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Et si vous retrouviez votre meilleure amie 20 ans après ?
Accordez-nous moins d’une heure de lecture et découvrez comment embarquer votre public dans une histoire surprenante et émouvante (même si vous avez zéro moyens).
On a 3 questions rapides à vous poser :
🆘 Est-ce que vous avez assez de tomber sans cesse sur des textes pour deux femmes qui sont juste une série de sketchs sans véritable histoire ?
🆘 Est-ce que vous n’en pouvez plus de ces comédies qui recherchent le rire à tout prix et négligent l’émotion ?
🆘 Est-ce que vous faites partie de ces personnes qui trouvent souvent que les comédies sont de simples divertissements sans thème véritable ?
Si vous avez répondu oui à au moins deux questions, alors lisez vite ce qui suit !
Voici l’argument de Collision : Josiane et Sibylle, deux amies de collège qui s’étaient perdues de vue, se croisent par hasard dans la rue. Un accident se déroulant sous leurs yeux change le cours de leurs vies.
En accédant au texte intégral de Collision, vous obtiendrez un fichier pdf de 65 pages pour un poids ultra-réduit de 438 ko. Le fichier est donc très facilement téléchargeable sur votre téléphone, votre ordinateur, votre tablette et imprimable à volonté. La mise en page vous permettra de noter sur le texte toutes les indications et notes de régie que vous jugerez utiles.
Avec Collision, vous découvrirez :
✅ une pièce qui enchaîne coups de théâtre sur coups de théâtre, tenant ainsi le public en haleine jusqu’au dénouement
✅ deux personnages aux problématiques fortes et équivalentes, intéressantes à jouer pour les deux interprètes
✅ une pièce qui aborde le sexisme en milieu professionnel et évoquera au public des problématiques actuelles
✅ deux personnages attachants, qui déclencheront la sympathie du public
✅ une pièce abordant le thème de l’amitié, et qui concernera ainsi l’ensemble des spectateurs et spectatrices
✅ une pièce ne nécessitant que très peu d’éléments scénographiques, donc très simple à monter et à tourner
Ces dernières années, la pièce a été jouée plusieurs fois :
🎭 Les Franbertons, Indre-et-Loire, 2024
🎭 Le Galop’ Théâtre, Maine-et-Loire, 2024
🎭 La Compagnie d’Entrée d’Jeu, La Réunion, 2022
Bonne nouvelle : la lecture, le téléchargement et l’impression de Collision sont totalement gratuits !
Attention : cette pièce est fortement déconseillée aux personnes qui ont peur de devoir tenir la scène pendant plus d’une heure !
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Collision a été écrit en 2019 pour une compagnie de théâtre amateur. Pour diverses raisons, la compagnie n’a pas mis le texte en production.
Les contraintes de départ étaient : 2 femmes, une heure, pas de décors nécessaires.
Pourtant, peu de temps après, des troupes s’en emparèrent.
Tout d’abord, la création fut assurée par Compagnie Théâtre 9 de Martigues (Bouches du Rhône), en 2019.

Ensuite il y eut la Compagnie d’Entrée de Jeu, composée de Catherine Lataste et Muriel Herbaut, cette dernière assurant la mise en scène. Signe du succès : les deux artistes jouèrent la pièce pendant plus de deux ans. Le spectacle s’appuyait sur l’engagement émotionnel et physique des comédiennes.




Puis ce fut la compagnie professionnelle Le Galop Théâtre qui mit en scène le texte en 2022. L’interprétation était assurée par Bénédicte Humeau et Nena Tango, qui était aussi à la mise en scène. Le spectacle utilisait une véritable voiture et exploitait tous les espaces de cette dernière : l’intérieur, son voisinage, le coffre, la parole étant portée par des micros hf.


Texte intégral de Collision à lire ou à imprimer
Personnages
Sibylle.
Josiane.
Le décor
Un banc devant un croisement, en ville.
Sibylle entre. Elle est vêtue avec élégance mais sans chichis. Elle a une serviette à la main.
Sibylle, au téléphone. — C’est moi. J’ai vu que tu m’as appelée. Rappelle-moi. (Elle raccroche et pose sa serviette sur le banc. Elle fait un autre numéro.) Allô Henri ? (Un temps.) Oui, je sais ! (Un temps.) C’est Bakshi, il m’a tenu la jambe pendant des heures… (Un temps puis, énervée ) Eh ben commencez sans moi ! (Un temps, définitivement contrariée.) Oh ça va ! (Elle raccroche puis, à part ) Mais quelle bande de rats… (Elle s’assoit et se met à écrire un message.)
Josiane entre. Elle est vêtue sans recherche. Elle a plusieurs sacs d’achats à la main.
Josiane, au téléphone. — Comment ça, il pleure ? Passe-le moi ! (Un temps.) Allô, mon Fifou ? Tu pleures ? Oh mon chouchou !… Faut pas pleurer ! Maman rentre bientôt… (Un temps.) Et Papa aussi, oui… Allez ! Je te fais un gros bécot ! Tu me repasses ta sœur ? (Un temps.) Sois gentille avec lui. Faites-vous un bon chocolat chaud, je rentre. À tout à l’heure. (Josiane raccroche. Elle regarde Sibylle, toujours occupée à écrire. Son visage s’illumine. Elle veut l’aborder, mais elle hésite. Elle finit par se lancer.)Excusez-moi… (Sibylle relève la tête et regarde Josiane.) Bonjour…
Sibylle, croyant à une quêteuse. — J’ai pas de monnaie, désolée…
Josiane. — Attendez…
Sibylle. — N’insistez pas, j’ai rien sur moi.
Josiane. — Non, non… Ne vous méprenez pas… J’ai l’impression qu’on se connaît…
Sibylle, la regardant de haut en bas. — Ça m’étonnerait.
Josiane. — Mais si !… Vous étiez à Nelson Mandela ?
Sibylle, sans comprendre. — Pardon ?
Josiane. — Vous étiez élève au collège Nelson Mandela ?
Sibylle, troublée. — Euh… oui…
Josiane, souriant. — Et vous vous appelez Sibylle ?
Sibylle, déstabilisée. — Exact… (Dévisageant Josiane et pensant soudain la reconnaître ) Josiane ?
Josiane, avec un large sourire. — Oui !
Sibylle, souriant à son tour, désarçonnée. — Oh ! (Se levant ) Josiane ! (De plus en plus enthousiasmée ) Josiane, mais c’est… mais c’est… oh la vache !! (Redevenant instantanément calme et lui serrant la main ) Bonjour Josiane.
Josiane, quittant la main de Sibylle et la serrant dans ses bras. — Oh Sibou ! (Elle la libère mais l’étreint de nouveau.) Oh Sibou ! (Elle la libère de nouveau mais l’étreint une nouvelle fois.) Oh Sibou !
Sibylle, se dégageant gentiment. — Oui ! oui ! … C’est amusant de se rencontrer comme ça.
Josiane. — Tu n’as pas changé !
Sibylle. — Toi non plus.
Josiane, gênée. — Tu dis ça pour me faire plaisir…
Sibylle. — Pas du tout ! (Désignant le lieu ) Simplement, ici, dans ce contexte, jamais je n’aurais pensé te voir.
Josiane, détaillant la tenue de Sibylle. — Toujours aussi élégante.
Sibylle. — Oui oh ! Je sors de rendez-vous, alors… Mais ce n’est pas très confortable, à vrai dire… (Regardant Josiane ) Je préfèrerais largement être comme toi.
Josiane, désignant ce qu’elle porte. — Ça ? Ce n’est pas ce qu’il y a de plus… (Elle n’achève pas sa phrase.)
Sibylle. — Au moins, ce n’est pas un vêtement qui fatigue ! (Montrant ses chaussures à talons ) Parce que ça, dix heures par jour, ça fatigue ! Tu peux me croire ! …
Josiane. — Mets des talons plats.
Sibylle. — Va dire ça à mon boss.
Josiane. — Il te demande des hauts talons ?
Sibylle. — Pas clairement, mais on sent que les talons plats, c’est pas le genre de la maison. Enfin… Parlons d’autre chose… En ce moment, au boulot, c’est un peu… (Elle fait un geste évoquant une atmosphère tendue. Jetant un œil aux sacs de Josiane.) Dis-moi, tu as l’air d’avoir fait des folies. Moi aussi, de temps en temps, je m’offre un petit caprice. Tiens, il y a deux jours, j’ai craqué sur le dernier quatre-quatre de chez Porsche !
Josiane, gênée devant le potentiel montant de ce caprice. — Oui… c’est vrai qu’il a l’air pas mal…
Sibylle, revenant aux sacs de Josiane. — Et toi ? Tu as dévalisé quoi ? Prada ? Hermès ? Dior ?
Josiane, toujours gênée, posant ses sacs. — Non… là… C’est les prix cassés de chez Toto-Soldes.
Sibylle, un peu refroidie par cette information. — Toto-Sol… ? (Pour mettre Josiane à l’aise ) Oui… De temps en temps, ça dépanne…
Josiane, heureuse de cette remarque. — Oui, ça dépanne ! Ça dépanne bien…
Sibylle, montrant les sacs. — En tout cas, tu n’y es pas allée avec le dos de la cuillère.
Josiane. — C’est surtout que je voulais pas faire de jaloux. Au début, je voulais juste prendre un tee-shirt pour ma grande, mais je me suis dit que les autres allaient pleurnicher, alors…
Sibylle, comptant les sacs. — Tu as… tu as quatre enfants ?
Josiane, fière. — Oui.
Sibylle, estomaquée. — Eh bé… T’as pas chômé depuis qu’on s’est perdues de vue…
Josiane, malgré elle. — Ça fait vingt ans qu’on s’est perdues de vue…
Sibylle. — Tant que ça ?
Josiane. — Tu peux me faire confiance.
Sibylle. — En tout cas bravo. Je t’admire. Moi, quatre enfants, je ne pourrais pas…
Josiane. — Tu vis seule ? (Se ravisant ) Je suis indiscrète…
Sibylle. — Pas de ça entre nous ! (Elle rit mais redevient sérieuse en un éclair.) Oui, je vis seule. Oh, j’ai essayé plusieurs fois la vie commune. La première fois, c’était avec Patrick. Il bossait pour un grand groupe pharmaceutique. Je voulais absolument y entrer. Mais il s’est fait virer. Alors je l’ai quitté. Et puis il y a eu Charles, l’un des comptables de ma boîte.
Josiane. — Ta boîte ?
Sibylle. — « Aware consulting », conseil en ressources humaines.
Josiane. — Et avec Charles, ça n’a pas tenu ?
Sibylle. — Il était très âgé, alors, dès qu’il m’a fait rentrer chez « Aware », je l’ai lâché. De toute façon, il est parti en retraite rapidement. Après j’ai jeté mon dévolu sur Tom, mon n + 1. Il m’avait promis une promotion mais… comme il a changé d’avis, je l’ai laissé tomber. Depuis, je l’ai juré : jamais plus je ne vivrai avec un homme.
Josiane, sidérée par le récit de Sibylle. — Tu n’as peut-être pas trouvé la bonne personne… C’est parfois dur d’arriver à aimer quelqu’un pour lui-même…
Sibylle. — Moi j’y suis arrivée du premier coup. J’ai toujours aimé les hommes pour ce qu’ils sont : des carnets d’adresses ! (Elle rit, mais Josiane est choquée par cette considération. Sibylle devient soudain très calme.) Mais j’ai besoin d’indépendance.
Satisfaite, Sibylle se recoiffe tandis que Josiane regarde dans le vague. Le téléphone de Sibylle sonne.
Sibylle, après avoir regardé son téléphone. — Excuse-moi, ma mère… (Prenant l’appel ) Oui, maman. (Un temps.) Je te l’ai déjà dit : je ne peux pas venir. (Un temps.) C’est le boulot. (Un temps.) Désolée, mais tout le monde n’est pas à la retraite. Tu m’excuses, j’ai un appel sur une autre ligne. (Elle raccroche.) Sangsue ! (Josiane la regarde sans comprendre.) Depuis qu’elle a arrêté de travailler, m’a mère s’est mise à la peinture. Tu connais Picasso ?
Josiane, apeurée d’être entraînée sur un sujet qu’elle maîtrise mal. — Plus ou moins…
Sibylle. — Ben ma mère, c’est pique-assiette.
Josiane. — Hein ?
Sibylle. — Toujours fourrée chez moi ! À me demander ceci ou cela… J’en peux plus… Ce soir, c’est son vernissage. Elle expose ses premières toiles dans une galerie à trois rues d’ici. Je lui ai dit que je ne pouvais pas y aller. J’ai une réunion hyper-importante. Mais elle insiste ! (S’échauffant toute seule ) Quelle plaie ! Quelle plaie mais quelle plaie ! (Se calmant aussitôt )Enfin je veux dire : crotte, quoi.
Sibylle est contrariée. Josiane la regarde avec peine.
Josiane. — Et, elle est importante, ta réunion ?
Sibylle. — Hyper. Hyper importante. Ça concerne le développement international du cabinet. Il faut absolument que j’y sois, je te passe les détails… Tu sais, j’adore mon job. Les ressources humaines, c’est passionnant. Parfois, le monde du travail, c’est dur. Mais nous, les spécialistes des RH, on sait à quel point c’est important de rester humain. (Soudain, elle reçoit un appel. Ulcérée ) Encore ma mère ! Je vais la bloquer, cette espèce de sorcière ! Qu’elle aille brûler en enfer ! (Elle appuie rageusement sur un bouton. Puis, à Josiane, reprenant la conversation avec un grand calme ) Rester humain. On a tendance à l’oublier parfois.
Josiane, avec une ironie que ne perçoit pas Sibylle. — Oh oui… c’est vrai…
Sibylle. — C’est pour ça que j’adore mon job. Et puis, quand on travaille avec l’humain, on apprend à analyser la vie, les gens, bref on apprend à avoir une vraie distance critique sur les choses.
Josiane, sincèrement intéressée. — Ah oui ?
Sibylle. — Par exemple, ma mère, c’est quoi son problème ? (Prononçant avec application les termes anglais.) Depuis qu’elle est en retirement, elle n’a fait aucun skills assessment. Conclusion : elle se lance dans une impulsive behaviour, n’acquiert pas de new competencies et se fiche des good praticises. Tu me suis ?
Josiane, complètement perdue mais tentant de donner le change. — Euh… oui… enfin je veux dire, yes, yes, j’ai bien understand… completly…
Sibylle semble satisfaite de son analyse, tandis que Josiane cherche comment faire revenir la conversation sur un sujet moins ardu.
Josiane. — Et « Aware consulting », tu y es entrée tout de suite après l’École Supérieure de Commerce ?
Sibylle. — Oh non ! J’ai fait plusieurs postes d’assistante RH dans différentes boîtes… Après j’ai été recrutée chez Global Motors, où j’ai pris des responsabilités plus importantes. Mais chez « Aware consulting », je ne suis plus aux ordres d’actionnaires qui se servent de nous pour faire avaler des suppressions d’emplois auprès des salariés. Si tu veux, chez « Aware consulting », c’est le top du top du job search. On apporte de l’aide à celles et ceux qui veulent élaborer un career plan, découvrir de new job opportunities.
Josiane. — Je t’avais suivie jusqu’à Global Motors mais c’est là qu’on s’est… (Elle s’arrête car elle est gênée de le dire ) qu’on s’est vraiment… vraiment perdues de vue…
Sibylle, un peu gênée à son tour. — Oui, c’est vrai… (Un temps.) J’ai eu beaucoup de travail, tu sais…
Josiane, tentant de remettre à l’aise Sibylle. — Je sais, je sais…
Sibylle. — Déjà, à l’École Supérieure de Commerce, on nous mettait une grosse pression…
Josiane. — Et puis j’ai redoublé alors… moi je suis restée et toi tu es partie…
Sibylle. — Tu vois, je suis revenue !
Josiane. — Tu habites dans le coin ?
Sibylle. — Rue Grande. Un appartement terrasse. Il faudra que tu viennes. J’ai une vue imprenable. Et toi ? Après le collège ? Qu’est-ce que tu as fait ?
Josiane. —Bof, rien d’intéressant… je me suis mariée, j’ai eu des enfants et j’ai quitté mon boulot.
Sibylle. — Où habites-tu ?
Josiane. — « Les Arbres verts ». Un lotissement dans un petit village, à vingt minutes d’ici.
Sibylle. — Et ton mari, qui est-ce ?
Josiane. — Je t’avoue que je préfère ne pas en parler, parce qu’en ce moment, entre nous, c’est un peu… (Elle fait un geste indiquant un conflit.)
Sibylle. — Et tes enfants, quel âge ont-ils ?
Josiane. — Il y a d’abord Éric, le grand. (Montrant un sac ) Je lui ai pris les chaussures qu’il veut depuis des mois. Après il y a Lola. Pour elle, j’étais partie sur un tee-shirt et puis je lui ai achetée une robe. (Montrant un autre sac ) Sa première robe de jeune fille. Elle l’avait repérée pour son bal de fin d’année. Elle sera jolie comme tout avec ça. Ensuite, il y a Marcia, ma petite peste préférée. Elle, elle voulait des rollers, alors j’ai dit d’accord. (Elle a montré un autre sac.) Et puis il y a le petit dernier, Philippe. Je l’appelle « Fifou ». (Elle montre un autre sac ) Lui, je lui ai pris un jeu que je n’avais pas pu lui acheter pour son anniversaire.
Sibylle. — Et toi ?
Josiane. — Quoi, moi ?
Sibylle. — Tu ne t’es rien acheté ?
Josiane. — Euh… non… je n’y ai pas pensé…
Courte gêne durant laquelle elles ne se regardent plus. Puis le téléphone de Josiane sonne.
Josiane, regardant qui l’appelle et répondant. — Alors, ça va mieux ? Fifou ne pleure plus ? (Un temps.) Bon ! (Un temps.) Vas-y, dis-moi. (Un temps plus long.) Oh non, Lola ! Écoute, c’est le weekend, et le weekend on est en famille ! Oui, ben, Naomi, tu pourras la voir lundi. (Un autre temps.) Lola, j’ai dit non. C’est clair ? En ce moment, c’est important qu’on soit tous ensemble. Et puis je… Allô ? Allô ? (À Sibylle ) Elle m’a raccroché au nez, le petit chameau ! Elle veut toujours aller par monts-et-par-vaux !
Sibylle. — J’étais comme ça, à son âge…
Nouveau moment de gêne durant lequel elles n’échangent pas un regard.
Sibylle. — Donc, en ce moment, tu ne bosses pas ?
Josiane. — Avec quatre enfants à élever, c’est pas comme ça que je présenterais les choses !
Sibylle. — Enfin, je veux dire, en dehors de la maison, tu n’as pas de boulot ?
Josiane, gênée. — Non…
Sibylle. — Et ça te dirait de retravailler ?
Josiane. — Euh… oui…
Sibylle. — Je peux t’aider, si tu veux. Mon job, c’est quand même de trouver un job aux autres !
Josiane, prenant peur. — Ah ! euh… tu sais… je ne suis pas prête… mon CV n’est pas à jour…
Sibylle. — Ça tombe bien, ça fait partie de mes attributions ! Tu sais, en t’écoutant parler, je me disais que je pourrai développer pour toi un career advancement program personnalisé. J’imagine bien un awareness training couplé avec des challenging goals.
Josiane. — Je ne sais pas…
Sibylle. — Naturellement, tout sera gratuit. Ça me fait plaisir !
Josiane. — Écoute, je crois que tout ça, ça n’est vraiment pas pour…
Sibylle. — Allez Josy, accepte, s’il te plaît ! Tu te souviens, au collège, j’étais tellement timide ! Je n’osais jamais parler aux gens. Heureusement, toi, tu étais là. Toi, tu n’avais pas peur. Toi, tu me défendais toujours ! Laisse-moi te rendre la pareille.
Josiane. — Tu me l’as déjà rendue. Je n’étais pas la première de la classe, contrairement à toi. Le nombre de fois où tu m’as fait faire mes maths !
Sibylle. — C’était quoi, déjà… notre devise… attends… « Amies un jour… »
Sybille et Josiane, ensemble, complétant la devise. — « Amies toujours ! »
Sibylle, sortant un papier et un stylo, après avoir regardé l’heure. — Il faut vraiment que j’y aille… Mais je te laisse mon numéro…
Josiane, sortant à son tour un papier et un stylo. — Moi aussi, je te laisse mon numéro…
Sibylle. — Promets-moi d’appeler !
Josiane. — D’accord ! Si tu me promets de m’appeler !
Sibylle. — Très bien. Tu promets ?
Josiane. — Je promets.
Sibylle. — Parfait. Alors je promets.
Elles échangent leurs papiers.
Josiane. — Dans quelques temps, aux Arbres verts, on organise la fête des voisins. On boit des bières en mangeant des saucisses grillées au barbecue, c’est très sympa ! (Le visage de Sibylle se crispe.) Tu pourras venir !
Sibylle, souriante mais mentant malgré tout. — Pourquoi pas ?… (Faisant une proposition sincère ) De mon côté, j’ai programmé un buffet froid chez moi réunissant plusieurs cheffes d’entreprises, uniquement des femmes, pour promouvoir l’égalité des sexes au travail. Je t’inviterai. (Le visage de Josiane se rembrunit.) Ce sera l’occasion de te faire des relations.
Josiane, essayant de sourire et mentant à son tour. — Oui, bonne idée…
Sibylle, incertaine mais voulant y croire. — Alors, à bientôt ?
Josiane, n’y croyant plus. — À bientôt !
Elles s’éloignent l’une de l’autre. Sans être aperçue de l’autre, chacune déchire son morceau de papier. Alors, chacune se retourne en même temps et adresse un salut à l’autre. Puis, elles reprennent leur route. Soudain, alors que Josiane et Sibylle continuent à s’éloigner, on entend un bruit de voiture et un bruit de scooter suivi d’un fracas énorme d’avertisseurs sonores, de taule froissée et de vitres brisées. Chacune s’est arrêtée et a paru suivre la trajectoire des véhicules. Elles regardent maintenant un même point.
Josiane. — Oh ! (Se retournant.) Tu as vu ?
Sibylle, se retournant à son tour. — Oui. (Elle voit le papier déchiré de Josiane qui, de son côté, voit également de papier déchiré de Sibylle. Gênées, elles les rangent vite.) Eh ben… Ils se sont pas ratés, ces deux là !
Josiane, les yeux vers l’accident. — Tu crois qu’ils sont ?…
Sibylle, idem. — Je ne sais pas… Le choc a été violent…
Josiane. — Où est le conducteur du scooter ?
Sibylle. — Mais oui… Où est-il ?…
Josiane. — Il faut peut-être appeler… Prévenir…
Sibylle, montrant quelqu’un. — Pas la peine. Regarde, on s’en occupe…
Josiane. — Pourquoi le conducteur de la Mercédès ne sort pas ?
Sibylle. — Elle a été sacrément amochée… Peut-être que la portière ne s’ouvre pas…
Josiane. — Elle a peut-être été sacrément amochée, mais la Vespa, elle, elle est en bouillie !
Sibylle. — Oh oui. Je crains le pire…
Josiane. — Le pire pour ?
Sibylle. — Pour la Vespa ! Une Mercédès percute une Vespa. À ton avis, qui a l’avantage ?
Josiane. — La Mercédès, bien sûr !
On entend des sirènes.
Josiane, s’asseyant. — Ça y est ! Les secours arrivent.
Sibylle, s’asseyant à son tour. — Ils n’ont pas traîné !
Josiane, sortant un paquet de chips. —Tu en veux ? Le toubib m’a dit de freiner mais j’y arrive pas !
Sibylle, croquant quelques chips. — Moi pareil !
Josiane, idem. — J’en raffole de ces cochonneries !
Sibylle, mâchonnant, le regard vers l’accident. — C’est horrible…
Josiane, idem. — C’est vrai que c’est un beau carton… (S’adressant à quelqu’un ) Excusez-moi, madame, vous pouvez vous pousser ! Merci ! (À Sibylle ) Elle s’imagine qu’elle est transparente ? Les gens sont d’un égoïsme ! Mais au fait ? Et ta réunion ?
Sibylle, reprenant des chips. — Oh tant pis ! J’ai raté la série que je regarde tous les matins avant de partir, alors j’ai bien mérité une petite pause !
Josiane, reprenant aussi des chips. — Et moi je viens de passer deux heures à faire du shopping pour mes mômes, j’ai bien le droit de souffler un peu !
Sibylle, souriant. — Et puis comme ça, on peut souffler ensemble…
Josiane, souriant aussi. — C’est vrai… (Répondant à une question ) Comment madame ? Vous avez raté le début ? Ne vous inquiétez pas, ça vient juste de commencer ! (Un temps.) Eh bien… c’est très simple, la Mercédès et la Vespa sont arrivées… et bing ! Voilà !… (À Sibylle ) T’avais déjà assisté à un accident de la route, en direct, comme ça ?
Sibylle. — Non, jamais.
Josiane. — Moi non plus ! (Contente ) C’est mon premier ! Il faut que j’immortalise ça… (Elle sort son téléphone et se met dos à l’accident. Elle tente de prendre un selfie avec l’accident en arrière-plan.) Oh non !
Sibylle. — Quoi ?
Josiane. — Ma mémoire est pleine…
Sibylle. — Eh ben on va prendre le mien… (Sibylle et Josiane se mettent dos à l’accident. Sibylle met sa main sur l’épaule de Josiane.) Attends… j’ai pas la fumée qui sort du capot de la Mercédès… (Elles ajustent leur placement.) Ça y est !
Josiane. — Oui mais attention, maintenant t’as plus les rétroviseurs brisés de la Vespa ! (Elles changent encore légèrement de place.) Là ! Tu as tout !
Sibylle. — Et je nous ai aussi nous ! (Elle prend la photo.) Voilà ! (Elle montre la photo à Josiane.) On est bien, hein ?
Josiane. — Pas mal, pas mal…
Sibylle. — Je la partage ?
Josiane. — Bonne idée !
Sibylle, écrivant sur son téléphone. — « Retrouvailles avec mon amie d’enfance Josiane »… (Elle réfléchit sur la suite du commentaire, puis ) « le plus bel accident de la vie qui m’est arrivé ! » (Elle appuie sur un bouton.) Et voilà !
Josiane. — Bravo pour le jeu de mot sur accident.
Sibylle. — Ça m’est venu comme ça…
Josiane, les yeux vers l’accident. — Tu avais raison… Le conducteur de la Mercédès est bloqué. Ils essaient de le sortir mais ils n’y arrivent pas.
Sibylle, les yeux aussi vers l’accident. — Quant au conducteur de la Vespa, regarde… Il est coincé avec son engin sous une autre voiture !
Josiane. — Mais il bouge ?
Sibylle. — Oui, il bouge !
Josiane. — Pas de morts, c’est toujours ça…
Sibylle. — Pas de morts, peut-être, mais je parie qu’ils vont en garder des séquelles.
Josiane. — Tu crois ?
Sibylle. — Vue la violence du choc, ça ne m’étonnerait pas…
Josiane. — C’est drôle… Quand tu étais à l’École Supérieure de Commerce… j’étais allée chez une voyante… comme ça… pour rire… Je lui avais demandé si toi et moi, on se reverrait.
Sibylle. — Qu’est-ce qu’elle t’avait répondu ?
Josiane. — Elle m’avait dit qu’on se reverrait. Et que ce serait un jour très particulier.
Sibylle. — Elle t’avait quand même pas parlé de l’accident ?
Josiane. — Oh non. Mais moi, je ne comprenais pas ce que ça voulait dire, « un jour très particulier ». Alors, je lui ai posé la question. Et là, elle m’a dit : « Je vois quelque chose mais… Je ne suis pas sûre… Une tache… je crois… »
Sibylle. — Une tache ?
Josiane. — C’est ce qu’elle m’a dit. « Je vois une tache ou… quelque chose comme ça. Une tache qui disparaît ».
Sibylle, répétant. — Une tache qui disparaît ?
Josiane. — Oui.
Sibylle, après réflexion. — Tu as fait une lessive aujourd’hui ?
Josiane. — Non.
Sibylle. — Tu as fait le ménage ou nettoyé quelque chose ?
Josiane. — Non plus.
Sibylle, après un temps. — Bon bah… Elle a dû se planter !
Josiane. — Je pense ! D’autant qu’elle était très âgée et qu’elle n’y voyait plus grand-chose…
Sibylle. — De toute façon, ce genre de prédictions, je n’y crois pas !…
Josiane, parlant à la dame qui vient de l’interpeler. — Pardon madame ? Aider ?
Sibylle, parlant à la même dame. — Aller aider ?
Josiane, parlant à la dame. — Vous voulez qu’on aille aider ?
Sibylle, à Josiane. — Elle veut qu’on aille aider !
Josiane, à la dame. — Mais pourquoi vous voulez qu’on aille aider ?
Sibylle, à la dame. — Les pompiers sont là pour ça !
Josiane, idem. — La police est là pour ça !
Sibylle, idem. — Comment ? L’éthique ?
Josiane, idem. — Une question d’éthique ?
Sibylle, idem. — Oh je vous en prie !
Josiane, idem. — Non mais dites donc, vous ! Vous aidez peut-être ?
Sibylle, idem. — Quoi, vous avez quatre-vingts dix ans ?
Josiane, idem. — Comment ça, c’est plus de votre âge ?
Sibylle, idem. — Non, en tout cas, on ne bougera pas !
Josiane, idem. — Pourquoi ?
Sibylle et Josiane, ensemble. — Mais parce qu’on paie assez d’impôts pour ça !
Josiane, à Sibylle. — Les gens sont formidables !
Sibylle. — Elle a un petit Caniche blanc.
Josiane. — Et alors ?
Sibylle. — J’ai jamais aimé les dames avec un petit Caniche blanc. (Son regard est attiré ailleurs.) Oh Regarde !
Josiane. — Quoi ?
Sibylle. — Le type, là.
Josiane, regardant dans la direction indiquée par Sibylle, puis choquée. — Oh !
Sibylle. — Hein ? Il ne se gêne pas !
Josiane. — Il s’imagine qu’on ne le voit pas ?
Sibylle, s’adressant à quelqu’un. — Pardon monsieur ! (Un temps.) Oui, c’est à vous que je m’adresse ! Et je vous prie d’arrêter immédiatement ! (Un autre temps.) Et pas la peine de faire l’étonné ! Votre petit manège dure au moins depuis cinq minutes !
Josiane. — « Quoi ? » Il ose dire « Quoi » !
Sibylle. — Vous plongez votre regard dans le décolleté de cette jeune fille !
Josiane. — Bien entendu, c’est pas lui, il a rien fait !
Sibylle. — Vous devriez avoir honte !
Josiane et Sibylle, ensemble. — Espère de voyeur !
Sibylle. — Quand il s’agit de se rincer l’œil !…
Josiane. — De regarder là où il ne faut pas !…
Sibylle. — Les gens n’ont plus aucune dignité ! …
Josiane, souriant. — Tu as vu comment on l’a mouché ?
Sibylle, souriant aussi. — Il est parti vite fait bien fait…
Elles rient toutes deux à gorges déployées.
Sibylle. — Bon, allez… Faut vraiment que j’y aille…
Josiane. — Moi aussi…
Sibylle. — Tu sais, ça m’a fait vraiment plaisir de te revoir…
Josiane. — C’est la même chose pour moi !
Sibylle, repensant au numéro déchiré de Josiane. — Bien alors… tu m’appelles ?
Josiane, repensant au numéro déchiré de Sibylle. — Euh… oui, oui…
Sibylle. — Tu as mon numéro…
Josiane, gênée. — Ben oui… Mais… toi aussi tu as le mien…
Sibylle, gênée. — Évidemment !
Josiane, prenant ses sacs. — Bon… alors je vais prendre mon bus. (Soudain, son regard change.) Oh ! Regarde, ils ont réussi à ouvrir la portière de la Mercédès ! Ça y est, le conducteur sort !
Sibylle regarde elle aussi en direction de l’accident. Soudain, son visage se décompose.
Josiane, souriant, toujours le regard vers l’accident. — Dis donc, il est pas mal… (Un temps. Elle regarde Sibylle.) Il est pas mal, non ?
Sibylle, pas convaincue. — Moui… si on veut…
Josiane. — Je te trouve difficile… On voit qu’il a de la classe…
Sibylle, ayant un sourire mauvais. — Tu sais… les apparences sont parfois trompeuses… (Son regard change soudain.) Oh ! Ils sont en train de sortir le conducteur de la Vespa de sous la voiture d’à côté… Et ils remettent le scooter debout, aussi. Aïe ! Pour ce qui est du bonhomme, ça n’a pas l’air simple… Ah ! Le voilà ! Il se redresse… Il a l’air indemne…
Le visage de Josiane change alors de couleur.
Josiane. — Oui… on dirait qu’il n’a rien…
Sibylle. — Tant mieux !
Josiane, retenant une crispation qui perce sur son visage. — Tant mieux… tant mieux… Faut le dire vite…
Sibylle. — Pourquoi ?
Josiane, cherchant à justifier sa précédente remarque. — Eh bien… eh bien parce que… parce qu’un accident a toujours des conséquences inattendues. (Un rictus de mauvaise augure apparaît sur son visage.) On subit un choc, on se relève, on pense que tout va bien et quelques temps après… Bim ! On est à terre…
Sibylle. — En tout cas, je préfèrerais être à sa place plutôt qu’à celle du conducteur de la Mercédès !
Josiane. — Ah bon pourquoi ?
Sibylle. — Parce qu’il n’aura rien à payer ! Tandis que le conducteur de la Mercédès…
Josiane. — Quoi, le conducteur de la Mercédès ?
Sibylle. — Tu imagines ? D’abord sa voiture, plus la Vespa, plus la condamnation… ça va faire un joli chèque à signer…
Josiane. — Attends… j’ai du mal à te suivre, là… Tu penses que le conducteur de la Mercédès va écoper d’une condamnation ?
Sibylle. — Évidemment !
Josiane. — Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
Sibylle. — La position des véhicules !
Josiane. — Qu’est-ce qu’elle a, la position des véhicules ?
Sibylle. — Observe le croisement. Pas de feux tricolores, pas de stop, pas de « cédez le passage ». Dans ce cas-là, tu connais la règle qui s’applique ?
Josiane. — Bien sûr ! Sans feux ni stop ni « cédez le passage », c’est la priorité à droite qui est de mise.
Sibylle. — Exactement. On doit laisser passer le véhicule qui est à sa droite.
Josiane. — Où veux-tu en venir ?
Sibylle. — À ceci : qui, de la Mercédès ou de la Vespa, avait la priorité ?
Josiane, observant attentivement le croisement. — Ben… euh… (Comme déçue ) la Vespa…
Sibylle. — Exact ! La Vespa ! C’est la Vespa qui était prioritaire ! La Mercédès ne l’a pas laissée passer ! Refus de priorité, c’est très grave !
Josiane, contrariée. — C’est grave… c’est grave… oui, si tu veux…
Sibylle. — Si je veux ! C’est pas moi qui veux, c’est le Code de la Route !
Josiane, observant attentivement les véhicules, son visage s’éclaire. — La Mercédès n’a pas vu la Vespa, mais la Vespa n’y a pas mis du sien !
Sibylle. — Comment ça ?
Josiane. — Tu ne remarques rien ?
Sibylle. — Qu’est-ce qu’il y a à remarquer ?
Josiane. — Les phares.
Sibylle. — Les phares ?
Josiane. — Tu ne vois pas la différence ?
Sibylle. — Entre quoi et quoi ?
Josiane. — Entre la Mercédès et la Vespa !
Sibylle. — Et alors ?
Josiane. — La Mercédès a ses phares allumés.
Sibylle, ironique. — Waouh ! Quelle découverte. Rien de plus normal…
Josiane. — Je ne te le fais pas dire : « Rien de plus normal » ! Même de jour, il faut allumer ses feux. Question de visibilité.
Sibylle. — Excuse-moi, mais je ne vois pas bien…
Josiane. — Regarde la Vespa. Ses feux sont éteints.
Sibylle, contrariée. — Ils ont dû être brisés par le choc…
Josiane. — Oh non ! Je m’en souviens très bien, ils n’étaient pas allumés !
Sibylle. — Toujours est-il que la Mercédès a fait un refus de priorité, alors ton histoire de feux pas allumés…
Josiane. — Je suis désolée ! Si la Vespa avait mis ses phares, la Mercédès l’aurait vue et lui aurait laissé la priorité ! (Triomphant )C’est donc bien la Vespa qui est responsable de l’accident. C’est au conducteur du scooter de payer les pots cassés !
Sibylle. — Ce n’est pas avec des « si » qu’on établit une vérité !
Josiane. — Je ne te parle pas d’une hypothèse, je te parle d’un fait : la Vespa roulait tous phares éteints. Par conséquent elle était moins visible que s’ils avaient été allumés.
Sibylle, s’échauffant. — Même avec des phares allumés, des halogènes et des lampes torches, la Mercédès n’aurait eu aucune chance d’éviter la Vespa.
Josiane, s’échauffant à son tour. — Bien sûr que si !
Sibylle. — Bien sûr que non ! Et tu sais pourquoi ? Parce que la Mercédès roulait trop vite !
Josiane. — Hein ?
Sibylle. — Absolument, trop vite !
Josiane. — Pas du tout !
Sibylle. — À combien elle roulait ?
Josiane. — J’en sais rien !
Sibylle, satisfaite du point qu’elle vient de marquer. — Bon ! Au moins tu es honnête, tu admets ton ignorance…
Josiane, essayant de se tirer de ce mauvais pas. — J’aimerais que tu fasses attention à ce que tu dis ! Je ne suis pas ignorante !
Sibylle. — Je te demande à combien roulait la Mercédès, tu me dis que tu n’en sais rien !
Josiane. — C’était une façon de parler ! Je réfléchissais…
Sibylle, profitant de son avantage. — Si tu ne sais pas, tu ne sais pas ! Il n’y a pas de mal à ça, la discussion est close.
Josiane. — Quarante ou quarante-cinq, grand maximum.
Sibylle, pour être sûre de ce qu’elle a entendu. — Quarante ou quarante-cinq kilomètres heure ?
Josiane. — Grand maximum.
Sibylle, dans un grand éclat de rire triomphant mais presque rageur. — Ah ! C’est limité à trente !
Josiane, perdant pied. — Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?
Sibylle. — Ce n’est pas une histoire, ma chère, c’est la signalisation !
Josiane. — Où ça, la signalisation ?
Sibylle, guidant Josiane. — Là, cocotte ! C’est écrit avec de grands chiffres. Limitation à trente ! (Josiane est défaite.)Personnellement, j’aurais plutôt dit que la Mercédès arrivait à cinquante… Mais même à quarante ou quarante-cinq, elle est dans son tort ! Non seulement le conducteur s’est rendu coupable d’un refus de priorité, mais en plus il roulait en excès de vitesse ! Bravo ! Ça va faire très mal…
Josiane, la mine sombre. — Et la Vespa, elle était pas en excès de vitesse, la Vespa ?
Sibylle. — Ah non ! Pas du tout ! La preuve, c’est qu’elle venait de s’arrêter pour laisser passer la dame avec son Caniche blanc. Ensuite elle a redémarré et c’est là qu’elle s’est faite percuter par l’autre idiot !
Josiane, dont le sourire revient peu à peu. — L’autre idiot… C’est le conducteur de la Mercédès que tu appelles comme ça ?
Sibylle. — Si rouler à tombeau ouvert au cœur d’une ville n’est pas une idiotie, qu’est-ce que c’est ?
Josiane, souriant tout à fait. — C’est vrai, ça ne respire pas l’intelligence…
Sibylle, sûre d’avoir remporté la bataille. — On est d’accord.
Josiane, sûre de son effet. — Mais conduire en état d’ivresse, ce n’est pas très malin non plus.
Sibylle. — En état d’ivresse ? Qui est ivre ?
Josiane. — Le conducteur de la Vespa !
Sibylle. — Qu’est-ce que tu en sais ?
Josiane. — Regarde comment il marche.
Sibylle, après avoir observé. — Et alors ?
Josiane. — Tu ne vois rien ?
Sibylle. — Si… il titube un peu…
Josiane. — Il titube beaucoup !
Sibylle. — Bon, il titube, très bien ! Et alors, il a pas le droit ?
Josiane, gouailleuse. — Je ne comprends pas. Tous les citoyens naissent libres et égaux en droit de tituber, peut-être ?
Sibylle. — Il vient de se faire percuter par un cinglé qui roulait à toute bombe ! Avec le choc, il est passé sous une voiture, il a cru voir sa dernière heure arriver, et tu voudrais qu’il soit aussi fringant que l’homme le plus classe du monde ?
Josiane. — Il titube pas comme quelqu’un qui a eu un choc émotionnel. Il titube comme quelqu’un qui s’est pris une murge !
Sibylle. — Là, tu interprètes !
Josiane. — Oh non ! Je constate. D’ailleurs, il s’est fait dessus.
Sibylle. — Qu’est-ce que tu as dit ?
Josiane, réprimant une envie de rire. — Regarde son pantalon, il s’est oublié !…
Sibylle, n’en croyant pas ses yeux. — Oh oui, c’est vrai…
Josiane. — Si avec ça, tu doutes encore qu’il soit bourré…
Sibylle. — Tu sais, parfois, sous le choc…
Josiane. — Trouve autre chose ! Il est ivre-mort, ce type. D’ailleurs, tu vois bien, la police lui fait passer un alcotest…
Sibylle. — C’est une formalité d’usage…
Josiane, triomphant. — Conduite en état d’ébriété, ça va chercher très loin ! Retrait de permis ! S’il avait été sobre, il aurait pu éviter la Mercédès. C’est lui qui est responsable de tout ça ! C’est honteux de prendre la route en étant ivre. J’espère qu’il sera puni comme il le mérite !
Sibylle. — Attendons les résultats du test.
Josiane. — Il sera positif, j’en suis sûre.
Sibylle. — En attendant, c’est la Mercédès qui est en tort : refus de priorité, excès de vitesse…
Josiane. — N’oublie pas les phares éteints de la Vespa, la conduite en état d’ivresse…
Sibylle. — À confirmer…
Josiane, s’énervant. — Oh mais tu m’ennuies ! On dirait que ça te fait plaisir que la Mercédès soit en tort !
Sibylle, s’énervant également. — Et toi tu fais tout pour faire accuser la Vespa !
Josiane, sortant de ses gonds. — Je ne fais pas tout pour faire accuser la Vespa, je constate les faits ! Et il y en a un imparable !
Sibylle, avec un air de défi. — Je serais curieuse de l’entendre !
Josiane. — Les freins de la Vespa ne marchent presque plus !
Sibylle. — Hein ?
Josiane, triomphant. — Ça te la coupe, ça ! Alors moi je veux bien tous les arguments possibles : le conducteur de la Mercédès a refusé la priorité, le conducteur de la Mercédès était en excès de vitesse, le conducteur de la Mercédès est un dingue, le conducteur de la Mercédès est un dangereux psychopathe cherchant à buter tous les scooters qui passent à sa portée !… ça n’empêche que cette Vespa est un danger public ! Elle n’aurait jamais dû prendre la route. Que le conducteur se mette en danger lui-même… s’il est assez stupide pour le faire… Mais qu’il mette en danger les autres, non ! C’est totalement irresponsable ! Il mérite un châtiment exemplaire !
Sibylle, après un temps. — Mais euh… comment tu sais ça ?
Josiane. — Comment je sais quoi ?
Sibylle. — Comment tu sais que les freins de cette Vespa ne marchent plus ?
Josiane, prenant conscience de sa maladresse. — Euh… eh ben… j’ai vu ça quand il a essayé de freiner…
Sibylle, dubitative. — C’est quand même compliqué de se rendre compte de ce genre de choses rien qu’en observant une trajectoire de l’extérieur…
Josiane, essayant d’éluder. — Mais enfin… tu as vu la tronche de cette Vespa ? Le siège est complètement laminé, la carrosserie est écaillée… On voit bien qu’elle n’est pas entretenue…
Sibylle. — Elle était déjà comme ça avant l’accident ?
Josiane. — Oh oui !
Sibylle. — Et tu as vu tout ça ?
Josiane, sur le grill. — Oui…
Sibylle. — Avant l’accident ? En l’espace de quelques secondes ?
Josiane, contrariée. — Mais non, pas en l’espace de quelques secondes !… (Hésitant puis se lançant ) Je la connais, cette Vespa. Et depuis longtemps. Comme elle était sous la voiture d’à côté, je ne l’avais pas bien distinguée. Mais quand la police l’a remise d’aplomb, je l’ai tout de suite reconnue. C’est la Vespa de Giovanni.
Sibylle. — Qui est-ce ?
Josiane. — Un ami.
Sibylle. — C’est un ami à toi qui était sur la Vespa ?
Josiane. — Non, c’est mon mari…
Sibylle. — Quoi ?
Josiane. — C’est mon mari qui conduisait cette Vespa. Je m’en suis aperçue quand ils l’ont tiré de sous la voiture. Je reconnaîtrais son blouson entre mille.
Sibylle, secouée par cette révélation. — Hein ? Une seconde… je… mais… c’est… c’est ton mari qui a été projeté sous la voiture ?
Josiane, penaude. — Oui…
Sibylle. — Qu’est-ce que tu attends ? Va le voir !
Josiane, en colère. — Sûrement pas, cet enfoiré !
Sibylle. — Pardon ?
Josiane. — C’est un bel enfoiré, tu peux me croire !
Sibylle. — Josiane, je ne sais pas ce qu’il y a eu entre vous, mais il vient quand même de frôler la mort !
Josiane, teigne. — Qu’il crève, cette ordure !
Sibylle. — Tu y vas un peu fort…
Josiane. — Oh non ! C’est lui qui y va un peu fort… Je ne suis pas assez bien pour monsieur… alors monsieur a choisi de me tromper ! Eh oui ! Je suis cocue, ma vieille ! Monsieur a pris une maîtresse !
Sibylle. — Oh ! (Regardant attentivement le conducteur de la Vespa.) Pourtant, il ne fait pas très homme à femmes…
Josiane. — Les apparences sont trompeuses ! C’est toi-même qui me l’a rappelé tout à l’heure… Ce matin, il m’a annoncé qu’il me quittait et qu’il allait s’installer chez sa maîtresse !
Sibylle. — Et tu ne m’as rien dit ?
Josiane. — Je ne voulais pas t’embêter avec tout ça… Comme sa voiture est au garage, il a dû passer chez Giovanni.
Sibylle. — Giovanni ?
Josiane. — Le copain à qui il emprunté la Vespa.
Sibylle, compatissante. — Oh… ma pauvre Josy !… (Elle prend Josiane dans ses bras qui éclate en sanglots.) Allons… allons, ça va s’arranger…
Josiane, tout en sanglotant. — Je ne crois pas, non…
Sibylle, après réflexion, avec un petit sourire. — Je comprends maintenant pourquoi tu tenais absolument à ce que la Vespa soit responsable de l’accident…
Josiane, séchant ses larmes. — Avoue tout de même qu’il n’aurait jamais dû conduire cet engin !…
Sibylle. — Si ce que tu me dis est vrai, cette Vespa n’aurait en effet pas dû bouger de chez Giovanni.
Josiane, un peu requinquée par cette concession. — Tu vois ? Tu en conviens, finalement…
Sibylle, la câlinant. — Oui, j’en conviens… (Revenant à son sujet, grondant gentiment Josiane ) Mais honnêtement, insister sur le fait que la Vespa n’avait pas de phares en état de marche, alors que la Mercédès cumule un refus de priorité et un excès de vitesse…
Josiane, penaude. — Oui c’est vrai, j’ai un peu exagéré…
Sibylle, se posant en aimable figure de la Justice. — Je veux bien que ton mari ait des torts sur le plan du Code de l’honneur… Mais de là à l’accabler sur le plan du Code la route…
Josiane, culpabilisant. — C’était pas très chic de ma part… mais ça me faisait tellement plaisir de le voir dans cette situation…
Sibylle, indulgente. — Je comprends ça, c’est humain. (La rappelant à l’ordre avec douceur.) Mais aller jusqu’à le faire accuser à tort ! Les conséquences auraient pu être graves…
Josiane. — Je sais, j’ai eu tort.
Sibylle. — Moi, tu vois, quand quelqu’un me déplaît ou m’énerve, même si j’ai des sentiments négatifs à son égard, j’essaie toujours de rester objective.
Josiane. — Et tu y arrives ?
Sibylle. — Au début, c’était compliqué. Mais maintenant, je parviens à me maîtriser.
Josiane, admirative. — Ça ne m’étonne pas, tu as toujours eu de la force de caractère…
Sibylle. — Et dans cet accident, je peux te dire que c’est la Mercédès qui est responsable !
Josiane. — Tu ne vas pas recommencer ?
Sibylle. — Ma chérie ! Regarde la réalité en face !
Josiane. — Justement, tu m’as l’air de l’oublier un peu, la réalité ! Certes, je ne serais pas fâchée de voir mon idiot de mari en difficulté ! Mais tout de même ! D’accord, des phares défectueux… comparés à un refus de priorité ou un excès de vitesse, c’est pas grand-chose… Mais il y a les freins, ou plutôt l’absence de freins !
Sibylle. — Les freins, c’est rien !
Josiane. — Comment, rien ? Rouler sans frein, c’est rien ?
Sibylle. — Non, bien sûr…
Josiane, imitant une avocate. — « Monsieur le Juge, certes, mon client ne pouvait pas freiner, mais peut-on vraiment le lui reprocher ? »
Sibylle. — Tout ça ne pèse pas bien lourd, face à un véhicule conduit par un homme à qui on a retiré son permis !
Josiane, après un temps. — Pardon ?
Sibylle. — Le conducteur de la Mercédès, il n’a pas de permis ! Il n’aurait jamais dû prendre la route… Je peux te dire qu’il va prendre cher…
Josiane. — Comment tu as eu l’info ?
Sibylle. — De quoi tu parles ?
Josiane. — Comment tu sais qu’il conduit sans permis ?
Sibylle, se rendant compte de son erreur. — Comment je ? … Oh… écoute… (Tentant de s’en sortir par un mensonge ) ça se voit ! La façon dont il est arrivé sur ce carrefour… la façon dont il a pilé…
Josiane, incrédule. — Rien qu’en regardant sa conduite, t’as deviné qu’il avait pas de permis ? (Avec une ironie mordante ) T’es encore plus forte que ce que j’imaginais…
Sibylle. — Tu sais, moi, les chauffards, j’ai l’habitude ! Je les repère à cent mètres !
Josiane, énervée. — Tu vas arrêter de me prendre pour une quiche ?
Sibylle, après réflexion. — Bon, après tout, tu m’as fait une confidence… je t’en dois bien une… Je sais que le conducteur de la Mercédès roulait sans permis parce que… parce que je connais le conducteur de la Mercédès…
Josiane. — Non ?
Sibylle, après une hésitation. — Il s’appelle… Il s’appelle Gaylord.
Josiane. — C’est ton mec ?
Sibylle. — Ça ne risque pas ! (Allusive ) Je ne suis pas son genre, si tu vois ce que je veux dire…
Josiane. — C’est qui, alors, ce Gaylord ?
Sibylle. — Un de mes collègues… Je l’ai reconnu quand il est sorti de la voiture. Et j’ai tout de suite fait le lien avec la Mercédès dont il n’arrête pas de nous parler au bureau. Il a toujours adoré les grosses cylindrées, et la vitesse qui va avec ! … Du coup, il avait tendance à un peu oublier les limitations… ça ne lui a pas porté bonheur… à force d’enchaîner contraventions sur contraventions… on a fini par lui retirer son permis ! La semaine dernière… Mais ça lui est complément passé au-dessus de la tête… Il a continué à rouler comme si de rien n’était… Et sans hésiter à s’en vanter devant nous, en plus… (Souriant ) Eh bien, il va moins faire le mariol, maintenant…
Josiane. — On dirait que ça te fait plaisir…
Sibylle. — Oh oui ! Nous avons lui et moi… comment dire… un petit contentieux…
Josiane. — Explique-moi.
Sibylle. — Voici quelques temps, un des fondateurs du cabinet, Zambot, a annoncé qu’il se retirait et qu’il voulait céder ses parts.
Josiane. — Ses parts ?
Sibylle. — Le capital du cabinet, ses ressources financières si tu préfères, est divisé en parts qui sont détenues par les associés. Moi, par exemple, je ne suis qu’une simple salariée, je ne suis pas associée. Je ne détiens aucune part du capital d’Aware consulting.
Josiane. — Quel est l’intérêt de posséder une part du capital ?
Sibylle. — Il est double : financier et stratégique. Financier, d’abord, parce qu’une part de capital, si l’entreprise fait des bénéfices, ça te rapporte de l’argent.
Josiane. — Oui : c’est ce qu’on appelle les dividendes.
Sibylle. — Exactement. Mais posséder une part du capital, c’est aussi intéressant sur le plan stratégique. Tous ceux qui possèdent les parts du cabinet, les associés, se réunissent au sein de l’Assemblée des associés. Et c’est là que se prennent les décisions les plus importantes concernant Aware consulting.
Josiane. — Si je comprends bien : en obtenant des parts, on devient associé, et en devenant associé, on devient vraiment partie prenante de la boîte.
Sibylle. — C’est ça !
Josiane. — Et n’importe qui peut acheter des parts du capital ? Moi, par exemple, si je voulais, je pourrais en acheter ?
Sibylle. — Oui, tu pourrais, à condition d’être agréée par au moins la moitié des associés…
Josiane. — Et je ne vois pas quel intérêt ils auraient à me faire entrer moi, petite Josiane, au capital d’Aware consulting.
Sibylle. — Toujours est-il que les associés ne souhaitaient pas acquérir les parts de Zambot. Ils ont pensé qu’il aurait été intéressant d’intégrer un nouveau ou une nouvelle associé-e. Gaylord et moi nous nous sommes portés candidats.
Josiane. — Je comprends. Pour l’un, comme pour l’autre, devenir associé, ça représentait une belle évolution dans la boîte.
Sibylle. — Je ne te le fais pas dire ! Acquérir ces parts, cela voulait dire entrer à l’Assemblée des associés de la boîte, participer activement à son évolution, bref, accéder à un statut très intéressant. Sans parler des contreparties financières.
Josiane. — Et l’Assemblée des associés a choisi Gaylord.
Sibylle. — Eh oui. Oh ! … J’aurais dû m’en douter…
Josiane. — Pourquoi ?
Sibylle. — Mais parce que il n’y a que des mecs, chez les associés ! Comme il n’y a que des mecs à tous les postes importants de la boîte…
Josiane. — Encore une belle brochette de sexistes…
Sibylle. — Oh oui… Toujours est-il que depuis que Gaylord a appris que l’assemblée des associés a décidé de le faire entrer au capital du cabinet, je vis un véritable enfer ! Il me prend pour sa bonniche ! « Sibylle, apporte-moi un café ! Sibylle, apporte-moi le dossier truc ! Sibylle, apporte-moi le projet machin ! » Je n’en peux plus ! J’ai l’impression d’avoir redescendu l’échelle sociale en quatrième vitesse, et je peux te dire que ça fait mal au cul !
Josiane, choquée. — Oh !
Sibylle. — Désolée ! Je n’aime pas les gros mots mais de temps en temps, ça soulage !… Moi qui commençais à étendre mes prérogatives, me voilà reléguée sur des missions minables en extérieur… Pas question que ça continue comme ça ! Heureusement, cet accident peut changer les choses…
Josiane. — Comment ça ?
Sibylle. — Avoir un associé qui aime les voitures puissantes, soit ; un associé qui fait des excès de vitesse, bon ; un associé qui se fait retirer son permis, passe encore ; mais un associé qui roule sans permis et provoque un accident… ça risque de poser de gros problèmes…
Josiane. — En quoi ?
Sibylle. — Toute la communication d’ Aware consulting se fait sur l’exemplarité ! « Des consultants exemplaires pour des conseils exemplaires ». Alors un consultant qui percute un scooter en roulant sans permis… c’est loin d’être un exemple ! Zambot va réagir, c’est sûr…
Josiane. — Qu’est-ce qu’il peut faire ?
Sibylle. — C’est là que ça devient intéressant ! L’Assemblée des associés a voté en faveur de Gaylord mais j’en suis sûre, quand Zambot apprendra cet accident, il ne voudra plus céder ses parts à Gaylord ! Alors, j’apparaîtrai comme celle qui aurait dû devenir associée et ce, dès le début !
Josiane, énervée. — Eh ben, tu manques pas d’air !
Sibylle. — Oui, je sais, vu de l’extérieur, tout ça fait un peu panier de crabes, mais…
Josiane, la coupant. — Oh ça je m’en fiche ! C’est ton boulot, c’est toi qui gères ! Non, ce qui m’énerve, c’est que tu te permets de me faire la morale parce que je déforme la réalité, que je veux absolument faire accuser mon saligaud de mari, mais toi, tu n’es pas mieux !
Sibylle. — Josiane, je t’en prie, ça n’a rien à voir !
Josiane. — Comment, rien à voir ?
Sibylle. — Ne confonds pas histoire de fesses et stratégie professionnelle !
Josiane, montant sur ses grands chevaux. — Une histoire de fesses ? Mon mariage ?
Sibylle. — Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire…
Josiane. — Et toutes tes petites manigances ? Tu appelles ça de la « stratégie professionnelle » ? Ah l’expression est bien choisie ! Moi, quand j’essaie de me défendre, c’est une histoire de fesses ! Et toi, quand tu intrigues pour éjecter un de tes collègues, c’est de la « stratégie professionnelle ». Bravo !
Sibylle, soudain très froide. — Bien, je crois qu’on s’est tout dit.
Josiane, froide, également. — Je pense aussi.
Un silence glacial.
Sibylle. — Je te laisse, j’ai une réunion, je suis déjà en retard. (Elle amorce un mouvement de sortie.)
Josiane. — Et moi je me dépêche, sinon je n’aurai plus de bus. (Elle amorce un mouvement de sortie.)
Sibylle, s’arrêtant. — Tu ne rentres pas avec ton mari ?
Josiane. — Celui-là… Qu’il se débrouille !
Sibylle, les yeux au loin. — Ils le font monter dans l’ambulance…
Josiane, s’arrêtant, les yeux fixant le même point que Sibylle. — Ah ?
Sibylle. — Il a peut-être quelque chose de cassé.
Josiane, haussant les épaules. — Tant mieux !
Sibylle. — Il a du mal à enlever son casque…
Josiane, cruelle. — Bien fait ! Il a toujours eu une grosse tête…
Sibylle. — Ils s’y mettent à plusieurs… Ah ça y est ! Ils ont réussi ! (Soudain son visage se décompose ) Oh ! Marc ! (Tout de suite, elle regrette d’avoir prononcé son prénom.)
Josiane, soupçonneuse. — Tu… tu connais mon mari ?
Sibylle, paniquant. — Hein ?
Josiane. — Tu as dit son prénom. Tu… tu connais Marc ?
Sibylle, essayant de noyer le poisson. — Eh ben euh… je… c’est toi…
Josiane. — Quoi, c’est moi ?
Sibylle, pataugeant. — C’est toi qui me l’as dit… qui m’as dit comment il s’appelait !
Josiane. — Non.
Sibylle, très mal à l’aise. — Comment, non ?
Josiane. — Le seul nom que j’ai prononcé est celui de Giovanni, le copain à qui il a emprunté cette Vespa pourrie. Mais le prénom de mon mari, je ne te l’ai pas dit. (Un temps. Elle réfléchit.) Vous vous connaissez, Marc et toi ? (Alors que Sibylle se demande quoi dire, elle réfléchit à toute vitesse et comprend tout en un éclair.) Oh non ! Ne me dis pas que…
Sibylle, honteuse, après un temps. — Si, si…
Josiane, soudain déterminée. — Très bien, alors dis-le !
Sibylle, toujours mal à l’aise. — Je t’en supplie… Pas devant toi… épargne-moi ça, s’il te plaît…
Josiane. — Comment « épargne-moi ça » ? C’est toi la victime, peut-être ? Si tu voulais que je t’épargne, il aurait fallu m’épargner d’abord !
Sibylle, sautant sur l’occasion pour se justifier. — Josiane, je t’assure que je ne savais absolument pas que…
Josiane, la coupant sans ménagement. — Ah non ! Les explications, plus tard ! D’abord : l’aveu !
Sibylle, agitée. — Quoi, l’aveu ? Puisque tu as tout compris !
Josiane, criant presque. — Je m’en fous, je veux que tu le dises ! (Comme pour elle-même ) J’en ai besoin…
Sibylle, ne tenant pas en place. — Mais puisque la situation est claire, je ne vois pas ce que…
Josiane, calme et fermement ancrée dans le sol. — La situation sera claire quand tu l’auras dit.
Sibylle, en colère, profitant de la situation pour faire mal à Josiane. — Parfait, alors écoute : Marc est mon amant.
Un silence durant lequel Sibylle, haletante, à la fois soulagée mais se dégoûtant elle-même, regarde Josiane qui a encaissé le coup. Cette dernière s’assoit. Sybille la regarde, se sentant coupable.
Sibylle, pour minimiser. — Je ne savais pas que tu étais sa femme. (Un temps.) Je savais qu’il était marié, il me l’avait dit mais… à chaque fois que je posais des questions, il restait vague. J’ai compris qu’il ne voulait pas en parler et ne l’ai plus interrogé à ce sujet.
Josiane, après un temps. — Mais comment… Comment vous vous êtes rencontrés ?
Sibylle. — Marc est bien gérant d’un Intermarket ?
Josiane, surprise par cette question. — Oui !
Sibylle. — Je te demande confirmation parce que… je commence à douter de tout… Bref… Voici quelques temps, Intermarket a proposé aux gérants volontaires une formation en ressources humaines.
Josiane, cherchant dans sa mémoire. — Oui… Je m’en souviens…
Sibylle. — C’est le cabinet qui s’en est occupé et j’animais un des ateliers.
Josiane, peinée. — D’accord… (Après un silence ) Et ces stages… ces stages de ressources humaines, il y en a eu d’autres ?
Sibylle. — Non.
Josiane, soupçonneuse. — Après cette première formation, il n’y a pas eu des formations complémentaires ?
Sibylle. — Non, non… c’était juste une initiation.
Josiane, avec une rage contenue. — Quel enfoiré !…
Sibylle, redoutant ce que Josiane va dire. — Quoi ?
Josiane, amère. — Oh rien ! L’ordinaire d’un adultère banal ! Je me souviens très bien de cette première formation… Marc en était revenu enchanté !
Sibylle, honteuse. — Ah…
Josiane, se retenant d’éclater. — Et il m’a annoncé, tout guilleret, que la formation allait se poursuivre, pour les volontaires, sous forme de réunions ! Après le travail, en fin de journée…
Sibylle, ne sachant plus où se mettre. — Je suis vraiment désolée…
Josiane, regardant fixement Sibylle. — Et il y en a eu, des « réunions » ! Bien entendu, tout ça n’était qu’un tissu de mensonges… (Éclatant ) Des excuses pour pouvoir te retrouver !
Sibylle, mal à l’aise. — Je t’assure que je ne savais rien !
Josiane, criant. — Oh assez avec ça ! (L’imitant cruellement ) « Je ne savais rien, je n’étais pas au courant ». (Revenant à la charge ) Marc est un salopard et toi, tu es blanche comme neige ? C’est ça, ton système de défense ?
Sibylle, s’opposant avec peine. — Je ne veux pas m’exonérer de mes responsabilités, mais tout de même…
Josiane, la mettant sur le grill. — Tu ne savais pas qu’il était marié ?
Sibylle, à contrecœur. — Mais si, je le savais !
Josiane, avide d’informations. — Il te parlait de moi ?
Sibylle. — Non, mais il disait des trucs du genre : « Faut que rentre à cause de ma femme ».
Josiane, cinglante. — Et ça ne t’a posé aucun problème ?
Sibylle, faisant semblant de ne pas comprendre. — Quoi ?
Josiane, hurlant. — De fréquenter un homme marié !
Sibylle, vivement. — Si j’avais su que c’était toi, jamais, jamais !…
Josiane, cinglante. — Mais piquer le mari d’une autre, c’était pas grave !
Sibylle, au bord des larmes. — Josiane, on s’est laissé dépasser par les événements, on a été cons…
Josiane, surjouant la compassion. — Ben voyons ! Des victimes, hein ? Vous n’êtes que de pauvres petites victimes de vous-même ? Tu veux peut-être que je te plaigne ?
Sibylle, piquée par cette remarque. — Visiblement, c’est trop te demander…
Josiane, choquée. — Oui, c’est un peu trop pour moi ! Non mais je rêve ! Madame voudrait qu’on la plaigne alors que ça ne lui fait rien de briser un ménage !
Sibylle, riant. — Ah non ! Ce serait trop simple…
Josiane, ironique. — Une femme se tape le mari d’une autre. Tu trouves que c’est compliqué ?
Sibylle, attaquant. — Ne cherche pas à me faire porter le chapeau concernant la ruine de ton ménage !
Josiane. — Tu n’y es pour rien, peut-être ?
Sibylle, dure. — D’ailleurs ce n’est pas ton ménage, mais votre ménage, à toi et à Marc. Et manifestement, vous n’avez pas eu besoin de moi pour le ruiner tous seuls comme des grands !
Josiane. — Qu’est-ce que tu dis ?
Sibylle. — Si Marc est venu vers moi, tu penses que c’est parce que tout allait bien dans votre couple ?
Josiane, après un temps, la regardant. — Ah ça, mettre le doigt là où ça fait mal, tu sais faire…
Sibylle, ferme. — Arrête de te masquer la réalité ! Notre histoire avec Marc n’est pas la cause du délitement de votre couple. Il n’en est que la conséquence !
Josiane, se levant. — Regarde ce que tu es devenue ! Une femme sans empathie, froide, dure… ça ne m’étonne pas, vue ton ambition démesurée !…
Sibylle, éclatant d’un rire jaune. — Moi ? Une ambition démesurée ? Parce que je veux réussir sur le plan professionnel ?
Josiane. — Et ta réussite prime sur tout le reste, quitte à écraser les autres !
Sibylle, hargneuse. — Ça vaut toujours mieux que ton ratage intégral.
Josiane, sonnée par ce coup. — Mon ? … Mon ratage ? … (Elle titube presque puis reprend du poil de la bête.) Moi, au moins, j’ai une famille… Des enfants qui m’aiment ! Toi, t’as rien ! Rien ! Pauvre égoïste…
Sibylle, ironique. — Parce que tu crois sincèrement que t’as quelque chose ?
Josiane. — Évidemment, tout ça te passe au-dessus de la tête !
Sibylle, agressive. — Mais qu’est-ce que t’as ? Hein ? Une maison minable dans un village paumé ? (Ironique ) Génial ! (Revenant à la charge ) Pas de fric, parce que madame a sacrifié sa vie professionnelle en devenant la bobonne de monsieur ? (Persifleuse ) Formidable ! (Réattaquant sans laisser respirer Josiane ) Un univers qui se résume à tes mômes, tes mômes et encore tes mômes ? (Acide ) Extraordinaire ! Mais comment fais-tu pour avoir une vie aussi merdique ?
Josiane, ayant tout encaissé et réattaquant. — Pour pouvoir juger ainsi la vie des autres, commence par en avoir une, de vie !
Sibylle. — Mais j’en ai une !
Josiane, coriace. — T’as pas de vie ! T’as un boulot, c’est tout ! Ta principale préoccupation : est-ce que tu vas obtenir des parts de ta boîte ? Point de vue sentimental, qu’est-ce t’as dégoté ? Un pauvre mec qui t’accorde généreusement deux heures de cinq à sept ! (Elle a un rire mauvais.) Ah c’est une réussite !… Quant à ce qui te reste de famille, ta mère, tu te conduis avec elle comme une belle garce ! Alors qu’elle te demande un peu d’attention, un peu d’intérêt, tu l’envoies promener comme si c’était la dernière des emmerdeuses ! Aux jeux olympiques de l’abjection, tu remporterais haut la main la médaille d’or.
Sibylle. — Toujours est-il que c’est toi, que Marc a quittée ! Et il t’a quittée pour moi ! C’est qu’il doit y avoir une raison.
Josiane, du tac au tac. — Ça oui ! Il y en a une : les cons s’attirent !
Sibylle, sûre d’elle. — Tes insultes importent peu. Marc trouve chez moi tout ce qui fait défaut chez toi.
Josiane, moqueuse. — Qu’est-ce que tu t’imagines ? Qu’il t’aime, peut-être ?
Sibylle. — Oh oui, il m’aime !
Josiane, moqueuse. — C’est ce que tu crois…
Sibylle. — Il y a des mots qui ne trompent pas…
Josiane, intéressée. — Des mots ?
Sibylle, hésitant, puis. — Quand un homme dit certains mots, il ne peut pas mentir.
Josiane, amère. — Les mots… Ils traînent partout, on en fait ce qu’on veut…
Sibylle. — Pas ceux-là. Jamais aucun homme ne m’a parlé comme Marc.
Josiane, caustique. —Et qu’est-ce qu’il t’a dit ? (Ironique ) « Tu es le soleil de ma vie » ?
Sibylle. — N’importe qui aurait pu me dire ça ! Non, ce n’est pas ce qu’a fait Marc…
Josiane. —Et on peut savoir ce qu’il a fait ?
Sibylle. — Pour évoquer notre relation, un jour, il a parlé d’« éternel éphémère ».
Josiane, n’en revenant pas. — Quoi ?
Sibylle, consultant son téléphone alors que Josiane fait de même. — Il m’a écrit… (À Josiane ) Je garde tous ses messages…
Josiane, les yeux sur son téléphone. — Moi aussi !
Sibylle, ayant repris sa recherche. — Ah… voilà… (Lisant ) « Les moments que nous passons ensemble ont trait à l’éternel éphémère ».
Josiane et Sybille, ensemble, chacune lisant son propre téléphone. — « Ils ont l’éternité des sentiments indestructibles et la fugacité des rencontres uniques. »
Sibylle, regardant Josiane. — Qu’est-ce que ? … Tu as piraté sa messagerie ?
Josiane, riant. — J’en serais bien incapable… Non, je viens juste de te lire un message que Marc m’a envoyé il y a longtemps.
Sibylle, sans comprendre. — Quoi ?
Josiane. — C’était au début de notre relation, il y a plus de vingt ans. Regarde, il y a la date et l’heure. (Elle montre son téléphone à Sibylle.) « L’éternel éphémère », ça m’avait marquée.
Sibylle, prenant le téléphone de Josiane et relisant le message. — Oh ! Mais quel comédien !…
Josiane, amère. — Comme toi, j’avais trouvé ça original. Je n’aurais jamais imaginé qu’il puisse redire la même chose à quelqu’un d’autre vingt ans plus tard.
Sibylle, redonnant son téléphone à Josiane. — La même chose, mot pour mot, à la virgule près… (Les larmes lui montent aux yeux.) Il s’est bien foutu de moi…
Josiane. — Il s’est bien foutu de nous, oui…
Sibylle, regardant Josiane. — Tu as raison… Il a menti à chacune de nous en lui faisant croire qu’il lui disait des paroles uniques. (Un temps, elle réfléchit.) Mais pourquoi ? Pourquoi avoir une liaison avec moi s’il n’éprouve rien ? S’il voulait du sexe, des solutions bien plus simples existent…
Josiane, réfléchissant à son tour. — Est-ce que… est-ce que Marc était… comment dire… généreux ?
Sibylle. — Comment ça ?
Josiane. — Au restaurant, c’était lui qui réglait la note ? Il te faisait des cadeaux ?
Sibylle, cherchant dans ses souvenirs. — Maintenant que tu me le dis… J’ai remarqué plusieurs choses déplaisantes, chez lui… Au moment de l’addition, il oublie toujours son portefeuille. Mais une fois, il me dit : « Ce soir, c’est moi qui régale ! » Et là, j’ai la belle surprise de constater que ce qu’il offre, c’est la bouteille de vin ! Pour le reste, c’est chacun sa part… Et puis il négocie tout ! Hôtel, taxi, légumes achetés à l’épicerie… (Imitant Marc ) « On ne sait jamais, ça peut marcher » ! Et il y a ce prêt personnel qu’il voulait que je lui fasse… J’ai refusé.
Josiane, riant mais ne le montrant pas. —Et tu as été bien inspirée ! Marc a de gros problèmes d’argent. Depuis un an, il s’est mis à jouer au poker en ligne et comme il n’est pas très doué pour le bluff, il a perdu progressivement des sommes considérables. Il a contracté plusieurs crédits…
Sibylle, prenant peu à peu conscience de la vraie nature de sa relation avec Marc. — Et tu penses que ?…
Josiane. — Marc a dû très vite repérer ton train de vie et espérer que tu éponges ses dettes.
Sibylle. — Évidemment ! Comment ai-je pu être aussi stupide et me laisser embobiner de cette façon ?
Josiane, gentille. — L’amour rend aveugle.
Sibylle, regardant Josiane, reconnaissante. — Mais l’amitié ouvre les yeux. (Un temps court, puis, décidée ) En tout cas, Marc et moi, c’est fini.
Josiane, contente de sa revanche. — Ça va lui faire drôle !
Sibylle. — Ça lui fera ce qu’il voudra, ça le regarde !
Josiane, ironique. — Pauvre petit Marc, qui va se retrouver à la rue.
Sibylle. — Comment ça, à la rue ? Et votre maison ?
Josiane. — Je te rappelle qu’avant d’avoir cet accident, Marc était parti s’installer chez toi.
Sibylle. — Hein ?
Josiane. — Regarde le texto qu’il m’a envoyé ce matin.
Sibylle, lisant sur le téléphone que Josiane lui passe. — « Josiane, je te quitte, tout est fini entre nous. Je vais m’installer chez la femme pour qui je compte vraiment. » (Relevant la tête ) Mais c’est pourtant vrai… (Comprenant soudain ) Oh !
Josiane. — Quoi ?
Sibylle. — Pas de doute, c’est de ça dont il voulait me parler ! En sortant de mon rendez-vous, j’ai vu que Marc avait essayé de me joindre. Je l’ai appelé mais il n’a pas répondu. Il était sûrement sur la Vespa.
Josiane, ironique. — Il voulait certainement t’annoncer la grande nouvelle !
Sibylle. — Laquelle ?
Josiane. — Eh bien son installation dans tes meubles !
Sibylle. — Ah oui mais non ! Il se débrouillera sans moi. D’ailleurs je vais lui dire, et tout de suite, en plus ! (Sibylle compose un numéro tout en regardant au loin.) Regarde, il voit que c’est mon numéro… Il décroche… (Dans le téléphone ) Allô ? (Un temps.) Je sais. (Un autre temps.) Je l’ai vu. (Un temps.) Oui, je l’ai vu, j’étais là. (Un autre temps.) Eh bien là, sur le croisement. (Un temps.) Non, de l’autre côté. (Elle fait un signe au loin.) Voilà ! Là-bas ! Tu nous vois ? (Un temps.) Ah oui, c’est vrai, tu ne sais pas, je suis avec Josiane. (Un temps.) Oui, Josiane, ta femme. (Un temps.) Figure-toi que nous étions au collège ensemble. (Un temps.) Oui et nous nous étions perdues de vue. C’est énorme, non ? (Un temps, à Josiane ) Il ne me croit pas. (Dans le téléphone ) Attends, je te la passe. (Elle passe le téléphone à Josiane qui fait à Sibylle de grands signes voulant dire « non ». À Josiane ) Dis-lui un mot.
Josiane, parlant à contrecoeur. — Oui… ben… c’est bien moi… (Un temps.) Oui, j’ai aussi vu l’accident, oui… (Un temps.) Oui, c’est dingue je sais… (Un temps.) Sibylle et moi on a été dans la même classe pendant longtemps. (Un temps.) On s’est rencontrées par hasard. (Un temps.) Complètement par hasard, je t’assure. (Un temps. À Sibylle ) Il me demande si j’ai lu son texto. (Dans le téléphone ) Oui je l’ai lu…
Sibylle, reprenant le téléphone. — C’est Sibylle. Écoute Marc, on a lu ton texto. (Un temps.) Oui, Josiane et moi. Alors, que les choses soient bien claires : tu ne t’installeras pas chez moi, ni aujourd’hui, ni demain, ni jamais. Non, laisse-moi parler. Tu n’es qu’un profiteur ! Pourquoi ? (Ayant un petit rire bref.) Ah ! Tu espérais peut-être vivre à mes crochets et utiliser mon aveuglement pour éponger tes dettes ? Désolée mon vieux, mais tu devras t’y prendre autrement ! (Un temps.) Tu sais très bien de quelles dettes je veux parler : le poker en ligne ! Eh oui, Josiane m’a tout raconté. C’est une femme formidable et tu devrais avoir honte de l’avoir trompée ! Elle a toujours été loyale avec toi, elle a sacrifié sa vie professionnelle pour élever vos enfants, qu’elle aime et pour qui elle fait tout jusqu’à s’oublier elle-même : Éric, Lola, Marcia et Philippe ! Tu vois, je connais toute la famille… Grâce à Josiane, j’en ai plus appris sur toi en une heure que depuis six mois qu’on est ensemble ! Tu disais que tu voulais partager ma vie ? En tout cas tu ne partageais guère la tienne ! Tu la trompais mais tu me trompais aussi : tout était faux dans ce que tu me disais, jusqu’à tes mots d’amour que tu as volés à Josiane ! Absolument, volés ! « L’éternel éphémère » ! Eh oui, ça aussi, je sais ! Tu lui as volé ces mots qui n’étaient qu’à elle et c’est peut-être ce que tu as fait de pire dans toute cette histoire ! (Un temps.) Quoi ? (Un temps.) Voilà enfin une bonne nouvelle ! (À Josiane ) Il ne veut plus habiter chez moi ! (Un temps.) Je te la passe.
Josiane, reprenant le téléphone, revigorée par ce que vient de dire Sibylle. — Allô ? (Un temps long.) Hein ? Non mais… tu peux répéter s’il te plaît ? (Un autre temps plus court durant lequel Josiane se met en colère.) Quoi ? Ah tu ne manques pas d’air ! (À Sibylle ) Tu ne connais pas la meilleure ? Il veut revenir à la maison ! (Dans le téléphone ) Écoute bien : pendant des mois tu as bercé Sibylle d’illusions ! Tu ne pouvais pas mieux choisir pour me tromper ! Une femme comme elle, séduisante, bosseuse, brillante, qui avait mis entre parenthèses sa vie personnelle pour se procurer une belle situation, elle pensait enfin pouvoir écrire une belle histoire avec toi… C’est immonde ! Tu lui as causé une déception plus que douloureuse… Alors, en ce qui concerne notre maison, c’est le domicile conjugal et c’est donc aussi chez toi. Mais tu dormiras sur le canapé ! Dès demain je demande le divorce, et vus tes agissements ces derniers mois, tous les torts seront de ton côté !
Sybille, criant pour Marc entende. — Et je viendrai témoigner ! D’ailleurs, je connais plusieurs avocats spécialisés en affaires familiales, je peux te dire que ça va saigner !
Josiane. — Et puis change de pantalon, c’est vraiment dégoûtant ! (Elle raccroche, sautille de joie et prend la main de Josiane.)
Josiane et Sybille, chantant et dansant. — Libérées, délivrées !…
Sybille. — Mais pourquoi tu lui as parlé de son pantalon ?
Josiane. — Tu sais bien que monsieur s’est un peu oublié…
Sybille, avec dégoût. — Ah oui, c’est vrai… (Soudain plus grave ) Mais ça lui arrivait souvent de prendre la route ivre comme ça ?
Josiane, souriant. — En fait il n’était pas ivre. Mais j’ai reçu le texto où il m’annonçait qu’il me quittait en rentrant à la maison. Il était encore là. J’ai tout fait pour l’éviter. En arrivant dans la cuisine, j’ai vu qu’il s’était fait un café. Alors, de rage, j’ai versé un laxatif dedans ! L’effet ne s’est pas fait attendre ! Ça a fait mouche ! (Elle rit.)
Sibylle, souriant. — Ça a même fait tache !
Elles rient toutes les deux de bon cœur.
Sibylle, ayant soudain une révélation. — Oh ! ça y est, j’ai compris la prédiction de ta voyante !
Josiane. — Celle qui m’a parlé de nos retrouvailles en disant : « je vois une tache qui disparaît ».
Sibylle. — Oui ! Tu m’as bien dit qu’elle n’y voyait plus grand-chose ?
Josiane. — Oh non…
Sibylle. — Ta voyante a fait une confusion entre une tache et une marque.
Josiane, ne voyant pas où Sibylle veut en venir. — C’est la même chose !
Sibylle. — Ah non ! Parce que marque (Elle épelle ) M.A.R.Q.U.E., ça sonne comme Marc (Elle épelle ) M.A.R.C. (Livrant la clef de l’énigme ) « Je vois Marc qui disparaît ».
Josiane, comprenant soudain. — Ah ! Tu crois qu’elle voulait dire qu’on se retrouverait quand Marc, mon mari, disparaîtrait, autrement dit, quand il sortirait de ma vie ?
Sibylle. — Peut-être… Et ça tombe bien, parce que ce Marc, c’était vraiment une tache !
Elles rient.
Josiane, plus sérieuse. — Merci, Sibylle, de ce que tu as dit de moi à Marc. Ça m’a énormément touchée…
Sibylle, plus sérieuse également. — C’est à moi de te remercier, les mots que tu as dits sur moi à ton mari, je n’en ai jamais entendus d’aussi justes.
Josiane, presque grave. — Je voudrais que tu m’excuses, aussi. Dans la colère, j’ai dit des choses que…
Sibylle, presque grave également. — Elles valent bien les choses que j’ai dites sur toi.
Sibylle et Josiane, ensemble. — Je ne les pensais pas…
Elles sourient de cet unisson.
Josiane. — Nos différences, elles ont toujours été là. Et c’est pour ça que je t’apprécie.
Sibylle, émue. — Nos différences, elles seront toujours là, mais elles ne sont rien face à ce qui nous rapproche.
Josiane, émue aussi. — « Amies un jour »…
Josiane et Sibylle, ensemble. — « Amies toujours » !
Elles se prennent dans les bras l’une de l’autre.
Josiane, un peu honteuse. — Sibylle, il faut que je t’avoue quelque chose. (Elle hésite, puis ) J’ai déchiré ton numéro de téléphone…
Sibylle, un peu honteuse aussi. — Moi aussi.
Josiane, souriant. — On fait vraiment un beau duo de branquignoles !
Elles rient de nouveau. Leurs téléphones sonnent.
Josiane, répondant. — Allô, Lola ?
Sibylle, répondant. — Allô, maman ?
Josiane, au téléphone. — Oui, je sais, tu as vraiment envie d’aller chez Naomi…
Sibylle, au téléphone. — Ça me fait plaisir de t’entendre…
Josiane, au téléphone. — Eh bien vas-y.
Sibylle, au téléphone. — Non, finalement, je ne vais pas à ma réunion. Ils se passeront de moi !
Josiane, au téléphone. — j’ai dit « vas-y », si ça te fait plaisir. Va passer le weekend chez elle. (La grondant gentiment ) Demain, après le petit-déjeuner, file chez Naomi et que je ne te revoie plus avant dimanche soir !
Sibylle, au téléphone. — Maintenant ? Eh bien je suis libre. Comme ça, je vais pouvoir venir à ton vernissage.
Josiane, au téléphone. — Nous deux, on passera du temps ensemble quand tu reviendras ! Tu verras, j’ai une surprise pour toi.
Sibylle, au téléphone. — Non non, ce n’est pas une blague. Je suis là dans cinq minutes. Je t’embrasse. (Elle raccroche.)
Josiane, au téléphone. — Fifou va bien ? Parfait ! Vous êtes calés devant un film ? (Un temps.) Oh, vous en avez au moins pour deux heures et demies ! Je serai rentrée pour le générique de fin. À tout à l’heure. Je vous aime. (Elle raccroche.)
Sibylle. — Si je comprends bien, tu as deux heures et demies devant toi ?
Josiane. — Environ…
Sibylle, lui prenant le bras. — Alors je t’emmène au vernissage de ma mère ! Elle sera ravie de te revoir…
Josiane. — Je ne sais pas si… avec les horaires de bus.
Sibylle. — T’en fais pas, je te déposerai, tu seras rentrée en deux minutes chrono !
Josiane. — Dans ta Porsche quatre-quatre ?
Sibylle. — Dans ma Porsche quatre-quatre !
Josiane, dont les yeux brillent. — Wouah, la classe !
Le téléphone de Sibylle sonne.
Sibylle. — C’est le boulot, faut que je réponde ! (Elle décroche ) Allô Henri ? (Un temps.) Non, je ne viens pas à la réunion, je suis avec une amie ! (Un temps, jouant la surprise ) Comment, Gaylord a eu un accident de voiture ! (Faux-jeton ) Mais non, je ne savais pas ! (Un temps.) Alors que son permis est suspendu ? (Jouant la compassion ) Quelle horreur ! Pardon ? (Un temps.) Zambot ne veut plus lui céder ses parts et tient à me les vendre à moi ? (Jouant la fine bouche ) Eh bien, je vais réfléchir, Henri, je vais réfléchir… Dites-moi, vous me disiez que vous cherchez quelqu’un au secrétariat de direction ? Une personne fiable, rigoureuse et motivée. Ne cherchez plus, j’ai trouvé ! (Elle regarde Josiane qui n’en revient pas.) Elle viendra lundi matin pour un entretien. (Un temps, puis, malicieuse ) Je vous laisse, Henri, parce que moi, contrairement à vous, je suis en weekend. Bye-Bye ! (Elle raccroche, à Josiane ) Amies un jour…
Sibylle et Josiane, ensemble. — Amies toujours !
***
FIN
DE
Collision
Des questions ? Des remarques ?
Écrivez-nous : contact@rivoireetcartier.com
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