Coriaces 7F/3H



Jusqu’où la cohabitation entre deux mondes peut-elle aller ?

Accordez-nous moins de deux heures de lecture et plongez votre public dans une comédie noire explosive et inattendue (même si vous avez peu de moyens).

Avant de vous en dire plus, on a 3 questions rapides à vous poser :
🆘 Vous en avez assez des pièces qui manquent de tension et d’originalité ?
🆘 Vous ne supportez plus les intrigues prévisibles où tout se termine bien ?
🆘 Vous êtes fatigué-e-s des décors compliqués qui demandent un investissement démesuré ?

Si vous avez répondu oui à au moins deux questions, alors lisez vite ce qui suit !

Voici le résumé de Coriaces :
Quand Amaury et Diane, riches bourgeois, confient leur maison et leur chat à Samantha et Tony, ils ne se doutent pas que cette cohabitation forcée va révéler bien plus que de simples différences sociales. Entre quiproquos, manipulations et révélations, les apparences volent en éclats dans cette comédie noire où rien ni personne n’est épargné. Au fil des actes, les tensions montent et les secrets de la maison sont dévoilés… jusqu’à un dénouement aussi glaçant qu’explosif.

En accédant au texte intégral de Coriaces, vous obtiendrez un fichier PDF d’environ 142 pages pour un poids ultra-réduit d’environ 1,2 Mo, téléchargeable sur votre ordinateur, votre tablette, votre téléphone, et imprimable sur n’importe quel support. La mise en page vous permettra de noter sur le texte toutes les indications et notes de régie que vous jugerez utiles.

Avec Coriaces, vous découvrirez :


✅ Une comédie noire d’une rare intensité : la pièce maintient une tension palpable tout en proposant des moments de légèreté et de rire nerveux.
✅ Des rôles variés et riches : idéaux pour des interprètes souhaitant explorer des personnages complexes et nuancés.
✅ Un décor unique mais accessible : un grand salon bourgeois offrant de multiples possibilités de mise en scène.
✅ Un regard acéré sur les inégalités sociales : une réflexion percutante qui touche autant qu’elle amuse.
✅ Une intrigue captivante et imprévisible : le public sera tenu en haleine jusqu’au dernier acte.

Intéressé(e) ? Téléchargez gratuitement le texte intégral de Coriaces et laissez votre public découvrir cette fable mordante et magistrale sur les clivages sociaux et humains.

Attention : déconseillé aux spectateurs réfractaires aux histoires teintées d’humour noir, où la satire sociale côtoie l’absurde.



Coriaces est mis en ligne sur le site rivoireetcartier.com le 26 février 2024.

Il s’agit d’une comédie noire. Ce genre montre en quoi les êtres humains bâtissent des logiques qui peuvent aller à l’encontre de toute logique. Les personnages entrent en confrontation de manière destructrice, l’action débouchant sur la folie ou la mort. Ils prennent rarement de la distance avec leurs actes, restant prisonniers de leurs démons. 

La comédie noire nous invite à nous protéger par le rire de ce qui, dans un drame, pourrait provoquer notre effroi.

La pièce reprend une situation initiale déjà employée dans L’Étoffe des songes. Mais cette dernière, au milieu de son développement, fait éclater en vol les données de la fiction, ce que Coriaces ne fait jamais, laissant chaque personnage aller jusqu’au bout de sa course. Pour plus d’information, lisez l’article de blog que nous avons consacré à la pièce.

Texte intégral de Coriaces version 3F/3H à lire ou à imprimer

Personnages

Diane, femme d’Amaury.

Amaury, mari de Diane.

Samantha, compagne de Tony.

Tony, compagnon de Samantha.

Albane, amie d’Amaury.

Alan. 

Le décor

L’action se passe dans le séjour des Bellanger. Blanc et crème. Grande maison impeccablement tenue, meubles design. Au fond, une grande cloison percée d’une ouverture. À gauche, une cloison avec une porte vitrée donnant sur le jardin d’hiver ; à droite une cloison avec au premier plan une porte donnant sur la salle de billard. Fixé à la cloison du fond et à droite de l’ouverture, un escalier montant à un palier ; ce palier donne sur une ouverture haute dans la cloison de droite au deuxième plan ; en-dessous de l’escalier, face au public, une bouche d’aération. À gauche, à côté de la porte donnant sur le jardin d’hiver : un bar contenant bouteilles et verres, surmonté d’une étagère avec une photo de mariage de Diane et Amaury, radieux. Au fond, à gauche de l’ouverture, un music system ; à droite de l’ouverture, un visiophone, une console avec un téléphone à côté duquel sont disposés un bloc-notes et un stylo. Entre la console et l’escalier, des étagères sur lesquelles est rangée une collection de livres reliés en cuir. Près du bar et face au public, un canapé sur lequel est soigneusement plié un plaid et devant lequel on trouve une table basse. Devant l’escalier, une table haute avec un pot de fleurs, une corbeille de fruits et deux chaises. De l’ouverture du fond, des marches montent vers un couloir. Face à l’ouverture, dans le couloir, on voit une grande fenêtre avec une vitre d’un seul tenant dévoilant un jardin à l’anglaise. La vitre est brisée, un moineau git sur le sol du couloir. Le couloir donne, à gauche vers la cuisine, à droite vers la porte d’entrée, toutes deux invisibles du public.

Acte I

Au fond de moi le silence crie

Vendredi matin. La table haute est mise pour le petit-déjeuner. Sur celle-ci repose un paquet cartonné estampillé « Zambeau ».

Scène 1. Diane, Amaury, puis Tony, off.

Diane entre par le jardin d’hiver avec un vaporisateur d’insecticide. Elle porte une robe droite blanche à zip avant, bottes hautes en cuir blanc, collants blancs. Elle vaporise les fleurs sur la table puis sort par le jardin d’hiver avec le vaporisateur.

Amaury paraît sur le palier. Il porte une veste bleu marine sur une chemise blanche col ouvert, jean bleu foncé avec chaussures richelieu en cuir marron clair. Il descend l’escalier. Diane reparaît par le jardin d’hiver, les mains libres, sans jeter un regard à Amaury. Il l’embrasse, elle ne manifeste aucune réaction. Elle s’assoit, lui reste debout. Moment de flottement.

Amauryposant sa main sur le paquet cartonné. —C’est pour Mông ? (Silence de Diane, qui commence son petit-déjeuner. Amaury ouvre le carton, puis, après avoir vu son contenu ) C’est pour Mông. (Il referme le carton.) Tes valises sont prêtes ? (Diane reste mutique.) Tu as vu Peanut ? (Diane paraît ne pas entendre. Amaury regarde vers le jardin d’hiver.) Ah il est là, ce gredin ! (Amaury prend une assiette sur laquelle est servi morceau de fromage, se dirige vers le jardin d’hiver et s’accroupit. Il tend l’assiette vers la porte ouverte.) Et c’est qui qui va se régaler, hein ? Et c’est qui qui va se régaler, hein ? 

Diane. —Il a son concours de beauté dans huit jours.

Amaury, rapportant l’assiette à table, après un temps. —J’ai encore mal dormi. Toujours ce bruit. À notre retour, il faudra voir ça. (Nouveau silence.) Ton père sera là au casino ?

Diane, avec ironie. —Bien entendu, il s’intéresse tellement au labo.

Amaury, après un temps. —On ne peut pas aller en Russie maintenant. 

Diane. —Le Lac Baïkal.

Amaury. —Ce n’est pas un petit voyage.

Diane. —Selon Anna, jamais un chaman n’a su l’emporter dans un tel envoûtement.

Amaury. —On part à Marrakech.

Diane. —Ce n’est pas la même chose.

Amaury. —En ce moment, c’est compliqué, et puis c’est très onéreux. Je te l’ai dit, pendant quelque temps encore, il faut faire attention.

Diane. —C’est ma faute ? 

Amaury. —Non, c’est la mienne. C’est ce que tu voulais entendre ? 

Diane. —La campagne de la gamme Narcoflore, une catastrophe.

Amaury. —C’est vrai, chérie.

Diane. —Je te l’avais dit.

Amaury. —Mais chérie, toutes les études montraient que…

Diane. —J’ai des parts dans ce labo.

Amaury. —Et je ne l’oublie pas. 

Diane. —Si on avait gardé mon slogan, on y serait, au Lac Baïkal.

Amaury. —Peut-être.

Diane. —C’est certain. « Un sommeil d’or sans effort : Narcoflore ». Tout le monde adorait. 

Amaury. —Diane…

Diane. —Sauf toi.

Amaury. —C’est vrai, cet enchaînement de rimes, je trouvais ça un peu…

Diane. —Et maintenant, ton nouveau prototype. Tu as vu les stats des effets secondaires ?

Amaury. —On ne va tout de même pas se fâcher pour le labo ? C’est bientôt nos dix ans. (Nouveau silence.) Bon, allez, c’est d’accord, on part en Russie. (Le visage de Diane s’éclaire, celui d’Amaury également.) Dans un an jour pour jour, décollage pour le Lac Baïkal. (À cette précision, Diane laisse tomber son couteau dans son assiette.) Qu’est-ce que j’ai dit ?

On sonne au visiophone. Moment de suspension durant lequel Amaury et Diane attendent, regardent autour d’eux, comme cherchant quelqu’un. On sonne de nouveau. Amaury va au visiophone.

Amaury, décrochant. —Oui ?

Tony, off. —Goretti.

Amaury. —Je vous demande pardon ?

Tony, off. —C’est M. Goretti. Je rapporte l’écharpe de votre femme.

Amaury. —Ah, oui… (Avec un léger sourire ) « l’écharpe »… (Il appuie sur un bouton.) Entrez. (Il raccroche. À Diane, doucement ) Un jour, tu oublieras ta tête. Une étole à ce prix-là… Heureusement, mes employés me sont dévoués. (Il voit soudain le moineau au sol. Observant la fenêtre.) Du verre blindé ? tu parles… Où est Mông ?

Diane. —Je n’en sais rien.

Amaury, montrant le moineau. —Tu veux bien nettoyer ça, s’il te plaît ? 

Diane. —Cela fait partie de mes attributions ?

Amaury, sortant de sa poche son téléphone qui vibre. Il regarde, a un temps d’arrêt, puis, montrant son téléphone. —Je dois… 

Avec un mouvement d’humeur, Diane sort vers la cuisine.

Amaury, entrouvrant la porte de la salle de billard, au téléphone, chuchotant. —Tu es folle de m’appeler comme ça. Je te l’ai dit : envoie-moi des textos. Lundi ? 17h ? À la mairie ? D’accord. 

Diane réapparaît avec une balayette, une pelle et une serpillière. Amaury raccroche précipitamment. Diane s’agenouille et commence à nettoyer. On toque, Amaury va ouvrir.

Scène 2. Diane, Amaury, Samantha, Tony.

Amaury, off. —Bonjour.

Tony, off. —Bonjour, M. Bellanger.

Samantha, off. —Bonjour.

Tony, off, faisant les présentations. —Samantha, ma copine.

Amaury, off. —Entrez.

Amaury réapparaît dans le couloir, suivi de Tony et Samantha. Tony est en survêtement avec socquettes et claquettes. Il porte également un bandage à la main droite. Samantha porte un jean usé et épais à plis très marqués, avec une polaire à motifs sur un tee-shirt publicitaire, une grande sacoche fatiguée en simili cuir et des baskets. Tous les deux sont très souriants.

Amaury. —Vous connaissez ma femme.

Tony, saluant, souriant toujours. —Madame Bellanger.

Samantha, saluant, ne souriant plus. —Madame.

Diane, souriant. —Bonjour. (Montrant la balayette ) Vous m’excusez ? Les joies du ménage.

Tony, clin d’œil à Samantha. —Prends exemple, Sam.

Amaury, descendant les marches. —Par ici.

Tony et Samantha suivent Amaury, s’emmêlent les pieds et tombent par terre.

Tony et Samantha, tombant. —Attention ! Ah !

Diane quitte sa pelle et sa balayette.

Diane, aidant Samantha. —Ces marches sont terribles.

Samantha. —Merci Madame.

Diane, avec simplicité. —Appelez-moi Diane.

Samantha, retrouvant le sourire. —Bien, madame. Euh… Diane !

Tony, qu’Amaury a aidé à se relever. —Merci m’sieur Bellanger.

Alors que Samantha n’a pas quitté Diane des yeux, cette dernière se dirige vers la serpillère.

Tony, allant aussi vers la serpillère. —Attendez m’ame Bellanger, on va vous aider.

Diane, avec douceur. —Sûrement pas. J’ai presque fini. (Désignant la vitre brisée ) Notre vue sur le parc est balafrée.

Samantha. —Votre parc, magnifique.

Tony. —Énorme.

Amaury, avec un petit sourire. —Huit hectares. Bosquets, haies, labyrinthes, parfois on s’y perd. Je l’adore, ce parc. Toutes les pièces du rez-de-jardin ont une porte-fenêtre pour y accéder facilement. J’y ai tenu.

Tony. —L’entretien, ça doit être… (Il fait un geste.) Piouf…

Amaury, dont le sourire s’affirme. —Le robot-tondeuse fait ça très bien.

Diane, moins enthousiaste. —Très bien, très bien… l’autre jour, je faisais un somme sous le grand chêne, si je n’avais pas bougé, il me serait passé dessus.

Amaury, modérant le propos de Diane. —Quelques réglages restent à faire. Il est top.

Samantha. —On a vu un chat. Il est à vous ?

Amaury. —Tigré roux ? C’est Peanut. L’agilité même. On ne sait comment, il se faufile partout, notre petit bébé…

Diane, rectifiant. —Mon petit bébé. C’est grand, ici. (Tony et Samantha approuvent.) Il y met sa petite vie. C’est un peu comme mon fils.

Amaury, avec une légère réprobation. —Diane…

Diane, s’animant progressivement. —Il me donne beaucoup de travail. Sa gamelle, sa litière, le rognage de ses griffes, le brossage de son pelage, l’entretien de son panier, ses exercices quotidiens, le nettoyage de son linge. 

Amaury, dans le but de la faire taire. —Tu t’en occupes très bien, chérie…

Diane, soudainement. —Il est sorti sans son châle à chat !

Tony, sans comprendre. —Son chalacha ?

Samantha, comprenant. —Ah ! (Détachant les mots ) Son châle-à-chat !

Diane. —J’espère qu’il n’attrapera pas froid.

Amaury, expéditif. —Mais non, mais non…

Samantha, donnant un coup de coude à Tony. —À propos de châle.

Tony. —Ah oui ! (Il sort d’une des poches une étole roulée en boule et la tend à Diane.) Votre écharpe.

Diane prend l’étole, la déplie et en sort un médaillon.

Tony. —Tiens, c’est quoi ?

Diane. —Celui-là, je l’ai cherché ! (Elle serre le médaillon dans sa main.) 

Tony. —On l’avait pas vu.

Samantha, d’un regard réprobateur à Tony. —Ça non, on l’avait pas vu.

Diane. —C’est un porte-bonheur offert par ma grand-mère. (Diane regarde réellement Tony pour la première fois. Elle se met à le considérer différemment et lui sourit. Samantha ne les quitte pas des yeux.). Vous, vous êtes magique. (Nouveau silence durant lequel elle met le médaillon autour de son cou et continue à regarder Tony.)

Amaury. —Eh bien, chérie. Dis merci à monsieur… euh… (Il cherche.)

Tony. —Appelez-moi Tony.

Diane, bredouillant. —Euh… oui… merci monsieur… euh… Tony… Le feu d’artifice était si réussi, j’en ai oublié mon étole.

Samantha. —Ce feu d’artifice, on l’attend chaque année avec impatience.

Diane, mettant l’étole. —Mon mari le prépare pendant des mois. 

Tony. —Ça vous va très bien.

Diane, le regardant de nouveau, mais avec davantage d’intensité. —Merci, Tony.

Amaury, collant la pelle et la balayette dans les mains de Diane. —Eh bien merci d’être passés, maintenant, excusez-nous, mais nous avons à faire.

Tony, voulant prendre les objets. —Je vais le faire, m’ame Bellanger.

Diane, le grondant avec douceur. —Diane.

Amaury, à Tony. —Ça fait longtemps qu’on ne vous a pas vu.

Tony, tout sourire, montrant son bandage. —J’en ai encore pour trois mois.

Diane, à Tony et Samantha. —Vous prendrez bien un café ?

Amaury se mord les lèvres, Samantha et Tony se regardent.

Diane, à Tony. —J’ai besoin d’aide. Vous venez ?

Diane va en cuisine, suivi par Tony qui a pris serpillère, balayette et pelle. Amaury fusille Diane du regard tandis que Samantha les regarde s’éloigner.

Scène 3. Amaury, Samantha, Tony.

Amaury, répondant au téléphone, alors que Samantha se met à observer attentivement la maison. —Oui ? L’Hôtel des falaises, oui je confirme. Frais professionnels généraux. (Un temps.) Pardon ? Puymartin, j’ai dû mal m’exprimer. Vous mettez cette facture de l’Hôtel des falaises dans mes frais pros. (Un temps.) C’est moi qui décide ce qui est approprié ou non. (Un temps.) Peu m’importe la politique comptable de United Pharma. Il sera toujours temps de changer une fois le rachat effectif. Bellanger est encore le patron du Laboratoire Bellanger. (Il raccroche vivement.)

Tony, arrivant de la cuisine, reparaît avec un plateau sur lequel reposent quatre tasses à café avec des soucoupes et des cuillers. Amaury, voyant cela, accourt pour le soulager du plateau et le pose sur la table.

Tony, repartant. —Je vais chercher le lait.

Amaury, l’arrêtant. —Je m’en occupe.

Il repart en cuisine.

Samantha, qui depuis quelques instants inspecte discrètement mais précisément le lieu, s’arrête sur le paquet estampillé « Zambeau ». Elle l’ouvre et découvre trois éclairs au chocolat. Elle les montre à Tony. Presque immédiatement, ils se jettent dessus et en dévorent un chacun. Tony saisit alors le dernier, mais Samantha l’arrête.

Samantha. —Celui-là, ce sera pour le gars des poubelles. Il a pas mangé depuis trois jours, qu’il m’a dit.

Tony. —D’accord. (Il croque alors dans le dernier éclair.)

Samantha, lui donnant une tape sur le bras. —Eh !

Tony, lui tendant l’éclair. —C’était pour voir s’il était bon.

Samantha empaquette l’éclair dans un tract syndical et le fourre dans son sac.

Scène 4. Samantha, Tony, Diane, Amaury.

Diane et Amaury, venant de la cuisine, reparaissent. Diane porte un plat sur lequel est présentée une brioche coupée en tranches, tandis qu’Amaury porte un petit pot à lait et des serviettes de table.

Amaury, à Diane. —C’est toi qui as bu mon jus de goyave ?

Diane. —Il y en a dans le mini-bar de la chambre.

Amaury. —J’en avais mis un dans le frigo de la cuisine.

Diane et Amaury posent tout sur la table. Diane se saisit du carton estampillé « Zambeau ». Samantha regarde Tony, qui la regarde à son tour.

Diane, souriante, à Tony et Samantha. —Vous aimez les éclairs au chocolat ?

Tony, acquiesçant. —On adore !

Samantha, modérant son propos. —On adore, on adore… on aime bien, mais on n’en raffole pas non plus…

Diane. —Avez-vous déjà goûté ceux de chez Zambeau ?

Samantha et Tony, avec une certaine gêne. —Non, non jamais.

Diane. —Installons-nous sur le canapé.

Amaury va parler, mais trop tard : Diane emmène carton et brioche sur la table basse. Il la suit avec le pot à lait, Tony prend les tasses.

Diane. —Ce sera plus cosy. (Installant Samantha et Tony dans le canapé.) Vous serez très bien ici.

Samantha sourit, tâte le moelleux des coussins. Amaury prend les chaises de la table et les amène près du canapé.

Diane. —Et nous, nous serons très bien là. (Amaury et Diane s’assoient. Sans transition ) J’ai pris ces éclairs pour Mông, notre employée de maison. Elle a la gentillesse de garder Peanut ce weekend. Elle s’est fait ensorceler par ces pâtisseries. Il y en a trois : prenez-en un chacun, il lui en restera un. (Elle ouvre le carton et s’aperçoit qu’il est vide.) Mais ?

Amaury. —C’est étrange.

Un silence. Diane fixe le carton tandis qu’Amaury regarde Samantha et Tony. Ces derniers regardent leurs pieds. 

Diane, fermant le carton, retrouvant son sourire. —Ces derniers temps, ça arrive. Il reste la brioche.

Tony, sans rien demander à personne, se jette sur la brioche et s’empiffre.

Amaury, prenant une serviette et la mettant sous Tony. —Ce canapé est un véritable objet d’art. Il a été dessiné par Bertone.

Diane, déployant un éventail. —On a mis des mois à trouver un modèle qui convenait au séjour. 

Samantha se laisse enfoncer dans le canapé.

Samantha, regardant la bibliothèque. —Y en a, des livres.

Amaury. —Cette bibliothèque, il a fallu deux jours pour l’installer, je m’en souviens encore. Quelle agitation dans la maison.

Samantha, observant la pièce. —Ici, tout est tellement… tellement…

Diane. —Tellement ?

Samantha. —Tellement frais.

Tony, la bouche pleine de brioche. —Ça c’est vrai, ça. Hyper frais.

Diane. —Vous êtes adorables. J’aime beaucoup cette maison. On y découvre toujours des recoins qu’on ignorait. Mon mari l’aime aussi énormément. C’est parfois dur de l’en sortir. Il l’a achetée juste après notre mariage. N’est-ce pas chéri ?

Amaury. —Chérie, tu ennuies monsieur et madame Goretti.

Samantha. —On n’est pas mariés.

Diane, à Amaury. —Tu vas nous dire que tu n’es pas attaché à cette maison ?

Amaury, concédant ce point à Diane. —Il y a des lieux à qui vous appartenez plus qu’ils ne vous appartiennent.

Diane. —La grande qualité de cette maison, c’est son calme. 

Un temps durant lequel tout le monde écoute ce calme.

Diane. —Et le calme, c’est important. 

Tony. —Complétement d’accord avec vous, m’ame Bellanger. Il y a deux jours, chez nous, le voisin a encore hurlé à la mort toute la nuit. Si j’avais pu le… (Il fait un geste : l’expédier.)

Diane. —Où habitez-vous ? (Amaury lui fait les gros yeux mais elle ne s’en aperçoit pas.)

Samantha. —À Benjamin-Franklin.

Amaury. —Résidence construite par mon grand-père. Vous avez vu le buste en arrivant ? C’est lui, c’est papy. Il voulait que les employés du labo aient un endroit décent pour vivre.

Samantha. —Un endroit décent ? Je peux vous dire que c’est loin d’être le cas. C’est sale, ça pue, je vous parle même pas des trafics qu’on voit sous nos fenêtres…

Tony. —Sauf le respect qu’on doit à votre grand-père, m’sieu Bellanger, y a plus rien de décent. Ça fait des mois qu’on n’a plus de chauffage, ni d’ascenseur, ni…

Diane. —Un petit verre détendrait peut-être tout le monde ?

Amaury. —À cette heure-ci ?

Tony, riant. —M’ame Bellanger, vous êtes une marrante ! (Regardant les bouteilles dans le bar ) Oh mais dites-donc, y a de quoi faire, on dirait… (Il sort son téléphone et fait des photos.)

Amaury, légèrement crispé. —Puis-je vous demander ce que vous faites ?

Tony. —Les potes, quand ils vont voir ça, ils vont pas en revenir.

Amaury. —Vous êtes ici dans une propriété privée.

Tony, rangeant son téléphone. —Euh… oui… bien sûr m’sieu Bellanger.

On sonne.

Amaury, se levant. —Albane. 

Amaury va au visiophone et appuie sur un bouton.

Diane, à Tony. —Comment va votre main ?

Tony. —Je peux toujours pas la bouger.

Samantha. —Il exagère.

Diane. —Depuis l’accident, mon mari a renforcé la sécurité des machines.

Samantha. —Il va bientôt reprendre.

Tony. —N’importe quoi ! J’en ai pour trois mois.

Samantha. —Va falloir se bouger, et pas qu’un peu.

Tony. —Je comprends pas ce que tu racontes.

Samantha, haussant le ton. —Ah tu comprends pas ce que je raconte ?

Tony, baissant les yeux. —Non, je comprends pas.

Samantha. —Et les huissiers ? Tu comprends, ça ? Tous nos meubles, dégagés ! Ça te rappelle quelque chose ? Il serait temps de grandir.

Tony. —Qu’est-ce que tu veux que je fasse ?

Samantha. —Que dalle, comme d’hab.

Diane. —Pardon, mais vous… on vous a pris vos meubles ? (Amaury, essayant d’être discret, lui fait signe de se taire.)

Samantha. —Oui m’ame Bellanger, on nous a tout pris. Et pas plus tard qu’hier. Les salauds… excusez-moi…

Diane. —Oh !… c’est terrible… (Amaury lui fait encore signe de se taire.)

Samantha. —Et vous savez pourquoi ? (Désignant Tony ) L’autre gugusse, là, il prend crédit sur crédit. Dès qu’il voit une pub il achète. Et après, monsieur joue au loto en espérant récupérer sa mise. (Dire tout cela lui fait presque monter les larmes aux yeux.)

Diane. —Et vous, Samantha, vous êtes en activité ? (Amaury montre des signes d’impatience.)

Samantha. —Je bosse à Intermarket. J’ai pas été augmentée depuis douze ans. Tony non plus, d’ailleurs.

Diane, ouvrant des grands yeux tandis qu’Amaury marque un retrait. —Ah non ? (À Amaury ) Il faut faire quelque chose.

On toque.

Amaury, avec lassitude, allant ouvrir. —Jusqu’au rachat, tout est gelé. Il faut encore faire quelques efforts, pour le bien de la boîte.

Diane, à Samantha. —Ils cherchent quelqu’un chez Mo. Le snack en face du feu rouge. Il y a une annonce depuis un jour ou deux. Les conditions y seront peut-être plus favorables ?

Scène 5. Samantha, Tony, Diane, Amaury, Albane.

Albane paraît dans le couloir et descend les marches, suivie d’Amaury. Elle porte un jean sombre avec des bottines qui le sont également. En haut, elle arbore une veste de tailleur colorée sur un chemisier clair. Personne ne se lève.

Amaury, désignant Samantha et Tony. —Monsieur euh…

Tony, après que Samantha lui a donné un coup de coude. —Goretti. Mais vous pouvez m’appeler Tony.

Amaury. —Voilà, monsieur Goretti et sa… son amie.

Samantha, se présentant. —Samantha.

Amaury, désignant Albane. —Albane.

Albane, regardant Tony et Samantha des pieds à la tête. —Messieurs-Dames… (Sortant une carte et leur tendant.) Albane Consigny, agente immobilière indépendante. « Un chez-soi vraiment à soi, c’est essentiel » (Elle reçoit un appel.) Excusez-moi. (Elle s’éloigne.)

Amaury, avec une énergie nouvelle. —Bien ! Tony, Samantha, encore merci d’être venus. Nous sommes obligés de vous mettre à la porte. (Tony se lève et se dirige vers le couloir.)

Albane, au téléphone. —Bonjour Slobodan.

Tony, constatant que Samantha ne l’a pas suivie. —Tu viens, chérie ? On doit y aller.

Samantha, sans bouger du canapé. —J’arrive.

Albane, au téléphone, discrètement. —Je n’ai pas oublié. Une dette de jeu est une dette de jeu.

Amaury, à Tony. —Vous allez à l’A.G., c’est ça ?

Tony, riant, confus. —M’sieu Bellanger…

Albane, au téléphone, toujours discrète. —Le problème sera réglé très rapidement. (Elle raccroche.)

Diane. —Tony, Samantha, vous n’allez pas repartir comme ça. Suivez-moi.

Tony. —Non, M’ame Bellanger, merci, c’est pas la peine.

Diane, plongeant son regard dans le sien. —Je me permets d’insister.

Elle sort par le jardin d’hiver, suivie de Tony, puis de Samantha, qui a fini par se lever du canapé.

Scène 6. Amaury, Albane.

Amaury. —Merci de nous emmener.

Albane. —Je t’en prie.

Amaury, fouillant dans ses poches. —J’ai prévu une compensation.

Albane, souriant. —Ah oui ?

Amaury, sortant un carton et le tendant à Albane. —Une invitation pour le lancement du Modupressor.

Albane, quittant son sourire et lisant. —Ah… Finalement… (Lisant ) Le casino ?

Amaury. —On sort le grand jeu.

Albane, essayant de sourire. —Eh bien merci.

Amaury. —On peut devenir leader sur l’hypertension artérielle.

Albane. —Et les effets secondaires ? Vous avez réglé le problème ? Diane parlait d’impuissance.

Amaury, balayant l’argument. —Quand on a trop de tension, entre vivre et baiser, il faut choisir. 

Albane, lisant l’invitation. —Toutes les huiles seront là.

Amaury. —Il faut ça. Pour les retombées médias. J’en ai besoin.

Albane. —Pour le rachat ?

Amaury. —Et pour mes finances.

Albane, souriant. —Tu es à plaindre ?

Amaury. —Plus que tu ne penses.

Albane. —Tu m’inquiètes.

Amaury. —Sur les conseils de Marianne, j’ai investi dans une opération immobilière.

Albane. —Tu la vois toujours ?

Amaury. —Elle est… pleine de surprises. Sans cesse sur de nouveaux projets. Mais le marché du logement, c’est pas son fort.

Albane. —Tu aurais dû m’en parler.

Amaury. —Cette affaire s’ensable. 

Albane, modérant le propos d’Amaury. —Avec tes réserves.

Amaury. —C’est un gouffre. (Soupir.) Heureusement, la vente du labo va combler trois fois mes pertes. Cerise sur le Sunday, j’aurai un emploi très lucratif chez United Pharma France. Tu vois, tout a été pesé.

Cette réplique change le regard qu’Albane porte sur Amaury. Ce dernier s’en aperçoit.

Amaury. —Je n’oublierai pas mes amis. Mais rien n’est officiel, je compte sur ta discrétion. Aujourd’hui, avec les réseaux, mieux vaut être prudent. Il y a beaucoup d’inquiétudes autour du rachat. 

Albane. —Ça ne doit pas être simple.

Amaury. —C’est loin d’être simple.

Albane, après quelques hésitations. —Je… j’ai eu connaissance de… d’une… d’un placement… un placement très rémunérateur. (Silence.) C’est une sorte de pot commun… enfin, plutôt, disons, un fonds, voilà c’est ça, un fonds d’investissements, le nom m’échappe… euh… O… G… euh… M… hum… R…D. Tu en as entendu parler ?

Amaury. —OGMRD ?

Albane, prenant conscience de l’association peu heureuse des lettres. —Oui…

Amaury. —Je ne vois pas.

Albane—C’est canadien, c’est pour ça. OGMRD Investments. Ça peut t’intéresser.

Amaury. —Tu as écouté ce que je viens de te dire ?

Albane—Tu verrais le rendement, je t’assure, même avec une mise modeste, on peut…

Scène 7. Amaury, Albane, Diane, Tony, Samantha.

Albane veut développer mais elle s’arrête car rentrent Diane, Tony et Samantha, venant du jardin d’hiver, ces deux derniers une fleur d’églantine à la main. Albane se met alors à pianoter sur son téléphone.

Tony—Merci, elles sont magnifiques. On n’a pas l’habitude.

Diane—Passez de temps en temps chez votre fleuriste, il suffit d’y penser.

Samantha—Bien sûr, m’ame Bellanger.

Diane, corrigeant gentiment. —Diane.

Samantha—On pourrait, des fleurs, on pourrait y penser, mais actuellement, l’urgence est simplement de trouver un matelas pour ne pas dormir par terre.

Diane—C’est affreux. 

Albane, au téléphone. —Allô maman, tu vas bien ? Oui ? Très bien ? Tant mieux.

Diane, à Amaury. —On a bien un matelas à prêter à Tony et Samantha ?

Albane, au téléphone. —Tu es chez toi demain ?

Amaury, à Diane. —L’heure tourne.

Albane, au téléphone. —Je voudrais te parler d’un placement très intéressant.

Amaury, à Tony. —À l’avenir, soyez plus raisonnable, mon vieux.

Albane, au téléphone. —À demain. (Elle raccroche.)

Samantha, à Amaury, tranchante. —C’est bien une réflexion de riche.

Amaury. —Voilà bien l’humeur du temps : ceux qui réussissent, on les déteste.

Samantha, sans faiblir. —Tout le monde aime ceux qui réussissent. À une condition : qu’ils n’oublient pas ceux qui les ont fait réussir.

Amaury. —Samantha, Tony, nous sommes au regret de devoir vous mettre à la porte.

Le portable de Tony vibre.

Amaury, à Albane. —Il faut y aller.

Tony, regardant son portable. —Oh non…

Samantha—Quoi ?

Tony, rangeant son portable. —Rien.

Samantha—T’as encore joué ? (Tony ne répond rien.) Et t’as encore perdu ! Putain, mais qu’est-ce que t’as dans le crâne ?

Samantha tombe alors sur la photo d’Amaury et Diane. Elle pose la main sur le cadre.

Amaury, donnant des clefs à Albane. —Sors la voiture. 

Albane, se dirigeant vers le couloir. —J’y vais.

Amaury, après avoir lu consulté son portable. —J’ai un message de Mông. 

Diane. —Où est-elle ?

Amaury. —Elle est partie précipitamment pour Yokoshima. Son père est mort.

Tout le monde s’arrête.

Diane. —Mon Dieu !

Amaury. —Disparaître ainsi, ça ne lui ressemblait pas.

Diane. —Nous pensons bien à elle, dis-le lui.

Amaury, pianotant sur son téléphone. —Évidemment.

Diane. —Elle peut prendre le temps qu’il faudra. Dis-le lui aussi.

Amaury, terminant de pianoter. —C’est fait. (Il envoie le message.) Elle doit être bouleversée. (Après un bref silence, il frappe dans ses mains et, sur une autre note ) Bon ! En route ! 

Tout le monde se remet en mouvement.

Diane. —Attendez !

Tout le monde se fige.

Diane. —Et Peanut ? Qui va s’en occuper ? 

Amaury. —Chérie, notre avion est dans une heure.

Diane. —Et alors ? On part trois jours à Marrakech sans s’inquiéter du chat ?

Amauryà Albane. —Tu peux passer voir le chat ce weekend ?

Albane, semblant soudainement affectée. —Je suis chez ma mère… Elle ne va pas bien du tout…

Diane—Rien de grave, j’espère.

Albane, sépulcrale. —Espérons.

Amaury, un éclair traverse son regard. —Le refuge ! (Il pianote sur son téléphone.) Oui, bonjour, M. Bellanger, Laboratoires Bellanger, avez-vous de la place pour un accueil temporaire ce weekend ? (Son visage rayonne ) Oui ? (Il fait un signe rassurant à Diane, qui sourit. Mais Amaury quitte son sourire ) Pour un acarien ? Éventuellement pour une puce ? (À Diane ) Ils sont blindés. (Diane quitte à son tour son sourire. Amaury se crispe.) Vous avez bien raison de prendre ça avec humour. Merci, au revoir. (Il raccroche. Amaury fait les cent pas, observé par Diane. Un nouvel éclair change son regard.) Et Anne-Geneviève ? 

Diane, retrouvant le sourire. —Peanut l’adore !

Amaury, pianotant de nouveau sur son téléphone. —Bonjour Anne-Geneviève, vous allez bien ? Oui, très bien merci. Oui, elle aussi, oui. Dites-moi, je vous demande ça à brûle-pourpoint, pouvez-vous venir garder Peanut pendant trois jours ? (Un temps.) Notre chat. (Amaury sourit ) Vous pouvez ? Et avec grand plaisir ? (Diane applaudit. Mais le visage d’Amaury change ) Dans deux semaines ? Quand vous sortirez du couvent ? Ah… (Diane s’assoit.) Oui, j’embrasse votre fille. Eh bien bonne retraite, Anne-Geneviève. (Il raccroche. Un temps de flottement.) Appelle ton père.

Diane, le visage fermé. —Il ne voudra jamais. (Regardant sa montre.) Il doit être à son club.

Amaury—C’est la seule solution.

Diane, faisant traîner les choses, prend son téléphone et fait quelques pressions, puis, d’une petite voix. —Allô, papa ? Excuse-moi, je te dérange ? Ah… en effet c’est curieux… ils ne t’auraient pas oublié ? Ils sont en sous-effectifs ? Oh… il ne devrait pas tarder à arriver, ce capuccino. Dis-moi… je te demande ça… si au cas où… par hasard… hum… on cherche quelqu’un pour garder notre chat. (Un temps.) Pardon ? Allô ? Allô ? (Elle repose doucement le téléphone, les yeux grands ouverts.)

Amaury—Qu’est-ce qu’il a dit ?

Diane, mécaniquement. —Il a dit : « Tu cherches à faire garder ton chat ? Tu ferais mieux de chercher à refourguer ton… ton… » (Elle s’arrête, regarde Amaury, puis les autres.) Il ne peut pas.

Amaury—Merde.

Diane et Amaury demeurent inertes. Samantha a suivi attentivement cet échange. Elle commence à s’animer, elle veut parler, amorce des phrases, ne les finit pas…

Samantha, avec d’abord un mince filet de voix. —Nous, on peut. (Un temps, un peu plus affirmée.) On peut le garder, votre chat. 

Tony, Diane et Amaury la regardent.

Diane, après un temps. —Vous vous êtes déjà occupés d’un animal ?

Tony, secouant la tête. —Jamais…

Samantha, le coupant. —Plusieurs fois : chat, berger allemand, cochon-dinde, pintade, poulet, nuggets…

Diane—Vous pourriez passer ici demain et après-demain ? Voir si Peanut ne manque de rien ?

Amaury—C’est impossible. Il faudrait leur montrer comment désarmer et réarmer l’alarme. La procédure est d’un compliqué…

Diane—Tu trouves ?

Amaury—Moi-même, j’ai dû relire plusieurs fois le…

Diane, à Samantha et Tony. —Vous accepteriez de rester ici pour le weekend ?

Amaury, immédiatement. —Enfin, chérie, c’est hors de question. Cette maison est bourrée de technologie, tu le sais bien. J’évoquais l’alarme, mais il y aussi le gestionnaire d’énergie, le protocole anti-intrusion, le pilotage de l’éclairage… (À Samantha ) On ne peut pas tout vous expliquer en quelques minutes, ça représente plusieurs modes d’emploi à absorber, au bas mot une dizaine, épais comme ça… J’ai plus simple : on enferme Peanut, on lui laisse à manger pour trois jours et basta. (Le visage vers le jardin d’hiver ) Quand on parle du tigre… (Se dirigeant vers le jardin d’hiver.) Viens-là pépère… non, attends ! (S’arrêtant ) il a gardé la forme, le brigand…

Tony, la tête tournée vers la salle de billard. —C’est pas lui, là-bas ?

Amaury, se précipitant vers la salle de billard. —Si !

Tout le monde se rue dans la salle de billard en appelant « Peanut ! Peanut ! » mais Amaury s’arrête et regarde son téléphone. Les autres disparaissent et laissent Amaury seul.

Amaury, décrochant, bas. —Ne m’appelle pas comme ça, je te l’ai déjà dit. (Un temps.) Un nouveau projet immobilier ? (Son visage se décompose ) Si ça m’intéresse ? Évidemment… (Un temps.) Mais si. (Un temps.) Mais si, toi aussi tu me manques.

Diane revient de la salle de billard sans être vue d’Amaury.

Amaury, plus bas. —Oui, moi aussi j’ai hâte de te retrouver. (Plus bas encore ) Moi aussi, je t’aime, Marianne.

Ces derniers mots fouettent Diane comme un coup de cravache. Amaury raccroche et se retourne vers la salle de billard. Amaury et Diane se font face. Ils restent un instant interdits.

Diane, tentant de reprendre contenance. —Peanut est monté sur le grand chêne.

Albane, Samantha et Tony rentrent par la salle de billard, rouges, essouflé·e·s.

Tony, peinant à reprendre son souffle. —Votre chat, c’est un champion…

Albane, regardant l’heure. —Il faudrait peut-être y aller ?

Diane, à Amaury. —Maintenant, il faut partir.

Amaury, sans enthousiasme. —Bien. Tony, Samantha, nous vous confions Peanut pour le weekend.

Tony, alors que Samantha essaie de ne pas trop sourire. —Mais et les modes d’emploi ? Ils sont très compliqués d’après ce que vous…

Amaury, le coupant. —Vous vous limiterez au basique. Vous avez l’habitude, il me semble. (À Diane et Albane ) Et maintenant, les valises.

Amaury, suivi d’Albane et de Diane, monte à l’étage.

Tony, à Samantha. —Qu’est-ce qui t’a pris ?

Samantha—Quoi ?

Tony—On a gardé un chat, un berger allemand, un cochon-dinde, une pintade ?

Samantha—Bah… j’ai pensé… les animaux… nous, on vit comme des bêtes… alors… une cage dorée, on fera des photos et plus tard… dans la jungle de la cité… (Elle s’interrompt.)

Tony, visiblement peu éclairci par cette déclaration. —Hein ?

Amaury redescend avec Albane. Chacun·e a une valise à la main. Albane s’arrête pour répondre au téléphone tandis qu’Amaury sort par le couloir.

Albane, au téléphone. —Oui ? (Un temps.) Si je comprends bien, la veste ne sera pas livrée ? (Un temps, son visage marquant une contrariété.) J’appelle ma banque. (Elle raccroche.)

Amaury reparaît par le couloir, Diane reparaît en haut de l’escalier, avec une valise.

Diane, descendant l’escalier. —Tony, Samantha, pour l’alarme, la console de contrôle est dans la cuisine, à côté des réserves. Elle s’arme automatiquement à partir de minuit. Pour la désarmer, appuyez simplement sur le bouton avec le petit cadenas. La cuisine donne sur la buanderie, si vous voulez faire une machine. Venez, je vous montre la piscine.

Diane sort par le jardin d’hiver, suivie de Samantha et Tony.

Amaury, donnant des clefs à Albane. —Tiens.

Albane—Mais… je suis à Saumur tout le weekend.

Amaury—En cas de pépin, ce sera toujours plus près que Marrakech.

Samantha revient par le jardin d’hiver.

Amaury, sans voir Samantha, fouillant dans le pot de fleurs, en sortant un revolver et le montrant à Albane. —Si jamais. (Il remet le revolver dans les fleurs.)

Diane reparaît par le jardin d’hiver, suivie de Tony.

Diane—Plus chaud : vers le rouge ; plus froid : vers le bleu.

Samantha les rejoint.

Amaury, à Samantha et Tony. — Les croquettes de Peanut sont dans le placard à gauche du frigo. Utilisez le doseur : une dose matin et soir. Vous prendrez la chambre d’ami nord, (Leur montrant le palier ) au fond du couloir. Servez-vous dans le frigo de la cuisine : il y a du poulet —vous connaissez, j’ai cru comprendre —et du cheesecake.

Diane—Passez aussi au jacuzzi et au sauna : dans le bungalow en bois à côté de la piscine. Profitez bien de la maison.

Amaury—Essayez de… de faire attention.

Tony et Samantha ont suivi ces explications sans savoir où donner de la tête. Ils sont comme ivres de joie.

Amaury, un trousseau de clés à la main. —Eh bien voilà… (Il hésite un peu, puis remet le trousseau à Samantha.)

Diane, souriant. —Vous êtes les nouveaux gardiens de la maison.

Amaury, avec une certaine réticence. —Nous revenons lundi en fin de matinée.

Diane, avec un large sourire. —À lundi. Peanut finira bien par descendre du grand chêne. Prenez soin de lui.

Samantha—Bien sûr, m’ame Bellanger. Bon voyage.

Tony—Bon voyage, m’ame et m’sieu Bellanger.

Diane sort avec une valise, ainsi qu’Albane.

Amaury, avec fébrilité. —Si vous pouvez éviter de bouger les choses…

Diane, off. —Chéri !

Amaury, répondant. —J’arrive ! (À eux ) Je compte sur vous.

Samantha, raffermie, pas forcément très rassurante. —Comptez sur nous.

Amaury la regarde un instant dans les yeux, puis sort. Bruit de portières de voiture qui s’ouvrent et se ferment. La voiture démarre et s’éloigne. Tony prend alors Samantha dans ses bras.

Samantha, se dégageant et exécutant une danse de joie. —On est bien chez nous ! On est bien chez nous ! On est, on est, on est bien chez nous !

Elle va au music system, met quelque chose de moderne et de festif. Elle et Tony se mettent à danser au rythme du morceau. Tout en dansant, Tony prend une bouteille dans le bar, la débouche et boit au goulot. Puis il prend son téléphone et appuie sur quelques boutons.

Tony, fort, pour couvrir la musique. —Salut ma poule ! Ça va ou quoi ? Moi, ça va, ouais, ça va plutôt bien. (Il rit.)

Samantha a elle aussi sorti son portable et prend des photos de la maison.

***

FIN DE L’ACTE I

Acte II 

Les invités sont dans le frigo

Lundi, fin de matinée. Des canettes et des cadavres de bouteilles jonchent la table basse. Des assiettes et des plats contenant des reliefs de repas sont posés de manière erratique sur la table, dont les chaises sont disposées sans ordre. Quelques sacs plastiques à même le sol, des vêtements éparpillés. Tony, en short fluo et chemise hawaïenne ouverte sur tee-shirt clair, dort sur le canapé avec des lunettes aux verres teintés, tout en ronflant à pierre fendre. Il n’a plus son bandage à la main.

Scène 1. Tony, seul.

Le téléphone sonne. Tony se réveille, se lève péniblement et va vers la console en titubant. Il décroche, mais semble être pris d’un haut-le-cœur. Il attend que ça passe puis il reprend le combiné.

Tony—Oui ? (Un temps.) Hein ? C’est quoi, ça, l’évêché ? (Un temps.) Ah… ah d’accord… (Un temps.) L’évêque ? (Un temps.)Oui, oui… (Un temps.) Monsieur et Madame Bellanger ne sont pas là. Je peux prendre un message ? (Un temps.) Attendez, je vais noter, parce que… (Il prend un stylo et note ) messe d’action de grâce… anniversaire de mariage… orchestre… chœur… (Le regard de Tony semble maintenant rempli d’étoiles.) Euh… oui, c’est noté, madame. (Un temps, puis avec conviction.)Oui, magnifique, sûrement, madame. J’ai tout écrit, madame. Je vous en prie, madame. Au revoir, madame. (Il raccroche et reste un moment les yeux dans le vague avec un sourire rêveur. Dans le vide ) Merci madame.

Scène 2. TonySamantha.

Samantha, off. —Tony ! Tony !

Samantha déboule de la cuisine en robe longue à fleurs, bracelet, nu-pieds, canette de soda avec paille à la main.

Samantha, comme préoccupée. —Tony ! J’ai quelque chose d’affreux à te dire !

Tony—Quoi ?

Samantha, dans un cri. —Je suis heureuse ! (Elle rit.)

Tony—T’as vu le chat ?

Samantha, après avoir bruyamment aspiré du soda à la paille. —Niet. (Elle pose son soda sur la table basse.)

Tony—On l’aura pas vu une fois. Eh dis-donc, tout là-haut je suis tombé sur une chambre décorée à la chinoise.

Samantha—À la chinoise ?

Tony—Ouais. Enfin, façon asiat’, quoi.

Samantha,. —Ça doit être la chambre de la bonne. (Observant la tenue de Tony ) Bravo. Très Hype.

Tony, observant la tenue de Samantha. —Bravo : très élégante.

Samantha—T’as fini le cheesecake ?

Tony, réprimant un mouvement de renvoi. —Ah… non… (Il aperçoit soudain une étiquette dépassant de la robe de Samantha.) C’est quoi, ça ? (Il lit l’étiquette ) « Dorothée de la Roche Saint-André ».

Samantha, pensive, elle détache le bracelet qu’elle porte, le retourne et lit. —« Marie Célestine Amélie de la Roche Saint-André ».

Tony, riant. —Ma vieille, t’as tous les Saint-André sur le dos, on dirait.

Samantha, les yeux dans le vague, elle aspire une gorgée de soda puis, avec mélancolie. —Ça se passe comme ça, chez eux : tu sors du ventre de ta mère et t’as déjà tout. (Son visage prend une autre expression, plus dure. Elle regarde la chemise de Tony, pointe une tache, gratte un peu.)

Tony, voyant la tache. —Zut. (Il enlève sa chemise et la donnant à Samantha.) Tu la mets au sale, s’te plaît ? (Samantha semble se retenir de crier. Tony s’en aperçoit.) Ce soir, je t’aide à débarrasser la table. (Il s’approche d’elle pour lui donner un baiser.)

Samantha, sans se laisser embrasser. —Ce soir… Les Bellanger arrivent d’une minute à l’autre.

Elle laisse ostensiblement la chemise de Tony sur une chaise et sort lentement par la salle de billard. Tony, seul, se dirige vers le téléphone fixe. Il appuie sur un bouton, puis pianote sur son téléphone portable.

Tony, au téléphone. —Rebonjour madame. Ouais, on vient de se parler, ouais, au sujet de l’anniversaire de mariage de m’sieur et m’ame Bellanger. Ouais, je me demandais, ça va chercher dans les combiens ce genre de machin, non, parce que je me disais…

On n’entend pas la suite : Tony disparaît vers la cuisine. La pièce reste vide un instant, dans le silence. Puis on entend une voiture arriver. Des portières s’ouvrent, se referment et la voiture repart. Ensuite, c’est le bruit de la porte d’entrée.

Scène 3. Diane, Amaury, puis Tony et Samantha.

Diane, off. —C’est nous ! 

Diane et Amaury paraissent dans le couloir, venant de l’extérieur. Ils descendent les marches avec leurs valises et entrent dans le salon. Ils sont en tenue de voyage : pull XXL, legging et baskets pour Diane ; blouson, jean et mocassins en daim pour Amaury.

Amaury, au téléphone. —Ils exigent d’être reçus ? Envoyez-les paître : ce ne sont que des syndicats. (Un temps.) C’est l’A.G. des salariés ? « En urgence ? » C’est le terme exact ? (Un temps.) Reprenez les éléments qu’on avait préparés et envoyez-les au Conseil. Je viens de rentrer, j’arrive. (Amaury raccroche et découvre l’état du séjour.)

Diane, regardant également la pièce. —Nos amis ont bien profité.

Amaury, semblant se retenir. —Ce ne sont pas nos amis. (Un temps.) Ce sont des porcs.

Diane—Peanut ! Peanut !

Amaury—Et dire que j’étais content de retrouver mes pénates. (Éclatant ) Mais comment a-t-on pu les laisser là tout un weekend ? Et sans Mông, on va devoir se taper tout le rangement !

Tony réapparaît par la cuisine, sans voir Diane et Amaury. Il tient un verre rempli d’une solution effervescente. Il titube un peu et, par inadvertance, il appuie sur le music system qui fait entendre un morceau tonitruant. Un instant plus tard, Samantha rentre par le jardin d’hiver, sans voir non plus Diane et Amaury. Elle se met à exécuter une danse déchaînée au rythme de la musique. Amaury et Diane ne les quittent pas des yeux. Tony rejoint Samantha. Ils dansent maintenant corps à corps. Samantha en semble déstabilisée. Tony s’arrête : il a un haut-le-cœur, est sur le point de vomir, puis se rétablit. Samantha, elle, continue à danser et se met à chanter à tue-tête. Amaury coupe la musique. Tony et Samantha remarquent alors sa présence et celle de Diane.

Amaury, après un temps, se bridant, à Tony. —Votre main va mieux, on dirait. (Un autre temps, à Tony et Samantha.) Vous allez me le payer. 

Il prend sa valise et monte à l’étage. Tony reste un instant immobile, puis monte également à l’étage en courant.

Diane, qui a suivi Tony des yeux, manipulant son médaillon. —Quelle sportivité !

Samantha, avec un mauvais sourire. —Ça, c’est un vrai sportif…

Diane, souriant aussi, mais avec une grande candeur. —J’en étais sûre.

Samantha—Sa passion pour le sport est si… si communicative.

Diane—Ah oui ?

Samantha—Je veux ! À chaque match, l’appart est bourré par ses potes. Belle compagnie, j’aime autant vous dire. C’est joints, bières, chips, et blagues de cul ! (Diane recule devant ce tableau.) Venez, la prochaine fois. Un conseil : mettez une tenue qui craint pas les tâches de gras.

Diane, ne pouvant réprimer un certain rictus, mais tentant de rire. —Hihi.

Diane prend alors sa valise, monte à son tour et disparaît par le palier.

Samantha, demeurée seule, imitant Diane. —« Mon Dieu, Tony, quelle sportivité ! »

Diane reparaît sur l’ouverture haute.

Samantha, ne l’ayant pas vue et poursuivant son persiflage. —« Tony, vous êtes ce que j’ai toujours attendu : un esprit brillant, une immense culture et une telle envie d’accomplir de nobles choses. Et serviable, avec ça. Vous allez m’être très utile. Peanut me donne tellement de travail. Sa gamelle, sa litière, le rognage de ses griffes, le brossage de son pelage, l’entretien de son panier, ses exercices quotidiens, le nettoyage de son linge. Vous vous chargerez de mon chat. Et n’oubliez pas ma chatte. »

Samantha s’aperçoit soudain de la présence de Diane. Avec une certaine gêne, elle s’assoit sur le canapé. Diane redescend et prend un sac à main qu’elle était venue récupérer.

Samantha, bravache. —Alors il s’est calmé, pépère ?

Diane—Amaury est un peu rigide sur le plan du rangement.

Samantha, s’avachissant. —Ça va. Y a pas mort d’homme.

Diane, après avoir acquiescé, regardant Samantha d’un œil plus minéral, mais avec beaucoup de moelleux dans la voix. —Dans l’intimité, une certaine décontraction peut se tolérer. Mais un peu de tenue ne peut pas nuire, ni à une maison, ni en général. Vous, par exemple. Vous voulez avancer dans la vie ? Faites quelques efforts. Redressez-vous, réduisez à zéro l’écartement de vos jambes. (Samantha, attentive, s’est exécutée.) Voilà. Vous sentez ? Cela convient mieux à cette robe, n’est-ce pas ? C’était celle de ma grand-mère. Elle portait le titre de duchesse. Vous avez bien fait de la mettre. Elle vous va bien. Mais faites-lui honneur.

Samantha, le visage fermé, aspire bruyamment le soda à la paille.

Diane—Vous connaissez la principale qualité d’une femme ? Sa discrétion. C’est une lutte perpétuelle contre la vulgarité. La prise de boisson à la paille demande une certaine vigilance. Le liquide doit être absorbé dans un silence absolu. Mais au bout du compte, c’est simple : il suffit d’arrêter dès que la boisson se raréfie dans le contenant.

Samantha semble bouillir intérieurement. Tony réapparait sur le palier, il dévale les escaliers.

Tony—Sam, qu’est-ce tu fous, bordel ? Faut tout ranger, et vite ! (Il prend le plus de déchets possibles et disparaît par la cuisine.)

Souriant, cette fois-ci de manière authentiquement satisfaite, Samantha se lève avec son soda, en aspire une bonne rasade avec beaucoup de bruit en regardant Diane droit dans les yeux, puis sort tranquillement par la salle de billard. 

Amaury reparait, échevelé, en sueur, dévale à son tour les escaliers.

Amaury, hurlant. —Où ils sont ?

Diane, comme sortant d’un rêve. —Qui ?

Amaury, hurlant toujours. —Les connards ! On les vire, et tout de suite !

Diane—Qu’est-ce que tu dis ?

Amaury—Ils ont mis la maison à sac ! Ils ont dormi dans notre chambre ! 

Diane, modérant les propos d’Amaury. —Ils ont une façon de vivre très différente de la nôtre.

Amaury—Diane, ces gens-là ne vivent pas. Ils défèquent.

Amaury va vers la cuisine, Diane monte l’escalier.

Scène 4. Samantha, Tony. 

Samantha revient de la salle de billard. Tony revient de la cuisine et continue de ranger. Samantha se cale voluptueusement dans le canapé en s’allongeant totalement. 

Tony—Tu m’aides pas ?

Samantha—T’es un grand garçon.

Tony—Sam… maintenant, on se casse !

Le téléphone de Tony reçoit un appel.

Tony, regardant son téléphone. —Et merde. 

Samantha—Quoi ?

Tony—C’est Steven. Les gars de l’entrepôt montaient quelque chose aujourd’hui. J’avais dit que je passerais. (Tony finit par répondre.) Oui ? (Un temps.) Oui, je sais. (Un temps.) Non, je peux pas. (Un temps.) Ah ouais ? Tu crois ?

Samantha—Il dit quoi ?

Tony, à Samantha. —Avec le rachat, va y avoir une charrette.

Samantha—Sûr ?

Tony, au téléphone. —T’es sûr ? (Un temps.) C’est clair. (Un temps.) Tous unis, quoi. (Un temps.) Euh… ben je sais pas… je pense pas, non… attends, je demande à Sam. (À Samantha ) Il demande si on passe au labo. Y a un sit-in.

Samantha, se pelotonnant dans le canapé. —On peut pas. On est hyper-occupé·e·s, là.

Tony, au téléphone. —On peut pas. On est hyper-occupé·e·s, là. (Un temps.) Euh… doucement… (À Samantha ) Je me fais traiter de con.

Samantha, soudainement réveillée. —Qu’il aille se faire foutre !

Tony, au téléphone, soudain plus véhément. —Ouais, eh ben tu sais quoi ? Eh ben va… (Un temps, se radoucissant ) bon, t’as entendu. Alors nos numéros, tu peux les virer de ton… (Un temps.) Allô ? Allô ? (À Samantha ) Il m’a raccroché au nez, cet enfoiré. (Regardant des pommes à moitié croquées sur la table.) T’as croqué dans toutes les pommes ?

Samantha—Je voulais toutes les goûter.

Tony manifeste un mouvement d’humeur, puis se dirige vers la cuisine.

Samantha—Ah non. (Tony s’arrête.) Elles vont au compost.

Tony—Au quoi ?

Samantha, les yeux dans le vague. —Il faut parfois s’enterrer pour renaître.

Tony—Qu’est-ce que tu racontes ?

Samantha sort par l’extérieur avec les pommes. On entend la porte d’entrée s’ouvrir et se refermer.

Scène 5. Tony, seul.

Tony prend deux ou trois choses qui traînent encore et va repartir quand son téléphone sonne. Il hésite, puis décroche.

Tony—Oui ? (Un temps.) Moi-même. Euh… attendez… (Il a comme un haut le cœur, respire, puis ) Oui, je suis là. (Un temps.) Merci de me rappeler, merci beaucoup, mais je ne suis pas très dispo, là. (Un temps.) Euh… Un ami, un ami… plutôt une connaissance de M. Bellanger. (Un temps.) Euh eh bien… hum… comme je vous disais dans mon message… (Il se met à chuchoter ) J’ai un projet de mariage. (Un temps.) Oui, à l’Église. (Un temps.) Eh ben… euh… je voudrais que… je voudrais que ce soit bien, quoi. (Un temps.) En grand, voilà. (Un temps.) À la messe ? Non. (Un temps.) Mes Pâques ? Y a des packs à faire ? Quel genre de packs ? Des packs de bières ? Des packs de lait ? (Un temps.) Confirmé ? Ben, je bosse pour les Bellanger, ça fait plus de dix ans. On peut le dire : je suis confirmé ! (Un temps.) Ah confirmé comme ça ? Non. (Un temps.) Ma mère voulait me baptiser, mais finalement…. (Un temps.) D’accord, merci, j’attends votre appel. Bonne journée et merci encore pour… (Il s’aperçoit qu’on a raccroché. Un dépit passe sur son visage.)

Il prend encore quelques affaires et repart en cuisine.

Scène 6. Diane, seule.

Diane descend l’escalier et apparaît dans la tenue avec laquelle Samantha est arrivée chez les Bellanger. Devant la glace, elle prend des pauses, change son élocution pour la rapprocher de celle de Samantha.

Diane—« Et les huissiers ? Tu les oublies ? Tous nos meubles, dégagés ! » « C’est bien une réflexion de riche. » « Tout le monde aime ceux qui réussissent. À une condition : qu’ils n’oublient pas ceux qui les ont fait réussir. » « Allez, Tony. Tu viens ? Tu viens avec moi ? »

Diane fait la moue maintenant. Elle disparaît dans le jardin d’hiver.

Scène 7. Tony, puis Albane, seule.

Tony arrive de la cuisine téléphone à la main, alors qu’on entend le bruit de la porte d’entrée.

Albane, off. —Hello !

Tony, alors qu’Albane paraît depuis le couloir. —Oh putain !

Albane, arrivant à la hauteur de Tony. —Quel accueil.

Tony, sautant sur place. —J’ai gagné !

Albane, glacée. —Bravo.

Tony, continuant à sauter. —La super cagnotte de 5000 !

Albane, soudain très chaleureuse. —Ah oui ?

Tony, s’arrêtant de sauter et tanguant. —Ouh là. (Il vomit derrière le canapé.)

Albane, avec dégoût. —La classe.

Tony, s’essuyant la bouche. —Vous ne dites rien à Sam.

Albane—À qui ?

Tony, s’essuyant la bouche. —Samantha. Surprise. (Se dirigeant vers le jardin d’hiver.) Sam ?

Albane—Euh… Il faudrait peut-être nettoyer votre… enfin la…

Tony disparaît par le jardin d’hiver.

Albane, s’asseyant sur le canapé et sortant son téléphone. —Ils ont pris leurs aises. (Elle passe un appel.) Allô, maman ? Merci encore pour ce weekend. (Elle sort une enveloppe.) Tes économies ? Disparues ? C’est fou… (Elle sort des billets de l’enveloppe et les compte.) Elles étaient où ? Sous le faux Appolon, c’est ça ? Hein ? Non, je ne savais pas, mais je m’en doutais. Combien il y avait ? (Regardant les billets qu’elle vient de compter ) C’est bien ça. Non, je veux dire, c’est fou, ça. Tu les as peut-être changées de place ? (La mine soudain moins réjouie ) Je te laisse, j’ai un appel. (Après avoir appuyé sur le téléphone, d’un ton joyeux un peu contraint ) Allô, Slobodan ? Comment vas-tu par ce beau… (Elle s’interrompt. Plus bas ) Oui, je vais avoir l’argent. (Rangeant les billets dans l’enveloppe.) J’en ai déjà une partie. Je sais, tu veux que ça aille vite, mais… (Elle s’interrompt de nouveau et son visage se décompose.) Demain ? Euh… alors là, je ne sais pas… Slobodan ? Slobodan ? (Albane semble dépitée. Puis, elle paraît très concentrée. Elle manipule son téléphone.) Allô ? Madame Maubert ? Vous allez bien, Josiane ? Non, cette fois-ci c’est pour moi. Une carte de visite.

Scène 8. Albane, Amaury.

Amaury arrive de la cuisine, regardant son téléphone.

Albane, n’ayant pas vu Amaury, poursuivant. —Du gris, ça fait sérieux. (Amaury s’aperçoit de la présence d’Albane.) Et au centre, en noir, « OGMRD Investments ». O-G-M-R-D I-N-V-E-S-T-M-E-N-T-S.  (Un temps.) Non, c’est pas un nouveau boulot. (Plus bas ) Pour tout vous dire, c’est une farce. Une énorme farce. Une énorme farce qui pourrait rapporter gros, si j’arrive à chopper les bons pigeons. (À ces mots, le visage d’Amaury change.) Merci Josiane, je vous rappelle. (Elle coupe.) OGMRD… (Elle rit un peu. Puis elle s’aperçoit de la présence d’Amaury, se lève.) Désolée, j’ai pas pu venir du weekend. Tout s’est bien passé ?

Amaury, se retenant. —Top. Le rêve.

Il la plante là et sort par le jardin d’hiver.

Scène 9. Albane, puis Tony.

Albane, répondant au téléphone. —Oui ? (Un bref temps.) Elle-même. (Un autre temps.) Vous voulez dire que… vous me coupez l’électricité ? (Un autre temps.) Cinq virements rejetés, c’est logique, je suis prélevée le 24, alors… (Un autre temps.)Et comment je vais me doucher ? Et me chauffer ? (Un temps.) C’est une honte. Hein ? T’as pas honte ? Joli métier… Oh non, c’est pas fini, permets-moi de… (Un temps.) Allô ? Allô ? (Posant son téléphone ) Pétasse.

Tony arrive de l’extérieur, léger.

Tony, consultant son téléphone. —Le plombier, c’est fait, reste maintenant les traites de la télé à…

Albane, ayant soudain repris son téléphone. —Je sais, mais un bénéfice de 350 000, pour nous, c’est l’ordinaire. Tu verras, au bout d’un moment, tu t’y feras, à tout cet argent. (Elle pose son téléphone.) Ah Tony, je vous cherchais.

Tony—Moi ?

Albane—Oui, vous. Je voulais vous parler d’un investissement.

Tony—C’est un peu comme un lotissement, c’est ça ? ah non, c’est un vêtement, un genre de veste ?

Albane—Je vous explique le principe. Faire un investissement, c’est donner un peu d’argent, et en recevoir ensuite plus qu’on en a donné.

Tony, se reculant instinctivement. —J’ai pas d’argent.

Albane, gentiment grondeuse. —Tony, vous me racontez des carabistouilles.

Tony—Des quoi ?

Albane—Je vous l’assure, le rendement est exceptionnel.

Tony—C’est quoi, un rendement ?

Albane—Le rendement, c’est le rapport entre ce que vous donnez et ce que vous recevez. Au début, vous pouvez commencer par mettre une petite somme.

Tony, avec une certaine nervosité. —J’y comprends rien, j’ai rien à donner.

Albane—Tony, vous ne donnez rien, vous ne faites que prêter un modeste… (Elle reçoit un appel sur son téléphone. Elle grimace un peu, puis répond en affichant un sourire un peu trop large.) Alberto ! Comment vas-tu ? (Tony profite de l’appel pour s’éclipser par la cuisine.) Ah ! Il est toujours magnifique, oui. Tout le monde me le dit : « Ton nouveau salon est splendide ! » (Marquant une certaine surprise.) ah non ? Pourtant j’ai fait ton virement… euh… il y a longtemps déjà. (Un temps. Puis, plus bas ) La fois d’avant, c’était un problème technique à la banque. Alberto, je t’ai déjà expliqué. Pour valider le virement, la banque m’envoie une confirmation sur mon téléphone, or j’étais en rase campagne et ma voiture…

Albane, toujours au téléphone, s’éloigne pour continuer la conversation et disparaît par la salle de billard.

Scène 10. SamanthaAmaury.

Samantha revient de l’extérieur. 

Samantha—Voilà le vrai problème du peuple : il sait pas se tenir.

Amaury revient de la cuisine.

Samantha, sans le voir, regardant son téléphone, lit un message. —70 personnes ? Putain, les enfoirés ! Ils vont virer 70 personnes ! Avec la chance qu’on a, Tony en sera. « Selon le Conseil, il n’est pas question d’économie mais de réorientation stratégique : le désengagement progressif de la filière générique ». Conneries. « Soucieux de proposer un accompagnement humain, le Conseil a sollicité les partenaires historiques des laboratoires Bellanger. Ainsi, 26 départs seront transformés en mutation chez les compléments alimentaires Sicard et les cosmétiques Boréal. » Et ils s’imaginent que les salariés vont gober leurs salades moisies ? Ils peuvent toujours courir. « L’ensemble des organisations syndicales a validé ces propositions » Hein ? Mais qu’est-ce qui… (Elle n’achève pas.)

Amaury, qui a écouté attentivement, avec un petit sourire. —Les syndicats sont plus raisonnables que vous.

Samantha—Vous leur avez graissé la patte ?

Amaury—J’étais en train de nettoyer votre bordel. Vous n’avez pas remarqué ? (Un temps bref.) Où est Peanut ?

Samantha—J’en sais rien.

Amaury—Je vous félicite pour votre gardiennage d’animal. Même ça, vous en êtes incapables. Maintenant, barrez-vous. 

Samantha—On y va. (Le visage d’Amaury laisse apparaître une imperceptible surprise.)

Amaury, repartant en cuisine. —Excellente nouvelle.

Samantha, reprenant son assurance. —Au fait, comment fait-on pour vos dépenses ?

Amaury, s’arrêtant dans son mouvement. —Mes dépenses ?

Samantha—Vos dépenses personnelles ? Votre secrétaire les dissimule dans les comptes du labo, et elle en a assez, et vous vous en foutez, tout ça.

Amaury—Je ne vois pas de quoi vous parlez. (Amaury repart en cuisine.)

Samantha, incrédule. —Oh. (Avec plus d’assurance.) Le labo paye vos dépenses personnelles depuis des années. Votre secrétaire maquille ça en frais professionnels. (Amaury s’arrête.) Comment on fait ? (Elle sort son téléphone.) Je balance tout à la presse ? À la radio ?

Amaury—Certaines affirmations peuvent coûter cher. 

Samantha—Quel est le prix ? Et qui va régler la note ?

Amaury—Heureusement, vous n’avez rien dit, je n’ai rien entendu. (Lui montrant la sortie ) Maintenant, si vous voulez bien…

Samantha—Quand la poussière est radioactive, on ne peut pas simplement la mettre sous le tapis.

Amaury—Vous avez la preuve de ce que vous avancez ?

Samantha—Pas besoin.

Amaury—Nous sommes dans un état de droit.

Samantha—On est au cirque. Je parle, je bousille votre image. Je vous bousille.

Amaury, serrant les dents. —Vous ne trouverez rien.

Samantha—On oublie toujours quelque chose. On trouvera. Et vous mordrez la poussière.

Amaury—Des menaces ?

Samantha—United Pharma veut racheter le labo. Mais voilà : j’ai décidé de parler sur Radio Littoral. Vous connaissez Radio Littoral ? Cette petite radio en perte de vitesse ? Cette petite radio qui serait trop contente de faire du buzz ? Scoop de l’année : Bellanger s’offre de charmantes escapades avec l’argent de sa boîte. L’onde de choc se propage : Diane est dévastée, au labo on demande votre démission, on crie, on casse des chaises, des vitres, on arrache les chemises des gens du Conseil. Diane quitte la maison. Vous appelez United Pharma, mais plus personne ne vous prend au téléphone. Le syndicat porte plainte. Diane demande le divorce pour faute. Une enquête est ouverte contre vous pour abus de bien sociaux. Ça vous tente ?

Amaury—Je vous attaquerai en diffamation. (Il repart.)

Samantha—Allez-y. Le mal sera fait. J’aurai allumé l’incendie. Vous ne pourrez plus l’éteindre. On criera au scandale, on cessera le travail. United Pharma se posera des questions. (Amaury s’arrête.) Racheter une boîte secouée par l’agitation sociale ?  Une boîte bloquée par ses propres salariés ? Tu parles d’une bonne affaire. (Amaury, tentant de masquer sa nervosité, ne dit rien.)Vous savez quoi, Amaury ? Je crois qu’on va rester quinze jours de plus.

Amaury, se crispant, après un temps. —Sept.

Samantha, soutenant son regard. —Dix.

Amaury, la fixant à son tour. —Je vous hais.

Amaury repart en cuisine.

Samantha—Tout le plaisir est pour moi. 

Prenant son temps, Samantha s’assoit dans le canapé. Elle s’y love avec délice, ferme les yeux. Puis, elle tire de son sac le tract syndical où elle avait emballé le reste d’éclair au chocolat. Elle déballe la pâtisserie, la regarde un instant, semble réfléchir, la renifle, y croque et la mastique avec volupté. Elle recommence tout en se prenant en photo. Tout à coup, un petit bruit se fait entendre. Samantha, tout en mastiquant, pose son portable sur la table basse, se lève avec le bout d’éclair à la main, cherche à savoir d’où cela vient, se met à quatre pattes.

Scène 11. SamanthaDiane.

Diane reparaît du jardin d’hiver avec un arrosoir à la main. Samantha s’aperçoit que Diane porte ses affaires.

Diane, cherchant quoi dire, ne trouvant pas tout de suite. —Très pratique, cette tenue, je… ça change… (Un temps, Diane cherche comment poursuivre, mais Samantha, toujours à quatre pattes, change d’orientation toujours dans cette position.)Cette robe est très fragile ! Elle est dans la famille depuis début vingtième. J’y tiens beaucoup. Vous voulez bien la remettre où vous l’avez trouvée ? J’en ai d’autres plus résistantes.

Samantha— Bien sûr. (Satisfaite, Diane se dirige vers les fleurs de la table.) Je la rangerai quand je l’aurai assez portée. (Samantha montre alors le bracelet qu’elle porte à son poignet.) Je me posais la question : il est splendide. D’où vient-il ?

Diane, fixant le bijou. —Mais… attention, c’était à mon arrière-grand-mère… cela coûte une fortune…

Samantha, jouant avec le bracelet. —Z’inquiétez pas. J’en prendrai soin. (Changeant de ton ) Vous êtes une grande rêveuse, vous.

Diane—Pardon ?

Samantha, après un temps. —Oubliez-le.

Diane, après un temps. —Excusez-moi, mais je ne comprends pas ce que vous…

Samantha, la coupant. —Vous et lui ? Vous y pensez ? Regardez-vous. Regardez-le. C’est grotesque.

Samantha gravit les marches de l’escalier et disparaît. Diane demeure seule quelques instants, elle semble hésiter.

Scène 12. Diane, Tony.

Tony arrive de la cuisine.

Tony—La cuisine est nickel, m’ame Bellanger. 

Diane, cherchant à éviter son regard. —Appelez-moi Diane.

Tony—Maintenant, encore ici, et ce sera tout bon, m’ame Bellanger. (Regardant la table basse ) Et Sam qui laisse traîner son téléphone…

Diane—Avez-vous vu Peanut ?

Tony—Celui-là, on l’a pas vu du weekend, m’ame Bellanger. (Tony remarque alors la tenue de Diane.) Mais c’est… mais vous avez… 

Diane—Il faut que je l’entraîne. Peanut. Son concours de beauté est pour bientôt.

Tony—Essayez dans le jardin.

Tony poursuit son rangement. Diane hésite encore un peu, puis elle se sert un verre de limoncello, qu’elle vide d’un trait.

Diane, respirant plus vite. —J’ai quelque chose pour vous.

Tony—Ah ouais ?

Diane, nerveuse. —Un poème. 

Tony—Un poème ?

Diane, au bord de l’évanouissement. —Je l’ai écrit pour vous.

Tony—Un poème ? Pour moi ?

Diane, sortant un papier. —Voulez-vous l’entendre ?

Tony—Oh vous savez, m’ame Bellanger, moi, la poésie, c’est pas…

Diane—Ce ne sera pas long. (Consultant nerveusement son papier, tandis que Tony range le portable de Samantha dans sa poche.) Euh… (Lisant, le regard collé au papier. Avec hésitation )

« Ma vie m’apparaissait comme un long bâillement

Une morne agonie, un engourdissement

Et mon lit conjugal, cette couche infligée

Tombeau de mes regrets, crucifix ennuyé

Noir étang léthéen, prémisse de la mort

Me liait pieds et poings, vautrée dans mon confort.

(Elle se détache de son papier et prend progressivement plus d’assurance.)

Et soudain tu parus, dépouillé de tout fard

Mal fagoté, pataud, des ongles de taulard

Pourtant je compris vite, à mieux te contempler

Que tu n’étais venu que pour me délivrer

Que pour mieux m’entraîner sur de nouveaux chemins

Et me faire jeter le masque du chagrin.

(Lyrique )

Il est temps d’achever ce qui a commencé

Unissons-nous, mon grand, je suis prête à t’aimer

Peu importe ce qui semble nous séparer

Unissons-nous, mon fort, car l’amour doit gagner. »

(Les yeux grand ouverts, elle guette les impressions de Tony. Un silence s’installe.) Ressentez-vous quelque chose ?

Tony, soudain pâle. —Oui, je crois.

Diane, dont les yeux deviennent humides. —Oh… Tony.

Soudain, Tony vomit derrière le canapé à plusieurs reprises.

Tony, s’essuyant la bouche. —Je vais nettoyer.

Diane, quelque peu refroidie mais tentant de sourire. —Laissez, ça me fait plaisir. (Elle s’approche lentement de lui, lui met une main sur l’épaule, puis, avec une douceur admirable ) Je te laisserai le temps qu’il faudra.

Tony la regarde sans un mot. Diane, telle un elfe, s’envole vers le jardin d’hiver, fredonnant et esquissant quelques pas de danse en faisant virevolter son arrosoir.

Scène 13. Tony, Samantha.

Samantha reparaît sur le palier et descend l’escalier.

Tony—Qu’est-ce que tu fais ? Il est temps qu’on se tire. (Il lui tend son téléphone.)

Samantha, reprenant le téléphone. —Pas déjà. 

Tony—Sam, on a bien profité, maintenant on se casse.

Samantha—On commence à peine à profiter. (Un léger temps.) J’ai négocié.

Tony—Ça veut dire quoi ?

Samantha—On reste. Jusqu’à nouvel ordre. Allez, détends-toi. (Elle arrive devant la flaque de vomi.) Qu’est-ce qui s’est passé ?

Tony—Ça doit être le chat.

Samantha—Il a fini par montrer le bout de son nez ? Nettoie tout ça, tu veux ?

Tony sort par la cuisine.

Scène 14. Samantha, Amaury.

Amaury paraît par le jardin d’hiver.

Amaury—Vous avez vu ma femme ?

Samantha —Donnez-moi les numéros de votre carte bleue.

Amaury, après un temps. —Pardon ?

Samantha—Et vos identifiants bancaires.

Amaury—Allez vous faire foutre.

Samantha—Je révèle tout ? (Elle appuie sur son téléphone.)

Amaury—Arrêtez.

Samantha—J’attends.

Sans un mot, Amaury sort sa carte bleue. Samantha la photographie recto/verso. Amaury range ensuite la carte.

Samantha—Vos identifiants.

Amaury manipule son téléphone, le montre à Samantha, qui prend encore une photo.

Samantha—J’étais sûre qu’on arriverait à s’entendre. Je vais me commander des fringues, je crois. Et un nouveau téléphone. Et une nouvelle voiture.

Tout en pianotant, Samantha ressort par le jardin d’hiver. Amaury se laisse tomber sur un meuble.

Scène 15. Amaury, Diane.

Soudain, on entend un hurlement lointain qui se rapproche à grande vitesse. Diane arrive de l’extérieur en courant, portant un robot tondeuse entre les bras. Une queue de chat maculée de sang en dépasse.

Diane, hurlant. —Elle l’a bouffé ! Elle l’a bouffé ! La tondeuse a bouffé Peanut ! 

Amaury, se relevant immédiatement, sidéré. —Peanut ?

Diane, caressant la queue, pleurant. —Oh mon bébé, comme tu as dû souffrir.

Amaury, ne sachant que dire. —Mais… mais…

Diane, à Amaury, violente. —Tout ça, c’est ta faute ! Je t’avais dit que cette saloperie déconnait ! T’en as rien eu à carrer. (Des sanglots arrivent ) Mon bébé, quelle mort atroce…

Amaury, voulant prendre Diane dans ses bras. —Je t’assure que je…

Diane, se dégageant violemment, criant. —Ne me touche pas ! (Un temps, plus grave ) Ne me touche plus. (Un autre temps.)Tony et moi nous nous aimons.

Amaury, écarquillant les yeux. —Tony ? … Tony et toi vous… ? (Il ne poursuit pas.)

Diane—Je demande le divorce.

Amaury, le souffle coupé. —Mais… je… C’est…

Diane, le robot dans les bras, sort par le jardin d’hiver avec dignité, tandis qu’Amaury se met à rire doucement.

***

FIN DE L’ACTE II

Acte III 

La revanche des cloportes

Lundi, début de soirée.

Scène 1. Diane, Tony, Amaury, Samantha.

Diane paraît, venant du jardin. Elle est en deuil, Tony est à son bras. Ils sont suivis en procession par Amaury et Samantha, qui eux, ne se touchent pas. Tous portent du noir. Amaury et Diane sont dans les vêtements que Tony et Samantha portaient à leur arrivée dans la maison et vice versa.

Diane, à Tony. —Merci de votre soutien. Et bravo pour votre tenue. Cela vous va très bien.

Tony—Une idée de Sam.

Diane—Les claquettes vont très bien à Amaury. 

Tony—Autre idée de Sam. 

Amaury fulmine.

Samantha—Et mon collier ? Vous l’aimez ? (Regardant Amaury ) Je me le suis payé avec ma nouvelle carte bleue. 

Amaury se rembrunit.

Diane, regardant tout le monde, elle prend une respiration, sort un bout de papier et lit. — « Mon cher Peanut, tu étais un merveilleux compagnon. Tu venais souvent frotter ton museau contre le mien, petit câlin, quand tu avais faim. Tu venais miauler, tout près de mes oreilles, mâo-mâo, quand tu voulais te faire brosser. (Elle est très émue.) Repose en paix, ici-bas, sous le chêne que tu aimais tant, et là-haut, au paradis des chats. » (Elle sanglote, range le papier, tandis que Tony lui tape sur l’épaule.)

Samantha—Navrée d’interrompre un moment si touchant, mais si vous pouviez vous magner de dégager vos affaires de la chambre, ça m’arrangerait.

Diane—Qu’est-ce que vous dites ?

Amaury, déstabilisé mais tentant un rétablissement, très doux. —Euh… j’ai demandé à nos amis, vu les circonstances, de rester quelques jours de plus. J’ai pensé, hospitalité oblige, leur donner notre chambre. 

Diane, s’accrochant au bras de Tony et soupirant d’aise. —Quelle bonne idée.

Amaury—Nous pourrions, quant à nous, aller dans la chambre d’ami est. (À Diane ) Je transfère nos affaires.

Diane, à Amaury. —Tu n’as qu’à transférer tes affaires à toi. (Regardant Tony avec des yeux de biche ) Moi, j’irai dans le studio du troisième.

Amaury, à Diane, mais regardant Tony avec un sourire crispé, ce qui amuse Samantha. —Nous sommes toujours mari et femme.

Diane, sortant un éventail. —Plus pour longtemps.

Samantha, chantant. —Paroles, paroles, paroles… (Ce disant, elle prend à Diane l’éventail des mains et se met à s’éventer en continuant de chanter. À Tony ) Viens. On va mettre quelque chose de plus confortable.

Samantha entraîne Tony dans l’escalier. Ils disparaissent par le palier.

Scène 2. Diane, Amaury.

Soudain, Amaury se rapproche de Diane et dépose des baisers sur son bras, puis il s’arrête et la regarde.

Diane, neutre. —Encore.

Amaury réitère son geste, mais avec plus de fougue. De nouveau, il s’arrête et la regarde.

Diane—Plus vite.

Amaury fait pleuvoir sur le bras de Diane un déluge de baisers. Encore une fois, il s’arrête et la regarde.

Diane—C’est bien ce que je pensais. Tu m’embrasses et ça ne me fait plus rien. Je quitterai la maison dès que possible.

Elle sort par la salle de billard, laissant Amaury interdit. Après un bref silence, différents tics se mettent à animer son corps de manière erratique.

Amaury—Un jour, personne n’aura rien vu venir, mais tout ça va péter. (Un temps. Il hurle soudainement ) Boum ! 

Scène 3. Amaury, Albane.

Entrant par le couloir, Albane paraît, sa trousse de toilette sous le bras.

Albane—Je viens prendre une douche. On m’a coupé l’eau. Euh… (Rectifiant ) J’ai un problème d’eau.

Amaury, après un temps. —Je peux t’aider ?

Albane—Oui, à prendre une douche.

Amaury, après un autre temps. —Tu sais, on peut se parler franchement. Entre amis.

Albane—Merci, Amaury, mais je ne demande pas la charité. (Sèche ) Je ne sais pas ce que tu t’imagines, je voudrais juste prendre une douche, une simple douche. (Acide ) Tu penses m’accorder cette grâce ?

Amaury, pincé. —Tu veux prendre une douche ? Mais avec grand plaisir. Fais comme chez toi. Tu penseras quand même à rendre les clés ?

Albane, montant l’escalier. —Oui, oui, j’y penserai.

Amaury—Où vas-tu ?

Albane, poursuivant sa montée. —À la salle de bain.

Amaury—Elle est en dérangement. Mais au jardin, le tuyau d’arrosage fonctionne parfaitement. Juste à côté du robinet, tu trouveras une éponge en inox. Tu verras, très efficace pour le gommage.

Albane—Tu ne veux tout de même pas que je me lave au jet ?

Amaury—Ça a très bien marché pour la BM : toute la boue est partie.

Un moment de silence durant lequel ils se regardent. Albane redescend alors l’escalier, puis prend un élan et sort par le jardin d’hiver. Amaury sort par la cuisine. Illico, Albane reparaît, observe la pièce et se précipite dans l’escalier. Amaury revient de la cuisine presque en même temps.

Amaury—Hep hep ! (Il montre le jardin d’hiver.)

Albane, dépitée, se dirige de nouveau vers le jardin d’hiver. Amaury lui emboîte le pas. Albane, surprise, s’arrête, interrogative.

Amaury—Je tiendrai le tuyau, ce sera plus pratique.

Albane—Tu tiendras le tuyau pendant que  je… ?

Amaury, agacé. —Je fermerai les yeux, oh !

Albane, pas rassurée mais feignant de l’être. —Ah. En ce cas…

Elle sort comme on va à l’échafaud tandis qu’Amaury sort à sa suite.

Scène 4. Diane, Samantha.

Diane revient de la salle de billard. Samantha reparaît sur le palier en robe de chambre et descend l’escalier. Elle a à la main des cintres sur lesquels reposent un chemisier crème et une jupe de cuir marron.

Diane—Mais… c’est encore à moi, ça ?

Samantha—Bien vu. (Caressant les vêtements.) Vous deviez avoir de l’allure là-dedans. Malheureusement, c’est un peu froissé. Ça aurait bien besoin d’un petit coup de fer. (Tendant les cintres à Diane.) Vous vous en chargez ?

Diane—Je crains de ne pas comprendre.

Samantha—Ce n’est pas Mông qui va s’en occuper. Ni aujourd’hui, ni demain. Vous n’êtes pas au courant ? À Yokoshima, la centrale fait des siennes. Tous les vols sont annulés. (Elle lui tend de nouveau les affaires.)

Diane, après un temps, elle prend le cintre, met le chemisier devant elle. —J’aime ce tissu, sa légèreté, sa fraîcheur. (Elle place à présent la jupe devant elle.) Et cette jupe, c’est tout le contraire : tendue, ferme, tout en muscle. (Elle se met à danser ) Une vraie jupe de sportive, mais de sportive aérienne, de sportive ailée. Justement, je voulais changer de tenue. Ce petit ensemble tombe à pic. (Elle se dirige vers la cuisine, alors que Samantha ne sait que dire.) Pendant ce temps, et si vous alliez passer un coup sur les vitres de la salle de billard ? Elles sont d’un sale. 

Diane sort par la cuisine avec les vêtements.

Scène 5. Samantha, Tony.

Tony, souriant, portant pantalon en toile clair, polo rose, foulard pistache, ceinture de cuir marron, derbies bleu marine sur chaussettes rayées et téléphone à la main, paraît sur le palier.

Tony—T’as quelque chose demain après-midi ?

Samantha—Non.

Tony, descendant l’escalier. —Impec. On pourra passer à la mairie.

Samantha—Pourquoi ?

Tony—Pour les papiers.

Samantha—Quels papiers ?

Tony—Notre dossier.

Samantha—Mais de quoi tu parles ?

Tony—Notre mariage. Il faut nos cartes d’identité, un justificatif de domicile, un…

Samantha, nerveuse. —Attends, attends… euh… Demain après-midi ? Ah oui… mais non, c’est pas possible. (Elle paraît hésiter un peu.) Fifi… c’est Fifi… elle fait son anniversaire.

Tony—Ah oui, c’est vrai, je m’en rappelle.

Samantha, avec soulagement. —Tu vois…

Tony—Elle nous a prévenus depuis longtemps.

Samantha—Très, très longtemps.

Tony—Mais elle a annulé.

Samantha—Annulé ?

Tony—Il y a trois semaines. À cause de sa jambe. 

Samantha, la bouche pincée. —Ah merde… enfin, je veux dire, oui, c’est vrai, je m’en souviens maintenant…

Tony—Du coup, c’est bon pour la mairie.

Samantha, dans un cri. —Non ! (Devant la surprise de Tony, elle se calme.) J’avais oublié… (Elle semble chercher ses mots.)J’avais oublié l’anniversaire de Fifi… alors j’ai dit à Paula « je passe te voir ».

Tony—Tu peux pas passer la voir un autre jour ?

Samantha, hésitante. —Bah… T’es marrant, toi… un autre jour, un autre jour… dans son état…

Tony, avec une certaine déception. —On ira la semaine prochaine, alors ?

Samantha, retrouvant de l’assurance. —La semaine prochaine, la semaine prochaine… ça m’étonnerait. Je vais avoir une grosse semaine.

Tony—Une grosse semaine ? Tu retournes au taf ?

Samantha—Sûrement pas !

Tony—Alors qu’est-ce que t’as ?

Samantha—Je sais plus, mais ça va être une de ces semaines…

Samantha part un peu précipitamment par l’extérieur. Tony s’affaisse, puis remonte lentement l’escalier avant de disparaître par le palier.

Scène 6. Amaury, puis Tony, Samantha et Diane.

Amaury paraît, halluciné. Venant de la cuisine, il chante « Dansons la capucine, Y a pas de pain chez nous, Y en a chez la voisine, Mais ce n’est pas pour nous » etc. Il porte un plateau sur lequel sont disposés deux éclairs au chocolat. Il pose le plateau sur la table. Il sort ensuite par le jardin d’hiver et revient immédiatement avec le vaporisateur insecticide. Il en dévisse la partie servant strictement à la vaporisation, sort une seringue, en plonge l’aiguille dans le liquide, l’aspire et l’injecte soigneusement dans chacun de ces éclairs, tout en ricanant, en continuant à chanter et en esquissant quelques pas de danse. Ensuite, il cache le vaporisateur dans le bar et range la seringue.

Amaury, hurlant. —Les enfants ! Le goûter est servi ! Les connards ! Y a des éclairs ! Venez me bouffer ça, putain ! Vous m’en direz des nouvelles ! Oh ! Allez, allez, allez !…

À ces cris, Samantha est reparue par le jardin d’hiver, Tony par le palier. Diane est revenue de la cuisine, avec les cintres portant les vêtements pris à Samantha.

Amaury, un torchon au bras, avec une distinction parodique, se courbant et désignant les pâtisseries. —Éclairs au chocolat de la maison Zambeau.

Diane, laissant les cintres sur un meuble, fonçant sur les éclairs. —Nooooon ! (Avec précipitation, elle les empaquette dans le papier sur lequel ils sont disposés et les jette dans le jardin d’hiver. Un silence, durant lequel tous les autres la regardent avec sidération. Haletante, Diane se calme et retrouve une certaine assise. Doctement ) On ne mange pas entre les repas. C’est très mauvais pour la ligne.

Amaury, ricanant, ramassant le plateau et sortant par la cuisine tout en étant secoué de soubresauts nerveux. —Mais oui, c’est vrai, elle a raison, hein. Mais oui, c’est vrai, elle a raison, hein. Mais oui, c’est vrai, elle a raison, hein. Mais oui, c’est vrai, elle a raison, hein.

Scène 7. Albane, Diane, Tony, Samantha.

Albane entre lentement par le jardin d’hiver, les cheveux mouillés, livide, grelottante, enveloppée dans une bâche, un éclair à la main, sous le regard interrogatif des autres.

Albane, repérant le plaid du canapé, le prenant, le frottant contre son visage, le caressant. —Merci pour ton soutien. (Un temps. Le plaid semble lui parler.) C’est vrai ? (Un autre temps.) Je ne voudrais pas abuser de ton temps. (Un autre temps.)En ce cas, j’accepte. (Elle se lève, se défait de la bâche, donne l’éclair à Tony, s’enveloppe du plaid, puis, à Tony ) Il faut qu’on parle. Je vous attends à côté de la statue.

Albane sort lentement par l’extérieur. Tony va mordre dans l’éclair quand Diane le lui ôte de la bouche et remporte vivement la pâtisserie par le jardin d’hiver.

Scène 8. Tony, Samantha, puis Amaury et Diane.

Amaury reparaît par la cuisine avec un plateau surmonté d’une cloche.

Amaury—Houhou ! les connards ! euh… les copains ! On vient de livrer quelque chose pour vous !

Tony, s’approchant. —Ah oui ? 

Amaury, soulevant la cloche et dévoilant une grenade explosive. —C’est à consommer sur place. (Il écrase un spasme de rire.)

Tony, prenant la grenade à la main. —Ça, ça me dit quelque chose. Comment ça s’appelle, déjà ? Ah oui, une grenade ! (Réalisant soudain ) Une grenade ! Ah ! (Il envoie l’objet à Samantha.)

Diane reparaît par le jardin d’hiver.

Samantha, réceptionnant la grenade et la renvoyant à Diane. —Une grenade ! Ah !

Diane, réceptionnant la grenade. —Une grenade ! Ah ! (Elle se tourne de tous côtés, puis courant vers l’extérieur ) Couchez-vouuuuuuuuus ! 

Diane a disparu. Peu de temps après, une explosion monstrueuse retentit.

Amaury—Ah c’est comme ça ? Ah vous vous liguez tous contre moi ? Parfait ! (Amaury s’approche du pot de fleur, y met la main, fouille, ne trouve rien, s’énerve.) Disparu ! (Allant à Samantha, nez à nez avec elle ) Vous êtes peut-être moins cons que vous en avez l’air. (En proie à une grande nervosité, il recommence à ricaner, sort par la cuisine en chantant ) Dansons la capucine, Y’a pas de vin chez nous, Y’en a chez la voisine, Mais ce n’est pas pour nous, Youh ! 

Amaury a disparu tandis que Diane revient de l’extérieur, essoufflée, échevelée.

Diane—Le grand-père d’Amaury… son buste… pulvérisé… À la place… un cratère… (Regardant Tony, l’entourant de ses bras, le caressant ) Mais vous, vous êtes sain et sauf…

Tony, se défaisant de l’emprise de Diane. —Oui, oui, tout va bien… 

Il sort vivement par le jardin d’hiver.

Samantha—Faut passer la serpillière dans le couloir. Toutes ces allées et venues, ça salit.

Diane, avec un certain agacement. —Je viens de vous sauver la vie.

Samantha—Comment faut te parler ?

Diane—Je vous demande pardon ?

Samantha—Comment faut te prendre ? Comme ça ? (Elle l’enlace.) Ou plutôt comme ça ? (Elle lui caresse doucement le visage. Samantha et Diane sont alors nez à nez.) Non, je sais : comme ça. (Sa main descend sur la hanche de Diane.)

Diane, dans un souffle. —Vous perdez la tête ? …

Samantha—Possible. (Elle desserre alors son étreinte. Voyant les vêtements repassés.) Ah, merci ! J’apprécie.

Samantha prend le cintre portant les vêtements repassés par Diane, sous le regard estomaqué de cette dernière. Samantha monte l’escalier et disparaît. 

Diane, répondant à un appel. —Elle-même, monsieur le directeur. (Un temps.) J’en suis flattée, croyez-le bien. Nous n’avions jamais échangé. Que me vaut le plaisir ? (Un temps.) Ah. Bien. (En toute candeur ) Et alors ? dépasser son découvert autorisé, ce n’est pas autorisé ? (Un temps.) Ah bon ? (Un temps.) Le combler ? Certes, mais cela risque de prendre un peu de temps. (Un temps.) Mon mari a dû oublier de me faire mon virement. (Un temps.) Je comprends… (Un temps.) Bien entendu… (Un temps.) Le fichier des incidents de paiement ? tout de même, vous y allez un peu fort, me semble-t-il… Allô ? Monsieur le directeur ? Allô ?

Diane reste un temps sans rien faire. Puis, elle prend une grande respiration et se met à écrire un texto.

Scène 9. Diane, Amaury, puis Albane.

Amaury revient de la cuisine avec une carabine et un bandeau kaki sur le front.

Amaury—Taïaut ! Taïaut ! Taïaut !

Diane—Qu’est-ce que tu fais ?

Amaury—Je vais initier Tony à la chasse !

Diane—Tu penses que c’est la solution ? (Elle ôte à Amaury la carabine des mains, lui donne une tape sur la main comme on punit un enfant capricieux, puis fait disparaître la carabine dans le jardin d’hiver.)

L’expression d’Amaury quitte la colère et se fait progressivement penaude.

Amaury, se mettant à faire les cent pas, s’agitant progressivement. —Pourtant il faut régler le problème, régler le problème, régler le problème…

Diane—Calme-toi.

Amaury, s’agitant toujours. —Je suis calme, très calme… mais je veux régler le problème… je vais régler le problème… je serai discret… discret mais radical… traiter le problème à la racine, une main de fer dans un gant de velours…

Diane—Méfie-toi d’elle. Elle me fait peur. Si tu essaies quelque chose, je suis sûre qu’elle pourrait… elle pourrait chercher à t’éliminer.

Amaury, éclatant. —Eh bien si je suis éliminé, j’éliminerai ceux qui voudront m’éliminer !

Diane, après un temps. —Une fois éliminé, tu ne pourras plus éliminer personne, étant toi-même éliminé.

Amaury, éclatant de nouveau. —Eh bien j’éliminerai mon élimination ! (Avec ton mégalomaniaque de plus en plus affirmé ) J’éliminerai ma non-conservation pour éliminer la non-élimination de mes éliminateurs par l’élimination de leur pouvoir d’élimination ! (Il rit à gorge déployée.)

Soudain, Albane, vêtements déchirés, carbonisée, échevelée, entre par l’extérieur. Le regard hagard, elle rit nerveusement. Entre deux rires, elle répète « Boum ! ». Titubant, visiblement sonnée, elle parcourt la pièce de manière erratique, manque tomber et finit par dériver vers le jardin d’hiver. Diane et Amaury la suivent. Amaury bute dans la bâche, la ramasse et sort par le jardin d’hiver. Cependant Diane s’arrête et prend son téléphone.

Diane, regardant son téléphone. —Papa ! (Lisant ) « Ma chérie, je suis heureux que tu cherches enfin du travail. Mieux vaut tard que jamais. Malheureusement, je ne peux rien t’obtenir à mon club, en effet, tu ne sais rien faire. » (Diane encaisse le coup et se laisse tomber sur le canapé. Elle reste quelques instants dans cette apathie. Puis, une idée lui traverse l’esprit. Elle reprend son téléphone, fait quelques manipulations et passe un appel.) Allô ? Quick Mo ? Diane Bellanger à l’appareil, du laboratoire… (Elle s’arrête.) Voilà, exactement. Je suis actuellement en recherche active d’emploi. Or, un poste est à pourvoir chez vous. (Un temps.) Serveuse, oui. (Un temps.) Le carton au feu rouge, exactement. (Un temps.) Vous cherchez toujours quelqu’un ? (Un temps, elle se lève, esquisse une danse de victoire silencieuse, puis dans un sourire et avec calme ) Ne cherchez plus, je suis celle qu’il vous faut ! (Un temps, avec déception ) Mais pourquoi ? (Un temps.) Mais j’apprécie l’ambiance fast food, c’est pour moi très… très pittoresque et… (Un temps.) Ça tombe bien, j’aime le peuple, sa simplicité, sa saleté, sa… (Un temps.) « Pas assez bien pour vous », je pense que vous exagérez. Je vous propose de nous rencontrer afin de… Allô ? Allô ?

Diane sort par la salle de billard.

Scène 10. Amaury, puis Albane.

Amaury paraît par l’extérieur, poings fermés. Une expression mélancolique marque son visage.

Amaury, ouvrant ses poings desquels tombe de la poussière. —Papy…

Albane, toujours en loques, déboule de la cuisine en dévorant une cuisse de poulet.

Amaury, après l’avoir regardée. —Ah bravo ! Ah Très bien ! Ah continue ! (Il applaudit.)

Albane, la bouche pleine. —Quoi ?

Amaury, avec une bienveillance feinte cédant peu à peu la place à une expression franchement haineuse. —Mais vas-y, mais sers-toi dans le frigo, mais bouffe ma viande ! Pourquoi se gêner ? C’est à ça je sers, non ? À vous entretenir, tous autant que vous êtes ! D’ailleurs, ne t’arrête pas en si bon chemin ! Tant que tu y es, finis le cheesecake !

Albane—Quel cheesecake ?

Amaury—Remplis-toi jusqu’à en avoir les dents du fond qui baigne, espèce de parasite !

Albane, envoyant valser sa cuisse de poulet, puis se rapprochant d’Amaury. —Qu’est-ce que t’as ?

Amaury—Ce que j’ai ? Je te pensais avec moi. Et puis j’ai compris : ce n’était qu’un masque. Un masque pour me soutirer du fric. (Un temps.) Et dire que je projetais de t’avoir un poste aux petits oignons, une fois installé chez United Pharma… Tu peux toujours crever.

Il repart en cuisine.

Albane, répondant à son téléphone. —Ah Slobodan ! Justement, je pensais à toi ! Comment vas-tu ? (S’écartant du combiné )Ouh ! Je t’entends très fort, là. (Un temps.) Oui, je sais, tu ne m’appelles pas simplement par plaisir. (Un temps.) J’ai presque tout. Mais je voudrais te demander une faveur : un délai. (Un temps. Avec soulagement ) Tu acceptes, c’est vrai ? oh merci Slobidou ! Tu permets que je t’appelle Slobidou ? (Quittant son sourire ) Un délai d’une demi-heure ? C’est une blague ? Slobi ? Allô ? allô ?

Albane semble gagnée par un accès de panique. Elle va d’un côté, puis de l’autre. Soudain elle s’arrête, regarde vers le jardin d’hiver et s’y rend d’un pas décidé.

Scène 11. Diane, Amaury.

Diane revient de la salle de billard tandis qu’Amaury revient de la cuisine. Diane ouvre la bouteille de limoncello.

Amaury, accourant. —Nooon ! Pas le limoncello !

Diane, faisant le geste de verser quelque chose dans la bouteille. —Tu l’as… ?

Amaury, refaisant le même geste. —Oui je l’ai…

Diane, après avoir reposé la bouteille. —Et maintenant, quel est le menu ? Thé au curare ? Sorbet au cyanure ? Cake à la strychnine ?

Amaury—Espèce d’idiote ! Comment veux-tu les exterminer ?

Diane—Mais…

Amaury—J’ai payé cette maison, je suis ici chez moi et ceux qui veulent pas comprendre… bye bye..

Diane—Il faut appeler le docteur Poussin. (Un temps.) Je me sentais bien ici, avant. (Un autre temps.) Et si on sortait respirer un peu dans le parc ?

Amaury—Sûrement pas ! 

Diane—Je me demandais : tu m’as bien fait mon virement mensuel ?

Amaury—Je vais te purger tout ça, moi…

Amaury fouille dans la table basse, en sort des piles et retourne en cuisine en chantant « C’est la puurge finaaale, groupons-nous et demainnnn, les super morphaaaaales, seront canés, et bien ! ».

Diane, après avoir pianoté sur son téléphone. —Allô ? Je voudrais parler au docteur. Mme Bellanger.

Elle poursuit sa conversation tout en sortant par l’extérieur.

Scène 12. Tony, Albane, puis Amaury.

Tony arrive du jardin d’hiver suivi par Albane.

Albane—Tony, je vous assure, c’est le moment d’investir, même une petite somme suffit pour entrer dans la grande famille d’OGMRD Investments. Regardez, l’IBAN est là.

Tony—Je le sens pas.

Albane—C’est très sûr.

Tony—J’ai rien.

Albane—Et votre loto ?

Tony—Hein ? Je comprends pas…

Albane, s’accrochant à lui, avec des sanglots dans la voix. —Tony… vous voulez que j’aie des problèmes ? De gros problèmes ? J’ai besoin d’aide. (Criant presque ) putain, Tony !

Tony—Ok, c’est bon, je vous le fais, ce virement.

Albane—C’est vrai ?

Tony—Puisque je vous dis. 

Albane—Merci, Tony ! Merci ! Merci ! Merci ! Vous me sauvez la vie ! Et ce n’est pas une façon de parler !

Tony remonte l’escalier et disparaît. Amaury reparaît, revenant du jardin d’hiver avec du gros adhésif. 

Amaury—Qu’est-ce que tu fous encore ici, toi ? (Répondant à son téléphone ) Ah Puymartin, heureux de vous entendre. Quelles sont les nouvelles ? Tout va bien ? (Un temps.) Quoi ? Mais enfin… le syndicat avait accepté le plan de licenciement… (Un temps.) L’A.G. ? L’A.G. a refusé ? Y avait du monde à cette A.G. ? (Un temps. Demandant confirmation ) Tout le monde-tout le monde ou tout le monde-tout le monde ? (Un temps.) Ah. Tout le monde ? (Un temps.) Merde. (Un autre temps. Bondissant ) La grève générale ? (Éclatant ) Ils n’ont pas le droit ! Je leur interdis de faire grève ! J’ai encore une merde à régler ici, et j’arrive.

Amaury sort vivement par la cuisine. 

Scène 13. Samantha, Tony, Albane.

Tony apparaît par le palier et descend l’escalier, lesté d’un panier à linge. Samantha le suit. Elle porte les vêtements précédemment repassés par Diane, avec des cuissardes. Arrivé en bas, Tony fourre le panier dans les mains de Samantha.

Tony—C’est à moi, tout ça. Si tu pouvais faire une machine maintenant. Et puis j’ai comme une petite soif. Tu me ramènes une bière ?

Samantha—Mais oui, avec grand plaisir. Ne suis-je pas née pour me plier aux quatre volontés de mon homme ? (Elle laisse tomber le panier ) Ah ! (Des larmes lui montent presque aux yeux. Elle sort par le jardin d’hiver.)

Tony—Sam, attends…

Tony la suit et disparait à son tour par le jardin d’hiver. Restée seule, Albane regarde le linge sale, réfléchit quelques instants et semble avoir une idée. Elle remonte l’escalier, s’assurant que personne ne la voit, avant de disparaître par le palier.

Scène 14. Diane, puis Amaury.

Diane entre par l’extérieur, elle est toujours au téléphone.

Diane—Oui, une certaine fatigue mais aussi comme si… comme s’il perdait le sens des réalités… je ne l’ai jamais vu comme ça. (Un temps bref.) Vous ne pouvez pas aujourd’hui ? Eh bien je m’en contenterai. Merci docteur, à demain. 

Diane reste un moment sans bouger. Puis elle remonte lentement l’escalier tandis qu’Amaury, portant un minuteur détonateur, du mortier et le rouleau adhésif, passe dans le couloir depuis la cuisine vers l’extérieur. Diane disparaît par le palier.

Scène 15. Tony, Samantha.

Samantha, suivie de Tony, rentre par le jardin d’hiver.

Tony, téléphone à la main. —J’ai pris un rendez-vous chez Once upon your Love. Pour après-demain.

Samantha, froide. —Excellente nouvelle. (Elle bute dans le panier de linge.) C’est quoi ce rendez-vous ?

TonyOnce upon your Love ? Un wedding planner.

Samantha—Ne me dis pas que j’ai compris ce que j’ai compris ?

Tony—Mais, Sam…

Samantha—Tu rêves ou quoi ? Je ne veux pas me marier. Jamais !

Tony, se décomposant. —Qu’est-ce se passe ?

Samantha, éclatant. —Il se passe que je veux qu’on me foute la paix !

Tony se dirige vers la cuisine.

Samantha, criant. —Et enlève ton putain de linge sale !

Tony, dont le visage est barré, prend le panier de linge et sort par la cuisine. Seule, Samantha s’assoit sur le canapé et souffle un peu. Elle sort son téléphone, pianote. Puis, elle entend le bruit qui s’est déjà manifesté auparavant. Elle se lève, suit le bruit toutes oreilles ouvertes. Elle se rapproche progressivement de l’aération. Elle aperçoit un petit loquet, elle le fait jouer. Elle se rend compte alors que la bouche d’aération est fixée sur une petite porte. Elle l’ouvre lentement et dévoile un conduit profond et noir. Le bruit vient manifestement des profondeurs du conduit. Samantha y entre à quatre pattes, rampe et y disparaît.

Scène 16. Tony, Albane, puis Amaury.

Tony paraît par la cuisine tandis qu’Albane apparaît au palier, recoiffée, visage nettoyé, portable à la main et dans de nouveaux vêtements appartenant à Diane : un tailleur sobre et strict rose pâle ainsi que des chaussures claires à talons hauts.

Albane—Vous vous êtes trompé.

Tony—De quoi ?

Albane—Pour le virement.

Tony, regardant son téléphone. —Ah bon ? (Un temps.) Ah oui, dites-donc, mince ! Je voulais faire un virement classique et j’ai fait un virement rapide. Ça va me faire des frais supplémentaires…

Albane, avec agacement. —Ce n’est pas le type de virement, le problème.

Tony—Ah non ?

Albane—Non. C’est le montant.

Tony—Le montant ? (Regardant.) Ah non.

Albane—Ah non ?

Tony—Ben non.

Albane—Six euros ? Vous m’avez fait un virement de six euros ?

Tony—Vous m’avez dit « même une petite somme ».

Albane—Six euros, c’est un pourboire de restaurant, pas une mise de départ pour un fonds d’investissement ! Ce qu’il faudrait, c’est compléter par deux mille.

Tony—Hein ? (S’éloignant 

) Ah non, sûrement pas !

Albane—Revenez ici.

Tony, courant. —Je veux pas !

Tony sort vite par le jardin d’hiver.

Albane—Tony ! (Un temps.) Et merde. (Elle s’assoit sur une chaise. Elle vérifie qu’elle est bien seule, puis elle sort une enveloppe d’où elle extrait des billets qu’elle pose sur la table. Elle se met à compter à voix basse.)

Amaury, revenu du jardin avec le ruban adhésif, est présent dans le couloir et la regarde faire, sans qu’elle s’en aperçoive. Il s’approche alors d’elle et pioche brusquement dans le tas. À sa bonne surprise, il pique ainsi une belle poignée de billets.

Amaury—C’est toujours ça ! (Il rit.)

Amaury s’enfuit par l’extérieur.

Albane, le poursuivant. —Mais t’es malade !

Elle disparaît à son tour.

Scène 17. Samantha, Alan, puis Amaury off. 

Les étagères à livres coulissent avec lenteur et laissent apparaître Samantha, le visage surpris, recouvert de suie et de toiles d’araignées. Elle fait quelques pas et sursaute car le passage se referme tout seul derrière elle. Elle trace dans l’air le trajet qu’elle vient de faire depuis la bouche d’aération jusqu’aux étagères, un trajet rempli de méandres et de colimaçons. Soudain, de la grille d’aération restée ouverte paraît Alan, rampant dans le conduit avec de nombreuses précautions. Pipe à la bouche, visage également couvert de suie, Il parvient au bord de la bouche et regarde attentivement dans le salon. Il plisse les yeux comme une taupe sortant de son terrier. Il n’aperçoit pas Samantha. Il s’extrait péniblement de la grille. Il est vêtu d’un gilet matelassé vert kaki style doudoune, d’un pull col roulé gris troué, ainsi que d’un vieux pantalon en velours côtelé taché recouvrant partiellement d’épaisses bottines à lacets.

Alan, examinant la grille. Tu m’étonnes qu’on sentait un courant d’air… Qu’est-ce qui leur a pris ? (Il hausse les épaules et tape sa pipe contre la grille.)

Samantha, qui n’a pas perdu une miette de ce petit manège, sursaute : le son est celui du bruit qu’elle a entendu à plusieurs reprises. Mais une toile d’araignée lui chatouille la narine et elle éternue.

Alan—Tiens ! Je t’avais pas vue, Samantha.

Samantha, le regardant attentivement. —On se connaît ? 

Alan—J’ai appris à te connaître.

Samantha—Qui êtes-vous ?

On entend Amaury chanter : « Dansons la capucine, Y a pas de feu chez nous, y en a chez la voisine, mais ce n’est pas pour nous. Youh ! »

Alan—Merde, les historiques !

Samantha—Les historiques ?

Alan, remettant en hâte la grille d’aération en place. —Viens ! (Il prend Samantha par la manche.)

Ils disparaissent par le jardin d’hiver.

Scène 18. Amaury, Diane.

Amaury paraît de l’extérieur, il a la mine réjouie.

Amaury, regardant dans le couloir, à part. —J’ai semé cette sangsue. (Il rit.)

Diane paraît sur le palier. Amaury s’en aperçoit et amorce un mouvement vers le couloir.

 Diane—Amaury !

Amaury s’arrête dans son mouvement. Diane descend l’escalier et se rapproche d’Amaury.

Diane—Je crois que j’ai été un peu… euh… un peu stupide… Je me suis monté la tête et… (Amaury la regarde à présent.)Enfin, bon, quoi, tout de même, on ne va pas mettre notre mariage en l’air.

Amaury sourit. Il ouvre ses bras, elle s’y jette. Il la repousse doucement.

Amaury, les bras toujours ouverts. —Je voulais que tu puisses me contempler dans ma totalité. (Il effectue maintenant un tour sur lui-même.) Je n’ai pas mérité ça, à mon âge, être habillé comme un tocard, dans un survêtement de merde, luttant pour ma survie, et tout ça parce que madame a le feu au cul !

Diane, dépitée, sort par l’extérieur. Amaury remonte l’escalier en chantant : « Dansons la capucine, y a du plaisir chez nous, on pleure chez la voisine, on rit toujours chez nous, youh ! ». Il disparaît par le palier.

Scène 19. Samantha, Alan.

Samantha passe le bout du nez par le jardin d’hiver. Constatant que la place est libre, elle fait un geste en arrière. Elle rentre alors complètement dans la pièce, suivie d’Alan.

Samantha—On en était où ?

Alan—On en était au moment où je t’ai dit : « maintenant, toi et Tony vous dégagez d’ici ».

Samantha—Nous, dégager d’ici ?

Alan—Ton petit chantage aux frais personnels d’Amaury, bravo. Mais moi, ça fait huit ans, tu comprends ? Huit ans. Je vis là-dessous, bien planqué dans une partie oubliée de la cave. Je déploie des trésors d’inventivité pour ne pas me faire remarquer. (Penaud ) Malgré les fringales nocturnes… (Ferme ) J’ai aucune intention de partager la maison avec deux personnes de plus.

Samantha—Huit ans, ça fait beaucoup. Il est peut-être temps que ça s’arrête. Et si je te dénonçais ? Si je faisais découvrir à Diane et Amaury la face cachée de leur cave ? Les galeries creusées à l’abri des regards ? Le labyrinthe au fond duquel tu te terres ? Si j’allais leur montrer le parasite qui vit dans le ventre de la maison ?

Alan—C’est moi que tu traites de parasites ? C’est le ténia qui se fout du morpion !

Samantha, sortant son téléphone. —Je n’ai qu’un appel à passer.

Alan—Je te le déconseille. D’abord, t’es loin d’avoir vu toutes les galeries. Je m’échappe, tu ne me retrouveras jamais. Et puis t’es pas la première, qu’est-ce que tu crois ? D’autres ont déjà essayé de me virer. (Un temps.) Ils ne sont jamais repartis.

Samantha pose son téléphone sur la table. Soudain, on entend crier Tony et Albane.

Alan—Je te laisse dix minutes.

Il appuie sur un des livres rangés sur les étagères, la cloison coulisse et se referme aussitôt sur lui. 

Scène 20. Samantha, Tony, Albane.

Tony, poursuivi par Albane, arrive du jardin d’hiver en courant. Tous deux ne voient pas Samantha.

Albane, hors d’elle. —Tu n’es qu’un veau ! Un crétin ! Un petit joueur ! Tu veux croupir dans ta médiocrité ? Pauvre merde !

Samantha, s’interposant. —On se calme.

Albane, pas calmée. —Toi, ta gueule !

Albane fouille le pot de fleurs, ne trouve rien, montre des signes supplémentaires d’énervement.

Albane, à Tony. —Tu perds rien pour attendre. (Alors que Samantha l’empoigne par le col.) Lâche-moi !

Samantha, emmenant Albane, qui se débat, dans le couloir. —Fous le camp.

Elles disparaissent vers l’extérieur.

Albane, off. —Ne me touche pas !

Une notification du téléphone de Samantha, laissé sur la table, attire l’œil de Tony.

Tony—Sam, t’as une notif. (Lisant la notification.) « Premium rencontre ». (Un temps.) Premium rencontre ? (Il pianote sur son téléphone, puis, lisant ) « Premium rencontre, l’appli des rencontres haut de gamme ». (Son visage se décompose. Il semble accuser le coup. Ensuite il va au bloc-notes, saisit un stylo, reste un instant l’expression très concentrée, puis écrit quelques mots. Il prend alors la feuille et la colle sur le téléphone de Samantha. Enfin, il appelle ) Mme Bellanger ! MmeBellanger ? Diane !

Il sort par le jardin d’hiver.

Scène 21. Samantha, seule. 

Samantha, revenant de l’extérieur, paraît contrariée.

Samantha, regardant le salon, les meubles, les objets les uns après les autres. —Tout ça, c’est à moi. À moi, putain ! Je l’ai gagné. (Un temps.) Il lâchera jamais. (Un autre temps.) Alors il faut que je le… (Elle sort le revolver.) Oh putain …  (Elle range l’arme et se prend la tête dans les mains. Elle reprend alors son portable et remarque la feuille collée sur l’écran. Elle lit )« ‘Premium rencontre’, sérieux ? Tu veux du haut de gamme ? Moi aussi. Je vais me taper Diane ». (Elle semble abasourdie. Se dirigeant vers la cuisine, avant de disparaître ) Tony ! Tony !

Scène 22. Diane, Amaury.

Diane, mélancolique, entre par le jardin d’hiver. Amaury paraît sur le palier dans la tenue qu’il portait à l’acte I, descend l’escalier avec une mini-bouteille de jus de goyave, toise Diane. Il ouvre la mini-bouteille et la tend à Diane qui la prend.

Diane, son visage s’éclaire, sa voix tremble un peu. —Oh merci… c’est gentil… Tu sais, j’ai appelé le docteur et…

Sans un mot, Amaury sort une paille et la met dans la bouteille.

Diane, souriant. —Je vois que tout est prévu.

Toujours mutique, Amaury reprend la bouteille et va s’asseoir sur le canapé, passant sans ménagement devant Diane. Il se met alors à siroter son jus. Diane paraît refroidie. Elle semble hésiter sur la conduite à tenir. Elle réfléchit.

Diane, douce. —Tout est ma faute. Je… je te présente mes excuses.

Amaury, souriant légèrement. —Je les accepte. (Il se lève, s’approche de Diane et lui pose la main sur le bras. Elle se rapproche de lui.) J’ai un petit creux, moi. (Il lui tapote sur l’épaule et la laisse en plan, piquée au vif.)

Amaury retourne en cuisine tandis que Diane, abattue, remonte l’escalier.

Scène 23. Samantha, puis Alan.

Samantha, rentre par l’extérieur. Elle regarde de nouveau l’ensemble du salon pendant un bref laps de temps.

Samantha—Bien, allez, réveille-toi. On aura pas mal profité. Et maintenant, retour à la réalité. C’est sans doute mieux comme ça. (Touchant quelques meubles et objets ) On se reverra, j’espère. (Appelant ) Tony ! Viens, on rentre chez nous !

Surgissant du jardin d’hiver, Alan passe devant la bouteille de jus et la prend en riant.

Alan—Tiens, t’es encore là, toi ? J’ai dit que je voulais plus te voir. Je veux personne dans mon frigo. (Il boit un peu de jus. Puis, il entend du bruit.) Allez, dégage. 

Il va à la bibliothèque, ouvre le passage secret.

Alan—Il te reste encore une minute. Après, je te bute, connasse.

La cloison coulissante se referme sur lui.

Samantha, en proie à une grande nervosité, s’adressant encore à Alan, bien qu’absent. —Tu me parles pas comme ça, pas comme à une merde. Et puis… et puis non. Non, je crois pas que je vais dégager, non. (Haussant progressivement le ton )C’est toi qui vas gicler ! (Appelant ) Tony ! Tony !

Elle sort par l’extérieur.

Scène 24. Tony, Albane, puis Amaury.

Tony, les mains en l’air, entre par le jardin d’hiver, suivi par le canon d’une carabine tenue par Albane.

Tony—Vous êtes malade.

Albane—Au contraire, je suis en train de guérir. C’est assez simple. On va jusqu’à un distributeur, et là tu tires le plus d’argent possible. 

Tony—Et si vous demandiez à monsieur Bellanger ? Son compte en banque est sans doute…

Albane, le coupant. —Monsieur Bellanger pourra peut-être encore me servir un jour. Je ne vais pas lui coller un canon dans le dos.  

Tony, dont le visage se fige. —Ça veut dire que moi je ne vous servirai plus ?…

Albane, le coupant. —Avance, ducon.

Ils sortent par l’extérieur tandis qu’Amaury revient de la cuisine.

Amaury—Un jambon à l’os entier, une roue complète de Brie de Meaux, un cheesecake pour douze, ils m’ont quand même pas bouffé ça en un weekend ? (Regardant la table.) Et mon jus ? Qui m’a piqué mon jus ? C’est infernal ! (Il retourne dans le couloir, regarde vers l’entrée.) Mais c’est Albane et Tony. Pourquoi ils montent dans la voiture du zonard ? (Soudain inquiet.)Oh nom de bleu faut que je prévienne Albane ! Où j’ai mis mon téléphone ? (Il cherche dans différentes poches. On entend la voiture démarrer et le moteur tourner au ralenti.) Vite… (Le moteur change de régime : première, puis seconde. Amaury retrouve son téléphone.) Ah le voilà. (Une explosion terrible se fait entendre, accompagnée d’un bruit de taule froissée. Amaury regarde au dehors : une joie immense éclate sur son visage.) Ça a marché ! J’en ai liquidé un ! (Il exécute une danse de joie puis s’arrête Il met la main sur le cœur.) Repose en paix, Albane. (Un temps.) Mais t’étais devenue vraiment trop conne. Reste la salope. 

Amaury sort par l’extérieur en maniant son téléphone comme un appareil photo.

Scène 25. Samantha, Alan. 

Samantha entre par le jardin d’hiver.

Samantha—Qu’est-ce qui se passe encore ? (Appelant ) Tony ! (Plus bas ) Celui-là, quand on a besoin de lui, il fait le mort. (Elle s’arrête, regarde les étagères de livres, puis s’y dirige d’un pas décidé. Elle sort alors le revolver d’Amaury, puis le cache de nouveau. Elle frappe aux étagères comme on frappe à une porte.) Oh ! (Pas de réponse. Elle réitère.) Oh ! Y a quelqu’un ! (Pas de réponse, elle toque encore plus vigoureusement.) Ohé ! Je sais que tu es juste derrière. Sors, il faut qu’on parle.

Un instant plus tard, la cloison coulisse et laisse apparaître Alan.

Samantha, après un silence. —J’ai bien réfléchi. Tu as raison, c’est à nous de partir. Et puis, quand j’y pense, revenir dans ma cité pourrie, mon deux-pièces cuisine déprimant, ça me remplit de joie. Non, je déconne. C’est toi qui vas dégager. Barre-toi.

Alan, sortant un revolver qu’il pointe sur Samantha. —Tu comprends pas, hein ?

Samantha, tendue. —Attends… on peut discuter, non ?

Alan—On a déjà discuté.

Samantha, plus agressive. —Y a largement de quoi nourrir tout le monde, ici. La solidarité, ça te dit quelque chose ?

Alan, riant. —La solidarité, ça t’intéresse surtout quand c’est pour ta sale petite gueule, non ? T’es bien comme lui. Comme cette ordure d’Amaury.

Samantha dégaine le revolver d’Amaury, mais Alan tire sur elle, Samantha s’effondre.

Alan—Elle m’aura fait chier jusqu’au bout, cette bouffonne.

Alan traîne le corps de Samantha par l’ouverture du passage secret.

Scène 26. Diane, Amaury.

Diane descend l’escalier. Elle porte sa robe blanche avec zip à fermeture avant. Elle consulte son téléphone, puis s’arrête.

Diane, lisant. —« Accident nucléaire à Yokoshima. Une explosion raye la ville de la carte. »

Sans la voir, Amaury entre par l’extérieur.

Amaury, au téléphone, parlant bas. —Désolé, je n’ai pas pu venir. J’ai été… très occupé… Un emmerdement, dont j’ai déjà réglé une partie. Je ne t’ai pas oubliée. Je t’aime, Marianne. Je te rappelle. (Il raccroche.)

Scène 27 et finale. Diane, Amaury, Alan. 

Alan réapparaît par le passage secret.

Amaury, regardant l’ouverture. —Qu’est-ce que c’est ? 

Diane, regardant Alan. —Qui êtes-vous ?

Alan—Votre locataire.

Amaury—C’est Samantha qui vous a invité ?

Alan—Vous ne verrez plus Samantha.

Amaury—Tant mieux.

Alan—Elle n’est plus de ce monde.

Diane—Quoi ?

Alan—Je l’ai butée.

Amaury—Qu’est-ce que vous racontez ?

Alan—Elle s’incrustait un peu trop, non ?

Amaury—Montrez-la moi.

Alan, pour lui-même. —Lui, va falloir le dresser.

Amaury—Vous êtes ici chez moi.

Alan—Oui et non. Vous êtes aussi chez moi. (Un temps.) Je connais tous tes secrets, Amaury. Exemple : depuis des années, tu fais passer les frais de tes galipettes extra-conjugales sur les deniers du laboratoire.

Amaury, un petit rire. —Foutaises.

Alan—Autre exemple : tu viens de tuer Tony et Albane.

Diane—Quoi ?

Amaury, éclat. —Qu’ils brûlent en enfer !

Diane—Alors c’est vrai ?

Alan—Vous n’avez qu’à aller à la grille.

Diane sort précipitamment.

Amaury—Qui êtes-vous ?

Alan—Un habitant de cette maison, tout comme vous. Mais un habitant qui vit sa vie en passager clandestin. Je faisais partie de l’équipe d’aménagement de la bibliothèque. Je me suis senti bien ici. Au moment de partir, je suis descendu à la cave et je suis resté. J’ai fait mon trou. Depuis, j’ai eu largement le temps de vous étudier. Tu n’es qu’une raclure. 

Diane revient du dehors.

Diane, à Amaury. —Tu as fini par le faire ? Mais comment ?… comment as-tu pu ?…

Alan—Diane, et si vous preniez votre revanche ? Je vous apprécie. Vivons en bonne intelligence. Il y a de la place pour trois, ici, non ? J’en ai assez des galeries souterraines. Je voudrais vivre au grand jour. Je ne suis pas difficile, notre cohabitation se passerait très bien, j’en suis sûr. Comme elle s’est très bien passée jusqu’à présent.

Amaury—Et moi, j’ai mon mot à dire ?

Diane—Je vais à la police.

Alan—Ce serait dommage. Avec les remises de peine, il serait vite sorti. Vous pourriez le condamner à perpétuité, ici même. Il l’a bien mérité, non ?

Diane—Je ne veux plus le voir.

Alan—Vous ne le verrez presque plus, il vivra au sous-sol.

Amaury, éclatant. —Il n’en est pas question !

Alan—Je te conseille de la fermer.

Amaury, plus fort. —Sinon quoi, hein ? Sinon quoi ?

Alan—Je révèle au monde l’ordure que tu es. Ce serait très mauvais pour tes affaires, tu le sais parfaitement. Diane, ce qui vous plaisait, dans votre vie d’avant, vous pourrez le garder. Et vous pourrez éliminer tout le reste. Amaury a pris sa part de plaisir. Il est temps de prendre la vôtre, vous ne pensez pas ? Vous et moi, au bout du compte, nous sommes des parias ; vous, méprisée par Amaury, moi, survivant sous la terre comme un cloporte. Aujourd’hui, l’équilibre des forces revient en notre faveur. Diane, n’avez-vous pas envie, enfin, de décider de ce qui est permis ou non ici ? N’avez-vous pas envie, enfin, de faire de cette maison votre domaine ? de délivrer les autorisations et les interdictions ? de prononcer les châtiments ? de décerner les gratifications ? Vous parlerez, j’exécuterai, il obéira.

Diane, après un silence. —Pourquoi pas ?

Amaury—Chérie, tu es folle ?

Alan—N’utilise plus ce registre avec elle.

Amaury—Je suis son mari.

Alan—Tu seras son domestique, et le mien. 

Diane—J’ai une requête.

Amaury—Dis, chérie.

Diane, à Alan. —Tous les soirs, Amaury prendra un comprimé de Modupressor.

Amaury—Mais pourquoi ? Je ne fais pas de tension.

Alan, à Diane. —J’y veillerai personnellement.

Amaury, s’agitant de plus en plus. —Mais… mais… Diane… enfin… enfin, Diane… le Modupressor, tu sais bien, au bout d’un moment, ça finit par… ça finit par… (Il rit, puis ) Ah ! L’obélisque s’écroule… Dalila… Où sont mes cheveux ? Oh ! Tu les manges ? … bah… Oh ! le jet devient petit… tout petit… petite goutte… toute petite goutte… Qu’est-ce que ? Lâche-moi, non, pitié ! Soldats ! Parés pour la décapitation ? À mon commandement, qu’on lui tranche la tête ! Mais qu’est-ce que ? … Des serpents, des serpents ! Et ça siffle, et ça siffle ! (Son portable sonne, il le regarde et s’exclame ) L’antre des grimoires, le cabinet des potions, la grande marmite aux philtres d’amour et aux philtres de haine…

Diane, prenant le téléphone et l’appel. —Diane Bellanger. (Un temps.) Non, il est souffrant. (Un temps.) La grève n’a pas pris ? (Un temps.) Les salariés ont repris le travail ? Excellente nouvelle. Si je comprends bien, plus rien ne s’oppose au rachat ? (Un temps.) Les convocations aux entretiens préalables de licenciements seront envoyées dès demain, je transmets. Oh, madame Puymartin, je souhaite réunir le Conseil. (Un temps.) Oui, la signature de mon mari est nécessaire, je le sais, et vous l’aurez. (Un temps.) Ah, évidemment… (Un autre temps, plus long.) Mettez : révocation du Président-Directeur Général. C’est bien cela. Merci, et à très bientôt, madame Puymartin. (Elle raccroche.)

Amaury, prostré dans un coin de la pièce, chante à voix très basse « la capucine ».

Alan—Je vous sers un limoncello ?

Diane—Il est impropre à la consommation.

Alan, tirant une bouteille de la bibliothèque. —J’en ai d’avant.

Alan sert Diane puis se sert.

Alan, levant son verre. —À la maison.

Diane, levant également son verre. —À la maison.

Ils trinquent et s’assoient tranquillement.

***

FIN DE L’ACTE III

***

FIN 

de 

Coriaces

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