonnables. (À Miller .) Vous avez glissé sur une plaque de verglas ?

Miller, encore sous le choc. L’Indien s’est fendu d’une sorte de poème…

Josie, résumant. Vous avez glissé sur un vers de rouge. (Regardant Taureau-Ailé.) Vous m’avez pourtant l’air d’un calme olympien. 

Taureau-Ailé. Je pense au Wapiti qui vit dans nos forêts. Il se tient là, immobile, humant de toutes ses narines mille parfums flottants dans les airs. Son souffle profond répand autour de lui une atmosphère de paix. Quand l’ennemi se montre, il sait le déchiqueter avec ses bois coupants comme des griffes : peau lacérée, muscles déchirés, œil crevé, organes en purée, l’attaquant est mâté. Il faut savoir faire la paix et la faire jusqu’au bout. 

Josie, rieuse. Une paix armée, si je comprends bien. (Elle tend la main à Miller.)

Miller. Les Miller se sont toujours relevés seuls. 

Josie, avec un petit sourire. D’authentiques Self-Made Men. 

Miller, se relevant. Ouaip. (Il a la tête qui tourne. Josie veut le soutenir mais il la repousse.) Il faut que je me remette les idées en place.

Josie, continuant à sourire. Vous avez des idées ? Dangereux, pour un militaire. Évitez. 

Miller. Dieu me vienne en aide, j’espère en avoir encore. 

Josie. Est-ce vraiment une bonne idée d’avoir des idées quand on est payé pour ne pas avoir d’idées et surtout pas l’idée d’avoir des idées ? Je dis ça, c’est une idée… 

Abigail, pontifiant. Ne penser à rien, c’est encore penser à quelque chose. 

Miller. Des idées, j’en ai eu et heureusement, à Slim Buttes. 

Taureau-Ailé. La meilleure idée que vous auriez pu avoir aurait été de ne jamais venir à Slim Buttes.

Nana. Slim Buttes, j’y suis passée, l’endroit n’est pas très accueillant. 

Miller, ironique. Merci de cette intervention.

Nana, ne percevant pas l’ironie. Si je peux aider. 

Miller. J’aime l’Ouest et ses grandes plaines.

Nana, le prenant pour elle. Grande pleine, grande pleine, j’ai rien mangé depuis trois jours alors s’il vous plaît.

Miller. Défendre notre territoire, voilà pourquoi je suis venu à Slim Buttes.

Taureau-Ailé. Je n’ai pas eu d’idées à Slim Buttes. Simplement une rage. Elle est demeurée en moi jusqu’à aujourd’hui. 

Miller, dont le regard change soudain. Tu étais à Slim Buttes ?

Taureau-Ailé. J’y étais. 

Miller. Alors tu te souviens du général Cook. Un grand homme.

Taureau-Ailé. Un homme petit. Il essayait de se grandir par tous les moyens : sa barbe et sa monture. Il n’en paraissait que plus menu.  

Miller. Grâce à ce petit homme, nous vous avons vaincus. 

Taureau-Ailé. Quand un homme ôte la vie à un moucheron d’un revers de main, tu appelles ça une victoire ?

Miller, heureux de pouvoir le prendre en défaut. Tu compares les tiens à des moucherons ?

Taureau-Ailé. Que pouvaient le courage de nos guerriers face à vos armes à feu ? 

Miller. Nous n’avons pas été lâches.

Taureau-Ailé. Vous avez été des criminels.

Miller, avec une haine rentrée. Comment oses-tu, peau-rouge ?

Taureau-Ailé. Seuls des criminels peuvent tuer un vieillard, une femme édentée et une petite fille sans défense.

Miller. Quel fable me chantes-tu là ? 

Taureau-Ailé. Ce n’est pas une fable mais la vérité : c’étaient mon père, ma mère et ma sœur. 

Un silence suit cette déclaration.

Miller. Les batailles ne sont pas des dîners de gala. Il y a des victimes.

Taureau-Ailé. Les batailles opposent les guerriers de deux camps adverses. 

Miller. Celle-là opposa la cavalerie de l’Union aux guerriers sioux

Abigail. La cavalerie avait une puissance de feu bien supérieure aux Sioux. Ce n’était pas une bataille, mais une extermination. 

Miller. On n’a pas voulu exterminer le peuple indien, on a juste voulu nettoyer un peu le paysage, c’est tout.

Taureau-Ailé. Un paysage, voilà ce qu’est Mère Nature pour toi.

Abigail, à Miller. Un Indien dans le paysage, ça fait tache ?

Miller. Nous avons besoin de construire, nous avons besoin de grandir, de nous développer, de devenir une grande nation moderne. Le Président Grant l’a dit. Pour cela, il est nécessaire d’obtenir des capitaux. Ces derniers ne tombent pas du ciel, ils sont apportés par des investisseurs. Comment les attirer ? Avec un pays sauvage aux terres inexploitables ? Avec des arriérés se promenant dans la nature, plantant leurs tentes de-ci de-là ? Pas un tableau très flatteur, ça non. C’est pourquoi le Président Grant nous a mandatés. Pour faire le coup de poing.

Taureau-Ailé. Et parler ? Vous savez ?

Miller. Le coup de poing est plus direct.

Taureau-Ailé. Le coup de poing, c’est pour ceux qui n’arrivent pas à trouver leurs mots.

Miller. La parlotte, c’est pour ceux qui n’arrivent pas à trouver leurs burnes.

Taureau-Ailé, ironique. Tu sais t’adresser aux Indiens.

Miller. Je connais très bien la culture indienne. Pour amadouer le chef American Horse, je lui avais offert une paire de squaws. 

Josie. Une paire de squaws ?

Miller. Une paire de squaws. Il faisait du 36, je m’étais renseigné, et j’ai eu un mal fou à en trouver. Le marchand ambulant n’avait plus que du daim, je savais qu’American Horse préférait le cuir, mais j’ai dit tant pis, on tente le tout pour le tout, on lui prend des squaws en cuir.  

Taureau-Ailé avec mépris. —Squaw est le nom que vous donnez à nos femmes. 

Miller, se rendant compte de son erreur, penaud. Ah oui ! Je voulais parler de mocassins. (Reprenant de l’assurance .) Et puis on avait fumé le tomahawk. 

Taureau-Ailé. Ça n’a pas dû être simple. 

Miller, sans comprendre. Ça non. Mais on y est arrivé. 

Taureau-Ailé. Je ne crois pas.

Miller. Qu’en sais-tu ?

Taureau-Ailé. Le tomahawk est une hache. À moins qu’elle soit creuse, je ne vois pas comment la fumer. Ce devait être un calumet.  

Miller, gêné de cette nouvelle bévue. Un calumet, c’est ça. 

Taureau-Ailé. Dire que ma famille est morte de la main d’hommes tels que celui-ci. 

Miller. Je ne suis pas responsable de tous les morts de Slim Buttes. 

Taureau-Ailé. Ma mère avait soif. Je lui ai dit : « Reste à l’abri, je vais chercher de l’eau ». Mon père avait choisi de planter le tipi derrière un énorme rocher blanc.

Miller, dont le visage pâlit. Un énorme rocher blanc à la pointe rouge ?

Taureau-Ailé, dévisageant Miller d’une drôle de façon. Oui, à la pointe rouge sang.

Miller, soudain grave. Ta mère avait une coiffe de longues plumes blanches.

Taureau-Ailé. Mon père portait un bandeau rouge.

Miller. Non, vert.

Taureau-Ailé. Oui, vert. C’était un piège.

Miller. Et ta sœur serrait contre elle un petit chiot.

Taureau-Ailé. Elle venait de l’adopter.

Miller. C’est moi qui les ai tués. Une balle chacun. 

Taureau-Ailé sort un couteau. Jim s’évanouit.

Miller. Je n’ai fait qu’exécuter les ordres.

Taureau-Ailé. Moi aussi j’ai des ordres.

Miller. De qui les tiens-tu ?

Taureau-Ailé. De l’armée des ombres.

Miller. Voilà les peaux-rouges : enfermés dans leurs chimères.

Taureau-Ailé. Voilà l’homme blanc : sourd aux cris des morts. 

Miller. Tu entends les morts parler ?

Taureau-Ailé. Ils ne parlent pas, ils hurlent. 

Miller. Les vivants, je les ai entendus hurler. 

Taureau-Ailé. À Slim Buttes ?

Miller. Et à Little Big Horn et à chaque fois qu’on a chargé. 

Taureau-Ailé. Et à chaque fois tu as mené la charge jusqu’au bout, sans état d’âme.

Miller. Ce serait tellement plus simple, si j’étais un patriote borné. Mais je suis un officier loyal.

Taureau-Ailé. Tu as des remords ?

Miller, semblant faire une menue concession. Pour vous attirer dans la cavalerie, on vous parle de grand air et d’aventures. Le service, dans les faits, c’est autre chose. On en sort souvent cassé.

Josie. « Gaiment, songe à la fierté qui t’emplira » dit le sergent recruteur, gai mensonge à la fierté, qui tant pliera le recruté, en deux en trois ou en quatre, selon la malléabilité de sa conscience.

Taureau-Ailé. Toute justification est inutile.

Miller, sortant des billets. Prends ça et oublie. 

Taureau-Ailé. Tu m’insultes, moi et les miens. 

Miller, tendant toujours des billets. C’est tout ce que j’ai. 

Taureau-Ailé. Alors tu es bien pauvre. 

MillerQu’est-ce que tu veux ?

Taureau-Ailé. Ta vie.

MillerTu rêves.

Miller s’enfuit mais tombe à cause de Jim, que l’on a ranimé et qui s’est relevé. Taureau-Ailé relève Miller et lui met le couteau sous la gorge.

Taureau-Ailé. Prie ton créateur, tu es sur le point de le rejoindre.

Miller, désespéré. Nous sommes venus ici investis d’une mission divine. Pourtant, j’ai appris tous vos dieux : Flapi…

Taureau-Ailé, rectifiant. Napi.

MillerTabernacle…

Taureau-Ailé, idem. Tabaldak.

MillerAïoli…

Taureau-Ailé, idem. Aholi.

Miller, s’énervant. Mais tu arrêtes de chipoter ?

Taureau-Ailé lui enfonce son couteau dans le ventre. Miller s’écroule ainsi que Jim, qui s’évanouit de nouveau.

Nana, terrorisée. Il l’a tué ? Il l’a tué ? Il l’a tué !

JosieCalmez-vous, c’était inévitable. Sortons plutôt le corps d’ici. 

Josie, Taureau-Ailé et Lisa sortent le corps de Miller à l’extérieur. 

NanaNouveau monde, qu’ils disaient… Haine, crimes… Qu’est-ce qu’il y a de nouveau, hein ? 

AbigailLa nouveauté ce sont les grands espaces. Ici, on a beaucoup plus de place. En Europe, on s’entretue dans de petites ruelles sombres. En Amérique, on se trucide au milieu d’immenses étendues désertiques ou rocheuses. 

Nana, réveillant Jim. Shérif ? Ça y est, c’est terminé. (À part .) C’est à se demander comment il a eu son étoile.

Jim, émergeant. Je ne sais pas ce que j’ai. La fatigue, le froid…

Abigail, à part. La frousse…

JimOù est Josie ?

AbigailElle a aidé l’Indien à sortir le corps.

JimC’est courageux de sa part. 

Josie réapparaît.

JosieJim, je vois que vous êtes remis. 

JimSurmenage.

JosieBien entendu. 

JimOù sont les autres ? 

JosieNous avons jeté le corps de Miller du haut d’un précipice. (C’est un ordre .) Personne ne l’a vu aujourd’hui.

JimMais enfin, Josie…

JosieUn capitaine de la Cavalerie de l’Union se fait poignarder en présence du Shérif Patch, qui s’évanouit et le laisse mourir. Selon vous, ça ferait une bonne une pour le Helena Post ?

JimNon, bien sûr, mais…

JosieSi la nouvelle se répand, on vous forcera à rendre votre étoile et vous irez croupir dans une prison fédérale. 

JimVrai.

JosieSortez prendre un peu l’air. L’Indien prie et Lisa est allée voir les chevaux. Il neige toujours à pierre fendre. 

JimBonne idée. 

NanaMoi aussi j’ai besoin de prendre l’air. 

Jim et Nana disparaissent.

Josie, fonçant sur Abigail. Qu’est-ce que tu veux ? 

Abigail« merci d’être venue » c’est trop demander ? 

JosieJe vous avais demandé de me ficher la paix. 

AbigailJe viens t’aider à t’échapper. 

JosieM’aider à m’échapper ? (Elle rit.) Ah !

Abigail—Ça te fait rire ?

JosieTu as vu Jim ?

AbigailEt alors ?

JosieDepuis qu’on est arrivés ici, j’ai eu vingt fois l’occasion de m’échapper. 

AbigailVoici la vingt-et-unième : prends la porte et va derrière le grand sapin. Tu trouveras Red River, sellé, prêt à partir. 

JosieRed River ? Dehors par ce froid ? Emmène-le au chaud.

AbigailTu l’emmèneras toi-même : on rentre.

JosieNon.

AbigailNon ?

JosieJe suis la prisonnière de Jim.

AbigailArrête de plaisanter.

JosieJe le suis jusqu’à son bureau de Silent Valley. 

AbigailVa. Je trouverai une excuse.

JosieLaquelle ? 

Abigail, sûre d’elle. Très simple : je dirai que tu n’étais qu’une hallucination. Jim s’est persuadé de t’avoir arrêtée. Il nous en as tous persuadés. Hallucination collective. Tu n’es jamais venue ici. 

JosieTrès convaincant. Tu devrais écrire des contes pour enfant. 

AbigailTu n’as pas le choix.

JosieJe pense avoir mal entendu. 

AbigailTu viens avec moi, point.

JosiePourtant tu en avais marre de moi, non ? 

AbigailCes derniers temps, tu étais devenue trop gnangnan. Quand on braquait les banques, il fallait toujours faire attention aux gens, ne pas les blesser, ne pas les tuer. Moi je préfère quand on fait au moins un cadavre ou deux : c’est tout de même plus vivant !

JosieSi tu ne me laisses pas en paix, je dis à Jim qui tu es. Vu la récompense qui pèse sur tête, il n’hésitera pas.

AbigailIl n’hésitera pas à quoi ? S’évanouir ? 

JosieEn effet, il s’évanouira. Mais je te passerai les menottes. 

AbigailJe ne comprends pas.

Josie, avec une nuance de mépris. Je vois ça. C’est par ailleurs inutile d’essayer. 

AbigailÇa ne se passera pas comme ça. Ce voyage aura tout de même servi à quelque chose. (Elle a en main la bourse de Nana.)

JosieQu’est-ce que tu fais ?

AbigailCette petite dinde était tellement choquée, elle est sortie trop vite. Elle a oublié son trésor. (Abigail répand les pépites.)Elle a bien travaillé.

JosieN’y touche pas.

Abigail, escamotant la bourse. Tout à l’heure, tu n’étais pas la dernière à vouloir « l’aider » à tout remettre. Une aide somme toute ambiguë.

JosieJe le reconnais volontiers.

AbigailOn ne change pas comme ça.

JosieJ’ai changé. C’était un vieux reste. 

AbigailLes vieux restes ça se réchauffe souvent très bien. 

JosieLe réchauffé, ça va bien ! Je veux de la nouveauté.

AbigailUne nouvelle banque a ouvert pas loin d’ici.

JosieÇa, c’est pas de la nouveauté, c’est un retour à la case départ. 

AbigailQuoi de mieux pour relancer les dés ?

JosieRepose cette bourse où tu l’as trouvée.

Entrent Lisa, Nana, Jim et Taureau-Ailé.

LisaSi on m’avait dit qu’un de mes clients se ferait tuer.

NanaJ’aurais fait pareil. La famille, c’est sacré.

LisaÇa ne vous fait rien de voyager avec un assassin ?

NanaL’assassin vient d’être tué et jeté dans un ravin.

Jim chancèle.

NanaIl a besoin de quelque chose de fort. 

Josie, sortant une bouteille. Regardez ce que je viens de trouver : un bon vieux bourbon des familles ! (Elle sert tout le monde.) À votre santé ! (Montrant Taureau-Ailé .) Et à notre camarade qui a su venger les siens. Ton courage t’honore. Qui plus est, tu es en veine, le Shérif n’est pas au courant. N’est-ce pas, Jim ?

Jim, inquiet. Rien. Je ne suis au courant de rien. Je n’ai rien vu, rien entendu.

Josie, posant un billet près de la bouteille. C’est ma tournée. Au fait, j’ai rêvé ou Miller était bourré de dollars ?

LisaEt Big Peat ? Qu’est-ce qu’il trafique ? 

Josie, bas, à Abigail. Comment tu te fais appeler ?

Abigail, bas. Abigail.

Josie, bas. D’où ça sort ?

Abigail, bas. Le prénom de ma grand-mère. 

Josie, bas, levant son verre. Sans rancune ?

Abigail, bas, trinquant. Sans rancune.

Josie, bas. C’est ce qu’on va voir. (Haut, dévoilant la bourse de Nana, à elle .) Mais au fait, c’est à vous, ça ?

Abigail, à part. La punaise !

NanaMais comment ?…

JosieVous êtes sortie précipitamment, elle a dû tomber. (Elle lui donne la bourse. Nana l’ouvre, regarde son contenu, la soupèse.) Tout y est ?

NanaOn dirait. Penser que j’aurais pu la perdre ou que quelqu’un aurait pu… brrr !

JosieJe vous conseille de la mettre au chaud.

NanaVous avez raison. (Nana essaie de mettre la bourse en sécurité de plusieurs côtés, mais cela ne la satisfait pas. Puis, elle a une idée, et fait disparaître l’objet définitivement : on comprend qu’elle la dépose dans un endroit très intime.) Pour venir la chercher, il faudra me passer sur le corps. (Reconnaissante .) Merci. Voici un poème express. Je vais l’inventer sur-le-champ, en votre honneur. 

On dirait une mamie 

Elle s’appelle Josie 

Elle a des paroles sages

Ça vient sûr’ment de son âge

Elle prend très bien soin de vous

Sous ses airs de vieux hibou 

Elle fait une révérence.

Josie, n’ayant guère goûté ce sizain. J’ai besoin d’un autre verre. (Elle se ressert. Puis, regardant une assiette posée sur le comptoir .) Tiens, personne ne m’avait dit, il y a de la viande, ici. (Elle prend un morceau qu’elle mâche avec application avant de l’avaler avec difficulté.) Deux possibilités : soit elle a été bouillie pendant trois jours, soit c’était la semelle de Big Peat. On le verra avant de repartir, vous croyez ?

LisaJ’en viens à me le demander.

Entre Rose. Elle est armée d’un fusil. Tout le monde la dévisage. 

Josie, à part. Il ne manquait plus qu’elle.

Le reste de la troupe garde le silence. Rose avance lentement, sans un mot et vient se poster au comptoir, non loin de Josie.

RoseUn double.

Josie, des poignards dans les yeux. Un double lait-fraise ?

RoseJ’ai une tête de lait-fraise ?

LisaC’est une Winchester 73 ?

RoseVous savez lire.

LisaBelle arme. Je peux ?

Lisa tend la main vers la Winchester mais Rose la met en joue. Jim s’évanouit.

RoseRecule. (Lisa obéit.) Ou je fais parler mon canon.

JosieQu’est-ce que c’est que ce foulard ?

Rose, souriant soudain. Il me va bien, hein ?

Josie, vacharde. Très bien, il te donne l’air anémiée.

Rose, touchée. Quoi ?

JosieÇa ne ta va pas du tout au teint.

RoseAh bon ?

JosieAh non.

Rose, croyant à une blague. Mais non ?

JosieMais si.

RoseIl s’harmonise bien avec mes jambières.

JosieJe te l’ai dit cent fois mais tu ne m’écoutes pas.

RoseTu m’as dit quoi ?

JosieTu vois : mes conseils, tu t’en fiches. C’est agréable. 

RoseJ’ai plus onze ans.

JosieAvec ta nature de peau, il te faut des couleurs chaudes. Tu me le copieras.

Rose, acide. Merci pour tes encouragements. Remarque : ça ne me change pas de l’ordinaire. 

Josie, sèche. Prends une grenadine et tire-toi. 

RoseC’est comme ça que tu me remercies ? 

JosieTe remercier de quoi ?  

RoseTu perds la vue ? Je suis là. 

JosieMerci de l’information. Je te l’avais interdit.

RoseIl est interdit de m’interdire ceci ou cela.

JosieJe suis encore ta mère.

RoseJe ne suis plus simplement ta fille.

Murmure dans l’assistance. 

Taureau-AiléComme on disait chez moi, les vipères ne font pas des agneaux.

JosieEh oui mesdames et messieurs, je vous présente ma fille : Rose Chapman !

Rose, outrée. Tu révèles mon identité ?

JosieTu n’es pas une reine de la discrétion.

RoseAllez viens, on y va.

JosieOù ça ?

RoseChez nous. 

JosieVous ne pouvez pas vous passer de moi ?

RoseOn manque de cash.

JosieAh pitié. Ne me parle pas de cash. 

RoseÇa tombe bien : la toute nouvelle Yellowstone County Saving Bank vient d’ouvrir.

JosieEncore des enquiquinements en perspective. Vous n’avez pas eu ma lettre ?

RoseSi mais…

JosieIl n’y a pas de mais. Je suis sous la garde de l’inflexible Shérif Patch, et je lui suivrai, chaînes aux poignets, jusqu’à son bureau de Silent Valley. 

RoseTu es devenue une vraie chique molle.

JosieHeureusement. Si j’avais la chique dure j’aurais les dents cassées depuis longtemps. Et ce ne serait pas une bonne nouvelle, vu la tendreté de la viande cuisinée dans les parages. 

Jim reprend peu à peu conscience.

RoseL’inflexible Shérif Patch revient à la vie. (Elle fait un mouvement.) Je vais m’en griller une.

JosieTu fumes encore ?

Rose, un peu honteuse. Oui.

JosieArrêter, ce n’est pas simple. Mais on peut y arriver.

RoseComment tu as fait ?

Josie, désignant Jim. J’ai mis un Patch. 

À ces mots, Jim se relève.

RoseTon rigoureux geôlier refait surface. 

Jim, encore un peu embrumé. Eh… vous…

RoseShérif ?

JimTouchez pas à Josie.

RoseSinon ?

JimSinon… je… (Il fait un gros effort.) Je vais m’énerver. 

Murmure dans l’assistance.

RoseVous y tenez, à Josie.

JimCe à quoi je tiens, ce sont les 500 000 dollars de récompense. Donc… (Il respire vite.)… je vous le dis très calmement… (Il respire toujours vite, mais regarde autour de lui.) C’est quoi ces papillons ? 

JosieQuels papillons ?

JimCeux-là. (Tout le monde regarde, mais sans les voir.) Il y a des papillons, ici. 

JosieJe ne crois pas, non. Vous ne voulez pas vous asseoir, Jim ?

Jim, à Rose, respirant toujours vite. Je vous le dis donc très calmement, pas touche à Josie. 

Rose, menaçante. Et si j’y touche, tu vas faire quoi, hein ? 

Josie, bas. Ne va pas me l’énerver ! (À part .) Oh la mauvaise personne…

Jim, s’essuyant le visage. Il fait chaud, non ? Vous… vous n’avez pas chaud ?

JosieMais oui, on étouffe ici. Asseyez-vous, je vous sers à boire.

Jim, reconnaissant. Merci Josie, vous êtes gentille.

JosieCe n’est pas de la gentillesse. C’est de la terreur. Vous le savez, Jim, que vous me terrorisez ?

JimVous dites ça pour me faire plaisir. 

RoseAllez maman, on y va.

JimMaman ? 

LisaC’est sa fille. 

JimVous êtes Rose Chapman ?

RoseOn vous a déjà dit que vous étiez perspicace ?

JimMais votre tête est aussi mise à prix.

RosePossible.

Jim200 000 dollars.

Josie, faisant bisquer Rose. Moi, je suis à 500 000. 

Rose, outrée. 200 000 ? Seulement ? 

JimVous n’avez fait que quarante-trois braquages. Josie en a fait cent vingt-neuf. 

Josie, fière. —Cent vingt-neuf !

JimAttendez… 200 000 + 500 000 ça fait… Wouah ! (Sortant son pistolet, tenant en joue Rose et respirant fort par la bouche .) Vous allez aussi m’accompagner à Silent Valley.

JosieJim, ne soyez pas trop gourmand quand même.

RoseQu’est-ce qu’il dit ?

Lisa, à Jim, désignant sa chevalière. Jolie bague.

JimMerci. 

RoseSi ça ne vous fait rien, vous parlerez fanfreluches plus tard. Range ton arme, Patch.

JimJa… jamais ! Oh là… (Portant la main à sa poitrine.) C’est mon cœur qui fait ce bruit-là ? 

Josie, prenant peur pour Jim. Rose est très bonne tireuse. 500 000, c’est déjà pas mal, non ? 

Abigail, pointant elle aussi une arme sur Jim. Pose ton arme on te dit !

Jim s’évanouit, Rose et Abigail rangent leurs armes.

Nana, à Abigail. Vous avez mis le Shérif en joue ?

Taureau-Ailé, regardant Jim. Notre chaman m’envoyait souvent chercher des écorces dans un massif de Trembles, les biens nommés. Au moindre souffle, ils se mettaient à secouer leur branchage, comme il secoue sa carcasse au moindre soupir.

Lisa, tentant de ranimer Jim. Shérif ? Shérif ?

RoseCe type pensait empocher tranquillement nos récompenses. 

Josie, aux petits soins pour Jim. Tu ne me l’as pas abîmé, au moins ?

Rose, pointant son arme sur Jim. Et si on réglait le problème définitivement ?

JosieMoi qui croyais en avoir fini. Ça ne va pas recommencer ? 

RoseCeux qui ont un peu trop tendance à la ramener, on les fait taire. C’est ce que tu m’as appris.

JosieC’était une autre époque. 

Rose, baissant son arme. Après tout, je crois qu’il a compris.

JosieCompris quoi ?

RoseOn y va.

JosieOn va où ?

RoseÀ la maison. 

JosieImpossible.

RosePourquoi ?

JosieJe suis sous la garde de Jim.

RoseIl est hors d’état de nuire. 

JosieQu’est-ce que tu t’imagines ?

RoseJe n’imagine rien, je constate.

JosieQu’est-ce que tu as constaté ? 

RoseTu étais prisonnière. Maintenant tu es libre.

JosieGrâce à toi ?

RoseC’est ça. 

JosieMa chérie, tu as encore pas mal de choses à apprendre. 

RoseNe me traite pas comme une gamine.

JosieAlors tu n’as pas compris ?

RoseCompris quoi ?

JosieTu penses que c’est Jim qui me retient prisonnière ?

RoseIl est shérif, tu es une criminelle.

JosieMais enfin : regarde-le ! Ce pauvre garçon est aussi doué pour être shérif que moi pour la broderie sur soie.

RoseIl ne semble pas très à l’aise, c’est vrai.

JosiePas très à l’aise ? Il tourne de l’œil dès que quelqu’un sort un flingue.

RoseTu exagères.

Josie, à la cantonade. Exagéré-je ? Je vous le demande, exagéré-je ? (À part .) Tiens, c’est pas facile à dire, ça : « exagéré-je ».

NanaQu’est-ce que ça veut dire, « exagéré-je » ?

JosieJ’aime beaucoup Jim, mais enfin il s’évanouit tous les quarts d’heure. 

RoseC’est une manie ?

JosiePlus que ça : une ponctuation.

RoseTu veux dire que ?…

JosieExactement : il ne peut rien contre moi, je peux partir quand je veux.

RoseEt tu ne l’as pas fait ? Mais pourquoi ?

JosieJe vous l’ai écrit.

RoseOn ne t’a pas cru. On a pensé à une lettre alcoolisée.

JosieJ’étais sobre.

RoseAlors, c’est vrai ?

JosieC’est vrai : je veux aller en prison. 

RoseMais… mais… c’est absurde !

AbigailAllons, du calme.

JosieNe te mêle pas de ça, veux-tu ?

NanaElles se connaissent. 

AbigailJ’essaie d’arranger les choses.

JosieTu viens de résumer ton problème.

AbigailMon problème ? Qui a des problèmes ici ?

JosieMais toi je pense. 

AbigailMoi, j’ai des problèmes ? Moi, j’ai des problèmes ?

JosieOuais, des tas de problèmes !

AbigailMadame, la braqueuse la plus capée de l’Ouest veut aller en taule de son plein gré, et c’est moi qui ai des problèmes ?

JosieVous ne comprenez donc rien à rien. 

AbigailC’est comme ça que tu nous remercie ? En nous traitant d’andouilles ?

JosieVous remercier de quoi ? Je vous avais demandé de me laisser tranquille.

NanaElle est dans la bande aussi !

AbigailEh oui, moi aussi je suis de la bande !

LisaLa bande à Josie ! Vous n’êtes pas gouvernante ?

AbigailJe hais les mioches et ceux qui les font. Vous connaissez un meilleur moyen pour clouer une femme à la cuisine ?

LisaQuel est votre nom ?

Abigail—Leslie.

LisaEt vous n’allez pas à Minneapolis ?

LeslieJe ramène Josie là d’où elle n’aurait jamais dû partir : notre repaire. Un endroit secret, inviolable. Ne me demandez pas où il est, même sous la torture je ne parlerai pas. 

Josie, aux autres. Vous voyez la cascade de Lewistown ? Eh bien juste derrière il y a une grotte cachée. C’est là notre repaire secret. 

Leslie, n’en revenant pas. J’ai entendu ce que je viens d’entendre ?

Rose, furieuse. Elle vient de révéler notre cachette. 

LeslieOn vient la chercher et voilà comment elle nous remercie !

JosieOui, je sais, vous êtes venues, bravant le froid, vos mises à prix, blablabla.

LeslieOn a tué un gars pour toi.

JosieOh non, pas encore ?

LeslieSi, le taulier.

LisaBig Peat ?

LeslieC’est comme ça qu’il voulait qu’on l’appelle, je crois. 

JosieMais… mais pourquoi ?

LeslieIl faisait des histoires.

RoseIl se doutait de quelque chose. 

JosieÇa fait longtemps que vous êtes là ?

RoseTrois ou quatre heures. 

Josie, ironique. Et il se doutait de quelque chose ? On se demande vraiment pourquoi ? Où l’avez-vous mis ?

LeslieDans le ravin.

JosieDécidément, ce ravin est en passe de devenir l’endroit le plus couru de la région.

NanaUn charnier à ciel ouvert. Nouveau monde, qu’ils disaient…

RoseMaintenant, direction la Yellowstone County Saving Bank.

JosiePourquoi ?

RoseUne occasion en or de se faire un peu de monnaie.

Josie, ironique. Quand mademoiselle n’a plus de liquide, elle fait comme tout un chacun : elle va braquer une banque. 

RoseOn a toujours fait comme ça.

JosieEt le pognon du train postal ?

RoseAu chaud.

JosieAu chaud ?

RoseT’inquiète.

Leslie, à Josie. J’ai une théorie sur les noms en i et tu n’y échappes pas.

JosieUne théorie ?

LeslieIssue d’une observation scientifique : tu t’appelles Josie.

JosieBravo pour ce pénétrant sens de l’observation. 

Leslie, très sérieuse. Eh bien, tous les noms en i sont voués à vivre dans le crime. Regarde, ou plutôt écoute : (Elle insiste sur le .) Bonnie and Clyde, Jessie James, Billthe Kid.

Josie, pour la contredire. Les Dalton, (Jim tique.), Bob et Cole Younger.

Leslie, balayant l’intervention de Josie d’un revers de main. Exceptions.

Josie, imperturbable. John Joshua Webb, Jack Taylor, Jack Powers. (Comme Leslie ne répond rien, insistant sur les .) Jésus Christ, la Vierge Marie, Catherine de Russie.

LeslieÉvidemment, si tu ne prends que des exemples qui t’arrangent. 

Rose, à Josie.À quoi tu joues ?

JosieTu te trompes : je ne joue à rien, je suis, tout simplement.

Rose.Qu’est-ce que tu suis ?

Josie—Je ne suis pas quelque chose, je suis moi.

Rose.Tu te suis ?

JosiePourquoi veux-tu que je m’essuie ? Non, je suis, du verbe être. Tu suis ?

Rose.Euh… Tu es ?

JosieJe suis !

Rose.Qui es-tu ?

Josie—Je suis moi !

Rose.Et ce moi veut aller en prison ? Je ne le crois pas !

Josie—Je te crois.

Rose.Quoi ?

JosieTu ne me crois pas ? Je le crois. Après l’attaque du train postal, Leslie, toi et moi nous nous sommes séparées. Tu te souviens que les gardes me collaient aux basques. 

Rose.On devait se retrouver dans notre repaire.

JosieExact. Je suis partie du côté du Granite Peak et je me suis perdue dans la montagne. Tornado était épuisé. Je l’ai laissé dans un coin à l’abri. Au détour d’une vallée, je suis tombée sur un village indien. 

Rose.Ils t’ont capturée ? 

JosieIls m’ont accueillie.

Rose.Et après ?

JosieAprès ? Rien. 

Rose.Qu’as-tu fait ?

JosieRien. J’ai partagé quelques jours la vie de leur tribu. 

Rose.C’était intéressant  ?

JosieC’était apaisant. 

Rose.Vivre avec ces Indiens ?

JosieInfiniment. À un moment, ils se mirent à effectuer une sorte de danse, destinée à recueillir la force pacifique de la Nature. Quelque chose comme ça. (Elle essaie de reproduire ce dont elle parle, commence à mimer une gestuelle, à s’envoler vers une séquence dansée ample, mais s’arrête immédiatement : raideur dans le dos.) Ah ! Bon, évidemment, là, on ne va pas y passer la nuit, je vous ai fait une synthèse. Après ça, je me suis dit, pourquoi n’ai-je pas ressenti cette paix auparavant ? Que me manque-t-il ? J’ai des coffres remplis d’or, des meubles de prix, des tapis de Perse, du Bourbon vieux, une belle collection de tableaux…

Rose, poursuivant l’élan de Josie. Et moi une magnifique tenue ! (Rupture .) Oh zut, je me suis tachée !

JosieJ’ai travaillé très dur pour avoir tout cela. Pourquoi ce sentiment d’inquiétude permanente ? Pourquoi pas ce sentiment de paix ? Pourquoi faut-il se perde près du Granite Peak pour le trouver ? 

LeslieBen oui, pourquoi ? 

JosieEt puis j’ai compris. Compris que mon inquiétude venait justement de ça.

RoseDe quoi ?

JosieDe tout ce que nous avons. Cette peur qu’on nous prenne tout. Et puis la peur qui me tient aux tripes quand on attaque un train, quand on braque une banque : et si on me tuait ? Pire : et si on tuait ma Rose ? (Rose est touchée au cœur par cette dernière phrase.)

Taureau-AiléOn dirait le Saule, il se dressait près de mon tipi, nous avions établi notre campement autour de lui, au bord de la rivière. Déracinez-le, transportez-le ; débitez-le, faites-en des paniers ou des clôtures, il vous mènera malgré tout sur le chemin de la quiétude. 

JosieLa solution était là, évidente : tout arrêter. Mais pourquoi je vous raconte ça ? Quelqu’un comprend-t-il seulement de quoi je parle ?

Rose.Et ensuite ? Le shérif t’a vue et attrapée ?

JosieÀ part froid, je ne vois pas ce que Jim pourrait attraper.

Rose.Comment s’est passée ton arrestation ?

JosieAu bout d’un moment, je me suis dit : tu ne vas pas rester là, à profiter de l’hospitalité de ces Indiens superbes jusqu’à la fonte des glaces. Alors j’ai décidé de faire comme je l’avais toujours fait : tracer ma route. Et là je suis tombée sur une adorable scène. 

Rose, volontairement gnangnan.Une biche et son faon ? 

JosieTout comme. Non loin d’une maisonnette, une petite dame marchait dans la neige, tenant un monsieur bras-dessus, bras-dessous. 

LeslieLe shérif Patch ?

JosieAvec sa maman.

JimJe venais lui rendre visite. 

JosieJ’avance vers eux, et là, je vois mon Jim, il se crispe, il se met à trembler, il porte la main à son arme, manque de la faire tomber dans la neige…

Jim, tentant de se justifier. La surprise…

JosieJe le rassure aussitôt, je lui tends mon colt, crosse vers lui, je lui dis : « shérif, pas d’inquiétude, je viens rendre les armes et vous suivre jusqu’à votre bureau. » Mon Jim s’étonne, n’y croit pas, me fait confirmer ma déclaration, puis, délicatement, après m’avoir demandé la permission, me passe les menottes. 

Leslie, à Jim. Vous demandez souvent aux bandits l’autorisation de les mettre en état d’arrestation ?

Jim, s’éventant. Eh bien, à vrai dire, ça ne m’arrive pas tous les jours. 

Rose, à part. On s’en doutait.

Leslie, à Jim. Mais dites-moi, à Silent Valley, vous avez été élu facilement ?

JimHaut la main. 

Leslie, dubitative. Tiens ?

JimJe n’avais pas de concurrents. 

LeslieDans ces conditions, je comprends mieux. Un seul candidat…

JimEuh non, il n’y avait pas de candidat.

LesliePersonne ne briguait le poste ? Pas même vous ? 

JimOh non…

LesliePourtant, vous avez été élu ?

JimEh oui…

Leslie—C’est bizarre ce nouveau machin… comment ça s’appelle déjà ?

RoseAh oui… euh… attends… Ça commence comme démon.

Leslie—Démonologie ?

RoseDémoncratie ?

Leslie—Démocratie !

JimC’était pour mon père, je pense.

JosieVotre père ?

JimJo, Jo Patch, l’ancien shérif de Silent Valley.

LeslieÀ Silent Valley, on est shérif de père en fils.

Rose, ironique. On ne change pas une famille qui gagne.

JimMon père s’est fait tuer par Jack Powers.

JosieOh Jim, c’est affreux.

JimSous mes yeux. J’avais huit ans.

Un silence s’installe après cette déclaration.

Nana, en larmes. Oh Jim… Moi je vous comprends. J’ai vécu la même chose, quand papa s’est fait écraser devant moi.

JimVous aussi, vous avez perdu votre père ?

NanaNon, papa c’était le nom que j’avais donné au grillon qui nichait dans ma tente. (Sanglotant .) Cet ivrogne de Leland l’a écrasé comme une brute.

Josie, mettant la main sur l’épaule de Jim. Jim, vous êtes un brave. Croiser la mort sur son chemin, si jeune, ça laisse des traces.  

Leslie, faisant de l’esprit. Des traces de sang, souvent. (D’un regard sévère, Josie la fait taire.)

Rose, à Jim. Shérif, vous êtes un vrai dur à cuire. Aucune de vos peurs n’a encore eu raison de vous. Malheureusement, je vais libérer votre prisonnière.

JosieC’est une idée fixe, ma chérie ?

RoseSimplement une réaction normale, celle d’une fille qui tient à sa mère. 

JosieSi tu tiens à moi, ne fais pas ça. 

Rose, soudain sérieuse. Si tu t’échappes, je te suivrai.

JosiePitié ! Il est temps de couper le cordon. 

Rose, touchée. Tu ne le penses pas ?

JosiePourquoi es-tu venue jusqu’ici, avec Leslie ? Pourquoi n’as-tu pas cru à ma lettre ?

RoseJ’ai reconnu ton écriture, je n’ai pas reconnu ta voix. Je voulais, je croyais, ces derniers temps, la nuit, je pense, je pense, je ne dors pas et je pense, je pense sans cesse à toi, à moi, à nous, suis-je digne de toi ? Josie Whip Chapman, la truande la plus crainte et admirée de l’ouest, tu t’es fait un nom, et moi, serai-je bien ta fille, une fille dont tu pourras être fière, aurai-je aussi mon surnom intercalé entre mon prénom et le nom de notre famille, et maintenant tu fuis, loin de nous, loin de moi, j’ai peur de ne pas être à la hauteur de tes attentes, ça me rend triste, ça m’obsède et je m’en aperçois, je suis dans un cercle vicieux, toujours la même boucle, j’ai peur de ne pas être à la hauteur de tes attentes, ça me rend triste, ça m’obsède et je m’en aperçois, je suis dans un cercle vicieux, toujours la même boucle, j’ai peur de ne pas être à la hauteur de tes attentes, ça me rend triste, ça m’obsède et je m’en aperçois, je suis dans un cercle vicieux. 

JosieTu… tu ne veux pas boire un peu d’eau fraîche ? 

RoseJe suis risible, n’est-ce pas ?

JosieMais non, ma chérie, mais non. Quand tu es inquiète, tu rabâches. Moi, quand ça ne va pas, j’enchaîne bourbon sur bourbon.

LeslieQuand j’ai la frousse, je mange un cake entier.

JimEt moi, si je crois que tout est fichu, je ne peux pas m’empêcher de chanter Il était un petit homme, pirouette, cacahuète.

Josie, à Rose. Tu vois ? On a tous nos petits remèdes personnels.

RoseAlors tu n’es pas fâchée ?

JosiePourquoi le serai-je ?

Rose, tournant sur elle-même. Tu as vu comme mes bottines se marient bien avec mon chemisier ?

Josie, dont l’œil se fait moins indulgent. C’est un mariage qu’on ferait mieux de divorcer. 

RoseHein ?

JosieEt maintenant, laisse-nous. Jim, la neige paraît faiblir, il est temps de reprendre la route. 

RoseTu ne vas pas me faire ça ? 

JosieMoi, je te fais quelque chose, à toi ?

RoseMais oui !

JosieQu’est-ce que je te fais ?

RoseHonte. 

JosieTu y vas peut-être un peu fort. 

RoseToi, Josie Whip Chapman, un mythe chez les truands de l’Ouest, tu te rends à un pauvre shérif ! Toi la lionne indomptable, tu fais la chatte mielleuse, toi qui rugissais, tu miaules. Quelle infamie ! C’est l’image qui tu comptes laisser de notre famille ? La reddition ? La capitulation ? La collaboration, l’allégeance aux forces de l’ordre, nous, les enfants du désordre ? Je ne l’admets pas. (Elle met en joue Josie. Jim s’évanouit.)

JosieSi c’est une farce, elle est mauvaise.

LeslieRose, baisse ton arme. 

RoseJe baisserai cette arme si maman fait le casse de la Yellowstone County Saving Bank avec nous. 

JosieUn casse, mais pourquoi ?

RoseOn a besoin de fric. 

JosieTu n’en as pas assez ?

RoseSi nous ne le faisons pas, quelqu’un d’autre le fera à notre place. 

JosieQu’il en soit ainsi. 

RoseMon flingue tendu vers toi, ça ne te fait rien ?

JosieCe n’est plus un flingue, c’est un miroir. Un miroir tendu à l’éducation que je t’ai donnée. 

RoseTu philosophes encore ?

JosieJe philosophe trop tard, j’en ai peur. Ton flingue. C’est comme ça qu’on règle les problèmes, n’est-ce pas ? C’est du moins ce que je t’ai appris, pas vrai ?

RoseJe ne comprends pas.

JosieTu te sentiras mieux quand tu m’auras tiré une balle ? Vas-y, je suis prête.

Taureau-AiléElle me rappelle le Peuplier de mon enfance. J’ai fait tous mes arcs avec son bois. Peignez-le, assemblez-le avec d’autres essences tant que vous voudrez. Mais coupez-le contre son gré et votre hache retournera à la terre.

RoseSi tu ne finis pas sous mes balles, tu finiras la corde au cou. 

JosieTu parles sans savoir. 

RoseJe ne suis plus une gamine !

JosieJe ne serai pas pendue.

RoseToi, avec tes faits d’armes ? Ces derniers temps tu voulais éviter les morts, mais ça n’efface pas le passé. 

JosieAvec de l’argent, aujourd’hui, on peut s’acheter la meilleure réputation. 

Rose, baissant son arme. Je ne comprends pas… je croyais que l’argent, c’était mal.

JosieS’il permet d’acheter la paix, qu’on le dépense, s’il porte la guerre, qu’on l’enterre. 

RoseTu mets un sac d’or sur le bureau du juge et il ordonne ta grâce ? 

JosieTout simplement.

RoseQui fait l’enfant ici, c’est la question. 

Jim, qui entre temps, s’est remis de son évanouissement. Josie voit juste. Un deal, c’est assez courant. Contre de l’argent, contre un témoignage, contre un acte de repentance.

Rose, à sa mère. Tu resteras enfermée jusqu’à la fin de tes jours.

JosieJ’aurai la paix.

RoseLa paix ? 

Josie, un rien naïve. Je me vois, dans ma petite cellule, bien au frais, brodant à la chandelle, chantonnant gaiement pour passer les longues soirées d’hiver. (Un peu trop fort et un peu trop faux .) Dans la vieille ville de Dublin, où les filles sont si belles, J’ai tout de suite vu Molly, Molly Malone la douce, Poussant sa frêle charrette, S’écriant « poissons et moules »…

Rose, mettant un terme au supplice. On a compris, maman, merci. 

LeslieJosie, tu vas aller en taule. Et ce ne sera pas la vie de château, crois-moi.

JosieEn tout cas ce sera une vie sans emmerdes.

Rose, la contrant. Tu vas t’emmerder. Et d’une force.

JosieMoins que dehors ! Sans cesse braquer, tuer, planquer le fric, tout dépenser et recommencer, j’ai l’impression d’être un Sisyphe en culotte de peau.

NanaC’est quoi, un Sisyphe ?

LeslieUn gars. Il remontait une boule de pierre en haut d’une montagne. Mais à chaque fois que la boule arrivait au sommet, elle redescendait tout au fond de la vallée. Alors il était constamment obligé de recommencer.

NanaLe con. 

LesliePardon ?

NanaLe gars, sous la boule, il mettait une cale, c’était réglé. 

JosieVoyez ? J’étais sûre que vous réagiriez comme ça. On ne se comprend plus. Shérif, menottez-moi. Nous pourrions envisager de prendre la route ?

RosePardon. Ce flingue, c’était complètement… complètement…

JosieComplètement toi, complètement moi, complètement nous. Tu es bien la digne fille de ta mère !

Rose, prenant son élan. Cette vie de bandit, je n’y tiens pas.

Josie, après un silence, regardant Rose différemment. Non ?

RoseSans cesse à cheval, galoper, chercher une planque, lutter pour la vie… on n’a guère le temps de réfléchir. Mais maintenant que j’y pense… (S’enthousiasmant par degrés .) Filer dans un coin où personne ne nous connaît, se faire oublier, prendre une petite boutique, foulards, chapeaux, jambières élégantes, colts modèle jeune fille, lasso miniature pour sac à main, tout pour la cow-girl moderne !

Leslie, souriant largement. Et moi je tiens la caisse !

RoseTu ferais ça ?

LeslieMe demander si je préfère rester assise sur un fauteuil plutôt que me faire boxer le fessier à coups de galops interminables, c’est demander si je préfère le caviar à la bouse. 

RoseEt puis un mari, il est temps ! Et puis des enfants, ce sera gai ! (Elle rit puis son regard tombe sur Josie. Josie ne rit pas. Rose est coupée dans son élan.) Et toi tu ne les verras pas. (Josie paraît troublée.) Tu n’y avais pas pensé. Tu n’as pensé qu’à toi. Comme d’habitude.

Josie, après un temps, d’une autre voix. Notre magot est suffisamment gros pour tout plaquer, s’acheter des nouveaux noms et recommencer à zéro. (Bref silence, puis, énergique .) En avant !

Rose, la regardant avec surprise. Tu penses vraiment ce que tu dis ?

JosieBien sûr, ma fille.

Elle prend Rose dans ses bras.

LeslieJe crois que je vais verser une larme.

Elle se joint à Rose et Josie.

RoseOn devrait le faire plus souvent.

JosieQuoi ?

RosePoser les flingues et discuter.

JosieOuaip.

JimJe ne vous dérange pas ? 

JosieQu’y a t-il, Jim ?

JimVous faites votre cuisine entre vous sans vous occuper de moi. 

JosieJim, c’est moi qui suis venue me rendre à vous. C’était une erreur. Je retourne avec les miens.

JimVous ne retournez nulle part.

Un silence suit cette déclaration. 

JimVous pensez être les seules à avoir envie de vous tirer de cet enfer ? Et moi, alors ? Moi qui ne supporte pas la vue du sang, moi qui perds mon souffle à chaque cadavre ? La récompense pour Josie m’offrait une nouvelle vie. Si vous partez, je suis condamné à rester enchaîné à mon bureau de Silent Valley. (Il met en joue Josie.) Vous restez avec moi. (Il se met à respirer fort.)

JosieJim, enfin, ne soyez pas ridicule.

Jim« Ridicule », ça me va bien, hein ? C’est ce que vous pensez tous, n’est-ce pas ? « Ridicule ! Ce pauvre type est ridicule. » Ce qui se dit derrière mon dos, les quolibets qu’on me lance à la dérobée, mon surnom : « Jimmy-la-chiasse » !… Vous croyez que je ne le sais pas ? Mais ce soir, c’est fini. (Il passe derrière Josie, la tient prisonnière et lui colle son colt sur la tempe .) Toi, là, la fifille à sa maman qui rêve de vendre des fanfreluches, et toi, la vieille truande aux théories fumeuses, tu zigouilles tranquillement le pauvre tenancier de ce bouge infâme et tu t’imagines ensuite le cul orgueilleusement posé sur un coussin de rombière ? Vous me faites gerber ! Si vous bougez une oreille, je fais sauter le caisson de la vieille ! (Josie s’indigne avec éclat.) J’ai plus rien à perdre. Finir ici, ce sera toujours mieux que de finir à Silent Valley. 

Josie, se calmant, plus douce. Jim, vous ne pensez pas que c’est un peu exagéré ?

JimLa ferme !

Josie, refroidie. Je crois qu’il est sérieux.

Jim, approuvant. Je suis sérieux.

JosieC’est drôle, Jim, j’allais vous proposer une transaction. Leslie, le fric du train postal, y a combien ? (Leslie hésite à répondre.) Tu peux y aller.

Leslie800 000.

JosieOn donnera tout à Jim.

LeslieMais…

JosieJ’ai dit !  

LeslieTrès bien. (Elle fait un mouvement.)

JosieOù vas-tu ?

LeslieChercher le fric.

JosieNe me dis pas que… (Leslie passe derrière le comptoir et sort un gros sac en toile de jute. Elle le pose devant Jim. Plusieurs dollars en sortent et tombent par terre. Le sac en est gorgé.) Vous avez amené ce putain de fric ici ? Il était temps qu’on arrête. Ça vous convient, Jim ? (Jim contemple le sac et s’évanouit. Josie le ranime .) Ah non, ça ne va pas recommencer ! Passez-moi le bourbon. (Elle fait boire Jim.) Allons, Jim, réveillez-vous. Vous êtes riche, maintenant. 800 000.

Jim, après un temps, plongeant ses mains dans le sac et saisissant des billets. C’est trop.

JosieC’est pour les heures supplémentaires. Vous voyez, en Amérique il ne faut jamais désespérer.

JimVous croyez, Josie ? Vous croyez en l’avenir ? 

JosieL’avenir… Soit la liberté qui souffle sur le nouveau continent fera grandir l’être humain, soit l’égoïsme qui souffle sur l’être humain fera périr nos libertés.

Lisa, sortant un revolver et les tenant en joue. Ta gueule, Laura Ingalls. 

JosieSi tout le monde s’y met, je me resserre un verre. 

NanaLisa ? 

LisaVous m’avez prise pour une nullité – allez tous brûler en enfer – mais je vous montrerai que j’en ai sous le Stetson. Sweet Martha, ça vous dit quelque chose ? C’est moi ! Serrez-vous. J’ai dit « serrez-vous ! »

Les autres se serrent les uns contre les autres. Martha sort une grande corde et fait plusieurs fois le tour du groupe pour le ligoter. 

JosieC’est vraiment nécessaire ?

MarthaÀ la guerre comme à la guerre.

JosieLa guerre, encore ? Terminée, la guerre…

MarthaPas la guerre pour le billet vert.

NanaVous croyez qu’on va s’en sortir ? 

JimBien sûr qu’on va s’en sortir. Il était un petit homme, pirouette, cacahuète, il était un petit homme, qui avait une drôle de maison, qui avait une drôle de maison.

LeslieJe ne comprends pas. Vous êtes pourtant une heureuse conductrice de diligence ?

MarthaPasser ses journées loin de chez soi, supporter les plaisanteries de garçon vacher, se faire démolir la colonne à coups de nids de poule, cracher de la poussière, avaler des mouches, endurer les morsures de coyote, subir les attaques des bandits de grand chemin, quelle vie enrichissante !

Josie, sentant la colère monter. Elle n’aurait jamais dû nous révéler sa véritable identité. Je la chasserai jusqu’au bout. Les relations humaines, c’est comme une partie de poker. Si vous bluffez, faites-le savoir, mais après la partie. Et si vous trichez, taisez-le à jamais.

Nana, fulminant. « Sweet Martha », qu’elle dit. Je vois pas ce qu’elle a de sweet. 

JimC’est une pickpocket hors pair. Elle peut te chauffer ton portefeuille comme un rien. C’est du moins ce qu’on raconte. 

LeslieCette Martha me rappelle quelqu’un. C’est fou comme elle ressemble à Lisa.

Taureau-AiléC’est Lisa.

LesliePourtant elle vient de le dire, elle s’appelle Martha.

Taureau-Ailé, confirmant. Elle s’appelle Martha.

LesliePourquoi Lisa s’appellerait-elle Martha ? Ce serait plus simple si Lisa s’appelait Lisa et Martha Martha, non ?

Martha a fait plusieurs fois le tour du groupe et serre maintenant très fort. Gémissements : ça fait mal.

MarthaSalut la compagnie !

JosieVous n’allez pas nous laisser seuls ici ?

NanaOn va mourir de froid !

JimLe feu va s’éteindre. 

Taureau-AiléLes enfants de la nuit vont venir.

NanaLes enfants de la nuit ?

Taureau-AiléLes loups.

JimOn… on … va se faire dévorer par les loups ! (Il s’évanouit.)

Martha, serrant solidement le sac de billets. Et ça, c’est pour Salluste. Euh… c’est pour Martha.

NanaEh ben, tu t’emmerdes pas, toi.

MarthaJe vous le confirme. 

NanaSweet Martha, la pickpocket soi-disant la plus réputée de l’Ouest. Eh ben je trouve pas, moi. 

MarthaTu trouves pas ? 

NanaT’appelles peut-être ça du grand art de soulever un sac de dollars posé devant toi ? 

Martha, sortant la bague et le pendentif de Nana. Et ça, t’appelles ça comment, ma jolie ?

NanaMa bague ! Ma bague et mon pendentif ! Elle m’a chouré ma bague et mon pendentif ! Mais comment c’est possible ?

MarthaJe suis une professionnelle. Je ne me suis pas arrêtée en si bon chemin. (Elle dévoile alors une série d’objets qui sont peu à peu reconnus par les autres.)

Jim, qui a repris ses esprits. Ma chevalière !

Taureau-AiléLe saphir de mes ancêtres !

LeslieMes sous !

NanaLa médaille militaire de Miller !

RoseMa Winchester ! Elle m’a piqué ma Winchester 73 !

JosieMais… mais… mais c’est ma dent ! Ma dent en or ! Mais ?… Mais comment elle a fait ?

Martha, saluant. Sweet Martha, la pickpocket la plus douce de l’Ouest.

NanaOn vient de se faire baiser bien comme il faut. Nouveau monde, qu’ils disaient…

Elle sort. Tout le monde se met à s’agiter pour défaire le nœud.

RoseRattrapez-la !

LeslieRattrapez cette garce !

JosieRattrapez cette garce et butez-la !

LeslieEh Jos, si tu veux devenir une bourgeoise, va falloir corriger ton vocabulaire.

JosieVoilà tout mon problème : souvent, ma raison me dit : « reste calme » ; et puis mon colt lui répond : « N’oublie pas que j’ai six balles dans le barillet ».

RoseJe croyais que l’argent ne t’intéressait plus ?

Josie, lâchant les chiens. À la guerre comme à la guerre ! Mon fric ! Je veux mon fric !

Ils parviennent à se détacher, sortent à la poursuite de Martha dans une grande confusion, parlant ensemble et produisant ainsi une cacophonie hurlante de laquelle on perçoit peut-être « Mon Saphir ! », « Mes sous ! », « Mon pendentif ! », « Ma chevalière ! », « Ma Winchester ! », « Ma dent ! ». 

###

FIN DE

DERNIÈRE DILIGENCE POUR KANSAS CITY

Des questions ? Des remarques ?

Écrivez-nous : contact@rivoireetcartier.com


Cette pièce vous a plu ? Pour découvrir la prochaine en avant-première, inscrivez-vous sur le site et abonnez-vous à notre Lettre de Nouvelles.

Retour en haut